29. Seattle
Seattle, √
11h32
Un silence terrifiant accueillit la jeune femme ainsi qu'un courant d'air froid. Elle grelottait à présent et regrettait la tiédeur de l'extérieur. Elle ferma avec précaution la porte derrière elle pour ne pas qu'on la remarque. Ensuite, au lieu d'aller s'asseoir, elle chercha des yeux celui pour lequel elle avait parcouru 8 000 kilomètres. L'église était bondée, des gens se mouchaient discrètement ou laissaient perler quelques larmes. Emma n'avait jamais été croyante, elle avait eu droit au baptême mais ça s'arrêtait là. Ce qui la frappa c'est qu'il régnait une certaine sérénité dans ce grand bâtiment. Si Dieu devait être quelque part, il était là, dans cette église, suivant la cérémonie. Les vitraux laissaient pénétrer des rayons de lumière qui coloraient le sol de l'église ; elle était presque béate, se tenant encore près de la sortie car elle n'avait pas trouvé la force de faire un pas vers le dernier banc. Il régnait dans l'église un silence religieux que tout le monde respectait. Quelquefois, ce mutisme était brisé par le son presque imperceptible de sanglots. Emma était certaine que plus de la moitié des gens rassemblée ici ne connaissaient pas la défunte qui reposait dorénavant dans le cercueil ouvert, juste devant l'autel. Même de loin, elle pouvait sentir la présence réconfortante de la fillette : Daisy n'était pas totalement partie, son corps avait été vaincu mais son âme vivait quelque part dans cette église.
Elle ne l'avait pas aperçu auparavant, non, elle en était sûre et certaine. Et pourtant, il était là, devant le pupitre en bois, le prêtre à ses côtés comme si le vieux monsieur pouvait lui apporter une aide spirituelle. Elle le sentit défaillir, prêt de s'effondrer mais aucune larme ne coulait sur son visage. Il était terne mais le désespoir qu'il essayait vainement de cacher ne pouvait pas être dissimulé aux yeux de son amante. Il était cruellement beau dans son costume noir mais d'une beauté dangereuse. Habillé ainsi, il aurait pu charmer la mort, lui susurrer de lui rendre ce qu'il avait de plus cher. Il paraissait fort mais il était en vérité, fragile, vulnérable désormais. Emma ne l'avait jamais vu dans un si piteux état. Il commença à prendre la parole.
« Je voulais d'abord tous vous remercier d'être ici parmi nous » Dave buta ensuite contre les mots comme s'il avait perdu le sens des paroles. « Elle n'aurait pas dû mourir. Ce n'était qu'une enfant qui méritait le meilleur de la vie et qui n'a connu que les chambres impersonnelles des hôpitaux. Ces moments-là, on ne devrait les connaître qu'à l'heure de mourir, que quand on atteint un âge qui ne permet plus au corps de continuer sa rude existence. A dix ans, elle s'était déjà habituée aux allers-retours vers la clinique. Ce n'est pas à cet âge-là qu'on doit mourir. Daisy... » Il gémissait presque de douleur et Emma, bien que ne pouvant supporter le fait que Dave souffre autant, restait muette et immobile. Et soudain, il la vit, se tenant sans bouger dans l'allée, dans une simple robe noire tel un ange déchu. Il pensa à Daisy dont les dernières paroles lui revenaient à l'esprit « Laisse toi aimer par les autres ». Il n'en pouvait plus de paraître fort, courageux, bordel ! il n'était qu'un humain, las. Emma le voyait ainsi, elle le voyait entièrement dans toute sa splendeur mais aussi dans toute sa faiblesse. Elle savait qu'il n'allait pas bien, elle le comprenait mieux que quiconque. Comment faisait-elle pour pouvoir sonder ainsi son âme ? Tous les yeux étaient braqués sur sa personne mais lui ne regardait que la jeune femme qui esquissa le plus simple des sourires, celui qui vous donne envie de courir vous réfugier dans les bras de celle qui vous l'offre. Il descendit prestement de l'estrade et courut vers elle. Il se nicha dans ses bras et laissa la peine le submerger. Elle ne disait rien, elle ne prononçait pas les mots que tant de personnes lui avaient soufflés à l'oreille « tout ira bien ». Rien n'irait bien mais avec Emma tout irait mieux. Il la serra plus fortement contre lui avec l'impression que Daisy les couvait du regard, d'un œil complice. Il ne lâcha pas Emma même quand sa mère fit son apparition derrière lui et qu'elle lui frotta gentiment l'épaule. Il foutait en l'air le bon déroulement de la cérémonie mais Daisy lui avait fait clairement comprendre sa mission. Cette fois-ci, il ne ferait plus les mêmes erreurs, enfin, il espérait.
« Dave » Sa mère proclama-t-elle d'un ton légèrement autoritaire, voulant faire comprendre à son fils que son comportement était déplacé, que courir après une femme au milieu de la cérémonie n'était pas toléré. A contre cœur, il desserra son étreinte et recula d'un pas infime pour faire face à la figure maternelle. Caitlyn, malgré l'air de colère qui était dessiné sur son visage, n'était pas trop fâché contre Dave. Il faisait de son mieux pour supporter cette mort. Dave était tout ce qu'il restait de sa descendance. Elle avait perdu une fille et une petite-fille, laisser Dave partir loin d'elle à cause de son comportement excessif ne pouvait être envisagé. S'il décidait de s'enfuir au milieu de la cérémonie, elle le soutiendrait devant tout le monde. « Tu dois rester encore. Je sais que tu n'as qu'une seule envie, que tout ça soit derrière toi mais le plus dur reste à affronter » Caitlyn chuchotait pour que personne ne puisse les entendre. Le prêtre commençait à s'impatienter, il avait un mariage à célébrer après cet enterrement.
« Je n'ai pas la force de continuer mon discours, maman » Ce simple mot peut gonfler le cœur d'une mère. Cette petite parole qu'il n'avait pas utilisée depuis plus de quatre ans ! Elle faillit pleurer mais se contint, consciente des regards peu amènes qu'on leur jetait.
« Ce n'est pas un problème, retourne t'asseoir avec cette jolie demoiselle » Dit Caitlyn en jetant un coup d'œil à la jeune femme qui se tenait à côté de son fils. Elle ne fit pas attention à sa tenue quelque peu indécente pour un enterrement, elle l'accueillait à bras ouverts.
Emma suivit Dave tandis que sa mère regagnait sa place respective. Côte à côte sur le banc, Dave enroula un bras protecteur autour de la taille de la jeune femme tandis qu'elle nichait sa tête dans son cou. Ses pieds lui faisaient toujours aussi mal, ses cheveux formaient un nid d'oiseau et sa robe lui comprimait la poitrine mais elle s'en fichait. Tous les deux regardèrent la petitesse du cercueil de Daisy, se souvenant des moments passés tous ensemble, à Paris ou dans ce grand appartement à New York. Tous garderaient le même souvenir heureux de la fillette, sa joie de vivre. Tout n'était pas perdu, tout était à reconstruire.
Seattle, Etat de Washington
22h52
L'enterrement était désormais derrière eux. Après la mise en terre du corps de Daisy, dans la tombe où se trouvait déjà le cercueil de sa mère, les Sherley avaient invité tous ceux qui souhaitaient se joindre au 'petit repas frugal' qui les attendait à la maison. Une vingtaine de personnes acceptèrent l'invitation, les autres avaient rejoint leur voiture. L'espace d'un instant, le cœur d'une cinquantaine de personnes s'était tourné dans la même direction puis, une fois l'enterrement terminé, chacun regagnait sa petite vie monotone. La mort a toujours quelque chose de surprenant car elle désunit puis rassemble, elle fait souffrir puis la douleur se dissipe.
Le repas que les parents de Dave avaient concocté était loin de pouvoir être qualifié de 'frugal'. Sur une longue table, ils avaient dressé une jolie nappe blanche sur laquelle ils avaient posé toutes sortes de mets : des petits canapés, des terrines, des biscuits salés et des olives vertes et noires. Comme dessert, ils avaient failli commander un gros gâteau mais Dave les en avait empêché. Les convives durent donc se contenter d'un plat typique de cet état. Si Emma n'avait pas eu le ventre aussi noué, elle aurait sûrement souffert d'une indigestion.
Vers les quatre heures, tous les invités étaient partis sauf Damien qu'Emma avait rencontré durant le repas. Elle pouvait dorénavant mettre un visage sur l'auteur des tableaux qui décoraient l'appartement de Dave. Après une brève discussion, Emma put s'apercevoir que c'était un brillant jeune homme, tout aussi talentueux et intéressant que Dave. Il lui restait par ailleurs toujours un petit côté comique qui empêcha Caitlyn de fondre en larmes. Il avait toujours un mot gentil pour chacun et même s'il essayait de garder son calme, la souffrance était inscrite sur son visage. Il avait tendrement aimé Daisy, l'avait connue depuis sa naissance. Il ne put rester insensible quand les grands-parents de la fillette disparue décidèrent de projeter le film de l'enfance de cette dernière sur l'écran blanc. On y voyait Daisy faire ses premiers pas, prononcer son premier mot. Emma, qui n'avait pas encore connu les joies de la maternité, regardait la mère et sa fille courir sur un beau gazon, une journée d'été. Lily, lui avait soufflé Dave à l'oreille. Sa voix avait été rauque et remplie d'émotions, Emma avait posé un doux baiser sur les lèvres de ce dernier dans l'espoir de lui insuffler tout son amour. La jeune femme était, elle aussi, en proie à des sentiments étranges. L'idée de la mort, si proche et si imposante finalement, la perturbait. Elle n'avait jamais vécu de moments aussi traumatisants tandis que Dave avait connu la douleur de perdre un proche. Mais, même si elle ne pouvait tout à fait comprendre les liens qu'entretenait Dave avec la mort, elle faisait de son mieux pour qu'il ne baisse pas les bras. Il tiendrait jusqu'au bout.
Emma s'était ensuite endormie dans les bras de Dave et elle avait eu la vague sensation d'avoir été soulevée de terre. On l'avait posée quelques instants plus tard sur une surface douillette tandis qu'elle sombrait toujours dans le monde des rêves.
*
Cinq heures au réveil digital. Dave ne se trouvait plus à ses côtés et la place n'était pas chaude. Les draps blancs étaient empêtrés dans les jambes d'Emma quand elle voulut se lever. Elle trébucha mais se rattrapa de justesse à la commode. La chambre d'enfance de Dave était neutre, peinte d'un gris clair, sans aucun poster pour l'égayer. C'était étrange de la voir dans un tel état, elle aurait quand même pensé trouver des affiches de football américain. Si elle ne connaissait pas Dave, elle n'aurait pu se faire une idée de la personne qui dormait anciennement ici.
Sa gorge sèche, elle décida de descendre à la cuisine pour trouver un verre d'eau et si elle tombait sur Dave en même temps, ça serait parfait. Toujours vêtue de cette robe collante, elle descendit les marches pour atteindre l'étage inférieur. Ses pieds nus marchaient sans bruit sur le marbre du rez-de-chaussée et la guidaient vers ce qu'elle pensait être la cuisine. De loin, elle vit que cette salle était éclairée et des bribes de conversation lui parvenaient. Elle s'approcha mais ne se montra pas ; elle ne savait pas trop pourquoi elle jouait les curieuses mais c'était plus fort qu'elle. Dans les deux voix, elle reconnut celle de Dave et l'autre devait sûrement appartenir à son meilleur ami, Damien car c'était une voix jeune qui ne pouvait être comparée à celle du père de son amant.
« Tu arriveras à surmonter la douleur, Dave, j'en suis convaincu. La douleur au début sera peut-être décuplée, chaque vision, chaque souvenir sera un fardeau insurmontable, chaque parole te la rappellera mais pourtant tu survivras, tu continueras. Cela ne peut être différemment » Damien parlait d'une voix sûre comme s'il avait déjà vécu une situation comparable. Peut-être était-ce le cas, Emma ne connaissait presque rien de lui sinon qu'il devait être proche de Dave et qu'il peignait.
« Comment garder un visage serein devant mes parents ? Comment leur montrer le bon exemple alors que j'ai moi-même du mal à ne pas pleurer ? » Le cœur d'Emma cogna fortement dans sa poitrine, elle n'aurait jamais cru qu'il puisse souffrir autant ou qu'il retienne ses sanglots dans le seul but d'éviter à ses parents de comprendre sa peine. Il ne voulait pas les affliger encore plus. A cet instant précis, elle aurait aimé sortir de sa cachette et le serrer tendrement dans ses bras mais Damien venait de reprendre la parole.
« Dave, ça ne sera pas toujours aussi dur. Il faut juste te donner du temps à... »
« A quoi ? A m'habituer à la douleur ? » Un bruit de verre qui se brise parvint aux oreilles de la jeune femme qui sursauta mais qui, ayant plaqué une main sur sa bouche, empêcha le cri de surprise. « Je ne veux pas m'habituer à ressentir cette souffrance, cela voudrait dire que j'accepte le fait qu'elle ne soit plus avec moi et cette pensée m'est intolérable ! Elle se dresse devant moi comme un mur infranchissable, la mort qui rôde près de ma famille m'accable et me désole ! Que puis-je faire pour éviter ces terribles événements ? Est-ce une malédiction, une leçon ? » Emma ne pouvait observer son amant qui tirait douloureusement sur ses cheveux comme si la douleur qu'il en retirait pouvait conjurer le mauvais sort qui s'acharnait sur sa famille.
« Il faut que tu restes clair Dave, te perdre dans de tels raisonnements n'est pas la solution à la souffrance »
« Comment veux-tu que la lumière illumine les ruines et que le spectacle titanique qui se dresse sous mes yeux devienne bucolique ? Comment veux-tu que je vois la clarté quand tout ce que j'ai vécu était entouré d'une noirceur opaque ? »
La conversation se tut. Il n'y avait rien de plus à rajouter, le silence parlait par lui-même et Emma trembla. Peut-être qu'elle avait sous-estimé la cassure, la brèche qui habitait Dave. Peut-être était-il trop tard pour tout reconstruire finalement.
Que pensez-vous de ce nouveau chapitre ? L'appréciez-vous ? N'hésitez pas à me faire part de vos impressions. Bon week-end ! x.
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