Chapitre 14

Mon sang pulse dans mes veines au point que mon corps en tremble. Je claque ma langue contre mon palais, à plusieurs reprises, espérant délier la tension qui m'habite. Je ne desserre pas des dents du trajet, alors que je ne détourne pas le regard de la vitre. J'observe le bas-côté défiler ; nous pénétrons dans la ville jusqu'à atteindre le centre hospitalier. Mon estomac se serre à la perspective de notre futur rendez-vous. Je n'ai aucune envie de l'affronter dans cette ambiance conflictuelle ; j'ai besoin qu'il m'épaule avant que la colère m'explose à la figure. Mais, je suis incapable de joindre mes actes à mes paroles. A contrecœur, je claque la portière dans mon dos et, me dirige vers l'accueil telle une automate.

— Rosalie, attends !

La prise de John sur mon poignet me tire en arrière. J'avale ma salive, puis accepte, enfin, de le regarder. Appuyé sur la voiture, il semble chercher en vain ses mots. Ses paumes se glissent le long de mes bras.

— Excuse-moi sincèrement ; je comprends pourquoi je t'ai blessé, mais...

— Tu voulais juste m'aider, renchéris-je.

Il me confirme d'un geste de la tête. Je ne peux pas dissimuler plus longtemps le sourire qui ne demande qu'à revenir sur mon visage. Le soulagement de cette réconciliation m'intime de le prendre dans mes bras. Ma bouche dépose un rapide baiser sur sa joue, puis j'attrape ma main dans la sienne. Un rendez-vous nous attend.

— Je suis là ; peu importe ce qu'il advienne, d'accord ?

Le poids dans ma poitrine s'évapore légèrement. En revanche, la boule présente dans mon estomac, elle, perdure, s'alourdissant à chaque instant. De multiples questions me traversent sans me laisser tranquille ; elles me martyrisent, brument mon esprit et augmentent mon angoisse. Vais-je souffrir de l'amour pendant longtemps ? Est-ce grave ? Va-t-il devoir m'insérer d'horribles spatules glaciales dans le vagin ? Ma gynécologue habituelle y est parvenue après plusieurs semaines, semaines durant lesquelles me déshabiller face à elle m'était impossible. J'étais tétanisé dès qu'elle me demandait de mettre à nu ma poitrine ou mon intimité.

— Bonjour. Rosalie West, J'ai rendez-vous à dix-huit heure !

— Elle vous attend, deuxième porte à droite.

Mon rythme cardiaque s'envole au point que je craigne décéder d'un arrêt cardiaque avant même d'être allongée sur le lit d'examen. Je n'y échapperais pas et, pourtant la perspective de me dénuder m'effraie déjà. Heureusement que c'est une femme qui m'attend... John presse ma main. Alors, je lui adresse un sourire qui ressemble plus à une grimace d'enfant qu'autre chose. S'il me lâche, je pars en courant loin de cet hôpital à l'odeur de désinfectant. Les blouses blanches nourrissent plus mes cauchemars que mes fantasmes contrairement à d'autres.

— Bonjour ! nous accueille la doctoresse.

J'observe la pièce, les cadres qui la décorent, le bureau rangé à la perfection ainsi que le matériel médical, puis je m'attarde sur elle. Elle me parait tout juste sortie des études, mais sur d'elle et bienveillante. Et les expressions ne mentent jamais. Mon sixième sens se montre lui aussi honnête en toutes circonstances, alors je m'assois face à elle, les jambes croisées.

— Bien, dites-moi ce qui vous amène !

— Hum... Je... Je souffre de...

Les mots me restent coincés au travers de la gorge. Je pianote mes doigts sur ma cuisse, tandis que mes yeux passent de son bureau à elle.

— De douleurs vaginales lors de la pénétration, me vient en aide John, alors que sa paume caresse mon genou.

Elle hoche de la tête en tapant sur le clavier. Elle semble à peine effleurer les touches, puis son attention pèse à nouveau sur mes épaules.

— D'accord. Alors, n'hésitez pas à souffler un coup, on va simplement discuter pour commencer, m'assure-t-elle. Je suppose que Monsieur est votre compagnon régulier, comment se passe vos rapports ?

Je mordille mes lèvres. Décidément, dévoiler mes relations à un médecin sera toujours aussi gênant.

— En fait, nous sommes remis ensemble il y a quelques jours, mais notre liaison a déjà eu une première chance lors de notre adolescente. Et... je n'ai connu personne d'autre que lui entre temps, avoué-je, les joues rosies.

John ne me lâche ni du regard, ni physiquement ; sa main me rassure par ses douces caresses sur mon jeans. J'entremêle nos doigts ensembles espérant que ça m'apaise.

— Je vois et, quel moyen de contraception utilisez-vous ?

— Uniquement le préservatif, mais j'y pris la pilule plus jeune. Je ne sais si je veux la reprendre à nouveau, en revanche.

Elle continue de prendre note de mes paroles.

— Est-ce que vous avez connaissance de certains antécédents gynécologiques dans votre famille ?

Nous y sommes donc. Ma respiration se coupe. J'étouffe ; mes poumons compriment le peu d'air qu'il me reste. Je sens les larmes monter, sur le point de ruisseler sur mes lèvres. Je m'y attendais à cette question, mais je ne suis pas certaine de pouvoir sortir la réponse. Mes dents se serrent les unes contre les autres, cherchant à contrôler le flot de douleur qui se déverse en moi. J'ai l'impression qu'un poignard s'enfonce dans ma poitrine. Le coup semble me déchirer dans une lenteur extrême.

— De l'endométriose pour ma mère, soufflé-je tremblante.

Je ferme mes paupières un instant. Le temps que je reprenne mes esprits, que je revienne au moment présent. Le contact de John sur ma cuisse, son sourire apaisant, son regard rassurant, il m'aide à amortir le choc. Parler d'elle frôle encore l'impossible, alors dans ces conditions, il a l'air de comprendre le combat intérieur que je mène.

— D'accord. Tout va bien ? s'inquiète la doctoresse. Vous souhaitez un verre d'eau ?

Je refuse poliment. Mon unique désir est de partir d'ici. Alors, plus vite nous allons, plus vite nous serons partis.

— On va prendre le temps d'analyser vos douleurs qui peuvent provenir de multiples causes. En revanche, l'endométriose peut avoir des facteurs génétiques que nous allons prendre en compte, m'explique-t-elle. Où se situe vos douleurs ? A l'entrée ou plus profondément ?

— Au niveau plus profond, je pense.

— Très bien, et surviennent-elles à d'autre moment ? Lors de vos règles, de la digestion lorsque vous urinez ?

Je tente de répondre au mieux à ses diverses questions, avec le plus de précision, mais dans le fond, je sais que c'est ça. Ma mère ne me lâchera jamais ; elle continuera de s'insinuer dans mon existence. Elle est un véritable poison, prête à me ronger jusqu'à ce que la mort s'empare de moi. J'en suis certaine.

— Rien d'anormal lorsque vous vous touchez ?

Je pique un fard, puis me détourne vers John. Rien ne m'a interpellé lors de ma séance matinale de ce matin, mais elle fut si courte. Et si lui avait constaté quelque chose ? Il ne va tout de même pas lui fournir ces informations. Enfin, si, il devrait... Je sens ma jambe s'agiter à nouveau.

— Non, je... je n'ai rien senti de bizarre, bafouillé-je, alors que John confirme mes dire.

Je rêverais d'être une petite souris pour trouver une cachette où m'enfouir sans problème.

— Alors, je vais vous prescrire des examens médicaux à faire ; d'abord une IRM, puis en fonction de ce qui ressortira, il faudra envisager la laparoscopie.

— Qu'est-ce que... ?

— Une intervention où l'on insère une petite caméra pour le nombril ; ensuite, on va prélever des échantillons de tissus et éliminer les éventuels foyers d'endométriose.

Un frisson parcourt mon échine dorsale. Quelle horreur ! Y penser suffit à me dégouter ; je grimace. Et voir John pas plus conforté accroit mon appréhension. Ma mère ne m'a jamais parlé de ça et, pourtant, durant des heures, elle m'a bassiné avec cette maladie.

— Rassurez-vous tous les deux ; il y a une anesthésie.

Dans tous les cas, je n'ai pas le choix. Souffrir le reste de ma vie ne m'apparait pas comme une solution. Il va falloir que je me résolve à passer sur les planches de l'intervention.

— Je suppose que ça peut attendre qu'on rentre en Belgique et que j'aille voir ma gynécologue habituelle ?

— Absolument ; je vais vous imprimer mon compte-rendu que vous pourriez lui donner alors !

— Vous... Vous ne m'auscultez pas ? questionné-je suspicieuse.

— Non, pas dans l'état de stress qui vous ronge, mais je compte sur vous pour prendre rapidement rendez-vous chez votre médecin habituel !

Ces dernières minutes d'attentes me paraissent interminables. Je veux partir ; non, je le dois ! Je trépigne sur place. Je n'ai jamais vu une imprimante si lente. J'enfile déjà ma veste et, pose mon sac sur mon épaule. Qu'elle nous tende ces fichus papiers et, qu'on y aille ! A peine, suis-je en possession de ce rapport, je me retrouve sur le pas de la porte, à la saluer. Enfin, je respire. Je m'appuie contre le mur, frottant avec énergie mon visage ; il faut que je me reprenne. L'air entre et sort de mes poumons à un rythme bien trop soutenu.

— Respire ; c'est fini, me murmure la voix de John, alors qu'il m'englobe dans ses bras.

Je laisse les émotions se déverser le long de mes joues, puis s'échouer sur l'épaule de mon copain. De nombreux spasmes traversent mon corps alors qu'il caresse mon dos. Il attend que je me calme en essuyant mes larmes.

­— Respire, ma belle ; tout va bien !

J'hoche la tête, mais me sens incapable de calmer la colère qui m'anime. C'est de sa faute si j'en suis là, et uniquement de sa faute. Elle a toujours contrôlé ma vie, et en étant absente la moitié du temps. Un véritable tour de force de sa part.

— Je la déteste, je la déteste, je la déteste, répété-je en boucle.

— Rosalie, regarde-moi !

Les mains de John enveloppent mon visage, puis me force à croiser son regard et à le confronter. Il pose un doux baiser sur mes lèvres.

— On en discutera dans la voiture, d'accord ? Je te promets que tout va bien se passer.

— Mais je la déteste, déteste, déteste !

Les patientes de la salle d'attente me fixent toutes. A croire que je semble tout juste sortie de l'aile psychiatrique. Mes yeux rougis devraient en effrayer plus d'une, dont, notamment, la jeune fille âgée d'au plus quinze ans. Je la plains, me revoyant à ma première visite, en pleine crise d'angoisse. Les mots de ma mère résonnaient en moi tel un sortilège. 

26/10/2020
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