Chapitre 13

- Maman ? Pourquoi tu pleures ?

La petite fille que je suis sautille jusque dans le canapé où ma mère est roulée en boule. Elle grimace si fort qu'elle pourrait en gagner un concours. Ses yeux pétillent lorsqu'elle me contemple dans ma robe préférée.

- Ma Rosie, murmure-t-elle en me recoiffant. Être une femme, c'est beaucoup de bonheur, mais la douleur n'est pas non plus en reste.

- Mais Maman, tu as dit que les princesses ne souffraient pas et toi, tu es la plus jolie de toutes les princesses !

Un sourire nait sur son visage à travers ses larmes.

- Je sais. Mais il arrive parfois que Dame Nature en décide autrement, alors ça fait bobo ici, me montre-t-elle.

- Là ? m'enquis-je en pointant le bas de son ventre ainsi que son entrejambe.

Elle acquiesce, puis se redresse vers moi. Ses paumes glissent le long de mon visage inquiet. Elle dépose un baiser sur le bout de mon nez, et me congédie sur les chemins de l'école.

Encore endormie, je tâtonne le lit à la recherche de John, mais le matelas demeure froid. Frustrée de ne pas obtenir mon câlin matinal, je grogne, puis enfouis mon visage dans l'oreiller douillet. Où est-ce qu'il a bien pu partir aussi tôt dans la matinée ? Je frotte énergiquement mes paupières dans l'espoir de me préparer à affronter cette nouvelle journée. Je me rappelle assez vite notre mésaventure de la veille lorsque je m'apprête à me lever encore à moitié nue. Si je me masturbe, souffrirais-je aussi ? J'ai besoin d'être fixée d'autant plus que la gynécologue risque de me poser la question. Dans un profond soupire, je me glisse à nouveau sous la couette et ferme les yeux. Je laisse mon imagination travailler. Le scénario se met en place, alors que la pulpe de mes doigts palpe ma poitrine. La bulle dans laquelle je m'enfonce finit de m'envelopper. J'effleure mon ventre, puis titille la peau à l'intérieur de mes cuisses. Ma respiration s'accélère au rythme de mes caresses et, pourtant, ce ne sont pas les mains que j'imagine au contact de mon corps. Je frémis. Une vague de chaud remonte le long de ma colonne vertébrale, tandis qu'un raclement de gorge me sort de ma torpeur.

- Je pars une petite demi-heure et, tu me remplaces déjà, charrie John appuyé contre le chambrant de la porte.

Mes joues prennent une jolie couleur pourpre, mais lui ne s'en formalise pas et s'installe sur le lit. Ses lèvres me saluent d'un doux baiser durant lequel il faufile sa paume jusqu'à la chute de mes reins.

- Mais où étais-tu ?

Pour toute réponse, il secoue une enveloppe de photographe devant mes yeux. Un soupçon de mécontentement me traverse ; je déteste les photos. Sans rien dire, je lui arrache son précieux des mains et l'ouvre la boule au ventre. Mes doigts tremblent lorsque j'attrape le premier cliché. J'observe mon reflet au bord du lac à notre arrivée. J'apparait si frêle, presque infantile. En revanche, je souris. Mes prunelles passent de la photo au visage de John qui ne me lâche pas des yeux.

- Sérieusement, John ?

- Absolument ! Regarde à quel point tu es belle !

- Je suis maigre, John, maigre !

Il soupire désapprobateur en m'arrachant le papier des mains. Il soulève mon menton de son index jusqu'à ce que je sois contrainte de croiser ses iris. J'avale ma salie avec difficulté.

- Peut-être, mais tu peux reprendre du poids en te nourrissant à nouveau correctement. Puis, ton sourire ne trompe pas ; les traits de ton visage te rendent pétillantes, n'en doute pas, d'accord ?

- Si tu le dis... soufflé-je en passant à la seconde image.

Cette fois-ci, John apparaît à mes côtés ; il semble même sur le point de me chatouiller. Son rictus ne ment pas. Je ne me rappelle pas qu'il ait pris cette photographie et, pourtant, je regarde l'objectif.

- Je te montrais une image sur l'écran, m'explique-t-il face à mon air perplexe.

- Et tu sais prendre une photo sans basculer sur l'appareil ?

Je m'étonne un peu plus.

- L'avantage d'être photographe !

Tour à tour, je contemple chacun des clichés pris pour la plupart à mon insu. Mais je dois être honnête ; je rayonne. Puis, enfin, arrive la dernière datant apparemment, de cette nuit. Mon corps est enroulé dans la même couette qu'à l'heure actuelle.

- T'es un véritable petit con, grogné-je.

- Certainement ! confirme-t-il en fondant sur mes lèvres.

Je tombe allongée sur le dos l'attirant dans ma chute. Son corps me domine tandis que je goûte à sa bouche. Il glisse lentement ses doigts le long de mes courbes me faisant vriller à ses côtés. Mais, je ne peux que l'interrompre le cœur serré dans ma poitrine. La peur s'insinue dans mes veines, celle de souffrir encore, de laisser son égo en pâtir. J'ai bien vu la lueur éteinte dans son regard la veille. Il se sent coupable pour mon plus grand désespoir. J'entremêle alors nos mains, puis le repousse en douceur.

- Attendons d'avoir un rendez-vous, John, lui murmuré-je.

- Alors heureusement que j'ai passé un coup de téléphone à l'hôpital le plus proche ce matin. Nous sommes attendu pour dix-huit heure !

L'émotion me prend à la gorge. Cet homme est si intentionné qu'il mérite tout l'or du monde. Je passe mon index sur son nez, puis sur ses lippes.

- Tu as vraiment fait ça ? Merci !

- Evidemment ; il est hors de question que tu aies mal plus longtemps !

*****

En bon couple amoureux, nous profitons de cette journée plus calme, main dans la main, pour visiter les environs et, plus précisément, le village médiéval de Castelnou. D'ici, nous avons une large vue sur les profondes vallées qui nous entourent. A l'horizon, les montagnes se mêlent au ciel bleu dans un joli dégradé. Nos pieds foulent les pavés ; les chemins sont si étroits que deux voisins séparés par la route pourraient prendre l'apéro ensemble à travers leurs fenêtres respectives. Je me sens transportée dans le temps, des siècles en arrière. Je laisse mon regard se perdre dans les vitrines de petits artisans. On retrouve vraiment l'ambiance du moyen-âge avec le fleuriste, le peintre et le sculpteur du coin, les odeurs en moins.

- Allez, Princesse ; allons visiter votre château !

- Seulement si vous acceptez d'être mon Prince Charmant, accepté-je fleur bleue.

Il attrape ma main, puis y dépose un baiser.

- Nous sommes très cul-cul la praline, mais ça en demeure pas moins mignon, rigolé-je en me lovant contre son torse afin d'embrasser chastement ses lèvres.

Le village semble nous appartenir à nous seul ; personne d'autre ne se balade en cette journée ensoleillée. Pour la plupart des maisons, les volets sont fermés, voire, en piteux états. Mais le château, lui, au sommet de la colline, semble comme au jour de sa construction. Cette visite a tout d'un conte de fée. En revanche, je n'oublie pas le rendez-vous qui m'attend et qui m'angoisse. Je ronge l'ongle de mon pouce, espérant m'apaiser. Sans succès. Je sens mes muscles se tendre à cette pensée. Je déteste les gynécologues, encore plus lorsque je ne les connais pas. Celui qui s'occupe de moi en Belgique me connait depuis ma naissance. Oui, il m'a sorti des entrailles de ma mère.

- Tout va bien, Rosie ?

- Oui, oui, soupiré-je en resserrant ma poigne sur ses mains.

Son regard suspicieux me déshabille un instant, mais aucune réflexion ne sort de sa bouche. Nos entrées payées, nous progressons à l'intérieur de larges couloirs. Je m'arrête à plusieurs reprises afin d'observer les environs à travers les meurtrières. Mes pensées vagabondent tandis que nous voyageons de pièce en pièce ; je laisse mes doigts flotter sur les murs emplis d'histoires.

- Tu sembles autres part, Rosalie ; dis-moi ce qui te tracasse !

- Rien, j'ai dit que j'allais bien ! me stoppé-je sur place.

- Eh bien, moi, je pense que tu me mens et je déteste ça...

Ma mâchoire se contracte tellement fort que j'en grince des dents. Cette surprotection a le don de me taper sur les nerfs, mais je ne peux pas non plus l'envoyer sur les roses sans once d'empathie. J'accélère le pas. Je marche pour marcher sans prendre un moment pour contempler la beauté du monument. Il faut que j'évacue la rogne qui me grignote de l'intérieur. Plus calme que moi, John se contente de m'attraper par le poignet afin de m'attirer vers lui. Nos prunelles se croisent dans un éclair. L'écoulement du temps semble se figer par la bataille qui se joue entre nous.

- Ne prends pas la mouche comme ça, d'accord ? quémande-t-il. Je ne fais que m'inquiéter pour toi...

- Je n'ai pas besoin que tu la fasses ; merde, je suis plus une enfant qu'on doit couver !

- Je viens de passer six mois à avoir peur pour toi, alors ne raconte pas de conneries. Tu ne serais peut-être plus là si je n'étais pas passée chaque jour chez toi !

Sa voix se casse sur ses mots, alors qu'une larme roule sur ma joue.

- M'attaquer sur ce plan-là, John, c'est un coup de pute ! pestiféré-je en reculant d'un pas.

Je suis soulagée que personne ne soit présent pour se délecter de ce pitoyable spectacle, digne d'une mauvaise comédie, diffusée les dimanches après-midi. Il me suffirait de m'adoucir un peu, mais je ne peux pas. Je veux simplement qu'il cesse de me voir telle une petite chose fragile. Ces cinq derniers jours, il m'a permis d'évoluer et, je lui dois beaucoup. En revanche, je suis capable de me tenir debout comme une grande.

- Tu dois prendre conscience de la réalité, maintenant !

- Ferme-là, sangloté-je en me débattant.

Ma liberté retrouvée, je m'enfouis en courant. Mes pieds foulent le sol comme en temps de guerre. Instinctivement, je tourne à droite, puis à gauche. Et enfin, je me réfugie dans un petit renfoncement, entre deux épais murs de pierre. Mon souffle s'apaise seconde après seconde. Je clos mes paupières jusqu'à ce que ma respiration finisse de reprendre son cours normal.

- Toutes mes excuses, Rosie ; j'y suis allé un peu trop fort...

- Un peu ? crashé-je.

- Beaucoup, obtempère-t-il en s'aventurant à mes côtés.

Je le scrute un instant, incapable d'ignorer ses traits tirés. La peine se lit sur son visage. Son sourire semble avoir déserté. Je comprends l'évidence ; je dois accepter ses excuses et en faire de même.

- Fautes partagées, avoué-je en posant ma main sur son bras.

Attirée tel un aimant par son charme, je me dresse sur la pointe des pieds dans l'espoir de sceller notre amour par un doux baiser. Ma langue savoure la tendresse des ses lèvres tandis que mes mains se faufilent dans sa chevelure. Je ne peux m'empêcher de tirailler sur quelques mèches, espiègle. Lorsqu'il m'étreint un peu plus fort, je finis de m'abandonner à son câlin. Mon cœur s'allège d'un poids tandis que mon dos bute contre la muraille.

- Eh si on allait boire un verre avant que je te saute dessus... Fin non, me ravisé-je face au souvenir de ma douleur vaginal.

- Excellente idée ; aucune princesse ne devrait se déshydrater ! Qu'on m'amène une coupe de cristal...

Je m'esclaffe. Quel grand acteur digne des plus grandes scènes ! En revanche, je ne refuse pas la perspective de profiter d'une terrasse. Ce n'est pas sans un dernier regard en direction du château que nous redescendons à l'entrée du village, près de la place principale. La vieille dame avec son tablier pleins de farine nous installe à une table assez isolée.

- Un thé glacé et une gaufre au chocolat, commandé-je en me léchant les babines.

- Et un café pour moi.

Nos doigts s'entremêlent sans discrétion sur la table, tandis que l'hôte s'empresse de nous servir avec le sourire que toute grand-mère aborde. Seules, elles, en ont le secret. Il mêle expériences et douceur. Je sirote quelques gorgées du breuvage rafraichissant, puis pique un morceau de mon goûter. La bouchée fond sur ma langue, alors que la douce amertume éveille mes papilles. John, quant à lui, me contemple jouir de ce repas.

- On dirait une enfant qui se met du chocolat partout, se moque John en pointant la commissure de mes lèvres.

- Et tu ne pourrais pas te montrer galant en l'essuyant ?

Il m'envoie la serviette à la tête.

- Désolé, je ne suis pas un héro de roman d'amour, me rétorque-t-il.

- Mais tu es censé être mon Prince Charmant !

J'affiche une mine boudeuse tandis que j'essuie ma bouche. Mes cordes vocales vibrent sous le rire qui me vient. Oui, nous sommes à vomir sur le coup. Ce genre de couple qui attise la haine des jaloux, mais qu'on leur dise ; une fois que nous en sommes épris, plus rien n'est trop beau. Je secoue la tête pendant qu'il se moque ouvertement de moi. Nous devons avoir l'air ridicule, il n'y a aucun doute persistant.

- Rosie, je...

Il me parait soudain si angoissé qu'il en perd ses mots. Son corps transpire la nervosité ; il pianote sur la table et fuit mon regard.

- Tu ne penses pas qu'il est temps de reprendre contact avec Vanessa et Sophie ?

Je m'arrête nette dans mes mouvements, la bouche encore pleine.

- Ces traitresses ? Jamais !

- Rosalie... soupire-t-il.

- Non, non et non ! Je ne vais pas retourner vers elles alors qu'elles m'ont abandonnée, elle-aussi.

Une sombre lueur brille dans mes pupilles. Penser à nouveau à elles, mes ex-amies de toujours, me blesse profondément. Celles qui auraient du m'être d'un soutien infaillible m'ont lâchée alors que je perdais pieds. Je ne tenais plus à la vie, et elles n'ont pas tenté de me ranimer. Je sens mon cœur battre dans ma poitrine.

- Tu sais... C'est excessivement difficile de voir une amie sombrer et de se sentir impuissant. Ne leur en veux pas ; elles ont essayé !

- Pourtant, toi, tu as continué de me porter tous les jours...

J'ai l'impression que les mots m'écorchent la gorge. Ils sont douloureux, me brûlent la langue.

- Parce que je suis amoureux de toi, Rosie ! Que je vis, en partie, pour ta présence dans mon existence...

Je renifle une seconde, puis avale une gorgée de ma boisson. J'en profite pour réfléchir une minute à ses paroles. Il n'a pas tout à fait tort, mais je me sens incapable d'effacer ma rancune. Si seulement, j'obtenais un simple pardon...

- Je ne peux pas et, je ne le veux pas !

Je clos la discussion lui intimant de se taire, alors qu'il s'apprête à ouvrir la bouche. Si nous continuons à tergiverser sur le sujet, mes sentiments enfouis risquent de jaillir dans un torrent de larmes et de peines. Douze ans amitiés, ça ne s'oublie pas si facilement. Enfin, je le pensais avant qu'elles m'oublient.

- Je vais payer, déclaré-je le cœur lourd.

22/10/2020
Bonsoir les loulous !

Encore un nouveau chapitre ; on en est à la moitier (enfin, presque).

Pour fêter ça, champagne ou abolition du Covid ? Ou les deux ?

Dans tous les cas, prenez soin de vous ❤

MERCI DE ME LIRE ❤

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