Chapitre 14

10-10 baissa les paupières pour éviter d'être aveuglée. La lumière agressa ses prunelles pendant un court instant mais, elles s'accoutumèrent bien vite à leur nouvel environnement. Ses yeux aubergines épièrent les alentours et ses sourcils s'élevèrent d'eux-mêmes. Émerveillement. Surprise. Tellement d'émotions se bousculaient dans son regard. Vu du jour, le paysage sous yeux semblaient si ... vivants. Les couleurs des arbres, des feuilles, des herbes, tout paraissait plus gai. Le piaillement de quelques rares oiseaux lui parvenait vaguement, porté par la brise chaude qui semblait humer ses cheveux à plein poumons. Son regard se perdit dans le champ azur qui fleurissait au-dessus de sa tête. Si éblouissant, si pure et si léger, le bleu d'un ciel sans nuage était la plus belle chose qu'elle n'avait jamais vu.

Soudain, elle sentit une légère caresse sur sa joue. Aussi légère que le contact des doigts délicats d'un enfant au berceau sur sa peau. Ses yeux se portèrent vers la source de ce chatouillis et elle découvrit un minuscule insecte portant sur son exigu dos, une immense paire d'ailes aussi épaisse qu'une feuille de papier et aux couleurs chatoyantes. Ses pattes chatouillaient ses pommettes à mesure que ses ailes s'assemblaient et se détachaient.

Le vent chaud finit par avoir raison de sa détermination à découvrir sur sa joue, une quelconque pitence et il s'envola parmi les soupirs du vent. Les rayons du soleil ne brûlait pas son épiderme mais lui conférait une sensation chaude plutôt agréable. Sa vue s'égara vers l'horizon et elle constata avec surprise que sa tente se trouvait tout en haut d'une légère pente. Vue d'ici, les autres tentes paraissaient plus petites et la couleur verte de leur tissu manquaient de les faire confondre avec la végétation qui les entouraient. Que renfermaient ce camp ? D'autres papillons et paysages tout aussi vertigineux ? 10-10 souhaitait le découvrir. C'est d'un pas impatient qu'elle foula le sol parsemé d'herbes olives.

— Hey ma jolie ! Tu ne crois pas que c'est mal polie de fausser compagnie à son guide ?

Une voix provenant de derrière elle, neutralisa sa marche. Le corps de la non-élargie frémit. Prise d'un soupçon de panique, elle n'osa se retourner immédiatement. En se basant sur  intonations graves pourvues d'un léger accent, elle sût que c'était un homme. Mais étais-ce un rebelle ou quelqu'un qui voudrait, une fois de plus, attenté à sa vie ? Lentement, la jeune fille fit volte-face. La perspective que ce ne soit qu'un rebelle et la gentillesse qu'elle perçut dans son timbre, la rassura et accompagna son geste. Sa vision fut troublé un moment par ballant du champ de blé qui fructifiaient au-dessus de son crâne. Elle replaça ses mèches rebelles et son regard dériva vers un jeune homme brun assis, adossé à sa tente. Il se releva et lui lança un sourire éclatant.

L'homme avait l'air sympathique. Une silhouette élancée mais tout de même sportive, son teint était hâlé. La virilité de ses traits étaient accentués par la balafre qui lui barrait la joue droite et la barbe de quelques jours qui recouvrait sa mâchoire saillante. Ses épais cheveux bruns était maintenus en arrière par une sorte bandeau rouge sang, dégageant ainsi son front.

Pas à pas, le jeune homme se rapprocha d'elle. Sa démarche oisive mais assurée lui fit penser à celle du professeur Myrius. Néanmoins, la jeune fille restait sur ses gardes. Son identité n'avait pas encore été déclinée. Peut-être était-il vraiment quelqu'un qui devait lui faire visiter le camp. Après tout les rebelles n'étaient pas aussi bêtes. La laisser se promener à sa guise dans toute la zone zéro serait une folie ! Le risque de fuite était bien trop élevé.

— Vénos, pour te servir Lily, fit-il en mimant une révérence maladroite.

Évidemment, il avait eu vent du nouveau nom que lui avait donné Amandine. À combien de personnes la rousse avait-elle annoncé sa nouvelle appellation ? Beaucoup, sûrement. Au moins, le fait qu'il connaisse son nom rendait clair son identité : C'était un rebelle. Alors pourquoi quelque chose lui disait qu'il n'était pas... qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas dans son comportement.

— Dis-donc, tes yeux ont une couleur assez ... particulière.

Vénos se rapprocha un peu plus et 10-10 fut happé par ce qu'elle parvint à démêler dans son regard azurin. Le bleu de ses yeux transpirait d'une gentillesse sincère, d'une bonté innocente, d'un altruisme courtoise et de tant d'autres attributs qu'on ne pouvait retrouver que chez des enfants qui commençaient à faire leurs premiers pas. Tout cela contrastait avec le tableau qu'était la zone zéro. Cette nature détonnait tellement de cet endroit. Pourquoi le pensait-elle ? Elle n'en savait rien.

— Tes cheveux aussi, je n'ai jamais vu de blond aussi pâle... On dirait presque du blanc

D'emblée, la blonde sursauta arrachée à ses pensées. Lorsqu'elle sentit le brun aussi proche d'elle, elle émit un geste de recul. Vénos sembla comprendre son mouvement et retira quelques pas en s'excusant :

— Désolé, mon intention n'était pas de t'effrayer. J'ai tendance à agir bizarrement quand je suis fasciné.

Ça, elle l'avait compris. Tout ce qui lui importait à présent était de rejoindre le camp. 10-10 ne voulait plus attendre. Pas encore. Lasse, elle repoussa son regard vers le camp. Ses cheveux ébranlèrent encore un fois sa vue et elle s'empressa de les réajuster. Ils devenaient beaucoup trop longs, il fallait vraiment qu'elle pense à les couper. Comme s'il avait compris ce que cette longue œillade signifiait, Vénos reprit :

— Bien et si on y allait Lily ? Je te sens impatiente.

Les yeux de 10-10 s'agrandirent quelque peu sous l'effet de l'éclair qui déchira son regard, lorsque la solution lui parvint et glissa dans chacune de ses neurones. Vénos la craignait. Il avait peur d'elle. Bien qu'infime, elle l'avait perçu ; ce soupçon d'angoisse dans l'intonation caverneuse de sa voix. Une goutte de sueur roulait également sur son front et les poches de son pantalon garance dissimulaient des mains aux tremblements contenus. Le brun ouvrit la marche et commença doucement à emprunter le sillon plongeant qui allait vers le camp. La jeune fille le suivit. Les yeux rivés sur son dos, elle essayait de trouver la réponse à la question qui la chiffonait. Pourquoi Vénos la craignait-il ? Amandine, Célestin, le chef et le châtain — qui n'avait pas daigné lui donner son nom — ne semblait pas la redouter. Plus que ça, l'une la voyait comme une amie de longue date tandis qu'un autre la prenait pour l'une de ses futurs combattantes.

Étais-ce lui qui était bizarre de la redouter ainsi ou étais-ce les autres qui étaient bizarre de ne pas le faire ? Et puis, l'état piteux de ses vêtements, sa mine déconfite et son regard fatigué ne pouvait qu'inspirer pitié, non ?

— Am m'a parlé de ton mutisme. Je dois t'avouer que c'est la première fois que je parle à quelqu'un de muet, ça fait... bizarre.

Toujours cette même intonation hésitante. Pourquoi de forçait-il à parler ? C'était clair comme de l'eau de roche qu'il n'avait qu'une seule envie : déguerpir. Pourquoi avoir accepté de lui faire visiter, s'il avait peur d'elle ? Lui avait-on forcé la main ? Non, ça ne ressemblait pas au chef. Sûrement la curiosité.  Peut-être continua-t-il à parler pour la mettre à l'aise. Toutes ces questions muettes en tête, 10-10 écouta à peine le discours inutile de Vénos. Ils se rapprochaient de plus en plus du camp. La terre humide gémissait à chacun de leurs pas.

Vénos risqua une œillade vers elle et fût happé par son regard. Et Pas seulement à cause de la couleur aubergine de ses iris. Son regard ruisselait d'une curiosité maintes fois contenues. Ses yeux captaient le panorama et paraissaient l'acheminer à son cerveau qui en un souffle échouait sur ses lèvres, un magnifique sourire. Elle était plutôt belle mais, le brun savait que derrière ce joli minois se cachait quelque chose de ...

Il se sentit frémir.

Monstrueux.

Sans le savoir, 10-10 avait accéléré la cadence et marchait à présent aux côtés de Vénos. Celui-ci s'était tut. Tandis que la blonde avait hâte de rejoindre le camp, le brun semblait moins enthousiasme. Ses pas se firent plus lourds et ses épaules s'affaissèrent.

Qu'est ce qui se passait avec lui ?

D'un seul coup, sa bonne humeur était retombée.

Bientôt, les deux jeunes gens furent à l'entrée du camp. La route qu'ils avaient emprunté traversait, maintenant une sorte de barrière de haie qui semblait entourée le campement. 10-10 frissonna légèrement. De froid ou d'autre chose, elle ne le sut pas.

— Je sais que tu es impatiente de découvrir le camp. Mais ne te leurres pas. Il en existe bien d'autres, éparpillés dans les quatre coins de la zone zéro. Heureusement d'ailleurs ... Crois-moi Lily, celui-là est largement en dessous de tes attentes.

La blonde ne comprit pas totalement le sens de ses paroles. Peut-être avait-elle été trop absorbé par les tentes qui se dressaient, vu de loin, si fièrement. Elle ne retint que le débit triste se son guide. Dépourvu de toute peur. Envahi d'une infinie tristesse et peut-être d'un soupçon de haine mal éteinte ?

Machinalement, 10-10 avança. Au fil de son avancée, les habitations qui se dévoilaient à elle paraissaient se tenir gauchement. Bon nombre d'entre elles étaient d'ailleurs, rafistolées avec des morceaux de tissus en tout genre. D'autres encore plus délabrées, s'étaient tout bonnement effondrées. Comparée à celles-là, la tienne avait tout d'un palace. Une étrange effluve morbide imprégnait les lieux et le cœur de 10-10 pompait d'appréhension. Un léger goût aigrelet naquit dans sa gorge et comprima son coeur lorsqu'elle constata que les habitants faisaient aussi peines à voir que leurs demeures.

En effet, les plus âgées gisaient sur le sol à demi-conscient ou endormis. Ceux qui avaient la force de garder leurs yeux ouverts fixaient le ciel, le regard hagards. Certains, les joues creusées par la faim, erraient sans but. Du plus jeune au plus petit, tous étaient aussi maigres que des clous, si ce n'étaient plus. Les femmes murmuraient des propos s'apparentant à des prières tandis que les hommes coulaient des larmes silencieuses. Seuls, les regards des enfants — lorsqu'ils ne gisaient pas sur le sol, inconscients — entretenaient une once d'espoir.

10-10 observait en spectatrice muette, la scène qui se déroulait sous ses yeux. Ses jambes refusèrent de la porter plus loin. Ses narines respiraient à grosse goulée l'odeur macabre du sang, de la sueur, de la crasse, du désespoir et de la mort. Toutes les cellules de son corps paraissaient pétrifiées. Personne ne faisaient attention à elle. Aucun regard ne s'était posé sur elle. Et pourtant ... Elle sentait des centaines de mirettes la transpercer telles des dares glacés. Son corps, son âme et son esprit n'en pouvait plus de contempler cette scène morbide. Seuls ses yeux, encore avides d'admirer plus d'horreurs au plus grand dame de son coeur, continuait son inspection hardi.

Devant elle, des enfants étaient entassés dans une tente délabrée. Sûrement pour se donner un peu de chaleur. Chose que les haillons qu'ils revêtaient, ne leur conférait pas. À sa gauche, une femme rendait ses poumons, sa poitrineq secoué par une toux revêche. Des enfants tremblaient le grelot. Des hommes se grattaient à s'en arracher la peau. Et tous, continuaient inlassablement de murmurer. Encore et encore.

Que marmonnaient-ils ainsi ?

Des plaintes ? Des jérémiades ? Des prières ? Oui, des prières. Pourtant, un seul nom revenait frénétiquement. Le nom d'un Dieu. Et ce n'était pas celui d'Ymiris.

Une rage muette lui hérissa les poils du dos l'entendant. Ce nom, ce dieu qu'on lui avait appris à détester. Mais ce sentiment fut bientôt étouffé à l'entente de ses gémissements contenues, à sa gauche.

Ses jambes se dirigèrent d'elles-mêmes, vers cette voix. Assise au sol, le dos reposant contre une tente partiellement déchirée, une femme serrait quelque chose contre son sein. Les mots qu'elle plasmodiaient, étaient aussi légers que la brise qui chatouillaient ses pointes brunes. Cette femme aurait pu être belle. Si ses cheveux bruns avaient été moins emmêlés et crasseux, si les halos noirâtres sous ses beaux yeux avaient été absents, si ses lèvres fines avaient été moins gercées, si ses joues avaient été moins creuses, si son visage avait été moins fangeux. Oui, elle aurait été sublime. Doucement, elle allait et venait. Son regard gorgé d'angoisse examinait les environs.

Que redoutait-elle ?

Les yeux rivés vers la masse que la brune serrait contre elle, 10-10 avança et se baissa. C'était là qu'elle le vit. Un petit enfant, les yeux clos et la joue écrasée contre le sein de sa mère se trouvait dans ses bras. Sa peau était anormalement pâle. Poussée par elle-ne-savait-quoi, la non-élargie tendit la main. Elle souhaitait le toucher. Brusquement, une douleur aiguë lui parcourut le poignet alors qu'elle sentit des choses pointues perforées sa chair. Elle étouffa le cri qui voulut germer dans sa gorge, en constatant que la mère avait planté ses dents dans son épiderme. Le sang s'échappait à flots dans les cavités créées et se faufilait entre les dents de son assaillante, atterrissant dans sa bouche.

Qu'est ce que cette femme faisait ? Qu'est ce qui lui prenait ?

10-10 n'avait que la force de penser. Toutes sortes d'émotions se bousculaient dans sa tête. C'était sûrement la cause de sa soudaine paralysie. La lueur assassine qui brillait dans son regard lui donnait des frissons. Dans ses yeux bleus rendus ternes par la fatigue, on lisait la fureur et le désespoir d'une mère qui plongeait dans ses dernières forces pour protéger son enfant. L'odeur de l'hémoglobine remontait avidement à ses narines et lui donnait la nausée.

Qu'elle arrête !Qu'elle arrête ! Qu'elle me lâche, s'égosillait son for intérieur.

Brusquement, n'y tenant plus, ses jambes ployèrent sous son poids. Et la brune, profitant du fait que 10-10 se trouvait encore plus à sa portée, encra plus encore ses dents dans sa chair délicate. La jeune fille contenue difficilement le second cri que sa gorge lâcha sous l'effet de la douleur. Ses paupières se barricadèrent d'elles-mêmes lorsque l'algie se répercuta dans tout son bras. Sa poitrine se comprima si fort qu'elle entendit l'un de ses os craquer et son coeur suffoquer.

Pourquoi avait-elle aussi mal ? Pourquoi elle ne pouvait pas bouger ? Pourquoi sentait elle la commissure de ses paupières s'embrumer sans raison ? Pourquoi son coeur lui faisait aussi mal ? Elle avait déjà ressenti plus vive douleur alors pourquoi celle-là lui faisait ça ... ?

Soudain, le bruit sourd d'un impact et un râle de douleur grave parvint à ses oreilles, brisant le cumul de questions qui menaçait de surgir dans son esprit. Au même moment, la mâchoire de la femme délaissa son épiderme et 10-10 se sentit soulever et tirer en arrière. Les jambes tremblantes, elle faillit retomber au sol mais deux bras la retinrent et collèrent son dos à un torse dur. Qu'est ce qui c'était ? Est-ce que c'était fini ?

— Est ce que ça va ?

Vénos ! Elle ne fut si jamais heureuse d'entendre la voix d'une personne de sa vie. Sans exagération. Les battements affolés de son coeur se calmèrent et doucement elle ouvrit les yeux. Immédiatement, l'homme se plaça devant elle et saisit son poignet. Il grimaça en voyant la plaie et le sang qui s'y écoulait. Le liquide écarlate traçait des sillons sur sa peau pâle et se laissait absorber par la terre humide.

— Tss ! Tu saignes beaucoup. Attends.

Le guide retira son bandeau laissant une vague de cheveux bruns, noyer son visage. Il ne s'en soucia pas. La culpabilité suintait à chaque pore de sa peau et 10-10 la percevait à travers le tchador de mèches qui voilaient son regard. Une rage profonde tournée vers lui-même. L'homme enroula le tissu autour de plaie en un bandage improvisé. Le liquide carmin avait fini de maculer ses grandes mains et son T-shirt marron délavé. Pourquoi l'avait-il laissée s'éloigner ? Pourquoi n'était-il pas rester près d'elle ?

— Ça va ? J'ai pas trop serré ? Tu n'as pas trop mal ?

10-10 secoua la tête.

— Bien. Je suis d'avis qu'on écourte la visite. Je crois que tu en as assez vu pour aujourd'hui, tu es d'accord ?

La jeune fille secoua promptement la tête. Le timbre de Vénos était doux, presque réconfortant. Toute trace d'angoisse ou d'amertume avait disparu dans sa voix. Doucement, elle le suivit le regard absorbé par ses souliers usés. Son poignet meurtri en main, elle tentait d'oublier la figure assassine de la mère et d'effacer son regard déformé par la rage. Tout en tâchant bien sûr d'oublier les centaines  d'autres braqués sur elle.

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Salut à tous ! Comment vous allez ? Bien j'espère. Nouveau chapitre, pas du point de vue de la sphère cette fois-ci. Et bien parce que je dédie ce chapitre à HinakaUmi une auteure d'exception qui vaut la peine d'être lu ! Bonne lecture, j'espère que tu es ravie !

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