35. Auvergne


Auvergne, √

16h47

L'eau de pluie dégoulinait sur son visage, coulait par petites gouttes dans son cou et la glaçait. Si elle avait espéré la pluie quelques jours plus tôt, maintenant elle désirait ardemment une éclaircie, mais au loin les nuages semblaient vouloir rester gris et ténébreux. La terre autrefois sèche était devenue boueuse sous les bottes d'Emma. Il fallait que cette dernière lève les pieds très haut pour empêcher ses chaussures de rester empêtrées dans la gadoue.

Quel sale temps pour réparer une clôture ! pensait-elle mais c'était nécessaire pour éviter que les vaches n'aillent pas trop loin dans le pré. Elle grommelait tout bas en essayant de planter correctement un piquet en bois ce qui fut chose simple dans la terre meuble. Tandis qu'elle grelottait presque sous l'eau, les vaches semblaient la regarder moqueusement, mâchonnant une herbe redevenue verte. Dire qu'elle pourrait être au sec ! Pourquoi diantre avait-elle accepté de faire un tel travail ? Elle s'y connaissait à peine en réparation de clôture ! Voulait-elle se prouver quelque chose ? Elle savait pertinemment bien pourquoi elle était là, sous la pluie, les cheveux dégoulinants, collant à ses joues. Elle aurait pu être à New York ou à Paris mais elle était au fin fond de l'Auvergne avec pour seule compagnie des vaches moqueuses ! Elle fulminait vraiment, elle injuriait Dave intérieurement de l'avoir indirectement poussée à venir se réfugier ici. C'était un peu comme si elle avait le devoir de se retirer du monde après avoir goûté à ses délices. Le goût amer de la défaite, de la trahison en bouche.

La jeune femme détestait l'état dans lequel elle se trouvait. C'était étrange et inconnu comme si tout ce qui se déroulait autour d'elle ne l'atteignait pas, comme si sa douleur était sa compagne quotidienne. Tout lui semblait dérisoire dorénavant, et même si elle maudissait son constant abattement, elle avait épuisé toute sa volonté et sa détermination à force de pleurer et de souffrir.

Un éclair zébra le ciel faisant sursauter la jeune femme qui se retrouva à même la boue, position plutôt inconfortable. Sa blouse de travail était crottée de terre et lui collait à la peau, sensation peu agréable. Elle ne prit même pas la peine de se relever et pleura de rage, martelant la boue de ses mains tremblantes comme l'aurait fait un enfant. Elle avait cru que cette région serait son asile mais la nature restait hostile. Emma ne s'était jamais sentie aussi découragée et alors elle leva le visage vers le ciel et laissa l'eau ruisseler sur elle. La jeune femme aurait souhaité que cette eau la purifie, la soigne de tous ses maux mais il ne se passait rien de tel. Elle avait voulu jouer avec son cœur, défiant sa raison. Elle avait tout perdu. L'amour donne autant que ce qu'il enlève par la suite. Pouvait-elle seulement dire qu'elle regrettait tout ? S'il ne devait rien rester de cette histoire, elle pouvait quand même en tirer une morale, une leçon mais elle n'arrivait pas à philosopher. Elle voyait maintenant nettement la différence entre les romans et la réalité. La dernière page marquait la fin de la souffrance, de la torture, de tout. La vie d'Emma était encore longue devant elle, elle avait vingt-quatre ans, encore de nombreuses années pour ressasser un bonheur qui avait été réduit en cendres en l'espace d'un instant.

Elle ramassa les outils qui traînaient à terre et prit le chemin pour se rendre à la ferme. Qu'importe la clôture, elle attendrait le lendemain. Soudain, elle s'arrêta. La nature autour d'elle était silencieuse, on n'entendait que les gouttes de pluie qui clapotaient sur les flaques d'eau. La jeune femme n'était pas sûre de ce qu'elle voyait à travers le nuage de pluie qui obscurcissait sa vision. La forme mouvante qui sortait de la ferme et qui se dirigeait vers le chemin où elle se trouvait appartenait sans aucun doute à un être humain. Elle tressaillit mais malgré le froid de la pluie, elle avait étrangement chaud et elle détestait ce qui se passait dans son corps à cet instant, cette sensation qu'elle ne pouvait faire taire ! L'étranger avançait d'un pas déterminé dans sa direction et pourrait bientôt l'apercevoir ce qu'elle ne désirait pas.

« Emma ! » La héla une voix qu'elle connaissait, oh ! trop bien ! et elle lâcha les outils qui tombèrent à ses pieds sans bruit, se joignant à la boue. Elle ferma à demi ses yeux pour mieux distinguer la forme qui s'avançait vers elle. On l'appela à nouveau mais sous le choc, elle ne put répondre à cet appel désespéré. Comme la sirène Arielle, elle avait perdu sa voix.

Dave grimpait la côte avec une détermination sans faille. La simple vue de la jeune femme lui avait fait pousser des ailes : ses pieds touchaient à peine la terre. Son rythme cardiaque était saccadé mais pas à cause de la course effrénée, c'était l'effet qu'elle avait sur lui. Tous ses membres étaient hors de contrôle et tous lui priaient ardemment de réduire l'écart qui les séparait. Quand il vit la jeune femme faire demi-tour, son cœur s'arrêta. Etait-il trop tard pour lui prouver qu'il avait fait une énorme erreur ? Mais à quoi s'était-il attendu, qu'elle lui tende les bras et l'embrasse tendrement alors qu'il l'avait repoussée quelques jours auparavant ? Idiot il l'était, mais amoureux avant tout il restait. Il se mit à courir. Si c'était trop tard pour la reconquérir, il n'aurait que des remords d'avoir été le pire homme pour elle, de ne pas avoir su la laisser prendre soin de lui. Il l'aimait bordel, il était incontestablement attaché à elle. Si elle le repoussait, il la laisserait faire. Il n'était pas venu ici pour l'enlever. Il n'allait pas non plus lui rappeler que chaque instant sans elle était comparable à se retrouver en tee-shirt au pôle nord : c'était froid et pénétrant. Il n'allait pas lui révéler que chaque jour passé sans elle ressemblait étrangement à ce qu'on peut vivre en Enfer : c'est-à-dire vivre sans espoir d'être heureux et errer sans but. Si on lui imposait un supplice en Enfer, ce serait celui de courir après son amante sans qu'il ne la rattrape jamais. Il pouvait imaginer la souffrance de Tantale qui, consumé d'une soif terrible, ne pouvait atteindre le cours d'eau limpide ou encore celle de Sisyphe qui était condamné à faire rouler un gros rocher sur la pente d'une montagne et qui retombait toujours avant d'avoir atteint le sommet. Emma serait pour lui son cours d'eau et sa roche si le bas monde voulait de lui.

Il n'était plus qu'à quelques mètres d'elle quand il trébucha sur un objet dur et sombra la tête la première dans la boue. Une douleur lancinante apparut au niveau de sa cheville mais la souffrance n'était en rien comparable à celle qu'il avait ressentie ces derniers jours.

« Emma ! » Supplia t-il en se débarrassant de la terre qui obstruait sa vue. Il observa devant lui mais elle n'était pas là. Il se renversa pour être dos contre le sol et ferma les yeux pour ne plus voir l'absence flagrante de celle qu'il aimait. Ce voyage était un échec, n'était-il pas lui-même un déchet de la société ? Des larmes chaudes se mélangeaient aux gouttes froides de la pluie. Ces derniers jours, il avait tant pleuré qu'il était surpris qu'il puisse encore le faire. Etait-il condamné à sangloter toute sa misérable vie ?

Et puis tout prit une autre tournure quand il sentit des lèvres emprisonner les siennes et un poids faible sur sa poitrine. Il la sentait prendre le contrôle et il adorait ça. Elle était à l'origine de tous les baisers, de toutes les caresses, de toutes les initiatives qui consistaient à le combler. Il frissonna ; était-ce là le goût de l'amour retrouvé ? Il avait tant prié quand elle n'était pas là, implorant la clémence de Dieu. Voilà maintenant qu'on le graciait, qu'on l'aspirait du gouffre où il s'était retiré et qu'on le ramenait sur la terre ferme par un baiser ! Un baiser rédempteur, un baiser qui venait de sauver son âme de damné.

Le choc avait été si grand qu'il mit du temps à se remettre de la surprise. Les mains de la jeune femme se nichaient dans ses cheveux avec la plus grande des douceurs tandis que Dave la serrait encore plus fort contre lui. Ses sens reprenaient vie pour son plus grand plaisir.

C'était passionnel et tendre à la fois, cela se traduisait par des mouvements brusques, des respirations saccadées et des bouches qui se redécouvraient. Ils étaient couverts de boue de la tête aux pieds mais ce n'était pas un élément qui pourrait les abstenir de s'embrasser ! Emma était ivre de bonheur. Quand elle avait vu Dave étendu sur le sol, pleurant à chaudes larmes, elle n'avait pas douté un seul instant. Chaque part d'elle lui avait crié de goûter à ces lèvres si désirables et de rendre à son amant son sourire si plaisant ! Elle ne regretterait jamais ce geste spontané et ce qui était certain c'est que le jeune homme sous elle ne semblait pas regretter le moins du monde ce qu'elle venait d'entreprendre.

Dave emprisonna le visage de la jeune femme et la regarda droit dans les yeux. Il se perdit un instant dans la beauté de ses prunelles vertes avant de reprendre conscience. De son pouce, il la débarrassa de la boue qui collait à sa joue avant de planter de doux baisers un peu partout sur son visage. Elle l'observait avec un regard qui le suppliait de mettre fin à son supplice. Elle était terriblement belle quand elle lui lançait ce regard de féline inassouvie.

Elle désirait encore ses baisers, elle en voulait autant que ceux qu'elle n'avait pu avoir et il exauça son vœu sans se faire plus prier.

Dernier chapitre de mon histoire. Qu'en pensez-vous ? Je suis assez nerveuse à l'idée de connaître vos sentiments vis-à-vis de cette dernière partie mais pour moi, ma fiction ne pouvait se terminer par une demande en mariage ou par l'évocation de la vie solitaire qu'Emma pourrait vivre, loin de Dave. J'espère que vous n'avez pas trop été déçu(e)s par la longueur du chapitre.

Je ne suis pas encore certaine d'écrire un épilogue. Si jamais je l'écris, j'espère pouvoir sortir de l'ordinaire ou de l'épilogue 'cliché'. Toutefois votre avis rentre en compte ! Désirez-vous un épilogue ?

Bisous à tous et bon week-end! N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires, ils sont les bienvenus,

xx.


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