Chapitre 13
Trois jours avaient passés. Trois jours que 10-10 n'avait senti l'air frais du dehors, happé sa figure. Trois jours passés à farfouiller et creuser sa cervelle dans l'espoir, de trouver un plan fastidieux pour quitter cet endroit. Trois nuits que le poids de la fatigue n'avait pu lester ses paupières éreintées. La non-élargie était bien trop préoccupée pour dormir. Heureusement, le manque de sommeil ne se faisait sentir que par de légers maux de tête et de vagues vertiges. Rien de bien grave en somme.
Assise sur son duvet, placé dans un coin de la tente, la blonde faisait le point de sa situation. Il ne lui restait plus que cinquante trois jours pour filer d'ici, soit le délai que lui avait accordé le chef. Elle était rapidement venue à la conclusion qu'elle ne pouvait s'enfuir sans connaître l'endroit où elle se trouvait, au risque de se perdre. Alors pour avoir un aperçu des lieux, il fallait qu'elle sorte, à contrecœur, de sa tente.
Cette idée ne lui plaisait pas. Mais si elle voulait avoir une chance de remettre, un jour, les pieds dans la sphère il fallait qu'elle mette de côté ses petits caprices. La jeune fille avait eu l'idée, lors de sa précédente nuit d'insomnie, de revêtir à l'instar de quelques patrouilleurs de la sphère, de larges voiles sombres pour protéger sa peau des rayons du soleil. Elle aurait sûrement chaud mais, elle devrait faire avec.
Mais comment allait-elle faire part de son idée aux rebelles qui semblaient ne pas en avoir.
Et puis zut !
Elle avait l'impression que les "comment" s'incrustaient dans sa tête, se faufilaient dans son cerveau, se terraient dans un coin et attendaient le moment où elle se sentait délestée pour s'imprimer en lettres capitales devant ses yeux.
10-10 fourragea ses cheveux blonds déjà emmêlés et couverts de poussière, puis ramena ses jambes contre son buste. Dans la sphère, elle avait pris pour habitude de brosser sa chevelure chaque matin. Mais elle n'était plus dans la sphère. C'était pour ça qu'ils étaient en si mauvais état.
La jeune fille se mordit les lèvres.
D'une main, elle tâtonna son duvet. Il avait tout à envier à son lit. Le confort de ses draps et la douceur de son oreiller lui manquaient terriblement. Mais ils étaient dans la sphère et elle n'était pas là-bas. C'était peut-être pour ça qu'elle n'arrivait pas à trouver le sommeil.
10-10 serra les dents. La jeune fille sentit sa poitrine se comprimer et ses épaules s'affaissées. Son chez-soi lui manquait. Sa famille lui manquait.
* Oh ! Ymiris aidez-moi*
10-10 se sentait à bout physiquement comme mentalement. Surtout mentalement. Ses nerfs étaient sur le point de lâcher, son cerveau criait la surchauffe, sa volonté s'en trouvait diminuer. *elle* l'avait même confondu à Mailly. Cette soigneuse ne pouvait pas être elle. Le manque de sommeil commençait à lui jouer des tours.
Il fallait qu'elle soit forte.
Cette affirmation sonnait mollement à ses oreilles.
Pourquoi elle devait partir d'ici déjà... ?
Soudain, quelqu'un pénétra la pièce. 10-10 ne leva même pas la tête. Elle savait déjà de qui il s'agissait et sa présence suffisait à la mettre à cran.
— Tiens.
Le jeune garçon posa le plateau au sol et butta son pied contre. Le morceau de bois rafla le sol en un bruit rauque, avant de heurter la pointe des pieds de 10-10 qui ressenti une douleur aiguë, allégée par ses souliers, pendant un court instant. Elle lança une œillade hargneuse au rebelle. Les mains dans les poches, ses yeux noirs étaient rivés vers la sortie. Il était impatient de sortir d'ici. Mais comme d'habitude, il devait s'assurer qu'elle se soit bien sustenter. Ce qui semblait beaucoup l'irriter.
Décidément, ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait faire preuve de délicatesse avec elle.
Sa poitrine se souleva légèrement sous l'effet du vague soupir qu'elle émit. Ses yeux se perdirent sur le plateau de bois à ses pieds et inspectèrent son contenu avec grande lassitude. Un verre d'eau à moitié vidée par le voyage de son porteur au sol et une miche de pain y reposait. À la vue de ce maigre repas, de nouvelles sensations s'éveillèrent en elle. Immédiatement, la cavité qu'avait creusée la faim dans son estomac demanda à être colmatée. Même si ses lèvres demeuraient closes chaque jour ici sa gorge s'était asséchée par le climat houleux et l'air chaud et à présent n'avait rien à envier au désert du Sahara. Heureusement, la tollé que produisait son ventre érodé demeurait imperceptible pour le rebelle.
Avec hargne, 10-10 saisit le pain qui fût ingurgité en trois bouchées. Le verre d'eau fût le suivant, elle le but d'une traite. Néanmoins, cette malingre collation ne suffit pas à combler pleinement son estomac et à désaltérer complètement sa gorge. Sans le savoir, elle leva des yeux fatigués vers le rebelle qui sentant son regard l'observa du coin de l'œil avant de débiter :
— Ne me regardes pas de cette façon là. Tu ferais mieux de t'y faire, si la nourriture ne te suffit pas. Cette ration ne changera pas jusqu'à ce que tu rejoignes nos rangs.
La blonde faillit s'étrangler avec le peu d'eau qui subsistait dans son gosier si ce n'était, quelques millilitres de salive que sa gorge aride arrivait encore à produire. Alors comme ça, elle n'en aurait plus que si elle devenait soldat ! Elle qui croyait que cette faible ration n'avait pour but que de lui faire passer le pire séjour possible, elle était dépitée. Ils la prenaient par la faim. Dommage pour eux, elle était bien plus résistante qu'ils le croyaient. Elle pouvait maintenir ce rythme de vie encore quelques semaines tout au plus.
Ses idées devinrent tout à coup plus claires. Comment avait-elle pu baisser les bras, même si ce n'était que pendant quelques secondes ? Comment avait-elle pu renoncer à la sphère ? Comment avait-elle pu abandonner l'idée de rejoindre sa famille ?
10-10 glissa un regard en direction du châtain. La possibilité qu'elle rejoigne les rebelles semblait beaucoup le courroucer. Elle l'avait ressenti dans la manière acerbe dont il avait craché ses mots. De toute façon il ne l'avait pas en coeur. En effet, il ne venait la voir que pour lui apporter à manger, une fois par jour, s'assurait qu'elle se soit bien sustenter et s'empressait de s'en aller sans prononcer un mot.
Il ne l'aimait pas. Tant mieux, c'était tout à fait réciproque.
Tant qu'il n'essayait pas de lui trancher la gorge à chaque mouvement suspect, comme réagissait Célestin, elle n'avait que faire de lui.
De plus, qu'est ce qu'il faisait encore planté là ? C'était le moment où il était censé s'en aller. 10-10 l'observa un moment pendant qu'il semblait chercher quelque chose dans les poches de son jean.
Quelques mèches de sa chevelure hirsute et châtaigne couvraient son front et certaines camouflaient gauchement son œil droit. Sa peau passablement pâle tirait sur le brun. Sa haute taille et sa silhouette athlétique lui conférerait sûrement des airs d'adultes, si son regard enfantin, ses gestes souples et ses joues enjoliveuses ne les dominaient pas. Il devait avoir entre 15 et 16 ans, soit l'âge de la non-élargie. En somme, il était banale. La seule chose qui lui conférait ce magnétisme poignant était ses yeux. Ses iris étaient aussi sombres qu'une nuit sans lune. Ils exposaient une noirceur indéfinissable, profonde et attirante qui contrastait beaucoup avec l'aura peut-être délicate que le rebelle dégageait.
— Ah ! Il était là, marmonna-t-il.
Le jeune garçon inspecta, soulagée, un minuscule bocal transparent au contenu douteux. En effet, c'était une sorte de liquide épais avec une légère teinte de rose. Mais qu'est ce qu'il comptait faire avec ? 10-10 ne pu se poser plus de questions que déjà l'objet fut propulsé à une vitesse folle vers elle. Elle eut tout juste le temps de le rattraper avant qu'il n'atteigne son front.
Ses muscles se détendirent.
Super ! Maintenant le jeune garçon voulait l'assommer avec ça. Leur relation s'améliorait grandement.
— Cette lotion est à enduit sur tout le corps. Ça t'éviteras de rôtir au soleil.
La blonde le fixa un moment, interdite. Le doute l'accaparait. Une voix lui soufflait que les tendances meurtrières de Célestin commençaient à déteindre sur lui et qu'elle devait se méfier de cette dite lotion. Bien que l'idée fusse saugrenue, elle avait une part, bien qu'infime, de vraie car, rappelons-le, le châtain avait été tout sauf sympathique avec elle ses derniers jours et à bien observer l'idée de la savoir morte ne semblait pas lui déplaire. Peut-être que la faim la rendait paranoïaque mais il était hors de question qu'elle lui fasse confiance sur ce coup.
— Ça vient de Mailly.
Comme s'il avait perçu l'éclair de méfiance qui déchirait le regard aubergine de la non-élargie, il avait ajouté cela sur un ton agacé. Visiblement, il avait conscience de ne pas être plus apprécié de son côté et ce n'était pas 10-10 qui allait s'en plaindre. Au moins, les choses avaient le mérite d'être claires.
10-10 n'était pas là pour se faire des amis.
À la suite de leur petite altercation, le châtain quitta la tente au plus grand contentement de la non-élargie. L'ambiance s'était allégée de suite après son départ. 10-10 se tint sur ses pieds. Ses membres s'étaient engourdis à force d'être restée assise et c'est donc naturellement qu'elle s'étira longuement. Elle lança un dernier coup d'œil à la pommade avant de s'en étaler sur le corps. Elle n'avait pas l'air nuisible de plus, ça venait de Mailly alors elle n'avait aucune crainte à avoir. Sans qu'elle ne sache pourquoi, elle voyait en Mailly une personne emplie de bonté et de gentillesse. Peut-être parce qu'elle lui ressemblait.
La blonde recouvrit toutes les parties de son corps que ses vêtements ne cachaient pas. Elle ne savait pas pendant combien de temps elle allait devoir sortir d'ici, ni si combien de temps il fallait à Mailly pour préparer cette mixture ou bien s'il elle le pouvait encore alors mieux valait ne pas en gaspiller. Au fur et à mesure qu'elle l'étalait sur sa peau, une douce effluve s'infiltrait dans les cavités de son nez et venait bercer son corps. Le même parfum qu'elle avait senti sur le châtain la première fois qu'ils s'étaient rencontrés. Alors comme ça se n'était pas lui qui dégageait cette odeur particulière mais cette pommade. L'utilisait-il aussi ? La jeune fille secoua la tête. Elle ne souhaitait même pas se retourner la tête avec lui. Beaucoup trop de choses plus importantes occupaient ses pensées pour s'encombrer.
Lorsqu'elle arriva à sa main, son regard remonta le long de sa manche, jusqu'à percevoir sa chemise maculée de boue et puante de sueur. Depuis son arrivée ici, elle n'avait pas encore eu l'occasion de prendre un bain et de changer de vêtements. Maintenant le besoin de se sentir à nouveau propre et fraîche se faisait sentir. Le problème devrait être réglé maintenant qu'elle pouvait sortir.
10-10 se dirigea vers la sortie. Puis, caressa mollement le pan de tissu vert qui la séparait du dehors. La préservait de la zone zéro. Qu'est ce qui l'attendait à l'extérieur ? De nouveaux soucis à inonder son cerveau ? De nouvelles rencontres aussi insupportables que les précédentes ? Des par pratiques incongrues ? De nouveaux ennemis ? Elle se trouvait aux portes dun nouveau monde. C'était fou. Elle avait encaisser tellement de modifications, changements en un seul coup qu'elle se sentait encore fébrile. Elle n'arrivait pas à assimiler tout ce qui se passait autour d'elle. La non-élargie appréhendait ce qui allait se passer les jours suivants. La seule chose qui la maintenait debout, l'empêchait de vaciller et l'aidait à ne pas flancher était l'espoir de retrouver les siens.
Mais elle sentait qu'il y avait autre chose, une force qui la poussait à franchir ce bout de tissu, qui lui grignotait les membres et faisait frémir son estomac.
L'impatience... de ... ? De découvrir ce nouveau monde qui s'offrait à elle.
Ce lieu loin de la monotonie de la sphère lui tendait les bras, pourquoi le repousser ? Ici, elle n'avait pas besoin de dissimuler sa soif de connaissance, de faire semblant de ne pas être intéressée par tous ce qui se passait autour d'elle. La curiosité était humaine et pour la première fois depuis des années, elle se sentait entourée par des personnes comme elle. Humaines.
Elle ne risquait plus d'enfreindre une règle de la sphère. La sphère était loin derrière elle. La non-élargie ignorait ce qu'il lui arrivait mais elle se fichait complètement de toutes les lois que pouvait régir la sphère, à cet instant. Tout ce qui comptait à présent était de sortir, découvrir, explorer, connaître.
Et c'est d'un geste presque rageur qu'elle balaya le bout de tissu, admirant ce monde qu'on avait toujours refusé. Jusqu'à maintenant.
Et pourtant l'espoir de retrouver les siens, la haine qu'elle éprouvait pour les rebelles et le culte qu'elle vouait à Ymiris demeuraient vautrés dans les méandres de son inconscient.
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