7.New York, Brooklyn
New York, Brooklyn √
11 h 30
Emma était assise sur un banc dans le « Brooklyn Bridge Park » et, tout en admirant l'architecture du célèbre pont, elle mangeait silencieusement un hot-dog dégoulinant de moutarde et de ketchup. Elle pensa que c'était légèrement cliché mais une fois la première bouchée, elle se dit qu'elle avait bien fait d'acheter ce petit pain.
Son estomac émettait un énième grognement plaintif. C'était sans doute le froid qui lui donnait l'envie de manger. En effet, depuis ce matin étaient tombés sur New York, un épais brouillard accompagné d'une pluie fine. Le parc était presque désert, mis à part le vendeur de pop-corn et de hot-dogs qui criaient à des personnes invisibles ce qu'il vendait. Apparemment, les New-Yorkais et les touristes préféraient assister à des spectacles musicaux ou se rendre aux différentes expositions afin d'éviter les aléas de la météo. Emma, même si elle sentait le froid s'immiscer entre ses vêtements, se trouva ingénieuse de ne pas avoir fait comme tout le monde. Elle pouvait ainsi contempler la ville de New York sans que des gens pressés ne la bousculent.
Par ailleurs, ses yeux ne cessaient d'être émerveillés par la beauté du lieu désert. Derrière elle, une immensité d'herbe verte, n'ayant jamais été foulée, s'étendait et quelques arbres, coincés entre des piquets, avaient déjà perdu leurs belles feuilles colorées. Face à elle se trouvait le pont, immense et impressionnant avec ses piliers voûtés qui apparaissaient entre la brume. Elle connaissait l'histoire de ce pont et elle savait aussi qu'il était célèbre pour ses suicides. En dessous coulait l'East River, fleuve gris et calme qui ajoutait au pont un charme particulier.
Emma se leva du banc et flâna un peu dans le parc, remarqua quelques écureuils téméraires aux couleurs chatoyantes et de petits oiseaux timides qui tremblotaient à chaque coup de vent. Puis elle sortit du parc et regagna la rue. Il y avait plus d'animations. Quelques personnes bravaient le froid et se dirigeaient prestement dans des cafés déjà bondés ou se réfugiaient dans leur bureau. Emma aurait aimé savoir où elle pourrait aller mais elle n'avait pas d'idées. Elle ne pouvait pas compter sur son frère qui était au travail, ni sur Pamela qui, croyait-elle, suivait déjà des cours pour devenir une superbe future maman. Emma entra dans une bouche de métro et prit une direction au hasard. Elle irait où le train l'emmènerait.
La rame était bondée comme à son habitude. Il lui sembla qu'elle se trouvait à Paris, coincée entre deux personnes dans le métro, attendant impatiemment une station. Plus les noms défilaient, plus les personnes se faisaient rares. Au bout d'une dizaine de minutes, elle put s'assoir et put même lire le journal car un individu l'avait oublié sur un siège. Elle le feuilleta rapidement. Les termes en anglais ne la génèrent pas : elle avait l'habitude de lire des articles en anglais. Dans son enfance, elle avait dû lire plus de romans anglophones que de romans français ce qui avait été un avantage pour apprendre l'anglais et rentrer ainsi dans une compagnie aérienne. Parler plusieurs langues était vivement recommandé.
Emma sortit du métro à la dernière station de la ligne. Elle ne savait pas où elle se trouvait mais peu lui importait : elle aimait découvrir d'autres facettes de la ville de New York. Pour la énième fois, elle resta admirative devant les bâtisses immenses, les immeubles de verre, les magasins animés. Elle entra dans un centre commercial pour contempler plus attentivement ce que les Américains vendaient à l'approche des fêtes de Noël. Elle passa au rayon des parfums puis dévia vers le fond du magasin. Bientôt, elle se retrouva coincée dans les rayons surgelés. Le monde était tel qu'on n'avançait que lentement. Elle entendit les gens qui s'énervaient, qui s'insultaient tout en tenant dans leurs bras de gros paquets emballés de papier cadeau. Les enfants jouaient dans le magasin, courant de partout sauf quelques-uns qui tenaient gentiment la main d'un de leur parent. Emma remarqua qu'elle était dans la queue pour voir un monsieur déguisé en père Noël. Elle partit vite, sous les yeux furibonds de certaines personnes. Noël était sensé être une fête joyeuse et pourtant, la vérité se trouvait dans les rayons où des individus se battaient pour acheter le dernier bateau pirate ou la célèbre poupée Barbie.
Pour échapper à ce chaos, elle se réfugia dans une vieille librairie.
Elle crut retourner dans le passé. La cloche tinta quand elle poussa la porte en bois et les vendeurs se pressèrent pour la saluer. Elle leur retourna un sourire avant de laisser ses yeux se déposer sur les antiques étagères qui supportaient les livres. La boutique était décorée avec goût : on retrouvait de longues guirlandes bariolées accrochées à chaque extrémité des étagères, un immense sapin de Noël avait été positionné à l'entrée et de magnifiques boules colorées scintillaient sous un lustre ancien. Les baffes, installées un peu partout dans le magasin, diffusaient de la musique en rapport avec les fêtes de Noël. On n'entendait plus le vendeur du magasin d'à côté, informer la clientèle des promotions et des remises sur les dindes, les marrons et les gâteaux à la citrouille mais juste des cantiques.
Emma s'approcha des étagères et observa les couvertures des romans. Elle voulait trouver un cadeau pour Pamela et son frère mais elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait lui offrir. Finalement, un livre lui sauta aux yeux et elle le mit dans son sac. Elle venait de trouver un cadeau. Pour son frère, c'était différent. Emma avait pourtant partagé son enfance avec lui, elle ne savait toujours pas ce qu'il appréciait. Elle se renfrogna à l'idée de lui offrir un flacon de parfum ou une cravate : cadeau trop peu original.
Elle paya le livre, sortit du magasin et retrouva la voix nasillarde du vendeur. Elle voulut retourner dans la boutique de livres mais il était déjà tard. Elle avait passé un temps fou dans les rues de New York. Finalement, elle n'acheta rien à son frère. Elle pouvait toujours dénicher quelque chose à la dernière minute.
Une fois sortie du centre commercial surchauffé, elle fut prise dans la foule qui se pressait dans les rames de métro. Elle n'immergea du flux que vingt minutes après, quand elle fut rentrée chez son frère. Elle se laissa choir sur le canapé et retrouva avec délice ce qu'on appelle la paresse. Elle était exténuée de sa journée et quand elle ferma les yeux, elle entendait encore le brouhaha de la population new-yorkaise.
New York, Manhattan
Dans un building, 21 h 10
Dave se mit dos à son bureau et put ainsi contempler New-York qui s'étendait sous ses pieds. Il était assis sur un fauteuil en cuir, ses pieds posés sur la table basse devant lui. La nuit avait englouti la ville quelques heures auparavant, l'obscurité tombant très tôt durant la période hivernale. Dave n'aimait pas rentrer chez lui quand les rues étaient déjà plongées dans la pénombre et que le froid s'immisçait sous la couche épaisse de ses vêtements. L'été non plus ne lui convenait pas. Il fallait qu'il porte des chemises quel que soit le temps parce qu'en tant qu'entrepreneur, il se devait d'être habillé élégamment. Son bureau se trouvait dans le premier arrondissement de New York ce qui correspond à Manhattan. Pour avoir une vue aussi surprenante, il travaillait au 62ème étage d'un building en verre portant son nom. C'était une tour impressionnante de plus de 80 étages qui surplombait la ville sans difficulté. Pour Dave, c'était un bonheur de travailler ici sauf l'été où le soleil tapait tellement fort sur les parois vitrées que la chaleur devenait vite insupportable. Même le climatiseur ne pouvait rien faire. Dave, durant ces périodes d'extrêmes chaleurs, descendait à la cafétéria, commandait un thé glacé tout en planchant sur des documents.
Ce soir-là, Dave se sentit nostalgique. Il repensait à son enfance. Il n'était pas new-yorkais. Il était né dans une ferme, au milieu du Texas alors que la température frôlait les 40 degrés. Il était le second de la famille Sherley, sa sœur étant née deux ans auparavant.
Alors que Dave n'avait que quatre ans, ses parents avaient déménagé dans l'état de Washington, à Seattle. Dave n'avait jamais compris ce changement et depuis sa petite ville natale lui manquait.
La famille Sherley avait toujours vécu aisément. L'argent n'avait jamais été un problème et ne le serait jamais. Leur fils avait réussi sa vie, le père de Dave était dans le parti républicain, il passait ses journées à rédiger un livre. Quant à sa mère, Dave pensait qu'elle devait être fort occupée à tenir la superbe maison qu'ils avaient achetée il y a à peine deux ans et qui possédait presque autant de salles que la Maison Blanche. La jeune femme qui lui servait de sœur portait le nom de Lily et avait toujours été la préférée de la famille mais Dave n'avait jamais été jaloux d'elle : lui aussi avait été sous son charme. C'était une fille pleine de vie qui passait ses journées à lire des romans d'amours, à jouer des morceaux tendres et déchirants sur le piano et surtout, la seule à tenir tête à son père quand il s'agissait de la politique. Même si ses tendances politiques déviaient vers le parti démocrate (alors que celui-ci vouait un culte pour le parti républicain), son père ne l'avait jamais reniée et lorsqu'elle les avait quittés, elle n'avait jamais cessé d'être dans leur esprit. Constamment, elle le hantait sous plusieurs formes.
Combien de temps ne leur ai-je pas parlé ? Se demanda Dave. Il se détourna de la vue et reprit son travail avec plus d'ardeur. Il plancha ainsi plus d'une heure sur ses documents avant de les ranger dans sa serviette et d'éteindre les lampes de son bureau. Il verrouilla sa porte avant de prendre l'ascenseur. La descente fut silencieuse et il écouta encore la musique qui était diffusée dans les baffes. Puis il salua le gardien de nuit et rentra à pied chez lui. De toute façon, il n'habitait pas si loin.
Le froid s'introduisit dans ses vêtements et il s'amusait à souffler dans ses mains pour les réchauffer. Il remonta le col de son manteau, enfonça ses mains dans la profondeur de ses poches et courut sur le chemin. Il regretta de ne pas avoir appelé James pour qu'il le ramène chez lui. Il pensa à la voiture surchauffée et aux sièges en cuir où il aurait pu s'endormir. Finalement, il arriva chez lui quinze minutes plus tard alors que la lune brillait au-dessus d'une ville encore animée. Doucement, il déverrouilla la porte d'entrée et déposa ses clés et ses vêtements chauds dans la penderie. Avant de s'enfermer directement dans sa chambre, il vit de la lumière qui apparaissait sous la porte de chambre de Daisy. Il se demanda ce que cela pouvait signifier ; il était tard. Doucement, il entra dans la pièce et vit Lise qui bordait la petite fillette aux longs cheveux foncés. Des milliers de questions surgirent au même instant dans sa tête. Il se sentit frissonner de peur.
« Que s'est-il passé ? » Dave avait beau passer pour quelqu'un de brave, il ne pouvait cacher l'effroi qui se devinait dans sa voix.
« Avez-vous oublié que vous deviez l'emmener au cinéma ? » Lui demanda Lise et il émit un son. Bordel, il avait complètement oublié ! Il avait passé sa journée à s'occuper des problèmes qu'il rencontrait –pas des problèmes majeurs mais qui se devaient d'être résolus. Il se prit la tête entre les mains et s'insulta.
« Bordel ! » Il cria mais le visage de Lise l'empêcha de continuer sur des propos qui ne devaient pas être entendus par une fillette de l'âge de Daisy. Il essaya de trouver du réconfort dans le regard de la vieille dame. Il ne vit que de la compassion percer dans les yeux fatigués et que du chagrin sur son visage ridé. Ses mains, qui caressaient avec tendresse les cheveux de la fillette, tremblaient, s'agitaient. Il n'avait jamais vu Lise comme une damé âgée et pourtant ce soir-là, il la trouva plus vieillie que jamais. Il remarqua pour la première fois des rides au coin de ses yeux doux, des taches brunes sur les tempes. Il ne l'avait jamais vraiment regardée. Il se sentit vidé, plus triste encore.
« Je ne pourrais jamais la remplacer, n'est-ce pas ? » Il chuchota et Lise se remit debout avec peine, les articulations quelques peu rouillés craquant sous l'effort et se dirigea vers la porte avant de lui apporter une réponse.
« Vous ne pourrez jamais remplacer sa mère, Mr. Sherley » Il aurait préféré qu'à cet instant, Lise l'appelle Dave pour que la conversation soit plus privée. Il se sentait sans cesse comme le capitaine du navire, un capitaine exigeant et distant. « Mais vous pouvez essayer d'être le père qu'elle n'a jamais eu » Sur ces mots, elle disparut dans le couloir et Dave écouta les petits pas qu'elle faisait, ses talons minuscules claquant sur le parquet. Il resta un instant au chevet de la petite fille en se demandant s'il existait dans ses gènes, un instinct paternel qui aurait pu l'aider à mieux élever Daisy, à être plus présent pour elle. Durant toutes ces années, il n'avait été présent pour personne.
Ce soir-là, quand il s'éclipsa dans sa chambre, il ne pleura pas. Le remords s'était emparé si fort de sa personne que les larmes ne purent couler. Il ne dormit pas. Il veilla jusqu'à ce que son corps ne puisse plus rien supporter, il veilla jusqu'à épuisement.
Comme d'habitude, n'hésitez pas à commenter, à voter et/ou à partager mon histoire :) xx
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