32. New York, Manhattan
AVRIL √
New York,
9h40
Elle resplendissait dans sa longue robe blanche. Elle avait relevé ses cheveux roux en un chignon désordonné et avait incrusté de petites perles nacrées sur les barrettes qui les maintenaient en place. Pour l'événement, elle avait appliqué une couche plus généreuse de maquillage même si c'était encore loin d'être indécent. Ce n'était pas étonnant, Dave était sûr que jamais Emma ne tomberait dans la vulgarité. Ce n'est pas qu'elle portait peu d'importance à son physique, c'est qu'elle arrivait à se détacher de ces petits riens qu'une femme 'se doit de toujours avoir dans un sac à main', expression qui n'avait pour elle que peu de sens. « Tu n'as pas besoin de tous ces artifices » Lui disait Dave quand il l'observait regarder le maquillage des autres femmes qui contrastait avec celui inexistant d'Emma « Tu es époustouflante à chaque instant » puis, ils se mettaient à s'embrasser sans se préoccuper du regard des passants. Échanger un baiser en public ne devrait pas être considéré comme vulgaire, qu'y a-t-il de plus beau qu'un couple qui s'aime ? La société reste plus prude que jamais, nos moindres faits et gestes sont observés et jugés. Emma, elle, restait indifférente désormais aux remarques qu'on leur faisait quand ils s'embrassaient.
Dave avait endossé un costume : chemise blanche qui faisait ressortir ses muscles saillants, pantalon noir et veste qui soulignait ses épaules carrées. Il tenait une cravate dans ses mains, attendant qu'Emma la lui mette bien qu'il sache s'y faire. Il voulait juste sentir les mains de son amante courir le long de son cou. Quand elle voulut la nouer, elle fut interrompue par des baisers posés aux creux de son oreille. C'est avec des mains tremblantes de désir qu'elle réussit à la lui mettre. Elle l'embrassa sur le bout de son nez avant d'échapper à son étreinte qui, elle le devinait, allait se faire plus ferme. Elle préféra s'éloigner de lui, s'asseyant face à lui. Ils s'observèrent sans dissimuler la passion qui les étreignait et qui leur dictait de déchirer les vêtements de l'autre. Tâche ardue car ils n'avaient jamais été habitués à refouler leurs émotions : quand ils avaient le désir de faire l'amour, ils se réfugiaient dans la chambre, c'était aussi simple que cela. Mais, aujourd'hui, ils devaient faire taire leurs ardeurs car ils ne pouvaient se permettre de froisser leur habit de cérémonie.
« Je crois que je ne tiendrai pas longtemps dans cette position » Avoua Dave sans quitter des yeux son amante. Même la distance qui les séparait lui donnait une furieuse envie de l'embrasser, voire plus. Mais, le regard ferme d'Emma l'empêcha de mettre en œuvre ses desseins.
« Dave, on se doit de rester impeccables. Je ne me vois pas arriver au mariage de mon frère les cheveux emmêlés et les habits froissés. Et puis, ajouta-t-elle, nous ne sommes pas des bêtes ! Nous pouvons nous abstenir de faire l'amour durant au moins une demi-journée » Elle n'en était pas sûre finalement, elle-même ayant du mal à ne pas réfuter ses propres paroles une fois qu'elles furent sorties de sa bouche.
« Oh et puis tans pis » Murmura Emma comme si elle ne parlait qu'à elle. La jeune femme se leva de son fauteuil pour se jeter sur la bouche de son amant avec une férocité inqualifiable. Ses baisers elle les voulait, c'est d'ailleurs ce qu'elle désirait le plus. Un baiser au creux de l'oreille et elle était déjà sur une autre planète. Dave put presque la sentir fondre sous son toucher quand il l'encercla de ses bras. Une bouffée de chaleur les envahissait tous deux. Ils ne pouvaient se défaire trop longtemps l'un de l'autre. Quand le bruit de la sonnette d'entrée les interrompirent, ils ne s'en préoccupèrent pas le moins du monde, trop occupés à sentir l'autre s'enflammer sous ses caresses. Cependant ce bruit dérangeant persista, Dave soupira avant de déposer Emma gentiment sur ses deux pieds. Il se dirigea vers la porte, maudissant la personne qui osait les perturber. De son côté, la jeune femme remettait d'aplomb sa robe et sa coiffure.
« Damien ? Que fais-tu là ? » Dit Dave, surpris de voir son meilleur ami ici, à New York. Damien se tenait devant lui dans un pantalon noir rapiécé et portait un tee-shirt blanc. Ses mains étaient fourrées dans les poches de sa veste en cuir. Cet ensemble lui donnait un air rebelle.
« Je peux entrer ? » Demanda-t-il sans répondre à la question précédemment posée. Dave eut à peine le temps de hocher la tête que Damien avait déjà pénétré dans l'appartement, gagnant le salon où il salua timidement Emma.
Il resta plongé dans un profond mutisme. Même quand Dave lui proposa une collation, il ne répondit pas comme si les événements extérieurs n'existaient plus. L'entrepreneur n'avait jamais vu son ami dans un tel état d'abattement. Dave et Damien avait toujours été différents de caractère : Damien était celui qui s'enthousiasmait pour toutes les petites choses de la vie tandis que Dave gardait toujours un œil pessimiste.
« Il faut que je te parle » Avoua Damien, la tête dans les mains, regardant le sol comme si c'était la chose la plus intéressante de la pièce. Il refusait tout contact visuel en réagissant ainsi et l'humeur de Dave se renfrogna d'un coup. La chaleur qui l'avait enveloppé quelques minutes auparavant avait maintenant complètement disparu de son corps.
« Seul » Ajouta-t-il à l'encontre d'Emma qui fronça les sourcils, ne comprenant pas vraiment. Dave observa son ami puis Emma avant de répondre :
« Elle peut rester. Si ça me concerne, ça la concerne aussi » Son amante lui offrit un faible sourire qui n'eut malheureusement pas autant d'effet sur Dave qui se tenait, toujours aussi rigide, dans son fauteuil. Damien haussa les épaules, c'était peut être mieux que Dave puisse avoir une présence familière à ses côtés quand il lui révélerait un secret qu'il avait bien gardé.
« C'est quelque chose dont j'aurais aimé t'en parler il y a de çà quelques années... Mais je n'ai jamais eu le courage de te le dire » Répondit-il, comprenant très bien qu'à la fin de son aveu, les liens d'amitié qu'ils avaient crées ne seraient peut-être plus les mêmes. Et pourtant, il gardait une lueur d'espoir, une mince partie de lui croyait au fait que Dave lui donnerait l'absolution. Mettre un terme à ces longues années de complicités le démolirait, le détruirait. Mais c'était son devoir de tout révéler à son ami, plus qu'un devoir c'était indispensable. Damien n'arrivait plus à vivre avec ce fardeau et il se détestait d'en partager la lourdeur avec son plus cher copain mais il le devait.
« J'ai partagé une relation avec ta sœur » Révéla t-il sans oser lever les yeux du tapis. S'il croisait le regard de Dave il ne pourrait plus continuer son aveu.
« Pardon ? » Demanda un Dave hébété. Pour l'instant il semblait encaisser le choc mais ce que Damien venait de dire ne représentait qu'un infime détail de la véritable situation. Il se doutait que dans quelques minutes, il serait mis à la porte sans plus de ménagement. Mais, sa punition, il la méritait amplement, pensait-il.
« J'ai aimé Lily et elle m'a aimé en retour » Expliqua Damien après un long moment de réflexion car il pesait le sens de ses mots. Comme il n'obtint aucune réaction, il continua :
« J'ai toujours été proche de ta sœur. Etant ton meilleur ami, je la croisais souvent quand tu m'invitais chez toi. Au début, nous n'étions que de bons amis sans plus mais j'ai commencé à développer des sentiments pour elle vers quinze ans » C'était étrange car dans la bouche de Damien, cela sonnait comme si l'amour était une maladie « Ce ne fut réciproque que lorsqu'elle atteignit dix-huit ans. Au commencement, ce n'était que de petits regards furtifs, des messes basses échangées à la bibliothèque du lycée, des blagues salaces. Tu me connais, j'ai toujours été brillant pour inventer de nouvelles techniques de drague » Ajouta-t-il pour détendre l'atmosphère mais cela ne fit pas rire Dave qui gardait une expression impassible tandis qu'Emma lui adressa un timide sourire « Lily ne voyait peut-être pas d'avenir avec moi mais elle me rendait heureux et c'était fabuleux. Même après la naissance de Daisy, je l'ai toujours aimée d'un amour sincère et pur, même si ta nièce représentait le fruit de la trahison. Cette grossesse n'était pas une erreur, c'était l'acte qui l'était »
« Elle n'est donc pas de toi ? » Réagit pour la première fois Dave et Damien ne put savoir s'il devait s'en réjouir. Le ton n'était pas glacial mais Damien pouvait ressentir le fossé qui les distançait l'un de l'autre, bien qu'ils soient physiquement proches.
« Non, je ne suis pas le père de Daisy mais sache que j'étais prêt à la demander en mariage et à considérer Daisy comme ma propre fille. La vérité est, qu'à cette époque, j'aurais pu tout faire pour elle. Ta sœur, je l'ai toujours considérée comme un bien rare et précieux. Elle avait tant d'importance pour moi que je ne voyais qu'elle : elle hantait ma vie quand elle était vivante... Depuis qu'elle est décédée, je ne la vois plus et ça me rend fou » La voix de Damien allait décrescendo « Deux mois après sa mort, je commençais déjà à oublier certains traits de son visage ou même encore la douceur de son sourire comme si Dieu me punissait de ne pas l'avoir assez aimée. J'aurais préféré un rappel constant de ma souffrance qu'un oubli effroyable semblable à un énorme trou noir »
« Cela veut-il signifier que quand Lily venait assister à nos matchs de football ou encore à la remise des diplômes, ce n'était pas dans le seul but de voir son frère ? » Demanda froidement Dave sans aucune empathie envers son ami comme s'il avait été indifférent à son aveu déchirant. Emma tint fermement la main tiède de son amant dans les siennes mais elle n'arrivait pas à lui insuffler la douceur qu'elle aurait aimé lui donner. « Bordel, comment as-tu pu me cacher ça ? Comment ai-je pu aussi aveugle pour ne pas voir que mon meilleur ami et ma propre sœur entretenaient une relation sous mon nez ? Je me sens trompé Damien » Continua Dave en se levant du canapé, s'extirpant de l'étreinte d'Emma. Pour l'instant il ne pouvait sentir que la colère et la tromperie.
« Ta sœur et moi avions décidé que c'était mieux de te laisser en dehors de ça tant que nous n'étions pas sûr d'être encore un couple dans le futur » Damien se sentait mal pour son ami mais cette promesse de ne rien révéler à Dave avait été scellée avec Lily.
« Bordel, bordel, bordel » Grommela Dave dans sa barbe. Il ne tenait plus en place, il ne pouvait rester immobile. Lily l'avait trompé, Damien l'avait trompé, que pouvait-il encore trouver ? Allait-il finir seul une fois que cette histoire serait révélée dans sa totalité ? Finir seul, il en avait peur. Cette solitude qui commençait déjà à l'envahir tandis qu'il sentait qu'il perdait son ami d'enfance.
« Ce n'est pas tout Dave » Dieu que Damien aurait aimé pouvoir arrêter le flot de paroles qui allait bientôt se déverser de sa bouche ! Est-ce que son ami méritait ce châtiment lui qui avait déjà souffert une grande partie de sa vie ? La perte de sa sœur puis celle de Daisy et enfin viendrait la disparition d'une amitié. Etait-il encore temps de fuir ses responsabilités ?
« Le jour où Lily a été retrouvée morte au volant de sa voiture, elle n'était pas allée rendre visite à Justine. Ce n'était qu'un coup monté pour ne pas que tu l'apprennes de cette façon, Lily et moi... »
« Ne redis plus jamais ça. Il n'y a jamais eu de Lily et toi ! »
« On désirait que tu l'apprennes de nos bouches mais on ne se sentait pas prêt à l'époque. C'était idiot de notre part de te cacher cela et si nous n'avions pas dissimulé ce fait peut être serait-elle... en vie »
« Je ne veux pas entendre tes hypothèses, laisse-moi ! Que pouvais-tu croire en venant ici ? Que je pourrais supporter tout ce que tu viens de me révéler ? Bordel, tu m'as menti depuis le début ! Six ans que tu me parles, que je me confie à toi, six ans que tu jures de m'avoir toujours tout dit ! »
« Je ne voulais pas partager mon fardeau avec toi, Dave. Je me suis rendu compte, après la mort de Daisy, que tu méritais de savoir la vérité »
« C'est pathétique, tu es pathétique Damien. Venir ici m'avouer que tu es la cause principale de sa mort ! »
« Tes parents m'ont conseillé de venir te voir pour tout te dire »
Dave se retint à la table haute du salon, ses jointures devenant blanches à cause de la pression qu'il exerçait. Il était déboussolé, rempli de haine et mort de peur. La vérité était amère, trop dure à avaler mais aussi trop cruelle pour qu'il puisse la rejeter.
« Qu'est-ce que mes parents viennent faire dans cette conversation ? » S'écria Dave, le sang bouillant en lui comme la lave dans un volcan en activité. Il n'osait même pas regarder son ami dans les yeux tellement la trahison constituait désormais un rempart insurmontable.
« Caitlyn et Christian étaient au courant de notre relation... » Emma et Damien regardèrent le vase en verre qui se tenait anciennement sur la commode, se briser contre le sol. Cet accident n'avait pas été volontaire, Dave avait donné un coup de pied vigoureux et l'objet avait dégringolé de son poste pour s'éclater par terre en centaine d'éclats de verre. Emma s'était précipitée vers Dave mais celui-ci avait fait un pas en arrière, ne désirant pas la présence de la jeune femme près de lui. La façon dont elle le regardait comme s'il était tel ce vase, brisé, n'atténuait pas son irascibilité, l'effet était plutôt contraire. Il ne désirait pas sa sympathie, ni sa compassion tant il était aveuglé par la haine qui l'animait. Tous les repères de Dave avaient été chamboulés par cette annonce qui refroidissait son cœur. Ses souvenirs revenaient avec force et l'empêchaient d'y voir clair. Bien que cette effroyable nouvelle ne change rien a ce qui avait pu se passer quelques années auparavant, l'effet ne pouvait pas être négligé. Dave se noyait sous le poids de sentiments contradictoires : il se refusait à détruire une amitié construite dans son plus jeune âge mais la trahison qu'il ressentait l'éloignait de cette sage décision.
« Comment pourrais-je à nouveau le regarder ? » Murmura t-il et personne ne l'entendit.
« Dave, je te promets que... »
« Tais-toi Damien, ne vois-tu pas que le mal que tu viens de me causer me ronge maintenant de l'intérieur ? Va-t'en ! » Pria t-il mais, ne voyant pas son ami s'exécuter, il se dirigea vers la sortie la tête haute mais le cœur alourdi, meurtri. Il s'apprêtait à ouvrir la porte quand Damien vint le retenir par le bras, l'empêchant de faire un pas de plus. Ce simple contact physique révulsa Dave qui s'empressa de se délivrer de cette emprise.
« Je m'en vais et tu ne feras rien pour m'en empêcher ! » S'écria Dave. C'était dorénavant plus la facette de l'entrepreneur qui était mise en avant que celle de l'homme aimant et généreux. Même Emma qui venait d'apparaître aux côtés de son ami n'arrivait pas, à sa simple vue, à le calmer comme si le Dave qu'elle connaissait n'avait été que passager. Elle comprenait la colère de son amant mais son comportement n'était-il pas exagéré ? Elle ne pouvait émettre aucun jugement ; il aurait fallu s'être déjà trouvé dans une telle situation pour pouvoir condamner ou non ses réactions.
« Arrête Dave, je comprends ta désolation et la peine que je viens de t'infliger mais ne te laisse pas envahir par tes vieux démons ! Est-ce que tu désires vraiment tirer un trait sur ces dernières années ? »
« Là maintenant, oui je le désire » Répliqua Dave sous l'effet de la colère ce qui affligea terriblement la jeune femme qui faisait partie de 'ces dernières années'. Sa présence ne suffisait plus à son amant et le fait d'être repoussée avec tant d'ardeur la remplissait d'effroi. Peut être serait-il facile de la remplacer, de l'oublier, d'envoyer valser tous leurs moments qui ne seraient désormais plus que des souvenirs. Quand Dave disparut dans la cage de l'ascenseur, elle ne fit rien pour lui courir après. Il avait besoin d'être seul, elle désirait un moment de réflexion. Elle quitta le vestibule pour se diriger vers la fenêtre avant de s'en éloigner : elle ne voulait pas le voir partir, le regarder fuir. Elle s'assit sur le canapé, le visage blême et les mains tremblantes mais à part ces petits signes, son affliction serait passée inaperçue.
« Comment peux-tu le laisser partir ? » La questionna Damien, il n'y avait aucun reproche dans sa voix juste de l'incompréhension face à cette jeune femme dont la fuite de son amant semblait la laisser impassible. Elle aurait pu lui répondre que la souffrance qu'elle avait ressentie quand la porte de l'ascenseur s'était refermée sur son homme avait été insurmontable, qu'elle se sentait perdue et presque trompée, que si l'amour blessait autant elle n'aurait pas fantasmé autant sur ses livres à l'eau de rose de son enfance. Elle était brisée, mais sans cassure comme fendue de l'intérieur. Elle répondit d'une voix d'où on ne pouvait déceler aucun tourment :
« Le retenir cela aurait été le faire souffrir encore plus, le regarder se noyer sans pouvoir lui venir en aide. Je ne veux pas être complice de cette douleur » Elle attrapa son sac à main puis regarda sa montre. Elle était un peu en retard pour la cérémonie mais elle était sûre d'arriver avant l'échange des consentements qui uniraient Pamela et Julien pour l'éternité.
« Ne veux-tu pas que je t'accompagne ? » Damien demanda, Emma haussa les épaules. Il disparut quelques minutes dans la chambre que Dave et Emma partageaient sans que celle-ci ne l'arrête puis apparut, habillé du même costume que celui que Dave portait. La jeune femme observa son apparence sans ouvrir la bouche. Elle n'avait rien à dire car tout ce qu'elle allait exprimer à l'avenir trahirait assurément son état fébrile.
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