Chapitre 5

— Une étoile filante, m'exclamé-je telle une enfant lors de sa première excursion dans un parc Disney.

Allongés sur la couverture, j'ai posé ma nuque sur le bras de John. Nos corps se réchauffent mutuellement à proximité du feu alors que nous observons le ciel. Pour la première fois, je peux contempler les étoiles loin de la pollution lumineuse de la ville. C'est un véritable silence qui nous entoure : pas de klaxons lointains, pas de brouhaha, pas de sirènes. Rien. J'essaye de deviner les différentes constellations malgré mes faibles connaissances.

— Tu as prononcé un vœu au moins ?

Oui, plutôt deux fois qu'une. Apaisée, je me retourne vers lui, puis glisse ma tête sur son torse. Mon rythme cardiaque se cale sur sa respiration. Le feu s'éteint progressivement à nos côtés tandis que mes yeux se ferment. Comme au bon vieux temps, la nuit nous est bénéfique ; nous enfermons dans notre monde où personne ne risque de nous déranger. La complicité qui semble nous unir à nouveau m'avait manquée. Je glisse ma paume glaciale sous le haut de John. Mes doigts descendent le long de ses côtes alors que son regard s'assombrit. Il tente de me prévenir de ne pas jouer à ce jeu, peut-être dangereux pour moi, mais la tentation me domine. Je finis par y céder. Bien que le rire le prenne aux tripes, il me bascule jusqu'à me plaquer au sol sous lui. Nos regards se croisent ; je vais me faire battre à mon propre jeu. Malicieuse, je me mordille la lèvre inférieure. Le temps se suspend dans l'air. J'attends son assaut qui ne peut que me tomber dessus d'un instant à l'autre. Ses iris brillent suffisamment pour frôler l'insolence, mais aucune porte de sortie ne s'offre à moi. Et pourtant, il prend tout son temps. Ses paumes se positionnent d'abord dans le creux de reins. Il me jette un coup d'œil qui veut tout dire. Enfin, la pulpe de ses doigts taquine mon épiderme. Mon éclat de rire résonne dans la vallée. Je me tortille, tel un asticot, à moitié écrasée par son poids. Il finit par encercler mes cuisses de ses jambes et m'immobiliser. Je suis, à présent, à sa merci.

— S'il-te-plait John, arrête ça ! minaudé-je entre les rires et les pleurs.

Dans un premier temps, il semble exaucer ma demande, mais son expression ne présage rien qui vaille. Et avec raison.

— Uniquement si tu répètes après moi : « John est le meilleur homme au monde et, je l'aime beaucoup ».

— John est un petit con, rétorqué-je avec sérieux.

Sa mine choquée m'arrache un nouveau fou-rire. Mais il ne perd pas le nord et reprend ses chatouilles incessantes, une vraie torture ! Je tente de résister, de me débattre, mais rien ne fonctionne : des minutes plus tard, je reste collée au sol à subir l'oppression de John. Je me tortille sous l'action de ses mains qui refusent de s'arrêter.

— Dis-le ; je suis sûr que tu le penses en plus !

Ma langue humidifie mes lèvres, un air soucieux.

— John est... le meilleur homme au... monde et, je...l'aime...beaucoup, hoqueté-je.

Ces mots sonnent bizarrement dans ma bouche ; d'une part, ils glissent naturellement, mais de l'autre, ils sont douloureux à sortir. La dernière fois que j'ai dit l'aimer remonte à mes seize ans. Une boule se forme dans ma gorge tandis que John me libère, roulant à mes côtés. Je ferme les yeux pour qu'il ne puisse pas lire en moi. Il verrait sans aucun doute la flopée d'émotions qui bouleverse, actuellement, mon esprit autant que mon cœur. Mes sentiments enfouis me reviennent brusquement en mémoire. Je perds pied alors mes doigts sont pris de tremblements. Contre ma volonté, une larme ruisselle du coin de mes yeux jusque dans mes oreilles. Pleurer allongée n'est décidément pas le plus pratique... Je me redresse le dos tourné vers John. Je ne veux pas qu'il me voit ainsi. Mes oreilles bourdonnent. Mon regard se lève vers le ciel étoilé afin que je puisse ravaler mes sanglots, mais rien n'y fait. Un spasme parcourt mon corps lâchant les vannes.

— Tu pleures ?

Ni la douceur de sa voix, ni sa paume sur mon épaule ne m'aide pas à me ressaisir. Ses bras m'encerclent alors qu'il embrasse mes pommettes. Je ne sais pas si je suis prête à m'ouvrir. Chacun de mes mots va l'impacter directement et, je ne veux pas lui causer de tort avec sa copine.

— Rosalie, parle-moi !

— Je ne peux pas, gémis-je.

— Regarde-moi, m'encourage-t-il alors que sa main caresse ma joue.

Sans autre issue possible, je pivote, mais n'ose pas relever les pupilles vers lui. Je n'ai pas envie qu'il lise la douleur en moi. Sa pitié, je n'en ai pas besoin, pas après la fabuleuse journée qu'il vient de m'offrir. J'aimerais m'enterrer dans un trou, pouvoir libérer ma peine à l'abris des regards et oublier mes pensées les plus encombrantes.

— Qu'est-ce qui se passe là-dedans ?

Il ponctue sa question en tapotant son index sur ma tempe. J'expire la totalité de l'air de mes poumons, puis prends une profonde inspiration. Puis-je vraiment mettre dire à voix haute tout ce que j'ai sur le cœur ?

— Je... Je suis contente de... de retrouver notre complicité, celle d'avant...

Je ne sais pas, moi-même, si par là j'entends avant ma tristesse dépressive ou avant le tournant de notre relation, le deuxième tournant pour être précise.

— Alors, j'espère que ce sont des larmes de joie !

— Je ne sais pas, John. Je...

Mes yeux se ferment ; bordel, parler en toute honnêteté me semble plus dur d'une fois à l'autre. Quelque part, oui, il y a du bonheur, mais de l'autre, ce temps-là me manque. Savoir que je ne le récupérerai pas me brise le cœur, voire, me détruit de l'intérieur. Je me sens tiraillée par la dualité de mes émotions. John a l'air de s'en apercevoir et resserre notre étreinte. Nous restons un long moment, immobiles, dans cette position, chacun perdu dans ses propres pensées. Le feu continue de s'éteindre au fil des minutes. Les crépitements des flemmes sont, à présent, presque inaudibles. Il n'y a plus un seul pet de vent qui souffle dans les branches. Dans ce silence le plus total, la fatigue m'assaille. Je ne résiste plus au besoin de clore mes paupières pesantes. Mes muscles se relâchent contre ma volonté.

— Viens ; on va se coucher ! Tu dors déjà.

La voix de John me parait lointaine, quasiment en provenance d'un autre monde. Lorsqu'il m'aide à me remettre sur mes pieds, mon corps s'échoue sur son épaule. Je n'ai pas la force de rouvrir les yeux.

— Aide-moi un peu, Miss Rosie ! s'amuse-t-il alors qu'il s'évertue tant bien que mal à ouvrir la fermeture-éclair de notre tente.

— Hum... Nan, bredouillé-je à moitié affalée sur la toile de notre dortoir du jour.

L'avantage de dormir dans un espace si étroit qu'il suffit de se coucher pour trouver son matelas. Plongée entre conscience et inconscience, je me tortille pour entrer dans mon sac de couchage et m'y rouler en boule. Loin de notre feu de camps, l'air s'avère beaucoup plus frais. Je frissonne en gémissant. Moi qui allume toujours le chauffage dans ma chambre, je risque de trouver la nuit interminable. Dommage que je ne puisse pas m'enrouler dans ses bras ! Le matelas s'affaisse sur ma droite, puis je me sens enveloppée par son corps. Je ne comprends pas comment son épiderme peut être si brûlant vu la température assez basse qui règne. Une douce caresse vient titiller mon nombril, comme au bon vieux temps. Je m'endormais toujours sous ses papouilles. Je souris, nostalgique. Chassez le naturel et il revient au galop, énonce un célèbre dicton. Mon attitude envers lui le prouve ; je colle mon dos à son torse. Seuls les couchages nous permettent de garder une distance entre nous.

— Bonne nuit, Miss !

— Bonne nuit, John, murmuré-je en nichant mon nez glacé dans le dos de sa main.

*****

Je tremble. A la clarté à l'intérieur de la tente, je déduis qu'il commence à faire jour dehors. Ma peau me semble aussi froide que si je m'étais baignée dans une piscine de glaçons. Je tire la couverture par-dessus le bas de mon visage, puis pivote vers John encore endormi. Sa bouille m'apparait tout endormie. Ses lèvres entrouvertes, il respire par la bouche. Je déplace une mèche brune qui retombe sur son front. Il est toujours aussi mignon. Dès années plus tard, chaque détail qui m'a fait craquer garde le même effet. Je frotte mes pieds l'un contre l'autre en espérant les réchauffer. La tentative est vaine ; je finis par attraper une seconde paire de chaussettes dans mon sac. Puis, j'enfile mes chaussures et me glisse dehors avec pour objectif de rallumer le feu. Enfin, si j'y parviens de moi-même, ce qui n'est pas encore gagné. Comme John me l'a montré la veille, je place les buches en pyramide, puis comble les trous par du petits bois. Je gratte une première allumette, mais le feu ne prend pas. Je me lance dans une seconde tentative, et enfin, une troisième. C'est ma dernière chance. Victoire, une flemme s'élève dans le ciel. Les buches s'embrasent. Je place mes mains au-dessus de la chaleur. D'où je trouve, je peux voir le soleil se lever et le ciel se décorer de jolies teintes orangées. Je marche quelques pas, profite de la vue quand une fleur plantée près des racines d'un grand pin attire mon attention. Je reconnais la teinte violette ainsi que ces pétales ressemblants à ceux des marguerites. Je n'ai aucun doute ; il s'agit de l'Aster des Alpes, la fleur préférée de maman. Je m'abaisse pour l'effleurer. Le manque renait en moi ; mon rythme cardiaque s'emballe dans ma poitrine.

— Rosalie, déjà éveillée !

— Bonjour à toi aussi, l'accueillé-je alors que John arrive dans mon dos.

Ses mains se posent sur mes épaules tandis qu'il embrasse mon front.

— Qu'est-ce que tu faisais ? s'intéresse-t-il en jetant un regard dans mon dos.

— C'est, enfin, c'était la fleur favorite de maman...

Ma révélation n'est qu'un souffle qui se suspend dans l'air. Je ne sais même plus si je dois parler d'elle au présent ou au passé. Je soupire ; elle me rendra toujours dingue, je pense. Sous mon air ébahi, Il se penche en avant pour la cueillir, puis la coince derrière mon oreille.

— Comme ça, elle sera un peu avec nous aujourd'hui !

Je récupère ma positivité ; je n'ai pas de place pour les ondes négatives, pas aujourd'hui.

— Alors quel est le programme de la journée, Monsieur le mystérieux ?

— Redescendre ? Et pour ce soir, surprise !

Sans perdre plus de temps, nous remballons nos affaires dans nos sacs. D'ailleurs, notre tente est bien plus dure à démonter qu'à installer. Lorsqu'enfin, nous parvenons à en plier une partie, une autre s'ouvre à nouveau si bien que nous finissons par exploser de rire, un peu dépités. Mon corps vibre sous mon rire. Quant à John, il me fixe à mi-désespéré, mi-rieur. Nous sommes de véritables catastrophes ambulantes. Armés de notre courage, nous réessayons avec la plus grande concentration dont nous pouvons faire preuve. Cette fois-ci, nous maintenons l'ensemble de la tente serré sans que ça ne se rouvre à nouveau. Le résultat final ne ressemble en rien à la photo du mode d'emploi, mais le tout rentre dans le sac de John. Ce qui s'avère le plus important lorsqu'on y pense ! Lacets noués, casquette sur le crâne et lunette sur le nez, nous reprenons la route après avoir rendu les couchages au refuge. Je réalise que descendre se révèle plus compliqué que monter. Les genoux amortissent les chocs avec, parfois, difficultés. La douleur de ma voute plantaire se ranime dès les premiers pas. Le poids de mon bagage appuie sur les mêmes endroits que la veille, sur les nœuds musculaires qui se sont formés par l'effort. Mais le bien-être ainsi que le surpassement de mes capacités prennent le dessus. Je profite de la vue ; tantôt, nous observons la vallée, tantôt, nous apercevons des coins d'eau. Le paysage m'apaise toujours autant. Entre les bruits de la nature et l'odeur des pins, il est impossible de rater le bonheur.

— Merci, soufflé-je en glissant ma main dans la paume de John.

Mon geste le surprend, mais il ne la retire pas pour autant. Le cœur léger, nous nous sourions. Il y a aucune ambiguïté dans ce geste, enfin, à mes yeux, simplement une grande complicité. C'est un remerciement silencieux, la reconnaissance que je lui dois pour m'avoir sorti de ma grotte. J'inspire l'air frais de la nature qui emplit mes poumons.

— Regarde, m'émerveillé-je. Des chevaux !

En contrebas, un troupeau d'une dizaine des juments accompagnées de leurs poulains boivent l'eau du lac et profitent de l'herbe fraiche. Leurs hennissements résonnent dans la vallée, puis les jeunes se mettent à jouer. Ils sont beaux, puissants et vigoureux.

— Restons-là quelques minutes, juste pour les observer...

John acquiesce, ravi de cette idée. Un rocher plutôt plat nous donne une vue imprenable sur ce joyeux spectacle. J'abandonne mon sac sur le côté, puis m'installe, des étoiles pleins les yeux. Cette vision me fascine. Je perds la notion du temps qui s'écoule. Quand, soudain, je sens la paume de John s'attarder sur ma hanche, je sors de mes pensées. Mes prunelles glissent sur cette main baladeuse. J'ai l'impression de retrouver le John d'avant, celui de notre adolescence. Peut-être un peu trop... 

27/09/2020
     Bonjour à tous !

Je viens d'achever le chapitre 5, alors le voici rien que pour vous.

J'espère qu'il vous plaira. À votre avis, que va-t-il se passer dans la suite ?

Si ça vous a plu, un petit vote, commentaire et/ou partage fait toujours plaisir.

MERCI DE ME LIRE ❤

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