28. Paris

Paris,

21h36

Le concert battait son plein. Au rythme de la musique, Emma se déchaînait, se trémoussait tandis que le groupe de garçons à côté d'elle la regardait un peu trop délibérément car la jeune femme avait bu une boisson de trop. Ces regards, elle s'en fichait. Tandis qu'elle dansait en compagnie de Louis et de Camille, elle repensa au fait que Dave ne l'ait pas appelée de la journée ce qui était tout à fait curieux, lui qui lui consacrait toujours un peu de son temps. Elle chassa ses pensées d'un déhanché qui fit fondre les hommes qui l'observaient, elle n'avait jamais été aussi resplendissante dans cette robe noire moulante, prêtée par Camille. La lumière lui donnait l'air d'un ange noir et, tandis qu'elle virevoltait, ses longs cheveux roux se détachèrent de l'élastique ce qui eut le don d'exciter la bande de garçons. Louis, près d'elle, chantait à s'époumoner tout en gardant un œil sur les deux jeunes femmes qui dansaient comme si rien ne pouvaient les atteindre. Camille tenait sa tignasse brune emmêlée dans une de ses mains, de l'autre elle rapprochait son corps de celui de son amie. Elles firent une petite démonstration de tango sur une musique déjantée en riant fortement. Emma se sentait ivre de bonheur et elle dédia un sourire éblouissant à Louis qui lui avait offert une place pour ce concert. Cette marque d'affection amena Louis à réfléchir à sa relation avec la jeune femme. Il se rappelait ce cuisant échec, ce baiser qu'il lui avait volé, ce retrait puis le pardon d'Emma. Il lui semblait qu'il l'aimait mais il n'en était pas si sûr que cela. Philosophe, Louis connaissait les véritables sentiments que la jeune hôtesse de l'air partageait avec ce drôle d'Américain. Dave, s'appelait-il. Aucune bouffée de jalousie n'emplit son être, il se sentait juste un peu déboussolé, sonné. Il reporta son attention sur le groupe qui chantait pour éviter un autre questionnement, de toute façon il se voyait mal philosopher maintenant, au milieu d'une foule en transe, alors que tout lui criait de laisser sa joie éclater.

Vers 22h 15, le groupe débuta sa dernière chanson. Emma offrit poliment sa main à Louis pour l'obliger à danser. Il la prit dans la sienne sans se demander si ce qu'il faisait était bien. Toujours en riant, Emma arriva à faire bouger Louis au rythme de la musique. Louis se sentait étranger à cette situation alors qu'il était habitué à se rendre dans les boîtes de nuit. Danser n'était pas une de ses facultés et Emma, en se rendant compte de cela, s'en moqua gentiment sur le chemin du retour. Dans la voiture, une ambiance de fête régnait encore, chacun racontait ce qu'il avait préféré en criant. Les deux jeunes femmes parlaient plus fort que Louis car elles avaient légèrement trop bu. Camille entonna une chanson, s'arrêta car elle ne connaissait plus la suite. Emma la continua à sa place puis ce fut au tour de Louis. Un deuxième concert s'improvisait dans l'habitacle de la voiture et tout le monde y prenait part. Louis gardait quand même un œil sur la route bien que les réactions euphoriques des filles le gênaient un peu dans sa conduite.

Un portable interrompit le chant de Camille qui cria pour protester férocement. Emma, qui comprit que c'était le sien, tira la langue à son amie, réaction enfantine mais qui eut quand même le don de faire rire Camille à gorge déployée. Peut-être était-ce l'alcool qui produisait cet effet aussi.

« Allo ? » Demanda Emma tandis que Louis lui jetait un regard curieux grâce au rétroviseur intérieur. Camille, assise à côté de la jeune femme sur la banquette arrière, se remit à pousser la chansonnette en faisant de grands gestes. Emma reçut d'ailleurs un coup de la part de son amie.

« Emma, c'est Julien »

« Julien, pourquoi appelles-tu à cette heure ? » Elle se sentait un peu ivre pour entretenir une conversation avec son frère mais elle n'allait pas lui raccrocher au nez. Il ne l'avait pas contactée depuis la dernière fois qu'elle s'était rendue à New York. Une boule nerveuse fit son apparition dans le ventre de la jeune femme, une pensée terrible venait de la traverser brusquement. Camille, encore sous l'effet de l'alcool, trouva amusant de s'emparer du portable de son amie. Emma protesta en lui jetant un regard suppliant mais elle n'obtint pas le précieux objet. Elle aurait pu le reprendre mais la Camille soûle qui lui tenait compagnie à l'arrière de la voiture avait des réactions qui ne pouvaient être anticipées.

« Julien, quel plaisir de t'entendre... C'est comment New York ? » Puis, à ces mots, Camille explosa de rire. Au bout de l'appareil, le frère d'Emma répondit mais son amie n'écoutait pas ce qu'il avait à dire.

« Tu sais que tu as une voix cruellement sexy au téléphone... » Emma leva les yeux au ciel, elle n'aurait jamais pensé que Camille puisse draguer son frère si ouvertement mais l'état dans lequel elle se trouvait suffisait à comprendre pourquoi elle le faisait.

« Je voudrais... Quoi ? » Camille venait d'arrêter de parler et elle écoutait maintenant. Etrange, se dit Emma, pourquoi Julien avait-il finalement eu droit à l'attention de sa meilleure amie ? Tandis qu'elle se posait cette question cruciale, on lui tendait son téléphone. Elle le reprit d'un geste brusque et le plaqua contre son oreille. Quoi que ça puisse être, c'était assez important pour que Camille se taise complètement à présent. Cette dernière arborait en plus un air qui relevait de la tristesse ce qui alarma Emma.

« Que se passe-t-il ? » Hurla presque Emma dans le combiné en évitant soigneusement le regard de chien battu de sa meilleure amie. Sans s'en apercevoir, la jeune femme retenait son souffle et la main qui était inoccupée crut bon de tenir fermement la poignée de la porte. Emma ferma les yeux, laissant les paroles de son frère couler en elle, elle comprit enfin. Tout s'expliquait, tout concordait malheureusement. Elle s'était dégrisée en seulement quelques mots, elle reprenait conscience. La réalité venait de la frapper de plein fouet. Les amusements, ce spectacle magique, tout s'était évaporé. Elle remercia son frère et murmura à l'oreille du conducteur : « prends la direction de l'aéroport ». Tout fut ensuite silencieux dans la voiture comme si la mort venait d'occuper les lieux.

Seattle,

11h05

Emma n'avait jamais mis les pieds à Seattle et, bien que la première image qu'elle eut de la ville soit positive, elle aurait voulu ne jamais être venue ici, en tout cas pas pour une telle situation. Aurait-elle été en vacances, elle aurait descendu avec joie les escaliers qui la menaient sur la piste de l'aéroport où un bus attendait les passagers. Devant elle, un couple s'embrassait à en perdre le souffle, Emma aperçut deux bagues qui brillaient à leurs annulaires. Des jeunes mariés qui venaient passer leur lune de miel dans cette grande ville de plus de 3 millions d'habitants. Plusieurs passagers la dévisageaient ouvertement, reportaient leur attention sur la jeune femme dont le maquillage dégoulinait de ses yeux et dont la robe était à la limite de l'indécence. Emma, plongée dans une amère réflexion, se contrefichait de l'image qu'elle donnait à des personnes qui ne connaissaient rien de la situation. Son sac pour seul ami, elle se fraya un passage en direction de la sortie. Un air presque chaud la surprit, elle n'avait rien d'autre que sa robe et une mince veste sur elle. Ses talons bien trop hauts martelaient le sol et lui faisaient atrocement mal aux pieds mais elle ne se plaignait pas. Elle n'était pas en mesure de protester. La jeune femme héla un taxi dans lequel elle monta prestement. Bien que le regard du chauffeur soit plus que dérangeant, elle ne se laissa pas abattre. Elle lui donna l'adresse d'une voix empreinte d'émotion qui bouleversa le chauffeur. Celui-ci ne se posa plus aucune question sur la jeune femme et préféra allumer la radio pour lutter contre le silence de mort qui régnait dans l'habitacle.

Emma alluma son portable. Elle avait laissé de nombreux messages à Dave, l'avait appelé à maintes reprises mais elle n'avait reçu aucune nouvelle de son amant. Que fallait-il en penser ? Son caractère compréhensif l'aida à voir clair. Il devait être bouleversé, mort de peur. Pleurait-il ? Garderait-il une façade impassible quand les personnes l'aborderaient pour lui dire leurs condoléances ? Elle jeta un coup d'œil à sa montre, elle était en retard. La cérémonie avait sûrement dû commencer.

La jeune femme colla sa tête contre la vitre fraîche et observa la ville de Seattle, qui commençait à grandir, de ses yeux assombris par la réalité. Quand elle était dans l'avion, elle avait déjà pu avoir une image approximative. Seattle ressemblait quelque peu à New York avec ses buildings qui touchaient le ciel, son port où l'activité commerciale était très florissante et bien sûr élément incontestable de cette ville, le Space Needle, une tour de 180 mètres de haut et d'architecture futuriste. Emma avait pu lire que Seattle était l'une des villes les plus importantes de la côte pacifique des Etats-Unis. Cette ville construite au XIXème siècle était aussi appelée la ville de la Pluie ou encore la cité émeraude, référence à l'arborescence croissante qui l'entoure. Son compagnon de voyage, un homme d'une cinquantaine d'années, lui avait expliqué que Seattle constituait un pôle industriel majeur pour l'Amérique du Nord mais aussi que cette dernière était le berceau de la musique grunge, un genre dérivé du rock. Le groupe de Nirvana était l'un des plus fameux groupes formés dans cette ville où tout respirait la modernité et le changement. Pour Emma, l'image de Seattle serait incontestablement rapportée à la pensée terrible de la mort.

La voiture fut bientôt enlisée dans un bouchon interminable et Emma perdit de précieuses minutes alors qu'elle n'avait aucun temps à perdre. C'était exactement comme à New York sauf qu'elle se sentait étrangère dans cette ville. Un concert de klaxons s'entendit, les jurons commencèrent à pleuvoir, le chauffeur du taxi d'Emma y participa activement, échangeant quelques grossièretés avec son voisin de gauche. Même les trottoirs semblaient ne plus pouvoir contenir de personnes. Ils débordaient presque. Quand les feux passaient au vert, une masse compacte commençait son avancée. On ne marchait jamais seul, on s'aventurait à plusieurs dans ces villes américaines. La solitude est parfois nécessaire, le silence vital. On n'est jamais seul ici, mais intérieurement on l'est plus que jamais. Cette froideur, cette ignorance peut parfois causer des dommages. Emma ressassait de semblables pensées et elle ne s'en félicita pas. Elle aurait aimé combattre la douleur psychologique, celle de l'âme, profonde et insurmontable semble t-il.

« Est-ce toujours ainsi par ici ? » Demanda la jeune femme pour éviter les sombres raisonnements qui l'assaillaient. Le chauffeur eut un geste de surprise d'entendre cette étrange dame à l'air si triste lui adresser la parole.

« Quelquefois mais depuis quelques années, ça devient de pire en pire » Répondit-il en observant Emma grâce au rétroviseur. « J'habite à Seattle depuis vingt ans et je n'ai jamais vu un embouteillage aussi monstre dans toute ma vie de chauffeur » Il venait d'éteindre la radio d'un geste brusque, il aimait parler avec ses clients, ça rendait son travail plus intéressant. Le contact social est souvent oublié.

« Quand pensez-vous pouvoir me déposer ? » L'homme réfléchissait, se frottant le menton. Une main tenait le volant, l'autre pianotait sur le GPS. Après une mûre réflexion, il put lui répondre.

« Nous ne sommes plus très loin, environ cinq minutes mais ce sont ces bouchons qui m'embêtent » Souffla t-il d'un air las en observant la longue et interminable file de voitures devant lui. Ils étaient bel et bien bloqués, la seule solution était de patienter.

Nerveuse, Emma se demandait ce qu'elle devait faire. Elle avait déjà du retard et si cet embouteillage subsistait encore, elle n'était pas sûre d'arriver avant la fin de la cérémonie. Elle se mit à pester. Le temps coulait plus rapidement qu'elle ne l'aurait voulu : il était déjà 11h25. Si elle ne trouvait pas tout de suite une solution, tout serait irréparable ! Une minute plus tard, elle sortait de la voiture, les chaussures à talons dans les mains, fonçant et se faufilant dans la foule. Elle était pieds nus, sa robe remontait dangereusement sur ses cuisses, elle était dévisagée ouvertement, on lui adressait des regards et des paroles peu appréciables mais elle ne s'arrêtait pas. S'arrêter, c'était abandonner et si prêt du but, elle se sentait pousser des ailes. Elle arriverait en retard mais elle serait là, pour lui, pour chaque moment dur qu'il allait traverser, pour chaque larme qu'il allait verser. C'était, pour Emma, sa seule et unique mission.

Elle tourna à gauche comme lui avait précisé le chauffeur. Ses pieds rencontraient quelquefois une flaque d'eau, preuve qu'il avait plu récemment même si la température semblait prouver le contraire. Elle courrait, elle trébuchait mais elle continuait sans s'arrêter. Elle avait foi en elle. Elle prit la première à droite ensuite et une belle église gothique apparut dans son champ de vision. Elle parcourut les derniers mètres en sprintant puis quand elle gravit le perron, elle put finalement reprendre sa respiration tout en observant l'éblouissante architecture du lieu de recueillement. Le lierre grimpait et s'accrochait désespérément aux murs ; les vitraux sous les rayons du soleil aveuglèrent momentanément Emma. La jeune femme se tenait devant la grande porte en bois massif dans un accoutrement si indécent qu'une femme qui passait par là faillit la sermonner. Emma consacra quelques minutes à sa tenue, réajustant sa robe noire sur ses jambes, cachant autant que possible la naissance de ses seins, puis elle dissimula ses pieds sales dans les chaussures à talons. Ses cheveux étant trop emmêlés, elle ne put réussir à se coiffer. Quant à son maquillage qui avait coulé et qu'elle avait enlevé dans le taxi, elle n'avait plus ni le temps, ni la force d'en mettre.

En soufflant fortement pour se donner du courage, elle poussa la lourde porte et s'engouffra dans l'église.

Que pensez-vous de ce changement d'environnement (Seattle) ?

Si vous pouviez commenter vos impressions, ça serait fantastique.

Bisous x.





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