Paige
Quand ses yeux s'étaient posés sur le carnet à la reliure noire, Ava avait pressenti que ça ne lui plairait pas. Elle venait juste d'ouvrir la porte de son casier, elle allait commencer sa journée. Elle avait déposé sur la table derrière elle, sa mallette et avait pris des deux mains l'objet. Elle l'avait ouvert avec des gestes lents, le regard attentif. Ses yeux avaient commencé à parcourir les lignes et son souvenir damné était revenu.
Sans trop prendre conscience qu'elle avait rejoint son bureau, fermée sa porte, gardé le carnet dans ses mains. L'encre bleue d'un stylo ordinaire lui montrait des phrases horribles et, elle le savait, des vérités.
Et elle ne pouvait plus empêcher l'apparition des images.
Pendant ses années d'études, Ava avait une amie extraordinaire. Elles se disaient tout, tout le temps, et il n'y avait pas plus complices que ces deux-là. Si bien qu'elles se connaissaient encore mieux qu'elles-mêmes et que les sentiments de l'une venaient envahir l'autre. Et le sentiment le plus fort qu'elles avaient pu ressentir, était celui de la tristesse. Une profonde peine qu'elles ne comprenaient pas tout à fait. A cette époque, elles ne s'étaient pas doutées que c'était bien plus que ça.
L'amie d'Ava n'en pouvait plus. En fait, elles n'essayaient pas vraiment de retrouver le sourire. Aucune d'elle n'en ressentait la motivation et, perdues toutes deux dans leur bulle, elles en oubliaient la beauté du monde. Si bien qu'un jour, son amie mit fin à sa vie. Ava l'avait vu, elle avait serré son corps inerte et entendue sa seule respiration qui pouvait briser le silence. Ses yeux vides la hantaient encore la nuit et depuis, elle n'arrivait pas à se disculper.
Elle s'était répétée qu'elle aurait dû la sauver, qu'elle s'en était doutée et qu'elle n'avait rien fait. Ou du moins, que ce qu'elle avait tenté avait précipité la chute. Ava avait essayé de l'en dissuader. Son amie ne lui avait pas dit mot pour mot ce qu'elle avait en tête, et à vrai dire il n'y a pas vraiment de mots pour dire à quelqu'un qu'on compte se tuer. Mais elle l'avait su, parce qu'elle la connaissait par cœur. Seulement, ses efforts n'avaient fait que l'empresser de le faire.
Alors quand elle lisait ce que cet élève avouait dans ce carnet, elle avait un peu l'impression que son amie revenait. Qu'elle lui faisait le reproche de ne pas avoir réussi à la sauver, et qu'elle voulait être sûre qu'Ava n'oublie pas. Mais Ava ne pouvait pas oublier. Chaque matin, elle passait devant sa commode où se trouvait une photo de son amie. A chaque rendez-vous avec un élève, elle se demandait ce que son amie aurait dit.
Elle n'avait tout simplement pas pu empêcher Thomas Edison de se tuer. Pourtant, à la toute fin, d'une belle écriture soignée mais rageuse, l'élève avait marqué son adresse et le jour où il comptait le faire. Il avait tout préparé. Ça s'était passé un mercredi. Elle avait préféré ne pas y croire. Elle ne voulait pas un nouvel échec. Elle ne voulait pas que son amie ressurgisse du passé. Et pendant que Thomas Edison mettait un terme à son existence, Ava buvait pour noyer sa peine renaissante.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top