27. New York, Manhattan

New York, Manhattan √

20h46

Quand Dave avait regagné son appartement le soir dernier, ses parents ne s'y trouvaient plus. Pour toute explication à leur absence, sa mère avait griffonné un petit mot disant qu'ils étaient retournés à leur hôtel. Même si Dave s'était préparé à une énième altercation, il se surprit à être soulagé : jamais il n'aurait pu tenir tête à la figure maternelle. Caitlyn avait toujours trouvé en elle la force de convaincre, elle possédait autant d'ambition que Napoléon quand il n'était encore qu'un simple caporal. Elle aurait même pu faire fuir les soldats anglais à Waterloo et gagner cette bataille. Dave n'aurait jamais pu la défier et, en vérité, il savait qu'une part des accusations portée contre lui était véritable. Il n'était pas un bon tuteur, oh non ! Quand il avait obtenu la garde de Daisy, il avait juré de devenir le meilleur père de substitution. Et maintenant que faisait-il ? Il reniait sa parole, se dit-il en observant Daisy s'adonner à l'aquarelle, des pots de peinture jonchant la table sur laquelle il travaillait. En musique de fond, on pouvait entendre la radio et la fillette chantonnait timidement quand elle reconnaissait les paroles. Dave se perdit un instant dans la contemplation de sa nièce, se demandant ce que penserait Lily du tuteur qu'il faisait. Il haussa les épaules ; elle n'était plus là et il ne croyait pas vraiment au paradis ou au fait que, allongée sur un nuage, elle observait sa fille et son frère d'un air attendri. Daisy, elle, était persuadée qu'après la mort se trouvait une seconde vie. Elle espérait secrètement que sa deuxième vie serait moins centrée sur des visites quotidiennes à l'hôpital.

Le portable de Dave vibra contre la table, faisant sursauter Daisy. Il prit l'appel même s'il ne connaissait pas l'ID, il voulait juste ne plus penser à sa sœur ni au fait qu'il soit un si mauvais père.

« Allo ? » Demanda Dave, en s'isolant dans sa chambre où il se laissa tomber sur le lit. Une voix masculine française le fit se redresser brusquement. Même si Henry n'était pas dans la pièce, il se sentait observé et c'était légèrement inconfortable.

« Bonsoir Dave... Je... » Le père d'Emma perdait ses moyens, Dave le sentit bien qu'un océan les sépare. Il faillit esquisser un sourire de victoire suite à ce revirement mais il avait peur de s'attirer les foudres de ce dernier bien qu'il ne puisse le voir.

« Oui ? » Le questionna Dave dans son meilleur français ; il n'avait aucune difficulté à parler cette langue qu'il aimait tant et qu'il apprenait à adorer avec Emma.

« Je suis sûr que vous savez pourquoi je vous appelle » Renchérit Henry avec une pointe d'amertume. Ce snobisme (pensait-il) américain le rebutait et il se détestait de demander de l'aide à cet étrange personnage qui se disait aimer sa fille alors qu'il était persuadé du contraire. Il voulait le meilleur pour sa fille et il croyait savoir pertinemment que ce soit disant 'gentleman des affaires' n'était rien d'autre qu'un affreux coureur de jupons.

Dave crut tout d'abord judicieux de jouer avec cet homme qui l'avait tant rejeté mais il pensa à Emma qui n'aurait pas aimé que son amant se conduise de cette même manière alors il se décida à parler affaires, un sujet qui le passionnait autant qu'il pouvait quelquefois le détester.

« Je vous enverrai le contrat sous peu »

« Je n'ai pas besoin de votre contrat »

« Vous ne voulez même pas lire les clauses ? » Dave fut surpris. D'habitude, les personnes qui souhaitent signer un contrat avec lui se jetaient sur les clauses pour ne pas rencontrer d'accros ensuite.

« Je perds ma ferme si je gaspille mon temps à lire un papier que je n'aurais jamais signé en temps normal » Ajouta Henry et bien que sa voix fut ferme et autoritaire, on pouvait ressentir toute la peine qui le submergeait. Dave comprit que Henry ne l'avait appelé qu'à la dernière minute. En effet, jusqu'à la dernière seconde, le père d'Emma avait recalculé ses comptes, émis la possibilité de vendre sa ferme pour racheter une parcelle plus petite mais la réalité devait être regardée en face. Recommencer à zéro était impossible. Vendre ses quelques vaches n'était pas une option à laquelle il put se résoudre. Il ne lui restait que cet Américain en qui il ne croyait guère et pourtant il lui mettait entre ses mains sa ferme, son bien le plus cher.

« M. Bolet, vous ne le regretterez pas. Je vous assure que je vais faire tout ce qui... »

« Epargnez-moi votre jargon pour débutant, si j'ai fait appel à vous c'est que je n'avais pas le choix » Lui répondit une voix fatiguée. Dave comprit enfin, qu'en France, il était environ trois heures du matin. Pourquoi l'appeler à une telle heure ?

« Je comprends » Henry ne voulut pas en savoir plus, il avait raccroché. C'était certainement peu poli mais il ne se voyait pas le remercier. Il l'avait déjà accepté sous son toit pendant deux jours bien que le 'verbe' soit quelque peu imprécis et erroné car il avait tout fait sauf l'accepter.

Dave resta un moment silencieux. Les klaxons joyeux se répétaient en bas de l'immeuble et l'écho se répercutait jusqu'à ses oreilles. Etrangement ce bruit qui berçait son sommeil chaque soir depuis des années le rassura. Il se frotta énergiquement les yeux puis passa une main dans ses cheveux désordonnés ce qui n'eut que le don de les emmêler encore plus. Et puis, soudainement, tout bruit extérieur à l'appartement cessa ; les klaxons avaient cessé d'exister. Il n'entendait plus que le tic-tac infernal de l'horloge en fer accrochée sur le mur devant lui alors qu'il s'était promis de l'enlever. Tant de petites choses qu'il avait jurées de faire. Tant de choses inachevées. Un hurlement troubla ses pensées et le tint éveillé. Une voix qui s'époumonait en criant «Da' » à répétition. Dave se leva précipitamment du lit et courut dans le salon en se maudissant d'avoir pris congé de Lise, la cuisinière et de son majordome James. Il allait devoir traverser ça seul, se débrouiller. Nom de Dieu ! il avait vingt-six ans, ce n'était plus un bambin à qui on doit tenir la main. Et pourtant, à ce moment précis, il aurait aimé pouvoir être épaulé parce que l'image d'une Daisy au bord des larmes l'effrayait, parce que, bien qu'étant un adulte responsable, il n'avait ni la fibre d'un père, ni la fibre d'un oncle. Minable, il se sentait minable !

Quand il débarqua dans le salon, il eut tout d'abord un mouvement de recul. Il n'avait rien imaginé de si terrible. Jamais ou presque jamais, il ne l'avait vu dans cet état. Il s'approcha d'elle, sur la pointe des pieds. La fillette tenait sa tête dans le creux de ses mains, essayant vainement de cacher des larmes qu'elle aurait aimé refouler mais elle n'y était pas arrivée.

« Da'... » Sa voix, auparavant forte, était maintenant faible mais remplie d'émotions ce qui bouleversa le cœur sensible de Dave. Devant elle, son dessin n'était plus qu'un gribouillis de traits noirs qui se bousculaient sans sens. Elle qui n'avait jamais commis une rature sur ses anciens croquis ! Il la regarda sans comprendre, perdu. Que se passait-il vraiment ? Mais surtout, que devait-il faire dans une situation qui le surpassait ?

Elle leva son regard d'enfant vers cet homme qui l'avait élevée comme sa propre fille, qui, malgré les erreurs, l'avait rendue épanouie. Elle esquissa un sourire forcé dans le but de le rassurer. Elle savait qu'il se faisait du souci pour elle.

« Da'... Je ne vois plus rien... Et, mes mains tremblent... »

Pour Dave, commença l'apocalypse.

New York, New York-Presbyterian Hospital

21h30

Personne ne comprenait cette rechute ou tout le monde faisait mine de ne pas avoir compris. Dave repoussait cette terrible idée qui lui compressait douloureusement le cœur. La vérité lui faisait peur, il préférait vivre dans le mensonge. Seulement, alors qu'il se trouvait à cet instant dans le bureau du chirurgien pédiatre, Julien Bolet, il se demanda s'il pouvait tout nier, tout dissimuler. Il pensa à ses parents qu'il n'avait pas eu le courage d'appeler encore. Que dirait une grand-mère à sa seule petite fille ? Que dirait une mère à son fils désespéré ? Comme il aimerait mettre de côté toute cette souffrance humaine. Il détestait Dieu ! Ce dernier condamnait une âme pure, innocente. Pourquoi tant de colère envers une enfant qui n'apportait que du bonheur ? Quelle était l'égalité qu'il avait promise ? S'il acceptait de retirer un enfant de la face du monde, que faisait-il des criminels et des meurtriers ? Si Dave avait pu croiser Dieu, il lui aurait fracassé le crâne ou plutôt, il lui aurait fait subir tout ce que Daisy avait dû traverser : les chimiothérapies, les vomissements, la perte de la vue, le tremblement des mains, tout.

Julien Bolet prit place derrière son bureau. Il avait changé. En seulement un jour, il était redevenu humain. Il s'était rasé de frais et avait troqué ses vêtements souillés contre l'impeccable blouse blanche du médecin. Après la discussion qu'il avait échangée avec Dave, il avait compris que son mutisme ne le menait à rien et il avait radicalement changé de vie. Il avait même eu un semblant de conversation avec Pamela au sujet du bébé.

Dave, sous cette nouvelle facette, comprit que Dieu insufflait la vie à ceux qui l'avait perdue et la reprenait à d'autres. Cette pensée le dérangea ; l'injustice de cette remarque le tourmentait. Il voulait voir devant lui se dresser autre chose qu'un long couloir ténébreux. Vingt-six ans qu'il n'avait pas vu la véritable lumière sauf quand il était aux côtés d'Emma. A vingt-deux il avait compris la douleur de perdre un être cher, Daisy, elle, l'avait compris du haut de ses six ans en perdant sa mère.

« Les nouvelles ne sont plus rassurantes M. Sherley » Expliqua Julien d'un ton empreint de douceur mais ça ne réconforta en rien Dave qui se recroquevillait de plus en plus comme une huître au contact du citron. Il plongeait, la tête la première dans un océan écumeux. « Ce n'est pas facile à entendre Dave » Cette fois-ci Julien avait repris un ton plus autoritaire comme s'il désirait que le jeune homme se relève et affronte le danger « Elle a besoin de vous. Malgré le fait qu'elle soit très mature pour son âge et qu'elle comprenne sa situation, elle ne peut traverser cela seule » Dave hocha la tête, il se leva ensuite du fauteuil aussi courageusement que possible et sortit de la pièce. Extérieurement, il garda un visage impassible mais des larmes intérieures coulaient, l'étouffaient presque. Sa vue était trouble mais il ne pleurait pas. Ses mains tremblaient. Il eut du mal à composer le numéro. Les touches de son portable lui semblaient rétrécir à vue d'œil. Une tonalité. Deux tonalités. Une voix. D'un ton saccadé, il apprit à ses parents que le combat allait bientôt se terminer, que les troupes sonneraient sous peu la retraite. L'ordre du général était implacable. Elle ne survivrait pas.

*

Daisy regardait de son lit d'hôpital le ciel étoilé sans le voir. Toutes ces étoiles qui brillaient nuit après nuit sans jamais disparaître, sans jamais se demander de quoi demain sera fait. Daisy mourrait, agonisait même mais elle ne bronchait pas. Evidemment que la nouvelle avait été dure et plus effroyable qu'elle ne l'aurait crue mais elle ne reportait la faute sur personne. Elle allait mourir ? C'était ainsi. Que pouvait-elle faire d'autre ? Lutter ? Combattre ? La fillette s'avouait vaincue, acceptait la défaite qui la mènerait vers la victoire, vers sa mère. Elle l'attendait, elle en était persuadée. Sur Terre, elle n'était plus assez en forme pour continuer à exister mais en-haut, elle vivrait. Son corps mourrait, son esprit restait. Toute cette peau, cette apparence pouvaient bien disparaître, ce n'était qu'une enveloppe humaine. Quand elle se retrouverait aux cieux, elle n'en aurait plus besoin. Elle pensait encore à ça quand Dave entra dans la pièce, plus malheureux que jamais, traînant les pieds comme un forcené à qui on eut mis les fers.

Ses parents arrivaient, se disait-il pour se rassurer, bientôt il pourrait se laisser bercer par la voix de sa mère. En cet instant précis, il avait mis de côté ses différents pour ne se focaliser que sur sa famille. Il aurait aimé pouvoir se rendre compte de l'importance de leurs présences plus tôt. Ses parents avaient toujours été là pour lui sauf qu'il avait refusé de le voir, ayant préféré nier leur affection. Ces quatre dernières années, il les avait gâchées à cause de son comportement futile et inexcusable. Il avait refusé tout amour venant d'eux et maintenant il le regrettait amèrement. Et dire qu'il lui fallait vivre un événement si tragique pour qu'il s'en rende compte.

« Da'... » Murmura-t-elle de sa douce voix qui pénétra l'âme de Dave et le rendit plus vulnérable. Il ne supportait pas de voir ce visage si angélique dans cet endroit si triste. Il détestait cette odeur qui évoquait la mort. « Je ne veux pas que tu agisses comme après la mort de maman. Il ne faut pas » Dave porta son regard sur la fillette qui avait égayé sa vie et qui maintenant devait partir pour d'autres horizons « Tu dois accepter l'amour de ceux qui t'entoure. Celui de grand-mère, de grand-père, de Damien et celui d'Emma » Elle parlait comme sa mère et étrangement, la pensée de sa sœur ne tourmenta pas Dave mais le rassura. Elle aurait quelqu'un là-haut, Lily serait là pour l'accueillir.

« Tu ne seras pas seule » Répliqua son oncle et il obtint un faible sourire de la fillette. Elle y avait tellement pensé à ce jour où elle la rejoindrait et ça ne lui faisait plus peur. Elle ne mourrait pas, elle ne partait pas, elle ne disparaissait pas. Elle vivrait seulement ailleurs, un peu comme un déménagement simplement de l'autre côté du chemin. Elle verrait encore Dave, de loin certes, mais elle continuerait à le voir.

Daisy se leva prestement du lit et courut se jeter dans les bras de Dave qui l'encercla fermement. Elle n'entrevoyait que sa silhouette mais c'était suffisant.

C'était dur de la laisser partir. Les larmes lui montaient aux yeux, sa gorge le piquait, son battait atrocement dans sa poitrine sans qu'il ne put rien faire. La jeune fille le laissa pleurer, l'aida à essuyer ses larmes et le réconforta. La vie continuait.

« Dave, nous avons fait aussi vite que possible... » La phrase de Caitlyn resta en suspens quand elle vit l'image rassurante de son fils serrant tendrement sa petite-fille. Christian, son mari, suivait bien que légèrement en retrait. Ils avaient tous les deux pris dix ans de plus.

La fillette desserra l'étreinte pour permettre à ses grands-parents de s'y nicher ce qu'ils firent sans poser de question. L'infirmière qui vint voir comment allait la grande malade découvrit une famille enlacée, qui débordait d'amour et d'espoir. On n'aurait jamais pu croire que quatre ans se soient passés sans que Dave et ses parents ne s'adressent la parole. Tout était mis de côté, tout était pardonné. Même la mort ne peut détruire des éléments indissociables, même la mort reconnaît le pouvoir de l'amour.

Dave pensa douloureusement ce soir-là qu'il perdait une fille mais qu'il gagnait l'amour d'une mère et le respect d'un père.

Un chapitre assez larmoyant je dois l'avouer qui, j'espère, vous a touché.

N'hésitez pas à aimer et à commenter!

Bonne fêtes de fin d'années x.



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