Day 38
La première chose que j'avais faite après l'aveu de Livaï, une fois que j'avais eu le temps de m'asseoir et de tout rejouer dans mon esprit, était de dresser une liste.
Dans celle ci, tous les événements qui auraient dû me mettre la puce à l'oreille étaient inscrits. Et maintenant que je la revoyais, des années et des années après l'avoir rédigé, l'intensité de mes émotions sur le coup me frappaient de plein fouet. L'écriture intelligible et tremblante, les lettres gravées par l'ardeur de ma haine, les endroits où l'encre s'était répandu sous l'effet des larmes, et le papier. Le papier froissé et défroissé une dizaine de fois, ne ressemblant plus qu'à une relique d'un passé lointain.
Lointain et apparemment faux, car monsieur Livaï s'était apparemment joué de moi tout ce temps.
Quelques événements étaient rayés, inscrits sur le coup de l'émotion mais sans aucun lien réel avec la prétendue tromperie : L'attaque près de la librairie et le jour où il était revenu sanglant et blessé. Je désirais des explications pour toutes ces instances, mais mon envie de sortir Livaï de ma vie avait été trop forte pour que j'en quémande.
Puis d'autres étaient éparpillés à fur et à mesure que j'affrontais ma mémoire : sa visite tard dans la soirée, l'air coupable et hébété, ses voyages de plus en plus répétitifs, son affection grandissante, comme s'il essayait de se faire pardonner pour quelque chose que j'ignorais.
Bien que la liste et tous les objets me rappelant le brun avaient été rangés dans une boîte vouée à l'oubli, je n'avais jamais réussi à les jeter. Faut pas déconner non plus, le mec était riche et avait bon goût. Sauf que je ne les avais plus jamais ressorti. Jusqu'à aujourd'hui.
Car j'avais besoin de me souvenir de pourquoi je détestais Livaï. Je ne devais pas me laisser avoir, ni par ses excuses bidons ni par mes propres émotions qui avaient tendance à s'emporter près de lui.
Mais maintenant qu'il était sept heures et que ma journée au travail commençait, je regrettais sévèrement ma nuit passée à ruminer et plonger dans des souvenirs flous. Rien ne m'aida à bien me réveiller, ni les deux tasses de café, ni le trajet infernal, et encore moins les dossiers de la matinée.
-"Tu n'as pas très bonne mine." Commenta Clara en venant me détailler le programme du lendemain en fin de journée.
Ça, c'était sa version polie de "Tu as une tête de merde".
-"J'ai mal dormi." Me contentais-je de dire en étouffant un énième bâillement.
-"Tu as une réunion dans quarante cinq minutes avec les investisseurs du groupe Marley. Il faudra ensuite voir l'équipe média pour planifier la création du contenu de ce mois et repasser sur le liste des apparitions publiques. Il y'a d'ailleurs deux essayages prévus cette semaine; le premier demain pour le festival du film de Marrakech et la seconde le jeudi pour le gala de charité de la compagnie."
Ai-je crié intérieurement en repensant au fait que j'étais invitée à l'une des soirées les plus iconiques de l'année ? Oui, à m'en écorcher les cordes vocales, mais Clara ne semblait pas en avoir fini alors ma crise pouvait attendre.
-"Il te reste aussi à dix neuf heures la réunion avec la directrice financière et celui marketing pour l'étude de notre part de marché par rapport à la compétition. Ah oui, les actionnaires attendent le suivi du mois dernier alors il faudra que tu l'approuves. Et le producteur de l'émission veut recevoir en urgence le programme révisé pour le premier épisode, de préférence avant vingt heures ce soir. Il faut également discuter du prochain épisode du podcast avec Lois mais je te laisse planifier cela selon le créneau qui vous conviendra à vous deux."
Faudrait déjà qu'il me restant des créneaux libres bichette.
J'aimais beaucoup Clara, mais sur l'instant, j'espérais secrètement qu'elle s'en aille, m'annonçant implicitement que je n'avais rien d'autre de prévu. Mais car l'ironie est un art dont je suis particulièrement amatrice, elle me plongea encore plus dans le désarroi.
-"Monsieur Ackerman et son agent t'attendent pour diner ce soir, tu sais, pour discuter de ce que vous alliez faire pour cette histoire de couple. Tu veux que j'annule ?"
-"Non, non. Mais je n'y avais pas encore réfléchi de toute façon. Je vais les appeler et leur proposer de repousser ça à la semaine prochaine."
-"Je vais leur proposer. Mais tu sais, déjà lors de la conférence post-match d'aujourd'hui, il y'a des journalistes qui ont posé des questions sur ça."
Je relevais la tête de mon écran, laissant le mail rapide que je rédigeais inachevé.
-"Ah bon ? Tu as les passages ?"
Clara hocha la tête, les doigts tapotant déjà l'écran de sa tablette à une vitesse vertigineuse.
-"Oui, je te les envoie tout de suite. Essaie de te reposer un peu ce soir, tu as une semaine très chargée devant toi."
-"Je sais, merci beaucoup."
Avec un sourire sympathique et la promesse de m'apporter un latté express, Clara ferma la porte et me laissa m'éclater le tête en toute liberté contre le bureau de bois.
Mais comme il faut être efficient et que j'ai un énorme poids qui me gêne un peu trop ces derniers jours et dont je dois me charger, j'attrapais le téléphone en prenant une grande inspiration.
Je devais parler à Onyankopon de Livaï. Et parler à Livaï de Livaï.
Commençant par l'option la plus aisée, je fouillis mon téléphone à la recherche du contact d'Onyankopon. Il avait dû finir les célébrations de la victoire depuis un moment suffisamment long pour que je ne lui ruine pas sa joie, et j'avais suffisamment retardé le moment pour ne pas le déconcentrer ou le distraire pour un rien.
Après quelques paroles de politesse échangées pour détendre l'air, je m'attaquais au vif du sujet.
-"Tu as vu les dernières rumeurs sur Livaï et... moi ?"
-"Dur de passer à côté quand tous les gars de l'équipe bavardent dessus. Ils étaient convaincus que Livaï ne pouvait aimer personne."
-"Et bien les équipes des relations publiques ont eu la merveilleuse idée de nous proposer de prétendre d'être en couple." Soupirais-je, ma voix lourde de sarcasme et d'exaspération.
-"Le bon vieux coup. C'est pas un peu cliché comme scénario ?"
-"Si, mais que faire, ça marche à tous les coups après tout."
-"Simple mais efficace."
Un silence s'ensuivit, et je pris cela comme un signe pour me lancer.
-"Il faudrait que tu saches d'abord que j'étudiais avec Livaï au lycée."
-"Ah bon ? Je n'aurais jamais cru. C'est vrai qu'on a l'impression que vous vous connaissez depuis toujours quand on vous voit ensemble mais je ne pense pas vous avoir déjà vu être... cordiaux."
Allez, quand faut y aller...
-"C'est peut-être car on est sortis ensemble." Silence, "et que ça s'était très mal fini."
Onyankopon savait toujours quoi dire et surtout comment le dire, alors le fait qu'il ait choisi le silence en disait long sur ce qu'il pensait.
-"Je suis désolée de ne pas t'en avoir parlé plus tôt, mais je n'avais pas envie de raviver le sujet."
Après quelques secondes sans aucune réplique et que j'étais sur le point de céder à la panique et de succomber à un débit incohérent, ininterrompu et intelligible de paroles sans queue ni tête.
-"Je ne te cache pas que ça me blesse de ne pas avoir été mis au courant plus tôt et que j'ai un peu l'impression d'être l'heureux imbécile de l'histoire, mais j'ai l'impression que tu as quelque chose d'autre à dire avant."
-"Oui ! Comme je te l'ai dit, ça ne s'est pas très bien terminé avec Livaï et on se tolére à peine." Je le tolére à peine en tout cas.
-"Et ?"
-"Et... comme il y'a... quelque chose entre nous, je pensais qu'on pouvait faire le faux couple tous les deux. Comme ça, l'effet promo du truc marchera toujours car tu es l'une des stars du projet dont se charge notre entreprise, et ça évitera des retombées par la suite."
-"Comme ?"
Pour un homme si intelligent, Onyankopon pouvait être très long à la détente.
-"Tu sais, si on confirme les rumeurs avec Livaï, et qu'après le public devine qu'on se voit, le mélange ne sera pas très joli."
Non seulement j'allais passer pour la fille qui s'amusait à semer le trouble entre les coéquipiers et qui passait de l'un à l'autre en un clin d'œil, mais en plus, les rumeurs sur une rivalité entre deux des meilleurs joueurs de cette génération, le capitaine de l'équipe et le joueur prodige, allait très rapidement devenir démesurément exagérées.
-"Je ne te demande bien sûr pas de me répondre maintenant, mais je-"
-"Je ne peux pas le faire."
Ah bah ça a le mérite d'être rapide.
-"Pourquoi ?"
-"Ce monde des caméras, des paparazzis et des faux-semblants, ce n'est pas le mien [t/p]. Enfin si, à un certain degrés, mais je n'ai jamais apprécié cette partie de l'histoire. Je n'aime pas amuser les foules."
Je ne sus pas vraiment quoi dire, surprise par son ton qui ne laissait de place à aucune réplique.
-"Tu sais, ça ne me dérange pas que tu joues le jeu avec Livaï."
-"Ça ne te dérange pas qu'on joue au couple heureux ?" Demandais-je avec incrédulité.
Surtout que c'était presque ce que nous étions avec Onyankopon, sans l'officialisation bien sûr tant l'histoire était nouvelle, mais tout de même.
-"Non, pas vraiment. Du moins tant que vous ne vous mariez pas pour de faux. Mais on pourra en reparler autour d'un café si tu veux."
Perdue et sans réellement savoir quoi rétorquer, je me contentais d'utiliser l'excuse de l'emploi chargé et de lui souhaiter une bonne fin de journée quand il m'informa qu'il était attendu.
Avoir même que je ne puisse assimiler ce qui venait de se passer, je décidais d'appeler l'agent de Livaï pour décaler le dîner avant qu'il ne soit trop tard.
Sauf que mon téléphone vibra à nouveau pour me signaler que le monsieur m'avait devancé.
Toujours si peu habituée à la vue de son numéro à nouveau sur mon téléphone, je décrochais avec scepticisme.
-"Oui ?"
-"On peut décaler pour ce soir ?"demanda t-il sans tourner autour du pot.
Et bein.
-"Pas très professionnel dis donc." Répondis-je comme si je n'étais pas sur le point de lui proposer la même chose.
-"Ce n'est pas le moment [t/p]."
-"Quoi ? Ton manque d'organisation n'est pas mon problème."
-"Putain..."
À peine allais-je pousser la sonnette que sa voix retentit à nouveau.
-"Ma mère est à l'hôpital. Je dois partir la voir."
Prise de court et soudain engloutie par una vague de sympathie au souvenir de sa mère, je n'eus plus le coeur à rire.
-"Ah. Bien sûr, envoie pas un mail pour tes futurs disponibilités. Et bon rétablissement à elle. J'espère qu'elle ira mieux bientôt."
Après un son à peine perceptible que je pris pour de l'approbation, je décrochais et essayais de me vider l'esprit pour me préparer pour ma réunion. Sauf que mon téléphone vibra. Encore. Trois fois consécutives.
Me retenant de justesse de le balancer contre le mur, j'y jetais un regard rapide, ne sachant auquel des trois messages je devais répondre en premier. Le premier de Livaï, le second d'Onyankopon, et le dernier de ce numéro que je cessais d'oublier de bloquer.
Ta voix était fatiguée. Ça va ?
Je ne sais pas si je serais disponible à la date qu'on avait déterminé. On reprogramme.
J'ai vu les rumeurs sur cet Ackerman. Tu sais que quoi qu'il arrive, ça sera toujours nous deux à la fin. Ça se termine toujours comme ça.
Putain...
HELLO !
Alors déjà, j'ai de bonnes excuses pour mon retard. J'avais perdu une partie du chapitre que j'avais écrite et que je m'obstinais à retrouver au lieu de la récrire (Finalement, j'ai tout changé juste pour ne pas la refaire HHHHHHHHHHH.)
J'avais aussi la fin de mon stage, une période très chargée de ma vie et une tête un peu trop occupée pour écrire. Là, je suis en voyage et j'ai enfin pu écrire, et oh que ça fait du bien !
Vous m'avez tellement manqué, et je m'excuse vraiment de mon retard sans prévenir (et de ce message qui annonçait que le chapitre allait sortir le jour même, douze jours plus tôt. La constance, ce n'est pas mon fort.)
Jamais je ne pourrais vous transmettre ma gratitude, dans tout le désordre de mes pensées, l'une des rares choses dont je suis à peu près sûre vu que mes TOCs n'aiment pas trop la certitude, est que vous êtes là, et que je vous aime et que je vous suis si reconnaissante pour votre impact sur ma vie.
N'oubliez pas de parler de la Palestine, du Soudan, du Congo, des Ouïghours et de toutes les minorités autour de vous !
~Caporal Neko
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