Chapitre 2 : Confrontation

Hermione s'accouda au garde-corps et observa rêveusement la lune brillante se lever dans le ciel dégagé. L'horizon piqueté d'étoiles brillantes étendait son manteau bleu marine vers l'infini.

Pour une des rares fois depuis la bataille de Poudlard, Hermione se sentait en paix. Les beaux paysages l'avaient toujours fascinée, provoquant en elle un état de bien-être indescriptible. Le vent taquin soulevait ses boucles brunes, tissant de mystérieux motifs mouvants en effleurant sa peau dans une caresse qui la faisait se sentir vivante. Sa cape noire voletait au vent comme un étendard.

En tant qu'élève studieuse, elle avait terminé presque tous ses devoirs dès le premier jour des vacances et pouvait à présent profiter d'un bon roman devant la cheminée, loin du froid sec de l'hiver. Cependant, elle avait préféré se rendre en haut de la tour d'astronomie pour admirer le ciel, malgré le givre présent sur les rambardes.

Les premiers mois de cours jusqu'aux vacances de Noël s'étaient relativement bien déroulés. Les Serpentards, particulièrement ceux qui avaient soutenu Voldemort, avaient fait profil bas. Hermione s'était d'ailleurs prise de sympathie pour Pansy Parkinson et Blaise Zabini - au point de les appeler par leurs prénoms -, qui avaient fait preuve de courage en affrontant sans faillir les regards accusateurs de leurs camarades. Bien sûr, elle savait que, pour eux, s'afficher avec une "héroïne de guerre" - elle grimaçait toujours à cette expression : elle ne se sentait pas courageuse - leur facilitait grandement la tâche de se réintégrer.

Drago Malfoy, lui, disparaissait tout simplement de la circulation en dehors des cours, où il obtenait d'ailleurs d'excellents résultats, au point de parfois rivaliser avec Hermione. Blaise avait confié à la jeune femme qu'il se réfugiait dans son dortoir ou arpentait les couloirs pour fuir les silences pesants à son passage.

Néanmoins, Hermione ne s'était pas suffisamment liée d'amitié avec Pansy et Blaise pour leur parler des terribles cauchemars qui hantaient ses nuits. Elle n'avait pas trouvé le courage d'en discuter avec Harry ou Ron - plutôt ironique pour une Gryffondor, songeait-t-elle dans ces moments-là. Harry restait muré dans sa solitude et Ron conservait un comportement très instable : il riait et blaguait joyeusement avant de se refermer en quelques instants. Impossible, donc, pour leur généreuse amie de leur confier ses tracas lorsqu'ils peinaient à surmonter leurs propres problèmes.

Ginny, elle, retrouvait un peu de son caractère piquant, son naturel optimiste et sa détermination implacable. Sans aucun doute, la féroce Gryffondor en elle reprenait le contrôle. Elle essayait sans perdre patience de redonner un peu de couleurs au quotidien pénible et répétitif d'Hermione : se lever, prendre une douche, déjeuner, aller en cours, regarder Ron se goinfrer ou bien déprimer devant son repas, assister aux cours de l'après-midi, dîner, faire ses devoirs et aller se coucher en sachant que lorsqu'elle trouverait le sommeil, ce serait pour sombrer dans des cauchemars bien trop réalistes à son goût.

Ginny l'incitait à sortir à Pré-au-Lard, à se joindre à son groupe d'amies, mais Hermione refusait à chaque fois. Elle se sentait égoïste : Ginny devait surmonter la mort de son frère et l'abandon de Harry, et Hermione ne trouvait rien de mieux à faire que de balayer ses efforts. En revanche, la benjamine des Weasley avait également appris à apprécier quelques Serpentards, en particulier Blaise. Pour Pansy, la tâche se révélait plus compliquée car la franchise et l'obstination des deux jeunes femmes se heurtaient à chaque désaccord.

Parfois, Hermione se disait que, si le Choixpeau venait à se poser de nouveau sur sa tête, il ne l'enverrait plus à Gryffondor. Une désagréable impression de lâcheté collait à la peau de la jeune femme. Depuis la fin de la bataille, elle s'était laissée maigrir ; ses yeux chocolat autrefois pétillants, à présent ternis par les épreuves, ne reflétaient plus que rarement ces étincelles de vie ; des cernes violacées lui mangeaient ses joues creuses ; son teint était d'une pâleur cadavérique ; ses cheveux bruns poussaient à leurs guise, fins et fragiles, pour former des touffes emmêlées ; même son intérêt pour les cours avait diminué. Sans personne pour vraiment la comprendre et la soutenir, Hermione se laissait lentement - et inconsciemment - dépérir.

La directrice de Poudlard, toujours professeur de métamorphose sous le nom de McGonagall, avait décidé de léguer les postes de préfets-en-chef à Hannah Abbot et Anthony Goldstein, élèves respectivement issus de Poufsouffle et Serdaigle. Hermione était énormément attachée à son professeur qui lui avait fait comprendre la réciprocité de cette relation en la prenant à part pour lui expliquer pourquoi le poste largement mérité n'était pas revenu à la Gryffondor. D'après la directrice, les tensions entre Gryffondor et Serpentard demeuraient trop fortes, aussi aucun élève de ces deux maisons n'avait été choisi pour le poste de préfet-en-chef, de peur que l'éternelle rivalité les opposant leur fasse oublier l'impartialité. Ensuite, elle avait murmuré à son élève préférée qu'elle craignait que la pression soit trop dure à supporter, après ces événements tragiques, puis elle était partie après lui avoir pressé l'épaule d'un geste maternel.

Hermione ne n'arrivait pas à savoir si elle devait remercier la directrice pour cette attention pour le moins touchante ou l'en blâmer. En effet, rester une élève fondue dans la masse lui évitait certaines tâches pénibles comme arbitrer les maisons ou veiller sur les élèves, mais les devoirs de préfet-en-chef lui auraient peut-être suffisamment occupé l'esprit pour un quotidien plus dynamique.

Poudlard aussi avait changé. Ça et là, on voyait les fantômes, réels ou imaginaires, des malheureuses victimes. Le nombre d'élèves qui repassait la septième année s'était considérablement réduit : certains exploraient l'au-delà tandis que d'autres n'avaient pas voulu - ou pu - revenir.

A Gryffondor, Lavande Brown, ayant succombé aux blessures infligées par le loup-garou Greyback, Colin Crivey, resté sur la champ de bataille alors qu'il aurait dû être évacué, Dean Thomas, ne voulant pas revenir dans le château, et bien d'autres manquaient à l'appel.

Ernie Macmillan, Susan Bones, Justin Finch-Fletchley, de Poufsouffle et Michael Corner, de Serdaigle avait également perdu la vie dans la bataille ou bien refusé de revenir pour refaire leur septième année.

Chez les Serpentards, la moitié des élèves n'avait pas pu ou voulu revenir. Après tout, l'image des mages noirs collait à cette maison moins aimée que les autres. Ceux qui continuaient leurs études à Poudlard devaient affronter les regards inquisiteurs, les doigts accusateurs, les silences apeurés...

Cette bataille avait fait tant de ravages... Toutes ces victimes qu'Hermione avait appréciées ou détestées, sans oublier les corps portant des visages méconnus étendus sur le sol de la Grande Salle après les affrontements, les dégâts matériels, les blessures physiques et psychologiques des survivants...

Pour Hermione, ne pas avoir d'objectif rendait sa vie morne et terne. Ses examens ? Elle les réussirait à coup sûr. Et après Poudlard, que faire ? Toutes ces années, un but la guidait à chaque instant.

En première année, elle avait découvert le monde magique de la sorcellerie. En deuxième année - où elle avait passé la moitié des cours à l'infirmerie, entre le polynectar raté et la pétrification par le basilic - elle avait dû résoudre un mystère pour empêcher la fermeture de l'école. En troisième année, elle avait protégé Harry de son parrain accusé à tort de trahison et meurtres, Sirius Black. En quatrième année, elle avait veillé à aider au maximum Harry pour le tournoi des trois sorciers, afin qu'il en sorte vivant. La cinquième année, elle avait contribué à fonder l'Armée de Dumbledore pour lutter contre Voldemort, récemment revenu à la vie et le ministère étouffant Poudlard. En sixième année, elle était bien assez préoccupée par les rendez-vous de Harry et Dumbledore et la relation de Ron et Lavande pour s'ennuyer. Enfin, en septième année... Harry, Ron et Hermione avaient traqué les Horcruxes pendant des mois, passant des épreuves physiques et psychologiques aussi éprouvantes que les autres, fragilisant leur groupe ou bien les torturant de l'intérieur... Puis, la terrible bataille s'était ensuivie, pour qu'au final Harry batte Voldemort en duel grâce à la baguette de sureau.

Sans surprise, sa cicatrice se rappela à elle par un picotement désagréable. Hermione releva sa manche et appuya son avant-bras sur la neige couvrant la rambarde, provoquant un frisson glacé qui apaisa la brûlure.

Elle soupira. De toute façon, le célèbre nom d'Hermione Granger ne l'aidait pas à passer inaperçue. Juste pour quelques instants, elle souhaita être quelqu'un d'autre, quelqu'un qui ne se doutait pas du bonheur de l'anonymat et la joyeuse insouciance de l'innocence.

- Qu'est-ce que tu fais là, Granger ?

Surprise, Hermione se retourna vivement. Drago Malfoy avait posé ses coudes sur la rambarde et soutenait son visage pâle entre ses deux mains jointes, ses cheveux blonds doucement agités par un vent léger. Vêtu d'un simple uniforme vert et noir, il ne semblait pas affecté par le froid qui rosissait les joues d'Hermione.

Plongée dans ses pensées, Hermione n'avait pas entendu le bruit de ses pas discrets.

- La même chose que toi, Malfoy.

Il se redressa et la dévisagea, une lueur narquoise dans ses yeux glacés. Son regard s'attarda au passage sur le bras gauche d'Hermione posé sur la rambarde. Elle retira aussitôt son avant-bras de la barrière recouverte de neige et remit sa manche en place d'un coup sec, à la fois consternée et furieuse qu'il ait pu surprendre cet instant de faiblesse. Néanmoins, il n'en tint pas compte et lança avec assurance :

- Ah oui ? Et à ton avis, Miss-Je-Sais-Tout, qu'est-ce que je fais ?

- Tu viens ici pour oublier, toi aussi... Parce que tu ne supportes pas les regards des autres. Je me trompe ?

Ces quelques mots surprirent la jeune femme autant que son interlocuteur.

- Finement observé, Granger, lâcha finalement Malfoy. Tu veux peut-être que je donne dix points à Gryffondor pour cette réponse perspicace ?

- Je crois que je n'en aurais pas besoin, merci bien.

- Qu'est-ce que tu insinues ? assena Malfoy en fronçant les sourcils.

Hermione se perdit à nouveau dans la contemplation du ciel.

- Granger, je t'ai posé une question. Réponds-moi.

- Malfoy, soupira-t-elle en secouant la tête. Si tu veux que quelqu'un te réponde, il faut demander gentiment, pas agresser la personne.

Elle vit ses poings se contracter.

- Ne me fais pas la leçon, espèce de...

- Sang-de-Bourbe, je connais la chanson. Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ? Je suppose que ton père va entendre parler de ça ?

Étrangement, cette petite confrontation lui apporta un minuscule réconfort, comme si elle retrouvait une part de normalité, celle de la Hermione de troisième année, celle qui avait giflé le petit Drago arrogant et prétentieux sans hésitation, celle qui se sentait invincible en compagnie de ses meilleurs amis, celle qui ne savait pas encore qu'elle devrait faire face de très près aux forces du mal.

- Ne parle pas de mon père comme ça, siffla Malfoy.

Elle esquissa une grimace. Apparemment, elle avait touché une corde sensible.

- Tu préfères que je le traite de lâche, répugnant, manipulateur et faible ?

- Ne parle pas de mon père comme ça, Granger !

Hermione haussa les épaules d'un air désintéressé. Ses menaces étaient pathétiques, de simples paroles vides. Jamais Malfoy n'aurait le courage de s'attaquer directement à elle. Décidément, cette joute verbale rappelait à elle toutes les fois où elle avait riposté aux insultes de Malfoy. Chassés, le chagrin, la culpabilité et autres émotions négatives résultant de la guerre. Hermione se sentait plus forte, défiant son ennemi de toujours avec des vérités frôlant la méchanceté gratuite .

- Sinon quoi, Malfoy ? Tu vas aller lui rendre visite à Azkaban pour te plaindre que tu ne sais pas te défendre ? Tu es pitoyable.

Elle cracha presque le dernier mot. Bien sûr, elle savait que ses paroles se montraient dures et pas totalement justifiées, mais elle avait besoin d'évacuer tous ses sentiments contradictoires, et Malfoy n'ayant pas un passé sans erreurs - loin de là -, elle se permettait de le prendre pour cible.

- La ferme ! hurla Malfoy. Tu ne sais rien !

- Oh que si, rétorqua froidement Hermione. Je sais qu'il a été assez lâche pour vendre plusieurs de ses copains Mangemorts au ministère de la magie après la première chute de Voldemort !

Le Serpentard sursauta au nom de celui qui avait été son maître mais la jeune femme continua sur sa lancée.

- Je sais aussi qu'il traitait son fidèle serviteur, Dobby comme de la vermine, et qu'il a essayé de blesser Harry lorsqu'il l'a libéré, tout comme il a essayé de se débarrasser du journal de Jedusor en le mettant dans les affaires scolaires de Ginny et qu'il a failli provoquer la fermeture de Poudlard - en renvoyant Hagrid et Dumbledore au passage - ! Je sais qu'il a menacé ses collègues au ministère pour se faire obéir plusieurs fois et qu'il voulait faire du mal à Harry. Je sais qu'il s'est empressé de se jeter aux pieds de Voldemort quand il est revenu ! Je sais qu'il a lamentablement échoué à sa mission au Département des Mystères et que Voldemort s'est vengé en confiant à son précieux fils une mission impossible. Pauvre idiot, tu croyais que c'était un honneur ?

Elle brûlait depuis bien longtemps de lui balancer ses quatre vérités à la figure.

- Je sais qu'il a été traité comme un moins que rien parmi les Mangemorts, mais je sais surtout qu'il n'est rien !

- Je ne te perm...

- Vous êtes tous des lâches répugnants, vous et votre manie du sang-pur !

Le visage d'ordinaire pâle de Malfoy était à présent cramoisi et son visage se rapprochait dangereusement de celui d'Hermione, mais elle n'en tint pas compte.

- Ton père a eu un fils aussi lâche et répugnant que lui, qui m'a insulté pendant des années sur la prétendue impureté de mon sang ! Vous avez regardé des gens tuer et se faire torturer par plaisir ! VOUS AVEZ ASSISTÉ À MA TORTURE ET VOUS VOUS ÊTES TERRÉS DANS UN COIN COMME LES LÂCHES QUE VOUS ÊTES !

Des larmes de rage et de douleur au coin des yeux, elle releva sa manche gauche d'un coup sec pour dévoiler les mots à jamais gravés dans sa chair, comme un éternel fantôme sur ses pas.

Une lueur dangereuse brilla dans le regard de Malfoy et il l'imita en lui montrant sa marque des ténèbres, signe des mauvais choix qu'il avait été obligé d'effectuer.

Pendant quelques instants, les deux sorciers restèrent là, à se toiser avec un défi mêlant chagrin, colère, honte, agressivité, douleur et rancœur, les yeux bruns noisettes embrasés dans le regard bleu acier glacial, la cicatrice récoltée pour le bien face à la marque du mal, les cheveux bruns flottant tels un drapeau et les cheveux blonds platines soulevés par le vent, héroïne de guerre et mangemort.

A cet instant précis, tout les opposait en troublantes similitudes, mais c'est aussi à cet instant que tout les réunit.

Un brusque courant d'air tourbillonna violemment autour d'eux, les enveloppant dans un cocon de vent. Une lueur bleutée se diffusa tout autour d'eux.

La spirale attira Hermione et la ballota dans tous les sens. Elle se sentit emportée par une puissance supérieure au vent le plus déchaîné, qui la propulsait toujours plus haut.

Elle perdit tous ses repères lorsqu'un flash bleu l'aveugla.

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