Chapitre 1

— Va te doucher et t'habiller ! s'exclama une voix qui m'est bien connue quelques secondes après que la porte de mon appartement miteux se soit ouverte. Je te laisse dix minutes pour te préparer, sinon je viens m'en occuper moi-même !

Assise dans mon canapé gris terne, mes iris bleues quittent le fond de ma tasse pour accueillir mon meilleur ami, John. Son humeur joyeuse contraste avec la mienne. Je déglutis difficilement. Alors qu'il allume toutes les lumières du salon, je me contente de grogner en me cachant dans un coussin.

— Plus que neuf, dépêche-toi parce que tu vas finir sous un jet glacé à ce rythme-là !

Mécontente, je soupire avant de m'exécuter à contre-cœur. Il ne laissera pas le choix dans tous les cas donc autant obéir de ma propre initiative ; la douche froide, je m'en passerai avec plaisir. Enfin, le plaisir est un mot oublié il y a bien longtemps déjà. Je traine des pieds, puis monte à l'étage sans entrain. Que mettre ? Si je renfile un pyjama, John risque de décéder d'une attaque. J'opte, finalement, pour un vieux jeans ainsi qu'un large sweat noir. Je ferme les yeux pendant que l'eau chaude ruisselle le long de ma peau. Le douceur odeur à la fleur d'oranger de mon savon me chatouille les narines. Un peu de baume au cœur ne fait jamais de mal, surtout ces temps-ci ! Le temps tourne, et si je ne me presse pas, John risque de débarquer sans aucune gêne pour m'activer.

— Une minute !

Je redescends tandis qu'il m'attend, bras croisés, devant les escaliers. Un sourire nait sur son visage lorsqu'il m'aperçoit. La culpabilité m'assaillit : il se démène pour moi depuis six mois et, je suis incapable de fournir le moindre effort. Pourtant, j'aimerais vraiment allez mieux, mais je n'y parviens pas. Les doigts de John se faufilent dans ma chevelure indisciplinée.

— J'ai une surprise qui t'attend demain. D'ici-là, tu vas dormir chez moi !

— Quoi ? Non ! Hors de question ; je n'ai pas confiance en tes surprises ! refusé-je en m'enfuyant dans ma cuisine.

Sans me demander mon avis, je me retrouve en deux temps, trois mouvements sur son épaule comme un vulgaire sac à patate. Mes membres s'agitent dans tous les sens, mais il a bien plus de force que moi. Il ricane ce qui augmente mon agacement. J'aimerais trouver le courage de négocier pour rester peinarde dans mon salon, enroulée dans une couverture avec un café refroidi.

— Je ne me souviens pas t'avoir laissé le choix, Rosalie !

Je me résigne. Sa détermination à toute épreuve finira par me tuer un jour, j'en suis certaine. Mon portable dans une main, mon sac dans l'autre, je le suis jusqu'à sa voiture. Le silence s'installe entre nous sur tout le trajet, heureusement qu'il n'habite pas loin... Je déteste cette tension palpable, nous qui étions comme queue et chemise durant de longues années. Voilà que je gâche tout, une nouvelle fois !

— Je suis désolée, murmuré-je entre mes lèvres. Mais je n'aime pas les surprises ; promis, je te suivrais, mais dis-moi ce qui m'attend !

— Nan, nan, nan, et même avec ta moue de chien battu, je ne cèderai pas...

— Pff... T'es nul, boudé-je.

— Peut-être, mais tu m'aimes quand même.

Un point pour lui. Un pseudo-rictus se dessine sur ma bouche. Comment fait-il pour continuer à me soutenir envers et contre tout ? Je passe la soirée à le torturer avec mes centaines de questions qui restent sans réponse. Il est plus muet qu'une tombe. Ni le chantage, ni la tentation de la dernière part de pizza ne fonctionne ; je n'en reviens pas. Puis, la nuit venue, je me tourne dans tous les sens, angoissée par ce qui m'attend. Son lit a beau être confortable, je ne trouve pas le sommeil. Quitte à mal dormir, j'aurais pu prendre le canapé. Que le soleil se lève, je dois avoir des valises à la place des cernes ainsi qu'un teint blafard. Je souffle en m'étirant. Ça va être dur ! John, quant à lui, semble plus frais que jamais. Il brille dans la pièce tandis que j'apporte un côté sombre. Nous sommes le jour et la nuit, mais un célèbre dicton ne dit-il pas que les opposés s'attirent ? John s'active en courant partout sans que je ne parvienne le suivre dans son agitation. Je me contente de lui obéir lorsqu'il me demande de monter en voiture. Ensemble, nous chantonnons sur la route alors que je tente encore de connaitre nos destinations.

— Petit indice, s'exclame-t-il en me tendant une enveloppe.

Le cœur battant, je l'ouvre. J'ai l'impression d'avoir le souffle coupé par la peur de ce que je vais y découvrir. Des billets d'avion. Je dois rêver. Qu'est-ce qui lui est encore passé par la tête ? L'habitacle me semble soudain trop étroit. Je ne peux pas, pas sans ma mère. J'ai toujours voyagé en sa compagnie. J'ouvre la fenêtre. Il me faut de l'air. Tout de suite.

— Gare-toi !

— Non, il est temps pour toi de changer d'air ! Ne cherche pas à me dissuader ; je veux que tu prennes un moment pour revivre !

*****

— Mesdames et Messieurs, les passagers du vol 711 à destination de Perpignan sont priés de se rendre, immédiatement, à la porte b. Nous fermons la porte dans quelques instants.

Le regard de mon meilleur ami pèse sur moi. C'est ma dernière occasion pour monter à bord de cet avion, mais la peur me tiraille. Suis-je prête à me laisser revivre ? Entre ma bouche pâteuse et mon mal de crâne, je ne parviens pas à prendre une décision. Pourtant, le pilote ne m'attendra pas éternellement. La main de John se pose sur mon épaule tandis qu'il hausse les sourcils dans l'attente de ma réponse. Je sais qu'il ne me forcera jamais embarquer bien que ce ne soit pas l'envie qui lui manque. Je lui dois bien ce cadeau à lui qui ne m'a pas lâché ces six derniers mois, qui a séché mes larmes quotidiennes, qui m'a empêché de sombrer. Les yeux fermés, je prends un instant pour respirer profondément avant d'acquiescer. Je ne sais pas si je veux vraiment voyager maintenant, mais si je ne m'envole pas aujourd'hui, je ne le ferai jamais. Le sourire de John me conforte dans ma décision. Pour la première fois depuis longtemps, j'y lis de la fierté. Je n'arrive pas pour autant à me détendre ; mon rythme cardiaque s'accélère, le bruit ambiant m'oppresse et j'ai l'impression d'avoir du coton dans les oreilles. J'avais perdu l'habitude de sortir et, me voilà dans un bain de foule. Les langues se confondent dans un brouhaha général, les roulettes des valises glissent dans un abominable grincement, les haut-parleurs grésillent de multiples annonces. J'ai besoin de calme. Mes ongles s'enfoncent dans la paume de mon ami, traduisant l'angoisse qui me consume.

— Respire ; ça va aller, Rosalie ! m'assure-t-il en balayant mon visage de mes boucles rousses.

Ses lèvres se posent sur mon front. Puis, nous nous dirigeons, enfin, vers la porte d'embarquement. Plus nous avançons, plus une boule se forme dans mon estomac. J'ai du mal à déglutir. Il s'occupe de tendre nos documents à l'hôtesse qui nous adresse un regard noir, à priori contrariée par notre retard. Elle vérifie nos cartes d'identité ainsi que celle d'embarquement avant de nous laisser passer. À chaque pas, nous nous rapprochons de l'avion alors que l'angoisse grandit en moi. Et si nous nous crashions au milieu de l'océan ou pire encore dans une forêt où nous serions introuvables ? Le terminal me parait interminable et bien trop court à la fois. Je dois arrêter de réfléchir, sinon, je risque encore de m'enfouir en courant. L'appareil se dresse devant nous, le personnel nous attendant patiemment. Je m'en veux de mettre leur patience à rude épreuve, mais je suis incapable de me presser plus que ce que je fais déjà. J'ai besoin d'intégrer chacun de mes actes. Si quelqu'un m'avait dit il y a trois jours qu'aujourd'hui je profiterais de dix jours de vacances, je lui aurais ri nez. Enfin, non, je n'en aurais eu ni la force, ni l'envie, alors je me serais contentée d'hausser les épaules en secouant de la tête. Me rhabiller, autrement qu'en survêtement ou pyjama, la veille m'avait déjà demandé un effort inconsidérable. Un jeans ne m'avait jamais paru si inconfortable. Alors quitter mon pitoyable appartement pour passer la nuit chez John, n'en parlons pas, et pourtant, je l'avais fait. J'avais réuni le peu de forces qu'il me restait pour effectuer ce grand pas en avant. Une hôtesse se charge de ranger nos affaires dans les casiers prévus à cet effet pendant que nous repérons nos sièges, juste derrière l'aile droite.

— Prends la place près du hublot, m'invite John tout sourire.

— Non, je ne peux pas ; vas-y toi !

Il soupire discrètement, mais s'installe sans en rajouter. Maman me laissait toujours cette place, la meilleure, soyons honnête. Maintenant qu'elle est partie, je ne me vois pas m'y rasseoir. Alors que le pitch de sécurité débute dans un anglais incompréhensible pour moi, mes doigts pianotent avec nervosité sur l'accoudoir. Leur discours ne sera jamais rassurant : les passagers s'apprêtent à donner leur confiance à l'équipage et, eux nous offrent quelques maigres conseils pour éviter de mourir. « En cas que... », disent-ils. J'ai chaud. La transpiration coule le long de ma colonne vertébrale. J'augmente alors l'air conditionné, puis la dirige vers mon visage. Je reprends ma respiration, les yeux clos. Par sécurité, je resserre ma ceinture une seconde fois.

— Te compresser autant ne servira à rien, Rosie ; ça ne t'aidera pas à avoir une taille de guêpe !

Cette tentative pour me détendre échoue.

— Mais... Va te faire foutre, maugréé-je.

Je n'ai aucune envie de rire, aucune. Renfrognée, j'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles pour ne plus entendre mon ami, peut-être que je parviendrai, par la même occasion, à m'isoler le temps du décollage. Voilà que l'engin volant s'avance, prenant petit à petit de la vitesse. Mon dos se retrouve collé au dossier. Le souffle court, je finis par me retourner vers John qui glousse. J'étais bien décidée à râler, mais ma peur de l'avion a rapidement pris le dessus. Je serre les dents.

— N'ai pas peur, ma chérie ; l'avion, c'est comme une attraction. Tu vas adorer ! me rassure Maman en me passant son foulard autour du cou.

Mon petit cœur d'enfant se serre tandis que l'avion accélère sur le point de décoller. Je pense le plus fort possible aux plages de sable sur lesquels je vais construire de jolis châteaux avec des coquillages de toutes formes. Un sourire nait sur ma bouille, mais disparait aussi vite lorsque l'avant du véhicule se dresse. J'ai l'impression d'être projetée vers l'arrière tel un vieux déchet. Heureusement, le parfum de Maman me chatouille les narines, une odeur de fruit des bois. Ça sent trop bon ; je voudrais ne jamais oublier cette odeur, même lorsque je serai vieille.

— Tu vois ? On vole, s'exclame-t-elle joyeusement en dégageant le bout de tissu de ma vue alors que je m'aventure à jeter un coup d'œil par le hublot.

La mer s'étend à perte de vue, j'en ai les yeux brillants d'émotions. Jamais, je n'ai vu un spectacle aussi époustouflant.

— Comme les oiseaux ? m'émerveillé-je.

— Absolument !

— Mais si on leur fonce dedans, on va leur faire mal...

— C'est pour ça qu'on monte très haut, ma chérie. Regarde ; on va bientôt passer au-dessus des nuages !

Elle a raison. Les nuages ressemblent à de l'ouate. Je suis sûr que ce serait un super endroit pour y jouer. Je pourrais même y faire une sieste ; on dirait que c'est tout doux.

— Tu crois qu'il y a des licornes qui y vivent ?

— Peut-être... Tu me dis si tu en vois !

— Promis, Maman !

John retire mon écouteur droit avant de me rassurer. Il a toujours trouvé les mots justes pour m'aider à redescendre, ceux qui apaisent mes angoisses ainsi que mon cœur. Heureusement, il me connait sur le bout des doigts. Dans le cas contraire, j'aurais surement déjà coulé depuis longtemps. Je sens les larmes menacer de couler le long de mes joues alors que je réfugie mon visage derrière son épaule. Je me cache, refusant qu'il me voit encore pleurer. Après avoir trempé des milliers de mouchoirs par mes sanglots, je ne comprends pas que je puisse continuer à déverser ma peine et ma douleur. Je me sens au bout du rouleau, épuisée. Mon corps subit mes émotions sans que je le consente. J'ai l'impression que me sentiments pèsent sur mes épaules tel un lourd fardeau. John m'écarte en douceur avant de me fixer avec un sourire particulièrement attentionné. Dans la seconde suivante, ses bras s'enroulent autour de mes épaules malgré l'inconfort de la position causé par les appui-bras.

— Tu sais que je ne vais pas être la meilleure compagnie ?

— Je suis certain que si. Tu as simplement besoin qu'on te secoue un peu !

— Je...

Je n'ai pas l'occasion de finir ma phrase que l'avion subit une première secousse. Je me crispe. Quand je parlais de mourir lors ce vol... Mon corps se tend alors que j'intercepte le regard de John. Je suis certaine que la panique se lit à travers mes pupilles éteintes. Voilà que le symbole des ceintures s'éclaires. Je me sens à l'étroit dans mes vêtements comme s'ils venaient de rétrécir de deux tailles. Respirer me demande un effort surdimensionné ; mes poumons semblent au chômage. Je suffoque. Un second soubresaut m'arrache un cri tandis que John se paye ouvertement ma tête. Je vais lui lacérer le dos de la main avant l'atterrissage. J'ai l'impression d'être observer par les centaines de passagers autour de nous. Je ne supporte pas cette sensation de jugement. La paume de mon compagnon de voyage se pose sur ma joue afin que je le regarde lui et, uniquement lui. Mes doigts tremblent tandis que je pianote du pied. Soudain, les masques à oxygène tombent devant nos visages respectifs. C'est trop pour moi. Je vais réellement mourir dans un avion, avion quand lequel je ne voulais pas monter. Les larmes coulent sur mon visage. Je veux continuer de vivre. Vingt-deux ans n'est pas un âge pour perdre la vie ! Et dire que j'aurais passé les derniers mois de mon existence sur un canapé dans le noir à me lamenter. J'aurais dû profiter de chaque journée pour vivre des expériences uniques. Moi qui avais des rêves plein la tête...

— Détend-toi, Rosie ! 

Bonsoir mes loulous,

Eh oui, une nouvelle histoire est en route. J'espère que vous êtes impatients de découvrir John, Rosalie ainsi que leur aventure.

Comme toujours, je vous poste au rythme auquel j'écris.

Je vous invite à voter, commenter et partager si cela vous a plu.

En attendant le chapitre deux, je vous embrasse ❤

MERCI DE ME LIRE ❤

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