III.

 Recroquevillé contre le mur, Louis porte la fin de sa cigarette à ses lèvres. Il la regarde ensuite se consumer entre ses doigts, à la lumière grise de cette journée pluvieuse. La fumée se mêle à la bruine qui tombe sur la ville depuis ce matin. Même s'ils entrent en plein automne, Louis est persuadé que ce n'est pas un hasard si le temps colle si bien à son état d'esprit depuis sa dispute avec Harry il y a deux jours.

Son menton repose sur ses genoux, ramenés près de son torse. Il n'a pas su calmer ses sanglots ce soir là, après être rentré en furie chez lui, après avoir jeté ses affaires au sol et s'être réfugié dans son lit pour y noyer ses larmes. Il ne devrait pas pleurer pour un garçon, il ne devrait pas lui accorder autant d'importance. Il déteste Harry. Il déteste ses sourires, ses fossettes, son air constamment poli, son calme, son intelligence, le vert de ses yeux, la lourdeur de sa voix, son rire, ses grandes mains,

Il déteste tomber davantage sous son charme chaque jour alors qu'Harry ne voit en lui qu'un être sans coeur. Dénué d'émotions. Louis aimerait lui dire, lui hurler que c'est faux. Qu'il ressent tout, sans arrêt, qu'il aimerait que ça s'arrête parfois tellement c'est douloureux et oppressant, qu'il ne le montre pas forcément mais qu'à l'intérieur il explose.

Mais Harry ne voit qu'une seule chose en lui.

Un monstre.

Et Louis commence doucement à y croire.

Un courant d'air souffle dans la pièce déjà humide, sa peau est parcouru d'un frisson glacial. Le parquet se met à craquer tout seul. Il n'est pas chez lui.

C'est dans la maison qu'il est venu se réfugier ce matin, après le travail. Il a séché les cours, ce qui est assez inhabituel pour lui. Seulement, il n'a pas l'esprit à se concentrer. Il n'est occupé que par les mots d'Harry, qui tournent en boucle dans sa tête, et il a besoin de les faire taire un moment.

– Je ne suis pas un monstre...

Son murmure résonne trop fort à son goût dans la pièce vide. Il peut s'entendre penser, respirer, ça en devient insupportable. En entrant, ses pieds ont directement trouvé le chemin de l'escalier en bois puis celui de la chambre en désordre. Rien n'a bougé. Les livres sont toujours éparpillés au sol, il s'est assis entre eux, appuyé contre le mur froid, dont la peinture s'écaille par endroits.

– N'est-ce pas ?

Le tabac laisse un goût acre sur sa langue, mais il entame quand même une autre cigarette. Quand il est contrarié, Louis a tendance à fumer davantage. Il active la flamme de son briquet qui vacille, pourtant le vent s'est calmé. A l'instant même, il n'y a aucun courant d'air.

Soudain, c'est le volet cassé de la chambre qui claque contre le mur. Louis le fixe pendant de longues secondes, ses poils s'hérissent sur ses bras, il est certain que ce n'est pas un hasard. Son rythme cardiaque se fait plus intense, il inspire, sa respiration tremble un peu. Mais il n'a pas peur, il n'est pas vraiment effrayé, plutôt fasciné, excité à l'idée que ses théories se confirment.

– D'accord, je ne sais pas s'il y a vraiment un fantôme dans cette maison, quelqu'un qui m'entend, mais...

A la recherche du moindre indice, le regard de Louis parcourt chaque recoin de la pièce. Il sait que, parfois, des bruits surgissent dans les maisons, que ce n'est pas forcément le fruit d'un esprit ou d'une présence surnaturelle mais un engin électronique qui se remet en route, quelque chose dans le genre. Le toit qui craque sous la pression du vent, le bois qui bouge, gonfle en fonction de la température ou de l'humidité.

Seulement, cet endroit semble abandonné depuis des années, dépourvu de source de vie. Louis en est quasiment certain, ces murs renferment une histoire étrange. Il ne sait pas comment l'expliquer, mais il en a le sentiment intense, là, au creux de sa poitrine. Son ventre se serre d'appréhension tandis qu'il continue d'une voix plus frêle :

– Je peux te sentir, peu importe qui tu es.

Louis s'y attendait, mais rien ne se passe. La maison reste étrangement silencieuse. Il s'adresse peut-être au vide. Ses paupières se ferment un instant, il porte sa cigarette à sa bouche et tire dessus si fort qu'il manque de s'étouffer.

– Tu dois me prendre pour un fou...

Un léger rire sort de sa bouche, parce qu'il est assez désespéré pour se parler à lui-même maintenant. Puis il pense,

Un monstre. Un monstre, Louis. Tu es un monstre.

Son sourire se fane sur ses lèvres, il ouvre les yeux, coince sa cigarette entre ses lèvres puis se redresse. La poussière au sol a recouvert son jean, il le frotte du mieux qu'il peut et lance un dernier regard à la pièce.

Avant de franchir le seuil pour atteindre le couloir, il laisse ses doigts se poser contre le mur froid. L'espace d'une seconde, il a l'impression de le sentir vibrer sous son toucher. Puis tout s'arrête.

– J'aurais aimé connaître ton histoire, mais peut-être que ce n'est pas à moi de la découvrir.

Louis ne sait toujours pas à qui il s'adresse. Un fantôme. Un esprit perdu. Un homme. Une femme. Un enfant. Même un chien. N'importe qui. Une oreille quelque part, oubliée, qui l'écoute, qui peut l'entendre.

Son bras retombe le long de son corps, il serre son poing, soupire et sort de la pièce puis de la maison. Dehors, il écrase sa cigarette dans l'herbe humide. Il marche vite. La maison est déjà loin derrière lui. Quand il se retourne, il ne la voit plus. Elle n'a pas disparu, mais c'est tout comme.

Il reviendra certainement, un jour, une nuit, un moment où il se sentira assez seul et vide pour s'enfermer entre ces murs abandonnés. Peut-être qu'il ne trouvera jamais rien sur son histoire, mais il n'est pas obligé de la laisser derrière lui. Elle a éveillé en lui, dans sa chair, un sentiment inexplicable. Il ne cherche pas à savoir quoi, il sait simplement que ça le rend vivant.

Au fond de lui, il sent quelque chose se briser. L'espoir peut-être, s'il devrait mettre un nom dessus. Sa déception est si grande qu'elle lui noue la gorge. La pluie légère caresse son visage, c'est presque agréable. Il s'arrête au beau milieu d'un trottoir, penche la tête un instant en arrière, laisse l'eau rafraîchir sa peau.

– Louis ?

Son coeur loupe un battement, il redresse son visage maintenant mouillé, ouvre les yeux. Harry est devant lui, il avait reconnu sa voix, mais ne l'a pas entendu arriver. Il porte une capuche rabattue sur ses boucles humides, un parapluie transparent ouvert au-dessus de sa tête et le vert de ses yeux reflète celui de son pull, pastel, doux.

Louis aimerait vraiment cesser de le trouver aussi beau, mais il n'a pas encore mis la main sur la solution miracle.

– Qu'est-ce que tu fais ?

Confus par tous les sentiments qui se bataillent dans le creux de sa poitrine à cette seconde précise, il cligne des paupières puis hausse les épaules.

– Tu connais le film Gremlins ?

– Euh, oui ?

Harry fronce les sourcils, visiblement perdu par la direction que prend la conversation. Louis reprend :

– Tu sais qu'on ne doit pas les exposer à la lumière, leur éviter tout contact avec l'eau et surtout, surtout ne pas...

– Les nourrir après minuit, oui, je sais, l'interrompt Harry en secouant la tête. Mais quel est le rapport ?

Une voiture passe à côté d'eux sur la route, ses pneus passent dans une grosse flaque et envoie de l'eau sur le bord du trottoir. Louis ne se soucie même pas que ses baskets préférées soient détrempées maintenant, il n'est pas certain d'être dans un bon état d'esprit ces derniers temps.

Harry jette un regard noir au conducteur qui ne lui accorde aucune attention et continue sa route. L'air de rien. Louis fixe son visage, tiré par l'incompréhension, il termine alors son explication d'une voix calme.

– Sinon, ils se transforment en monstre n'est-ce pas ? Eh bien, moi, si je reste trop longtemps sous la pluie, j'en deviens un aussi.

Petit à petit, au fil de ses mots, le visage d'Harry se détend car il comprend où il veut en venir et il pousse un soupir. Louis enfonce ses mains gelées dans les poches de sa veste en jean, puis ajoute d'un ton sarcastique :

– Tu ferais mieux de t'éloigner de moi et d'éviter de croiser mon chemin, je suis très dangereux.

A la fin de sa phrase, Louis insiste sur ses mots en prenant un air sérieux, même s'il a juste envie de s'écrouler de fatigue. Il n'a plus l'esprit à se battre avec lui, pas aujourd'hui en tout cas. C'est pour ça qu'il reprend son chemin en faisant exprès de s'éloigner quand il passe à côté de lui.

Mais Harry l'appelle, il se tourne et le rattrape. En deux grandes enjambées, il est à ses côtés et avance son parapluie afin qu'il recouvre la tête de Louis.

– Est-ce que tu veux bien t'arrêter deux minutes ? J'ai quelque chose d'important à te dire.

Énervé, Louis serre les poings dans ses poches, à deux doigts de lui cracher au visage que ses mots lui ont déjà fait assez de mal comme ça.

Monstre. Manipulation.

La boule se resserre dans sa gorge, il accélère le pas. Harry, à ses côtés, tente de le suivre. Ses joues se colorent de la même teinte rosée que ses lèvres. Et Louis fait tout pour ne pas regarder dans cette direction précise.

– C'est à propos de la maison.

Il s'arrête subitement. Harry aussi, il s'avance d'un pas et se tourne afin d'être face à lui. Louis le regarde droit dans les yeux, il sent qu'il est déjà en train de se perdre dedans, mais Harry a piqué sa curiosité à vif, et il sait, il voit, il lit dans son regard qu'il ne ment pas.

Une goutte court le long de sa joue. Il passe une main dans ses boucles emmêlées, ses bagues claquent les unes contre les autres. Louis remarque un verni bleu clair sur ses ongles, mais il ne dit rien, même s'il trouve ça vraiment, vraiment attirant. Il serre les doigts et se mord l'intérieur de la joue.

– Tu accepterais qu'on aille discuter dans un endroit sec ? Je ne te retiendrai pas longtemps, mais j'ai des documents à te montrer. J'allais à ton appartement, justement.

– Tu ne viens pas chez moi, répond directement Louis sur la défensive.

– Je n'ai jamais dit que ça devait être chez toi, il fronce les sourcils, il y a un café pas loin.

– C'est toi qui paie.

Et sur ces mots, après un regard noir lancé en sa direction, Louis reprend la route, plus lentement cette fois. Harry lève les yeux au ciel mais le suit, laissant le parapluie au-dessus de leur tête à tous les deux. Louis ne lui fait aucune remarque, alors Harry l'incline un peu plus de son côté.

Ils entrent dans un café plutôt calme et la différence de température réchauffe tout de suite leur corps. Harry lui tient la porte, Louis lui jette un regard en coin mais ne le remercie pas. Ils s'avancent tous les deux vers une table, près d'un chauffage et loin d'une fenêtre. La clarté du jour et la lumière artificiel du commerce les éclaire quand même suffisamment.

Harry retire son long manteau qu'il accroche à la chaise avant de prendre son sac sur ses genoux et d'en sortir une pochette en carton et un vieux livre. Louis observe ses mouvements, le dos appuyé sur sa chaise et sa veste en jean toujours sur ses épaules.

L'odeur du café lui embaume les narines, il n'a jamais aimé en boire mais a toujours apprécier le sentir envahir les pièces le matin quand il habitait encore chez sa mère. Quand la serveuse vient prendre leur commande, il demande un thé noir et Harry un cappuccino. Elle repart derrière le comptoir, et il sort des papiers de sa pochette. Louis s'approche en posant les coudes sur la table, son intérêt renaît au creux de son ventre. Ce n'est peut-être pas totalement la fin.

– Avant de commencer, je voulais m'excuser pour mon comportement et mes mots l'autre jo...

– Oublie, marmonne rapidement Louis, c'est rien.

– Non, ce n'est pas rien. Je ne le pensais pas. J'ai dis ça sur le coup de l'énervement.

Cette fois, Louis n'ose plus le regarder droit dans les yeux. Il fixe d'un air dur le document devant Harry, il ne peut rien lire d'ici, l'écriture est trop petite et à l'envers, mais c'est toujours mieux que d'affronter directement son regard. Même s'il le sent brûler sa peau.

– Tu n'es pas un monstre, et je suis désolé si je t'ai laissé penser ça. Je m'en suis voulu... je m'en veux toujours. Alors, je voulais que tu saches que je suis vraiment désolé, Louis.

Il termine sa phrase dans un murmure, comme si ces mots n'appartenaient qu'à eux. Louis réprime un frisson, il rétracte ses doigts sur la table et avale doucement sa salive. En réalité, et c'est ça le pire, c'est qu'il a envie de croire à Harry. De laisser tomber toutes ces barrières, une fois pour toutes.

Aussi, il y a ces mots qui lui brûle la gorge, qui sont toujours coincés sur le bout de sa langue depuis qu'il a compris ce qu'il en était vraiment. Depuis qu'il a compris qu'il était en train de tomber amoureux de lui. Il meurt d'envie de lui demander embrasse moi, mais il sera déjà sous terre avant que ça ne puisse se produire. Parce qu'il sait que ce jour n'arrivera jamais.

– Ce n'est pas parce qu'on ne se supporte pas qu'on doit constamment se mettre des bâtons dans les roues, pas vrai ? Et, pour être honnête avec toi, ça commence à m'épuiser de toujours être en conflit.

Son ton est beaucoup plus calme et posé qu'à leur dernière conversation. Louis fixe ses doigts, la couleur bleu pâle sur ses ongles, le bijou rouge qui garnit sa bague à son auriculaire, celle en forme de rose à son index, il pourrait le regarder pendant des heures, apprendre chaque détail de sa personne.

– Je ne te demande pas d'être ami avec moi, juste... faire la paix, ça te va ?

Suite à ses mots, Harry lui tend la main, ses doigts tendus vers lui. Louis relève le visage et ose enfin croiser la couleur de ses yeux. Une boucle lui effleure la pommette, ses lèvres sont d'un rose vif. Pris de court, Louis oublie de respirer pendant de longues secondes, il n'entend même pas la serveuse qui revient avec leur commande. C'est seulement quand elle pose la tasse fumante de thé devant lui qu'il se recule légèrement et revient à la réalité.

Louis réfléchit. La paix. Faire la paix avec Harry. Après plus d'un an à jouer au chat et à la souris. I ne sait pas si c'est possible, mais ce sera toujours moins compliqué d'être amoureux de lui de cette façon que de se détester éternellement.

Harry a toujours la main tendu vers lui, sa tasse de café, agrémentée d'un petit motif en forme de feuille fait à la surface de sa boisson, entre eux. Louis détourne le regard et répond entre ses dents :

– D'accord, mais je ne te serre pas la main.

– Qu'est-ce que tu risques ?

De ne plus vouloir lâcher tes doigts ? D'avoir envie de me pencher pour effleurer tes lèvres ? D'avoir besoin de plus ? De renforcer l'ampleur déjà immense de mes sentiments ?

Louis aurait été tenté de lui répondre tout ça. A la place, un sourire taquin naît sur le coin de ses lèvres.

– Je ne préfère pas tenter le diable.

Un sourire se dessine aussi sur les lèvres d'Harry qui lève les yeux au ciel. Il baisse sa main, saisit sa tasse et la porte à ses lèvres afin de cacher son air amusé derrière. Louis passe le bout de ses doigts contre le bord de son mug, la fumée bouillante réchauffe ses doigts. Il n'aurait peut-être pas dû rester debout sous la pluie, comme si c'était sa propre douche. L'effet était pourtant bien meilleur encore, plus libérateur.

Après avoir reposé sa tasse, Harry passe sa langue entre ses lèvres. Louis essaie de ne pas fixer sa bouche, pour se distraire il montre le papier devant Harry d'un petit mouvement de menton.

– Si tu as terminé ton séquence émotion, on peut passer à ce que tu devais me montrer ?

Harry se retient de faire une remarque en pressant ses lèvres ensemble, il garde cependant ce sourire taquin sur ses lèvres. L'atmosphère est plus détendue que la dernière fois à la bibliothèque. Peut-être que l'orage qui stagne au-dessus de leur tête depuis leur rencontre est passé. Louis ne dirait pas qu'il a laissé place à un soleil resplendissant, mais c'est un début.

Il pousse le papier vers lui, tourné dans son sens et explique :

– Après notre... il grimace en cherchant ses mots, altercation, j'ai continué les recherches de mon côté. Ton histoire m'intriguait quand même, parce que je n'ai jamais entendu parler de cette maison. Et je suis tombé sur ça hier, c'est un article dans un journal local qui n'existe plus, mais regarde la date en haut.

Le doigt d'Harry se pose à l'endroit dont il parlait. Frappé par une vague de curiosité et d'excitation, Louis ne sait où regarder, où commencer et où donner de la tête. Mais il s'arrête pour lire la date.

– 30 Septembre 1920.

– Il y a quasiment cent ans, dans quelques jours.

Intrigué, Louis se met à lire l'article en question. Chaque ligne fait accélérer les battements de son coeur.

30 Septembre 1920

Fait Divers.

C'est un drame qui a eu lieu ce Jeudi même en fin de soirée dans la maison de la famille Brigs. Léo, âgé de seulement treize ans, a été horriblement assassiné par un inconnu qui est encore en cavale. Ce sont ses parents, Éveline et Roger, qui l'ont retrouvé, criblé de coups de couteaux dans le torse et le dos, alors qu'ils rentraient d'un dîner chez leurs amis. Ils sont conscients d'avoir commis une erreur en laissant leur enfant, mineur, seul chez eux quelques heurs. Une erreur terriblement fatale.

Une telle tragédie a secoué les parents qui ont décidé, seulement deux jours après, d'abandonner la maison et de laisser derrière eux toute trace du passé. Ils ont déserté les lieux sans rien emmener avec eux, ni meuble, ni aucun souvenir. Leur voisine nous a fait part de cette seule information : « Je les ais vu quitter les lieux en voiture, ils avaient chacun un sac sous le bras, c'est tout. La femme m'a fait un signe de la main, elle avait l'air totalement effondrée. Ils voulaient vite quitter cet endroit, c'est compréhensible. »

Ils sont refusé de parler aux journalistes, nos savons simplement qu'ils ont été tellement affecté par la mort de leur fils qu'ils n'avaient d'autre choix que d'abandonner la ville et ce lieu hanté par un crime aussi horripilant. Le corps n'a pas été retrouvé dans la maison, il aurait été enterré dans le jardin ou emmené par les parents.

Nous leur adressons une nouvelle fois toutes nos condoléances et leur souhaitons le meilleur.

Une marche blanche sera organisée ce Mercredi en l'honneur de Léo devant la mairie...

Louis n'a pas le coeur a lire la suite, il a compris l'information principale. Et elle lui donne la nausée, l'odeur du café lui monte à la tête, ou peut-être que c'est seulement tout ce qu'il vient d'apprendre en l'espace de quelques lignes.

Harry lui offre un sourire compatissant, triste, lorsqu'il relève la tête de l'extrait de journal. Louis a la gorge nouée d'émotions, c'est un véritable cauchemar qui est survenu dans cette maison. Il n'aurait jamais pensé qu'un tel drame ait pu s'y produire.

– C'est horrible...

Sa voix ne lui a jamais paru si lointaine et méconnaissable. Chargée d'une tristesse infinie pour une famille qu'il ne connaît même pas, dont il ne sait rien. Si ce n'est que leur fils a été gravement assassiné entre les murs de la maison où Louis s'est réfugié plusieurs fois déjà.

Après avoir repoussé sa tasse sur le côté de la table, Harry ouvre le livre à la couverture marron devant lui. Il a placé un marque-page à peu près au milieu de l'ouvrage, qu'il pose près de sa boisson. Son regard parcourt les lignes serrées, ses doigts glissent contre la feuille jaunie, puis il reprend la parole :

– Et ce n'est pas tout... Dans ce registre, j'ai lu qu'en fait personne n'est revenu habiter dans la maison parce qu'aucun acheteur ne voulait emménager dans une endroit où il y a eu un meurtre. Je dirais que c'est une raison plutôt compréhensible.

Perdu dans ses pensées, Louis assimile les informations que lui délivrent Harry, son regard voyage entre l'article de presse et le bouquin poussiéreux ouvert sur la table. Il a complètement oublié son thé, c'est seulement quand son coude manque de renverser la tasse qu'il se redresse légèrement et la prend entre ses doigts. L'eau est déjà tiède, il la tient un moment dans sa main, puis la porte à ses lèvres.

La gorge toujours nouée, Louis a du mal à avaler la longue gorgée qu'il vient de prendre. Si Harry remarque son comportement étrange ou la manière dont la tasse tremble entre ses doigts lorsqu'il la repose, il ne dit rien.

– De plus, certains voisins ou habitants ont témoignés avoir vu ou assisté à des phénomènes anormaux dans ou autour de la maison.

Cette phrase même suffit à réveiller Louis de sa transe, il émerge de son nuage d'idées sombres et cligne des yeux en regardant Harry. Un drôle de sentiment s'anime en lui.

– Anormaux, c'est-à-dire ?

Harry baisse à nouveau le regard vers son livre, il se perd un instant dans la lecture avant de reprendre d'une voix lente :

– « Plusieurs habitants, notamment leur voisine Madame M. prétendent avoir vu des ombres aux fenêtres, des rideaux bouger. L'agent d'entretien, qui est venu couper l'eau quelques jours après le départ du couple, a décrété avoir entendu des bruits sinistres provenant de l'étage tels que : le parquet qui craque, les portes qui grincent et n'a jamais souhaité remettre les pieds là-bas.... Une présence fantôme ou le souvenir amer du drame qui est survenu entre ces murs ? Nul ne serait le dire. »

A l'intérieur de sa poitrine, Louis sent son rythme cardiaque s'emballer. Il le savait. Ce n'était pas juste une impression, un courant d'air ou le bois de la maison qui s'éveille tout seul. Un frisson traverse son corps, il a la chair de poule rien qu'à l'idée de penser que sa théorie se confirme, qu'il a raison depuis le début.

Dans son euphorie, Louis serait presque tenté de sauter au cou d'Harry pour le remercier de ne pas avoir abandonné les recherches et de lui avoir ramené ces informations primordiales. L'espoir renaît dans son corps. Face à lui, Harry fronce les sourcils.

– Pourquoi tu souris comme ça ?

– Je le savais.

– Quoi donc ?

Le corps de Louis tremble d'excitation quand il prend une inspiration. Autour de lui, le monde semble s'être dissipé, réduit à un bruit de fond, il n'entend plus que les battements incessants de son coeur. Ça lui fait un bien fou, de se sentir vivant.

– Il y a un esprit dans cette maison. Je l'ai senti, Harry.

Une seconde passe. Les épaules d'Harry se tasse légèrement, il referme le livre puis se pince les lèvres avant de souffler plus bas :

– Louis...

Il ne le croit pas. Harry pense qu'il se paie sa tête. Et Louis n'a plus tellement envie de le prendre dans ses bras.

– Je ne plaisante pas ! Il hausse le ton et regarde rapidement autour de lui, avant de baisser la voix à un degré normal. Ce qu'a décrit cet agent, je l'ai entendu aussi. Les bruits... Il y a un objet qui est tombé au sol, une porte et un volet qui ont claqué et il n'y a avait pas de vent. Tu comprends ce que ça veut dire ?

Peut-être qu'Harry ne saisit pas toute l'ampleur de cette histoire, parce qu'il ne semble pas aussi emballé et excité que lui. Il est même tout à fait calme et rationnel.

– Imaginons une seconde que tu as raison, alors c'est très dangereux. Je ne m'y connais pas du tout en surnaturel, mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée de jouer avec des choses qui nous dépassent.

Son regard s'attarde un instant sur le visage de Louis, puis il reprend sa tasse de café. Blessé dans son orgueil, Louis décide d'ignorer cet avertissement caché et continue :

– Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi les agents immobiliers ne sont jamais venus jeter les meubles et tout ce qui est encore à l'intérieur ? S'ils pensaient qu'il y avait une présence, pourquoi ne pas abattre la maison dans ce cas ?

– Je crois que c'était une sorte de lieu pour honorer la victime, lui rendre hommage. Même encore aujourd'hui, personne n'en parle, mais c'est comme ancré dans le patrimoine. Il y a très peu d'informations dessus parce que les gens ont peur, plus encore à l'époque. Un meurtrier dans la ville, une maison fantôme ? N'importe qui rebrousserait chemin. C'est pour ça que la maison est isolée et que personne n'a élu domicile autour.

Les mots d'Harry sonnent comme un défi. Louis se met droit sur sa chaise et redresse ses épaules.

– Pas moi.

Harry a raison. N'importe qui rebrousserait chemin, mais pas lui. Louis a toujours été d'une nature curieuse. Il n'a jamais eu peur des aventures, des histoires de monstres que lui racontaient sa mère quand il était petit. A vrai dire, il est plutôt celui qui va se jeter tête la première dans les bras du danger. Il ne compte plus le nombre de plaies, de plâtres, de membres cassés, d'ecchymoses qu'il a pu avoir dans ses vingt cinq années d'existence.

La vie est une aventure sans fin à ses yeux, remplie d'obstacles à franchir, d'épreuves à réussir, de caps à passer, de difficultés à surmonter. Et Louis a bien l'intention de prouver au monde entier qu'il est un gagnant. Que la vie se doit d'être croquée à pleines dents. Même s'il n'y a qu'Harry devant lui à cette seconde même.

Ce dernier le regarde avec un air à la fois étonné et inquiet. Sa voix se fait plus basse quand il lui demande très sérieusement :

– Tu comptes quand même y retourner, maintenant que tu sais tout ça ?

Une moitié de sourire se dessine sur le coin des lèvres de Louis, il boit une gorgée de son thé et hausse les épaules. Parce que, qu'est-ce que serait la vie sans danger, sans frissons, sans tous ces sentiments de peur qui glace le sang et animent le corps ? Que serait la vie sans étincelles ?

– C'est peut-être étrange, mais j'ai vraiment l'impression d'avoir ressenti une présence là-bas. Je ne sais pas si c'est celle de Léo ou si c'est simplement une sensation de malaise, mais j'ai besoin d'être sûr.

Harry repose sa tasse sur la soucoupe en verre, elle fait un petit bruit. Il avance légèrement son corps vers Louis au-dessus de la table, son ton est plus bas, discret, comme s'il craignait que les personnes autour puissent entendre leur conversation.

– Tu es certain que ce n'est pas dangereux ?

– J'aime ça, le danger.

Pour le bien d'Harry dont l'expression semble avoir pâli depuis qu'ils parlent de fantômes, Louis ne lui précise pas qu'il joue constamment avec le feu et que ce ne serait pas la première fois qu'il se confronte à ce genre de situation. Il veut lui épargner une crise cardiaque.

– Louis, je suis sérieux.

Exaspéré, Louis lève les yeux au ciel de façon exagérée. Ils sont définitivement deux êtres humains que tout oppose. Leur caractère, leur goûts, leur approche de la vie. Mais Louis apprécie le fait de ne pas être tout le temps en accord avec quelqu'un d'autre, il préfère même se prendre la tête avec Harry pendant des heures que de discuter cinq minutes avec une personne qui approuve tout ce qu'il dit.

– Tu n'as qu'à venir avec moi, pour me protéger.

Quand il a prononcé ses mots, Louis n'a pas réfléchi tout de suite. Il aurait peut-être dû. Mais il est trop tard à présent. Harry écarquille légèrement les yeux puis se redresse pour instaurer à nouveau une distance convenable entre eux. Louis plonge son nez derrière sa tasse de thé pour remplacer le parfum vanillé d'Harry qui s'évapore petit à petit. Il ne boit pas, l'eau est froide à présent, mais il ne peut pas devenir aussi accro à l'odeur d'Harry, ce serait un problème en plus auquel il n'aurait pas la solution.

– D'accord.

Sa réponse vient peu de temps après, son ton est assuré. Louis manque de s'étouffer avec le thé qu'il n'avale pas. Il repose la tasse, s'essuie la bouche du revers de la main et hausse un sourcil.

– Je ne pensais pas que tu allais accepter aussi facilement. C'est l'idée de me protéger qui te motive autant ?

Un instant, Louis croit voir l'ombre d'un rougissement fleurir sur les joues d'Harry. Il baisse les yeux vers son livre, ses grandes mains qui le recouvrent et se met à jouer avec ses bagues, les faire tourner autour de ses doigts. Et il répond, d'une voix plus rauque et lente :

– Disons que cette histoire m'intrigue quand même, je n'ai jamais... vu un endroit hanté.

– Tu me crois alors ?

– Je ne sais pas, c'est ce qu'on découvrira là-bas.

Louis trépigne déjà d'impatience sur sa chaise, il repousse sa tasse et tend l'article de journal à Harry. Un sourire apparaît sur le visage de ce dernier qui reprend la fine feuille et la glisse dans sa pochette, ainsi que son livre.

Alors que Louis est prêt à se redresser pour partir à l'aventure, Harry pose une main sur la table et le regarde droit dans les yeux. Le vert des siens brille d'une lueur étrange.

– Mais pas maintenant, je dois aller travailler dans dix minutes. Et toi, tu as assez séché de cours je crois, non ?

– Pardon ? Louis s'offusque en haussant un sourcil. Depuis quand tu remplaces ma mère ?

– Je relais simplement le message de Liam. Il m'a dit que tu n'es pas venu depuis hier et que tu ne réponds pas à ses messages, il a tous les droits d'être inquiet.

– Oh, parce que vous parlez de moi maintenant ?

Harry ne répond pas, mais à en croire l'ombre rosée sur ses pommettes, Louis se persuade qu'il lui fait peut-être de l'effet finalement, lui aussi. Afin de changer de sujet et de détendre l'atmosphère qui est devenue excessivement lourde, il lui demande :

– Tu es libre demain à 17h ?

– Je termine ma journée à 17h30.

– D'accord, je viendrais te chercher à la bibliothèque.

A son tour, Harry hausse un sourcil, il garde son sac sur ses genoux et enfile son long manteau, sans lâcher Louis des yeux. C'est assez perturbant, parce qu'il se sent aspiré, corps et âme, dans l'intensité de son regard émeraude. Puis il a terriblement envie d'embrasse le sourire dessiné sur ses lèvres rosées.

– C'est nouveau ça, reprend Harry, je dois me sentir flatté ?

Si Louis n'était pas aussi impatient à l'idée d'aller explorer à nouveau la maison à la recherche d'un esprit, il rougirait certainement. A la place, il lance au visage d'Harry un petit sachet de sucre vide qui était avec sa tasse. Enfin presque vie, il y en a quelques grains qui tombent sur son pantalon, il l'époussette du revers de sa main et lance à Louis un regard accusateur.

– Idiot, marmonne Louis en souriant malgré tout, va travailler je t'ai déjà vu assez longtemps pour aujourd'hui. Ma patience a ses limites.

– Louis, tu n'as aucune patience.

D'accord, Louis l'admet, il adore échanger des taquineries avec Harry. C'est nettement plus appréciable que de tout le temps être à la gorge l'un de l'autre. Surtout quand Harry le regarde avec ce sourire à tomber par terre et cet éclat dans ses yeux.

– Bon allez, oust là ! A moins que tu ne veuilles te prendre une autre douche de sucre en poudre ?

Harry se pince les lèvres, mais son léger rire qu'il tente de cacher parvient quand même aux oreilles de Louis. Il sort son porte-feuilles de sa poche de manteau, pose un billet pour couvrir leur commande puis se lève. Comme Louis n'est pas un garçon mal élevé, il le remercie. Harry hoche simplement la tête et prend son parapluie qui séchait contre le mur.

Étrangement, le monde autour d'eux semble revenir à la vie. La petite bulle dans laquelle ils se trouvaient se disperse pour disparaître complètement après quelques secondes. Louis revient à la réalité. Le bruit des tasses qui claquent en cuisine, la machine à café qui se met en route, les conversations étouffés des personnes attablées, le léger fond de musique, l'argent qui tombe dans la caisse.

Pendant tout ce temps, Louis se croyait, se sentait ailleurs. Mais il ne sait pas encore si c'est Harry ou l'évocation de la maison qui lui a procuré cet effet, peut-être un mélange des deux.

– Hey Louis....

La voix d'Harry le ramène davantage sur Terre, il cligne des paupières et lève les yeux vers lui. Debout, près de la table, dans son long manteau noir, il paraît si grand, si imposant.

– Évite de trop de remuer les méninges, ce n'est pas grave si tu ne trouves rien là-bas tu sais ?

Un léger sourire se forme sur les lèvres de Louis, il se contente d'acquiescer. Il regarde Harry remercier la serveuse en partant, tenir la porte à une femme qui rentre avec un enfant, puis s'en aller.

Au fond, Louis pense qu'il ne sera pas si déçu que ça si ses théories n'aboutissent à rien, s'il repart les mains vides. Parce que ces recherches auront au moins servi à une chose, les rapprocher Harry et lui.

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