Le texte


Un grand bruit déchire le silence. Elle relève la tête. La curiosité l'emporte. Elle voit un chemin ; elle s'y engage.

Quel est cet étrange bruit ?

Elle marche seule.

Elle a un bonnet sur la tête, que des gens lui ont donné pour la liberté. Elle porte une robe blanche, toute simple. Elle traine sur le sol, légère, l'effleurant à peine. Le blanc se tâche. Elle baisse les yeux. Du rouge.

Le sol est rouge. Comment peut-il être si rouge ? Elle a l'impression que la terre entière a saigné pour qu'il ait une telle couleur.

Ses yeux fixent le sol. Ils ne voient que du rouge. Le blanc de sa robe disparaît. Ne reste que le rouge et l'horreur. Elle avance, ses yeux rivés sur le sol. Il faut qu'elle avance. Il faut qu'elle imprime cette couleur dans son esprit.

Cette couleur c'est celle du sang. Cette couleur c'est celle de la vie.

Pourquoi la vie est-elle ainsi répandue à terre ?

Que s'est-il passé ? Dans quel monde est-elle ?

Trop de question, pas de réponses. Alors elle avance, vacillant, se prenant les pieds dans sa longue robe blanche. Il faut qu'elle le voie. Il faut qu'elle comprenne. Alors elle regarde le sol rouge. Mais pas de réponse ; c'est juste une couleur. Une couleur qui lui fait mal aux yeux. Une couleur qui lui fait mal au cœur.

Elle fait onze pas. Ses yeux suivent toujours le chemin écarlate. Le sol est chaque pas plus rouge.

Et soudain, elle n'est plus seule.

Des gens sont allongés, de part et d'autre du chemin. Ils la rejoignent ; le rouge prend une couleur de fraternité. Elle n'est pas seule. C'est la joie. Puis l'angoisse. Ils sont aussi écarlates que le sol. Ils ne bougent plus. Elle les compte. Ils sont dix-sept. Elle trébuche, tombe à genoux : sa robe se colore, prend la couleur de la vie qui s'échappent des corps. Leurs yeux l'observent. Leurs lèvres l'appellent. Mais rien ne sort ; le silence est total.

Et le rouge s'est abattu sur ces gens.

Que s'est-il passé ?

Elle se relève ; le sang cesse de tâcher sa robe. Elle avance dans ce paysage désolé. Cette fois, ce n'est pas le chemin écarlate qu'elle regarde ; mais les yeux qui ne cessent de la poursuivre. Elle fait onze autres pas. D'autre gens la rejoignent. Eux aussi sont rouges, rouge de leur vie, rouge de la mort. Elle n'arrive pas à les compter. Trente ? Quarante ?

Alors c'est le sang qui a coloré le chemin ?

Qu'on-t-il fait ?

Elle regarde ses accompagnants, cherchant la réponse dans leurs yeux vides. Mais rien ne lui répond. Les questions restent sans réponses ; alors elle continue. Mais bientôt, d'autres gens écarlates arrivent ; il y en a trop, elle étouffe, elle trébuche, tombe. Elle ne comprend pas. Le rouge devient sa seule réalité, l'aveugle. Tout se confond dans sa tête : vie, mort, réponses, questions, justice, vengeance, justification, barbarisme ... Rien n'a plus de sens, si ce n'est cette réalité, cette couleur qui emplit l'horizon, son champs de vision, son esprit.

Ciel, tout est rouge.

Même le blanc est devenu rouge.

Elle jette son bonnet à terre.

Comment en est-on arrivé là ?

Elle n'est plus seule.

Elle est seule.

Seule au milieu de l'écarlate.

Il n'y a pas de réponse. Il n'y a que le rouge.

Une lumière attire son regard. Elle arrive à lever les yeux sur l'horizon. Elle comprend. Un nouveau jour se lève. Le rouge s'éclaire sous l'éclat. Elle lève les yeux. Le ciel bleu se pointe.

Bleu ? Alors tout n'est pas rouge ?

Ça l'intrigue. Elle se relève, la tête en l'air. Ses jambes reprennent seules leur route, suivant la lueur bleue.

Quelle est cette étrange couleur ? On dirait quelque chose d'inédit. Un nouveau jour. A la liberté. A l'espoir.

Elle porte les yeux à l'horizon. Le bleu descend caresser le rouge, comme pour le consoler. Le rouge tend la main au bleu, comme pour y croire. Les couleurs s'allient à l'horizon, se confondent ; on arrive plus à les distinguer. La lumière l'éblouie. L'horizon n'est plus que lumière blanche.

Elle avance vers cette lumière. Qu'ont crées le bleu et le rouge ? Ça ressemble à un futur. Ça ressemble à une promesse. Ça ressemble à l'unité : l'équité entre deux mondes. Oui. Ce blanc, c'est aussi l'égalité. Elle s'arrête. Elle est éblouie. C'est trop beau. Inatteignable. Elle se retourne.

Et elle les voie.

Trop pour qu'elle puisse les compter. Mais elle se rend compte qu'ils sont debout derrière elle. Ils sont blancs comme elle l'était ; ils sont devenus rouges comme elle. Ils la regardent.

Elle n'est plus seule.

Elle ne l'a jamais été.

Elle doit faire quelque chose.

Alors elle se retourne. Elle ne peut pas chasser le rouge. Elle ne peut pas renoncer au bleu. Elle doit agir. La lumière l'appelle. Le rouge la maintient dans la réalité. Le bleu la pousse à avancer. Elle se penche pour ramasser le bonnet qu'elle avait jeté. Il est à elle. Elle ne l'abandonnera pas. Alors elle avance. Ils la suivent. Ils sont tous derrière elle. Ils ne l'abandonnent pas. Elle ne les abandonne pas. Ils ne sont pas seuls. Nous marchons ensemble vers la lumière.

Liberté. Egalité. Fraternité.

Le monde autour est devenu Bleu-Blanc-Rouge.

13 Novembre 2015.

#prayforparis. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top