II.
Pendant une semaine, Louis repense à cette soirée. A cette maison sinistre dans laquelle il a trouvé refuge durant une bonne demi heure. Trempé par la pluie, terrifié à l'idée qu'une autre personne lui ai joué des tours entre ces murs. Mais aussi excité par le fait qu'il puisse y avoir un esprit.
Il est intrigué. Piqué par une curiosité étrange de retourner sur ses pas. Le Mercredi suivant, après son dernier cours de la journée à quinze heures, il profite du reste de sa journée libre pour reprendre le même chemin que cette nuit là.
Depuis, les barrières en plastiques ont été retirées et l'eau dégagée. La rue était à nouveau praticable le lendemain après-midi. Mais Louis se décide à faire un léger détour, pour être certain de ne pas avoir halluciné ce soir là.
Cependant, la petite maison se tient toujours au même endroit, à l'écart des autres habitations alentours. Louis inspire, reprend sa marche pour s'approcher du terrain. Le jardin qui devait exister auparavant, n'est plus que fleurs et longues herbes mortes ainsi que quelques arbres à l'aspect bien tristes. Une chose est certaine, l'endroit est laissé à l'abandon depuis des années.
Aujourd'hui, ce n'est plus une météo catastrophique qui motive Louis à entrer dans la maison, mais une curiosité mal placée. Le besoin de retourner entre ces murs pour tenter de comprendre ce qui s'est passé, la raison pour laquelle une famille a déserté son foyer du jour au lendemain, en laissant tous leurs biens derrière eux.
Parce que, lorsque Louis pénètre dans l'entrée pour explorer, la lumière du jour qui lui manquait la première fois lui permet de mieux percevoir le décor. Les bibelots encore sur les meubles, les livres dans les étagères, l'amas de poussière sur chaque surface. Un ancien lieu de vie rongé par le temps.
Louis emprunte le même chemin que lors de sa dernière visite. Cette fois, ses doigts longent les murs, retracent le contour des vieux meubles en bois. Il prend le temps de regarder les objets qui attirent son attention, la plupart ne sont que des gadgets de décoration.
Quand il termine son tour en allant dans la dernière chambre tout au fond, celle en désordre, il a un étrange sentiment. Quelque chose ne lui semble pas normal. Les livres sont toujours là, éparpillés au sol, certains semblent même déchirés, les pages arrachées. Ce n'est pas ça le problème, mais plutôt ce drôle de frisson qui lui traverse la nuque, cette sensation oppressante d'être observé. Seulement c'est impossible, car il est seul dans cette maison.
Pendant plusieurs secondes, il retient son souffle. Debout et immobile au milieu d'une pièce sinistre, silencieuse. Il n'entend rien. Puis, un cadre tombe dans la chambre. Il se décroche du mur, tout seul, et se brise au sol. Louis sursaute, il a l'impression que son coeur est en train de se décrocher de sa poitrine. Il n'entend que lui, ses battements incessants, précipités bourdonnent dans ses oreilles.
Une fois calmé, après ce moment de frayeur, il s'avance lentement vers le cadre dont le dessus en verre est brisé par la chute. Il s'accroupit et le récupère. C'est un portrait de famille. Un couple, un homme et une femme d'environ une quarantaine d'années, et un enfant, un petit garçon qui ne doit pas avoir plus de dix ans. Son regard est triste et sombre, en contraste avec la mine radieuse de ses parents. La mère tient un bouquet de fleurs entre ses doigts contre sa poitrine et le père a une main posée sur l'épaule de son fils. Ils semblent être dans un jardin fleuris, la photo est en noir et blanc.
Dans le couloir, une porte claque d'un coup et cause un second moment de terreur froide à Louis, il serre instinctivement le cadre entre ses doigts, puis fixe le couloir. Tout est redevenu silencieux. Si ce n'est le murmure angoissant du vent à travers les fenêtres cassées et qui se balade de pièce en pièce. Louis repose le cadre sur le bureau, se frotte les mains pour retirer la poussière et avance jusqu'au couloir.
Un nouveau frisson lui parcourt le corps quand il passe la tête dans l'encadrure de la porte afin d'observer s'il n'y a réellement personne dans cette maison. Aucun mouvement. Un calme qui n'a rien de rassurant, mais Louis n'est pas poussé par une envie de fuir. Au contraire, sa curiosité est piquée au vif. Parce qu'il commence à se dire que ce n'est peut-être pas un être vivant qui arpente ces lieux et s'amuse à lui faire peur.
En soit, Louis n'a jamais vraiment cru aux fantômes et à toutes ces histoires au sujet du surnaturel, mais plus il passe de temps entre ces murs plus il se persuade qu'il doit y avoir une part de vérité là-dedans. Et aussi étrange que cela puisse paraître, toute cette perspective commence à le passionner.
Il longe le couloir pour rejoindre les escaliers, passe devant la porte qui a claqué, celle de la salle de bains. Mais il ne l'ouvre pas, il reste un instant à la fixer avant de redescendre au salon. Un dernier coup d'oeil tout autour de lui et Louis quitte la maison.
Une fois chez lui, il ouvre directement son ordinateur et se lance dans des recherches internet sur cette maison. Il tape le nom de la ville lié à des histoires de fantômes ou d'esprits, mais ne trouve aucun résultat correspondant. Pendant presque deux heures, il épluche les articles de journaux, les vidéos troubles et les reportages sur des histoires de famille, en vain. Cette maison occupe tellement son esprit qu'il ne ferme quasiment pas l'oeil de la nuit.
Ce n'est que le lendemain qu'il trouve la solution. Après les cours, il file à la seule bibliothèque de la ville. Louis n'y est venu que trois ou quatre fois en un an, la lecture n'est pas vraiment un de ses hobbies et il n'a pas l'occasion d'y consacrer plus de temps. Mais aujourd'hui c'est presque vital. Il ne pourra pas dormir s'il ne trouve pas d'informations au plus vite.
La bibliothèque n'est pas bien grande, elle s'étend sur deux étages, et Louis est content qu'il n'y ait pas trop de monde. Il cherche dans le rayon histoire et le fond régional, mais à part les lieux à visiter, il ne trouve rien sur une maison abandonnée dans le coin.
A court de solution, il quittes les grandes étagères de livres pour s'avancer vers l'accueil de la bibliothèque. Il s'arrête devant les deux grands bureaux collés, un siège est vide et dans l'autre une personne dont Louis aurait préféré oublier l'existence lève les yeux à son approche.
– Louis ?
Le simple son de sa voix donne envie à Louis de faire demi-tour. Il devrait le détester, parce que dès que Zayn lui a présenté Harry à une soirée étudiante il y a maintenant douze mois, il a tout fait pour le haïr. Mais malgré tout, même si ça l'exaspère et le frustre au plus haut point, Louis ne peut pas s'empêcher de le trouver terriblement attirant.
Ses boucles brunes qui partent dans tous les sens, son sourire qui doit briser de nombreux coeurs, sa voix rauque a la douceur du miel, et ses yeux d'un vert si intense que Louis a du mal à maintenir son regard très longtemps.
Dans une autre vie, Louis l'aurait ouvertement dragué, il l'aurait invité à boire un verre et après avoir appris à se connaître, ils se seraient embrassés à en faire vibrer le centre de la Terre. Parfois, Louis insupporte tant Harry qu'il hésite entre l'envie brûlante de le gifler ou de se jeter sur ses lèvres.
Seulement, la réalité est bien plus compliquée que ça. Harry et Louis vivent dans deux mondes différents, ils n'ont jamais trouvé d'intérêts communs au cours des rares interactions qu'ils ont pu avoir. Et quand ils daignent s'adresser la parole, c'est soit pour se lancer des pics soit pour s'échanger des remarques haineuses. Malgré les efforts de leurs amis pour tenter d'apaiser les tensions entre eux, ils n'ont jamais réussi à sympathiser.
– J'avais oublié que tu travaillais ici, marmonne Louis entre ses dents.
– Et moi que tu savais lire. Tu t'es perdu en chemin ?
Le corps de Louis se tend, il n'est pas d'humeur à plaisanter. Alors, il serre les poings et renonce à poursuivre ses recherches, parce qu'il se rend compte que venir ici n'était définitivement pas une si bonne idée. Il est déjà assez frustré de n'avoir trouvé aucune information et Harry se fait un malin plaisir à en rajouter une couche.
– Ha, ha. Laisse tomber, c'est pas important.
Agacé, Louis commence à se retourner pour partir, mais Harry se redresse dans son siège, pose le livre qu'il tenait ouvert devant lui et le rappelle, sans trop hausser la voix pour déranger les autres usagers :
– Attends, je plaisante. Je m'excuse, vraiment, je suis désolé. En quoi puis-je t'aider ?
C'est bien la première fois que Louis l'entend s'excuser aussi sincèrement, il ferait un très bon acteur tant sa voix semble désolée. Un soupir sort de la bouche de Louis et il se tourne vers lui en croisant les bras sur son torse.
– Tu es sûr que ça ne va pas t'arracher les poumons de m'adresser la parole ?
– Les deux je ne sais pas ? Mais un seul, peut-être.
Harry est visiblement très fier de sa blague, Louis ne cache pas son agacement en levant de manière exagérée les yeux au ciel. Si Harry ne lui avait pas fait signe de continuer, il serait parti sans demander son dû. Mais d'un autre côté, il a vraiment besoin d'apprendre des choses sur cette maison.
– J'aimerais accéder aux archives de la ville.
– A quel sujet ?
– Euh... une maison abandonnée ?
– Mais encore ?
Soudainement concentré, Harry saisit la souris du vieil ordinateur devant lui et jette un coup d'oeil à Louis en l'attente d'une réponse. Ce dernier laisse retomber ses bras le long de son corps et hausse les épaules.
– Je ne sais pas.
Un silence passe entre eux, mais Louis comprend qu'Harry ne peut pas se contenter que de ce détail. Il soupire, avance de deux ou trois pas pour s'approcher au maximum du bureau. Ce n'est pas un secret, ni un endroit qui lui appartient, mais Louis n'a pas envie que ces informations tombent dans des oreilles indiscrètes, même si la bibliothèque est quasiment vide.
– D'accord, je suis tombé par hasard sur cette maison il y a quelques jours. Elle est isolée au milieu d'un champ. La structure est en très mauvais état et la famille semble avoir déserté depuis des années ?
– Pourquoi ça t'intéresse ?
– J'en ai assez de mon petit appartement et je cherche un nouveau logement. Le voisinage là-bas m'a l'air sympa.
L'expression d'Harry reste de marbre, il regarde Louis avec tellement de sérieux qu'il sent ses joues chauffer de honte. Un instant, il baisse les yeux au sol puis marmonne :
– C'était une blague....
Ils n'ont définitivement pas la même humour.
– J'y suis entré pour m'abriter de la pluie et j'ai la vivre impression qu'il y a une présence entre ces murs.
– Tu as vu un fantôme ?
– Non, mais j'ai entendu des bruits.
Harry a cessé de s'occuper de son ordinateur depuis le début de la conversation, visiblement les mots de Louis ne semblent pas assez sérieux à son goût. D'une voix monotone, il répète :
– Tu as entendu des bruits.
Maintenant qu'il y pense, Louis admet que ce n'est franchement pas terrible comme raison. Il est à deux doigts de faire croire à Harry que c'est un gag pour l'embêter et aller se cacher pour le restant de ses jours dans sa chambre.
– Donc, si j'ai bien compris, tu veux trouver des informations sur une vieille maison que tu penses être hantée parce que tu as entendu des bruits ?
Louis a envie de se tirer les cheveux, d'effacer ce sourire ravageur qui prend place sur les lèvres d'Harry.
– Écoute, tu n'es pas obligé de me croire, je n'en ai vraiment rien à faire de ton avis. J'aimerais simplement accéder aux archives. Est-ce que je dois vendre un de mes reins pour que tu me laisses les consulter ?
C'est au tour d'Harry de soupirer, il repousse son siège et se lève. Louis se recule puis le suit des yeux tandis qu'il fait le tour du bureau pour le rejoindre. Il s'arrête à une distance raisonnable de lui pour ne pas avoir à le toucher même s'il tend le bras.
– Tu es tellement dramatique.
Blessé dans sa fierté, Louis préfère jouer la carte du silence et de l'ignorance. Il fixe Harry, son visage, partout sauf ses yeux, il a vraiment peur de s'y perdre un jour. Harry finit par souffler et lui faire un faible signe de la main.
– Suis moi.
En silence, ils remontent une allée, passent derrière une étagère de livres d'art et s'arrêtent devant une porte. Harry l'ouvre à l'aide d'une clef, allume la lumière et laisse Louis entrer en premier. C'est une petit pièce qui sent le renfermé et le vieux papier. Des étagères sont alignées le long des murs, où reposent des tas de cartons, des rouleaux et des piles de livres plus ou moins gros.
Au milieu, une grande table qui prend quasiment toute la place. L'espace dessus est occupé par de nombreux papiers, des livres rangés sur un coin et du matériel pour écrire. Il y a deux fenêtres côte à côte sur le mur face à la porte, Louis reste debout au milieu de la pièce, plongé dans son observation, tandis qu'Harry s'avance vers une bibliothèque.
– Dis donc, ce n'est pas très éclairé ici.
– Oui, le système de volet ne fonctionne plus mais on les ouvre rarement de toute façon. La lumière naturelle détériore le papier.
Pendant qu'il part dans son explication, Harry frôle les étiquettes des cartons du bout des doigts, lève des couvercles poussiéreux et en prend certains avec lui. Son air est tout d'un coup très sérieux et concentré, ses sourcils légèrement froncés.
– C'est vraiment ta passion les bouquins, hein ?
– Tu en as d'autres des questions de ce genre ?
Louis ne sait pas ce qui le blesse le plus, la remarque d'Harry ou le regarde qu'il lui lance quand il tourne la tête vers lui pendant quelques secondes. Encore une fois, Louis choisit de se terrer dans le silence, il se tourne sur le côté afin de pouvoir observer les photos collés sur le mur derrière lui. Une affiche de contes pour enfants datée de 2009, un cliché de la bibliothèque à son ouverture il y a quinze ans, un autre d'un petit groupe de personnes dont Harry, au milieu, qui sourit jusqu'aux oreilles en tenant une pile de livres dans ses bras.
Perdu dans sa contemplation de l'image, Louis ne l'entend pas qui arrive à ses côtés. Sur la photo, il a l'air légèrement plus jeune, ses boucles étaient un peu plus longues, environ à ses épaules, et il n'avait pas ce début de pilosité qui le rend davantage charismatique maintenant.
– C'était quand tu es arrivé ici ?
Harry tient encore le carton dans ses bras, il observe lui aussi ce mur de souvenir comme s'il venait de se rappeler de sa présence dans la pièce. Pour s'empêcher de le regarder trop longtemps, Louis retourne son attention sur le collage.
– Non, j'étais là depuis un an déjà. Je venais de lancer mon premier club lecture, le premier de la bibliothèque à vrai dire, et c'est toujours un grand succès.
Louis hoche la tête mais n'ajoute rien de plus. Il ne sait pas quoi répondre, en toute honnêteté. C'est peut-être la première fois qu'ils tiennent une conversation aussi longue et décente sans que ça ne vire à une dispute.
Plus d'une fois, alors qu'ils étaient avec leurs amis en commun, Louis est parti avec ses affaires parce qu'il ne supportait pas présence. Ou Harry l'ignorait volontairement, l'excluait des discussions, comme s'il n'existait pas. Ou Louis faisait exprès de fumer dans sa direction parce qu'il savait qu'Harry détestait ça.
De son côté, Harry pose le carton sur la table et va en chercher un deuxième. Louis détache son regard du mur quand il entend à nouveau sa voix après un moment de silence.
– Ça va être long si on doit fouiller dans les archives année par année.
– On ?
Après s'être retourné, il hausse les sourcils. Harry ramène un autre carton à table ainsi qu'un gros livre d'où dépassent plusieurs feuilles.
– Oui, je ne peux pas te laisser les manipuler sans surveillance. C'est le règlement, désolé mais tu vas devoir me supporter.
– Je ne vais pas les voler.
Harry hausse les épaules puis s'assoit sur le tabouret, retirant le couvercle du premier carton. Louis souffle mais finit par prendre place en face de lui, il le regarde sortir un tas de papiers jaunis par le temps et les éparpiller sur la table.
En silence, ils commencent à parcourir les documents. Louis a déjà un mal de tête atroce. Il ne sait pas encore si c'est à cause du manque de lumière, des mots minuscules sur les feuilles ou d'Harry. Peut-être un mélange des trois. La motivation qu'il ressentait à l'idée d'en apprendre davantage sur cette maison redescend d'un coup quand il se rend compte qu'ils vont devoir éplucher toutes ces piles.
– Ça, ce sont juste les archives de la ville ?
– Oui, enfin les coupures de journaux et les pages de certains livres qu'on a pu conserver avec le temps.
– Et on va devoir fouiller tous les cartons ?
Déjà assommé par cette dose importante de lecture, Louis lève les yeux vers Harry qui a le nez plongé dans ses papiers. Il en retourne un sur le côté après l'avoir lu, entame le prochain sans même accorder un regard à Louis, il secoue simplement la tête.
– Non, ils sont triés par étagère et par section, là c'est tout ce qui concerne les habitations, les constructions, etc.
– Vous avez dû y passer du temps...
Concentré, Harry se contente d'acquiescer. Louis retourne à sa pile, elle semble interminable et il ne sait pas réellement ce qu'il cherche. Une maison abandonnée. C'est tout ce qu'il sait. Il n'aurait peut-être pas dû s'emballer à ce point. A coup sûr, les propriétaires sont simplement morts de vieillesse ou d'un accident à l'hôpital, laissant derrière leurs biens derrière eux. Si personne n'est jamais venu les récupérer, ou s'aventurer entre ces murs, c'est que son histoire n'est pas si extraordinaire que Louis aime le croire.
Le silence s'installe à nouveau dans la petite pièce, ils peuvent s'entendre respirer et réfléchir. Louis remue nerveusement sa jambe sous la table, Harry fait glisser ses doigts ornés de bagues le long des feuilles. En l'espace de quelques minutes, il en a parcouru plus de cinq alors que Louis n'est arrivé au bout que d'une seule.
– Tu trouves quelque chose ?
Alerté par l'intervention de Louis, Harry relève enfin la tête vers lui et fronce les sourcils avant de secouer la tête lentement.
– Ce sont des recherches, Louis, ça peut prendre une heure comme des jours.
D'abord, Louis ouvre grand les yeux puis il lâche un lourd soupir et laisse son visage retomber entre ses bras sur la table. Au moins, son comportement dramatique a le mérite de décrocher le début d'un rire à Harry. Il est persuadé que lui doit adorer ça, rester le nez plongé dans des vieux papiers ou des livres poussiéreux toute la journée.
Abattu, Louis se redresse de manière à maintenir son visage au creux de ses mains. Harry baisse les yeux, prend une nouvelle feuille, mais Louis l'interrompt avant qu'il n'ait le temps de se plonger dedans.
– Je t'ai interrompu dans ton travail... tu ne devrais pas aller ranger des livres en haut, ou je ne sais quoi ?
– Ma collègue s'en chargera, c'est calme aujourd'hui et je suis souvent ici alors... je ne risque pas de me faire réprimander.
– Tu t'occupes des archives aussi ?
– A côté de tout le travail dans la bibliothèque même oui. Je répare des livres abîmés, je fais l'inventaire et le tri régulier de tous les documents papiers qui se trouvent dans ces boites, et je ne te parle même pas de tout ce qui est en format numérique.
Une petite grimace déforme le visage de Louis, il se gratte la nuque sous le regard d'Harry puis répond :
– Oh, je pensais que ton boulot c'était simplement de prêter des livres à des usagers et d'aller les remettre à leur place en rayon ensuite.
Une seconde passe, silencieuse, puis le rire d'Harry résonne dans la pièce. Louis a l'impression que c'est la première fois qu'il l'entend rire d'une manière aussi libre à ses côtés. Sans sarcasme. Sans filtre. Il est ébloui par cet éclat soudain qu'il ne lui connaissait pas.
A l'intérieur de sa poitrine, son coeur fait un drôle de saut, un mouvement qu'il ne peut pas contrôler. Il détourne le regard, même s'il ressent l'envie irrésistible d'admirer les petites fossettes timides qui creusent le coin de ses joues jusqu'à la fin des temps. Ses joues se mettent à chauffer et il remercie intérieurement Harry d'arrêter de rire pour reprendre la parole, plus sérieusement.
– Si seulement c'était aussi facile...
Louis s'attend à ce qu'Harry continue sur sa lancée, mais il semble déjà s'être perdu dans la lecture de son document. A son tour, Louis baisse le regard vers sa feuille. Le papier est fin sous ses doigts, il commence à lire quelques lignes sur une ancienne usine désinfectée quand la voix d'Harry l'interrompt.
– Pour répondre à ta question de tout à l'heure, j'adore mon métier, je pourrais passer le reste de ma vie enfermé ici, mais c'est beaucoup plus de travail qu'on ne le croit.
– Et tu trouves quand même le temps de lire ?
– Toujours. Dès que j'ai des moments de libre dans la journée.
Même s'il ne devrait pas, Louis se plaît à l'imaginer voguer partout dans son appartement un livre à la main, torse nu, ou bien emmitouflé dans un gros pull et ses boucles ébouriffées dans tous les sens après une nuit de sommeil. Appuyé contre la fenêtre de son salon, un roman entre les doigts, baignant dans la lumière dorée de la fin de journée, à l'heure où le soleil se couche lentement derrière les toits des bâtiments.
Il ne devrait vraiment pas, mais Louis se perd un instant à rêver d'une soirée où ils seraient tous les deux à moitié enlacés dans leur grand lit. Harry serait absorbé dans la dernière sortie littéraire et lui regarderait une série en fond sur la télévision, mais il le regarderait lire pendant des heures, surtout.
Traversé par un sentiment étrange, Louis repousse ses images de sa tête et la secoue lentement. Ce ne sera jamais réel. Harry et lui ne sont pas fait pour aller ensemble. Sa jambe, sous la table, ne cesse de tressauter. Il joue avec le coin de la feuille entre son pouce et son index.
– T'as toujours voulu faire ça ?
– Pourquoi toutes ces questions ?
La réponse d'Harry le prend de court, elle le blesse légèrement, mais il devrait avoir l'habitude. C'est même assez étrange qu'ils parviennent à tenir un si long échange sans que l'un d'eux ne craque. Pourtant ce soir, ils ont cette impression mutuelle de découvrir une partie cachée de l'autre, au-delà de la haine qu'ils se vouent depuis des mois.
– Je voulais faire la conversation pendant qu'on parcourt ces milliers de feuilles, j'ai l'impression de ne pas en voir le bout.
– Peut-être parce que tu parles trop au lieu de lire ?
– C'est tellement ennuyant aussi...
– Rien ne t'oblige à continuer.
– Mais j'ai besoin de savoir.
S'il ne trouve rien dans ces documents poussiéreux, Louis considérerait sa recherche comme un échec. Il sait qu'il n'est pas de nature patiente, qu'il agit souvent sans réfléchir au préalable, qu'il fonce tête la première et pense ensuite aux conséquences, ces recherches sont d'un ennui complet à ses yeux. Il ne veut pas passer des heures à lire des mots minuscules sur une feuille qui manque de tomber en ruine à chaque mouvement, il veut partir explorer, découvrir des choses, vivre des émotions. Il a besoin de bouger, de ressentir.
Harry, au contraire, est d'un esprit plus posé et calme. Il prend son temps, il aime apprendre au contact des ouvrages, passer des heures à se renseigner sur un sujet parce que sa soif de savoir n'est jamais vraiment satisfaite. Les livres offrent un champ des possibles infini, une échappatoire vers un autre monde, fictif ou réel, un refuge quand il a besoin d'échapper au quotidien.
– J'ai toujours aimé lire, reprend Harry d'une voix plus basse, depuis aussi longtemps que je m'en souvienne. J'ai encore des images de ma mère qui me faisait la lecture quand j'étais petit, puis quand j'ai grandi, elle m'écoutait parler pendant des heures des derniers livres que j'avais terminé. Elle m'a transmis sa passion.
– Elle doit souvent venir te voir ici alors, si elle adore lire.
L'expression sur le visage d'Harry se fige. Les petits points de lumière meurent dans son regard, le vert est devenu livide, presque transparent. Sa respiration se coupe et c'est comme si tout l'air avait disparu de la pièce. Louis le sent aussi, il vient de faire une erreur.
Il faut une dizaine de secondes à Harry pour reprendre la parole, le temps d'avaler la bille coincée dans sa gorgée. Ses yeux tombent sur la feuille devant lui quand il souffle :
– J'aimerais, mais... Elle est morte l'année de mes seize ans.
Et Louis n'a jamais eu autant envie de disparaître sous la terre qu'à cet instant précis. L'émotion dans la voix d'Harry est palpable. A sont tour, Louis sent une boule de culpabilité se former à l'intérieur de lui. Il est tenté, un instant, de tendre sa main pour chercher celle d'Harry, ou son poignet, le bout de ses doigts, quelque chose n'importe quoi pour lui montrer qu'il est là et qu'il est terriblement navré.
Mais ce n'est pas eux. Ils n'ont jamais fait ça. Aujourd'hui n'est pas une exception. Alors, il dit simplement d'une voix étranglée de honte :
– Oh, je suis désolé, Harry. C'était... idiot de ma part.
– Tu ne pouvais pas savoir.
L'ambiance, auparavant assez détendue, s'est transformée en l'espace de moins d'une nuit en un énorme nuage gris chargé de pluie et d'électricité. Un nuage qui est sur le point de craquer d'une seconde à l'autre. Louis tente d'apaiser les tensions.
– Elle serait fière de toi.
– Tu n'en sais rien du tout, Louis.
Harry s'est totalement renfermé sur lui-même, mais Louis ne peut pas le blâmer. C'est de sa faute, il a tout gâché. Comme très régulièrement, son côté maladroit a pris le dessus et il ne sait pas trouver les bons mots.
– Mais je...
– Arrête, l'interrompt Harry d'une voix plus ferme, à quoi tu joues exactement là ? Pourquoi tu essaie de faire ami-ami avec moi depuis tout à l'heure ? Pour avoir tes informations ? Tu sais que je te les aurais donné sans que tu n'aies besoin de me manipuler comme ça.
Ils sont tous les deux tourmentés par des émotions différentes. La colère et la tristesse. Elles ne font, généralement, pas bon ménage. Louis ravale sa fierté, elle a un goût amer.
– Quoi ? Mais je ne te manipule pas, Harry... qu'est-ce que tu racontes ?
Sa voix tremble légèrement sur la fin, parce qu'il ne peut pas cacher le fait que ses mots le blessent. Harry pense qu'il le manipule, alors que Louis n'avait jamais laissé tomber ses barrières aussi bas devant lui. Il a tout fait pour être amical et sincère. Mais Harry ne lui laisse pas la chance de s'expliquer, il se tend et continue :
– On se connaît à peine, je ne sais même pas pourquoi je te parle de tout ça. Si c'est pour que tu utilises ce que je viens de dire pour après me tourner en ridicule devant les autres...
– Pourquoi est-ce que je ferais ça ?
Ils ont beau se détester au point de ne pas savoir passer une heure dans la même pièce sans s'échanger des remarquer piquantes, Louis n'irait jamais jusqu'à lui faire du mal ainsi. Certes, ils ne s'entendent pas, ils ne seront jamais les meilleurs amis du monde, mais ils ne sont pas obligés de s'entre-tuer non plus.
Louis ne veut pas l'atteindre physiquement ou mentalement, ce n'est pas son but, il n'est même pas certain d'en avoir un. Il souhaite simplement lui rendre la monnaie de sa pièce lorsqu'ils se chamaillent et s'envoient des regards chargés d'électricité, de défis.
– Je ne sais pas, pourquoi tu ne le ferais pas ?
– Tu me vois comme un monstre alors ?
Harry ne répond pas, mais ça suffit largement à Louis pour comprendre ce qui se cache derrière son silence.
Et c'est encore plus douloureux que le reste. Que l'entendre dire qu'il le manipule.
Un monstre. Louis est un monstre. Il y a peut-être une part de vérité là-dedans, c'est ce qu'il se répète alors qu'il se lève subitement de son tabouret. Les pieds grincent au sol. Harry lui lance un regard à la fois vide et froid. Il reste muet, c'est à peine s'il respire.
– Je te déteste, mais pas à ce point.
Louis, lui, fulmine. Il pourrait exploser tant il a besoin de crier, d'extérioriser ce qu'il ressent. Le poids des mots d'Harry sur son coeur est oppressant, les murs semblent se refermer sur lui. Ses jambes se mettent à trembler mais il s'avance vers la sortie. Elle est juste là, mais elle semble si loin.
Avant de lui tourner le dos, Louis serre les poings puis prend la parole d'une voix plus basse et grave.
– Au moins, je sais ce que tu penses de moi maintenant. Désolé de t'avoir dérangé.
Sans attendre une réponse, Louis ouvre la porte à la volée et quitte la pièce, au bord des larmes et de la crise de nerfs.
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