24. Auvergne


Auvergne,

18h10

Quand Dave apprit que les plans d'Emma étaient différents de ceux qu'il avait escomptés, il se surprit à être étrangement énervé. Ce n'était pas le fait que sa nymphe aux cheveux rouges ait décidé de rendre visite à ses parents sans même l'en avertir auparavant qui le gênait, il lui en voulait plus pour avoir brisé ses fantasmes. Lui qui pensait passer une grande partie de son week-end au lit, à ses côtés. En séjournant chez ses parents, ils n'allaient sûrement pas faire l'amour autant que Dave l'eût souhaité. Ce dernier se demanda même si ce serait possible de commettre un tel acte là-bas sans s'attirer les foudres du ciel... Non pas qu'il ait peur pour son âme (il était déjà voué à l'enfer) mais il se faisait du souci pour celle d'Emma. Sa mine renfrognée se transforma bien vite quand il vit à quel point le bonheur pouvait se lire sur le visage d'Emma. Elle était tellement contente à l'idée que ses parents rencontrent Dave ! Elle leur avait un peu parlé de lui mais pas autant pour qu'ils devinent que l'amour qu'elle partageait avec lui était bien plus qu'une simple amourette de passage.

Certes, elle ne pouvait nier qu'elle était terriblement nerveuse que tout ne se passe pas comme prévu. Peut-être que Dave n'aimerait le franc-parler de ses parents ? C'était aussi probable que Dave ne se sente pas à sa place là-bas, dans un coin si reculé, si loin de la civilisation. L'Auvergne n'avait rien à voir avec les routes goudronnées de New York. Le samedi soir, ils n'iraient certainement pas voir une comédie mais il y avait tellement de choses passionnantes à faire dans le village où elle avait grandi ! Elle était sûre que les promenades en forêt enchanteraient Dave, la traite des vaches se révélerait peut-être plus compliquée à apprécier mais elle voulait qu'il ait un aperçu de son ancienne vie, de la façon qu'elle avait été éduquée. Mais ce qu'elle souhaitait au fond d'elle, c'était que Dave comprenne l'importance de ce week-end qu'elle avait mis tant de temps à programmer. Elle voulait qu'il sache que c'était dans cet environnement qu'elle se sentait elle, qu'elle était vraiment elle. C'est dans cette optique qu'elle prit le volant de sa petite voiture. A nous l'Auvergne, voulut-elle s'exclamer

*

Plus qu'une petite dizaine de minutes à conduire et ils seraient arrivés. Plus tôt dans la journée, ils s'étaient arrêtés dans un petit village pour acheter à la boulangerie deux sandwichs qu'ils avaient dévorés. Ils avaient ensuite visité ce joli petit patelin avant de reprendre la route, Dave au volant cette fois-ci. Conduire en France n'était pas plus différent que la conduite en Amérique. La voix nasillarde du GPS était tout ce qui brisait le silence qui régnait dans l'habitacle. Aucun n'était en froid contre l'autre mais aucun n'avait non plus décidé de parler. C'est dans ce calme propice au sommeil qu'Emma s'était endormie, la tête contre la vitre. Quelquefois, Dave reportait son attention sur la jeune femme. Il la couvait presque des yeux. Il trouvait dans cette figure endormie une sorte de félicité à laquelle il n'avait jamais goûté et comprit vite qu'il devait être à ses côtés constamment pour sentir sur son propre visage se dessiner un sourire sincère. Heureux était le mot qui le décrivait le mieux. Même s'il allait sans doute passer un week-end chaste, cela n'avait plus aucune importance maintenant. Elle était avec lui et c'est tout ce qui comptait à ses yeux.

*

« Nous sommes arrivés ma jolie Belle au Bois Dormant » Susurra Dave à l'oreille d'Emma, un de ses plus doux réveils. Elle aurait voulu s'éveiller tous les jours de cette manière, son amant penché sur elle avec cet air qui prouvait l'attachement qu'il vouait à cette dernière. Il ne pouvait que s'attendrir à la vue de la jeune femme qui se frottait les yeux dans l'espoir de faire partir toute trace de sommeil de son visage.

Dave gara la vieille voiture d'Emma dans la cour qui entourait la ferme qui se dressait devant eux. Il avait eu largement le temps de s'imaginer ce qu'avait pu être la vie de la jeune femme dans un tel endroit. Il s'échappait de la ferme un charme rustique. Construite avec des briques rouges, elle se différenciait des fermes voisines. Peu de fenêtres, avait pu constater Dave mais c'était sûrement pour garder un peu plus de chaleur à l'intérieur. Aux yeux du jeune homme, cette ferme était semblable à celles que l'on trouvait dans la campagne anglaise. Du lierre commençait d'ailleurs à pousser pour épouser les formes du bâtiment. Devant l'entrée principale, les plants de rosiers avaient gelé à cause du froid polaire. A droite de la bâtisse où habitaient les Bolets se trouvait l'étable qui accueillait une vingtaine de vaches qui étaient traites tous les matins aux alentours de 6 heures du matin. Un peu plus loin, il y avait l'écurie qui abritait deux chevaux, tous les deux assez vieux pour avoir vu Emma faire ses premiers pas. D'importants arbustes dissimulaient presque la cabane en bois où le père d'Emma rangeait la plupart de ses outils de travail. Dans cet environnement, Emma se sentit chez elle et soudainement plus confiante. Elle avait évolué dans ce cadre : elle se rappelait avoir couru après les oies blanches, se souvenait d'avoir monté à cru son cheval favori pour galoper dans les champs verdoyants. Oh mon dieu, quel bonheur elle ressentait à cet instant précis ! C'est ici qu'elle avait appris la vie mieux que quiconque. Ce n'était pas parce qu'on était une petite provinciale à l'écart de la capitale qu'on s'en sortait moins bien. Entourée d'animaux et de personnes qu'elle avait tant chéries, elle avait eu droit à une toute autre explication de la vie. Dans son village, elle avait toujours été accueillie avec joie par les personnes âgées auxquelles elle avait tenu compagnie quand elle était adolescente. Tant de souvenirs firent perler des larmes de joie qu'elle s'empressa de sécher avec le revers de sa manche. Personne n'aurait pu comprendre ce qu'elle ressentait. Elle détacha la ceinture de sécurité, ouvrit la portière et sortit du véhicule. Ses parents se tenaient sur le seuil de leur maison après avoir entendu le crissement de pneus sur le gravier. Elle courut vers eux dans un élan de bonheur et les enlaça tendrement. Quatre mois s'étaient écoulés sans qu'elle ne les ait vus. Tout en sentant le parfum familier de sa mère qui lui rappela son enfance, elle sut que tout irait bien. Elle en était persuadée maintenant, elle n'avait jamais été aussi sûre d'elle.

Auvergne,

19h20

Le repas servi par les parents Bolets se révéla tout à fait succulent et se déroula dans une ambiance festive et nostalgique, notamment au début. Non pas que Dave ait pensé le contraire, il savait d'avance que cette soirée serait une réussite il n'avait cependant pas pu faire abstraction de la boule nerveuse qui s'était formée au niveau de son ventre à l'idée seule de la soirée qui l'attendait. C'était une nouveauté pour lui après tout : rencontrer les parents d'Emma était un grand pas pour cet homme qui avait tant douté de lui. Cependant, il put se détendre presque instantanément quand il sentit la main d'Emma qui cherchait la sienne sous la table. Durant tout le repas, il la tint fermement, l'obligeant à manger à l'aide d'une seule main. Il s'aperçut vite que la mère d'Emma lui faisait confiance. Claire avait encore l'allure d'une jeune femme d'une trentaine d'années bien qu'elle s'approche de la soixantaine. Elle avait le rire facile et souriait pour un rien. De courts cheveux bruns encadraient un visage rond et des yeux en amande étaient dissimulés sous une paire de lunettes. Elle portait ce soir-là, pour l'occasion, une robe classique. Elle voulait faire bonne impression. En tant que mère, elle était tellement heureuse que sa fille partage avec elle son bonheur. C'était la première fois qu'Emma présentait un garçon à ses parents. A la minute où elle les avait appelés pour leur confirmer leur venue, Claire avait compris que Dave comptait énormément pour elle. Aussi cette dernière avait-elle sermonné ses parents, les priant d'éviter de parler de tout sujet fâcheux. Le repas touchait bientôt à sa fin et Claire était sous le charme de Dave. Elle ne cessait de lui offrir un regard rempli de douceur, un acte presque maternel qui lui rappela la tendresse excessive dont faisait preuve sa propre mère quand il était un bambin. A la différence de son épouse, Henri se montrait plus réservé à l'égard de Dave. Il ne connaissait rien de ce dernier et pourtant il l'accueillait dans sa propre maison, sous son toit. Le père d'Emma lorgnait le jeune homme dont sa fille s'était amourachée et jugea d'un œil critique sa tenue. Pour la soirée, Dave avait revêtu une chemise blanche et une cravate noire. Un pantalon de costume complétait l'ensemble. Sûrement une chemise en lin, pensa Henri. Pour ce dernier, cet accoutrement était un étalage inutile de luxe. Lui-même avait préféré se vêtir de son tee-shirt le moins froissé et d'un pantalon banal. Il n'avait fait presque aucun effort : il n'allait jamais changer ses habitudes pour un étranger si riche soit-il ! Il avait peur de dire quelque chose de mesquin durant ce dîner et de s'attirer les foudres de sa fille. Aussi se garda-t-il d'ouvrir la bouche. Henri était un homme qui avait grandi dans une famille où le travail manuel primait sur les études. Il n'avait pas passé beaucoup de temps sur un banc de classe car, dès son enfance, il avait connu cette passion de la terre. Il connaissait tout ce qui se rapportait à la terre et était capable d'un grand savoir quand il était question de culture et de traite. Sa famille l'avait toujours poussé à détester les personnes qui devaient leur situation à leur position sociale, aussi ne considérait-il pas Dave à sa juste valeur. A ses yeux, ce gamin n'était qu'un fils à papa qui était né avec une cuillère en argent dans sa bouche. Lui, il devait son peu d'économie au travail de ses champs et la vente du lait de ses vaches. Il en était fier et il défiait toute personne qui le rabaissait. Certes il n'avait pas suivi de longues études (il n'avait d'ailleurs même pas passé son certificat d'études) mais il gagnait quand même sa vie honnêtement et il subvenait aux besoins de sa famille... Cette dernière pensée fit dessiner une grimace amère sur son visage rougeaud. Il se resservit un verre de vin pour manger son fromage sans en proposer à Dave. Claire et Emma étaient les seules qui essayaient d'intégrer Dave dans leur petit comité.

« Comment se passe les affaires ? Est-ce que le lait se vend bien ? » Demanda Emma, sortant son père de son mutisme. Elle était légèrement fâchée contre lui de se comporter tel un enfant qui boude alors que cette soirée devait être mémorable.

« Je ne dois sûrement pas gagner autant de fric que ton petit-ami si c'est ce que tu veux entendre » Il régna un silence sans égal à la tablée. Dave venait d'être insulté mais il gardait un calme impénétrable. Combien de personnes l'avaient jugé par rapport à sa situation avant même de le connaître suffisamment ?

« Papa ! Tu ne peux pas dire ça ! » S'écria Emma, son visage empreint d'une irascibilité peu dissimulée. Comment pouvait-il avoir l'audace de parler de Dave de cette façon ? Il ne pouvait le juger, certainement pas maintenant. Emma se leva de la table furieusement. Sous tant de colère, sa chaise se renversa en un grand bruit. Elle était prête à pleurer mais elle se retint devant son père. N'était-ce pas ce qu'il cherchait ?

« Ne rejette pas ton agressivité sur Dave si cette dernière m'est dédiée » S'écria impétueusement Emma. Dave restait de marbre sur sa chaise, n'osant intervenir dans le conflit familial qui se menait devant lui. Il ne se sentait pas à sa place ici mais Claire le rassura d'un regard empreint de douceur. « Je ne te comprends pas. Qu'est-ce que je t'ai fait pour mériter ça ? » La jeune femme n'était pas loin de s'arracher les cheveux.

« Tu sais pertinemment bien que j'ai toujours trouvé ta conduite inacceptable. Tu as beau avoir eu ta mère comme soutien, je n'ai jamais pu accepter le fait que tu emménages sur Paris et que tu passes ton temps à voyager »

« Je ne voyage pas père, ça fait partie de mon travail ! »

Henri ne prit pas sa remarque en considération et continua « Et maintenant tu te ramènes avec... un homme dans son genre » Il désigna Dave du doigt sans toutefois le regarder droit dans les yeux. « Je connais ces vermines, il ne pense qu'au fric et il te délaissera. Tu crois que Crésus peut s'enticher de quelqu'un ? Je t'ai connue faible mais jamais naïve » Ce fut les mots de trop pour Emma qui laissa échapper la bouteille de vin qu'elle tenait dans ses mains. Tout le monde s'était tu pour observer en silence le drame. Dave gardait ses yeux sur la jeune femme qui paraissait à bout de force et qui, au lieu de s'effondrer en pleurs devant ses parents, préféra s'éclipser. Dave s'excusa auprès de Claire, ne porta aucune attention au regard foudroyant que lui offrait Henri et suivit les pas d'Emma en faisant attention aux débris de verre qui jonchaient dorénavant le sol. Sous le choc, le vin avait éclaboussé presque toute la pièce, cette couleur violacée était la preuve d'une brisure dans la famille Bolet.

Emma s'était réfugiée dans son ancienne chambre, celle où elle avait passé toute son enfance. Elle était recroquevillée sur le lit une place et serrait contre elle une vieille peluche dont l'identité était inconnue. Sans bruit, Dave s'assit sur l'extrémité du lit et entreprit de défaire le nœud de sa cravate car il manquait cruellement d'air. Il peinait légèrement. Une petite voix demanda « Laisse-moi t'aider » Emma se releva et s'approcha de lui comme un félin vers sa proie. Les doigts de la jeune femme couraient sur son cou pour avoir une meilleure emprise et quelques secondes plus tard elle tenait fièrement la cravate dans la paume de sa main. Malgré le sourire qu'elle arborait, Dave savait que ce n'était qu'une couverture, un déguisement grossier. Il tint le menton de son amante pour mieux l'observer et quand elle hocha silencieusement la tête, il posa ses lèvres chaudes sur les siennes dans un baiser désespéré. Emma désirait faire oublier à Dave la scène du dîner et elle y arrivait à merveille.

« Embrasse-moi jusqu'à ce que j'aie le vertige » Souffla t-elle entre deux baisers. Et c'est ce qu'il fit : elle devait se retenir à ses deux épaules pour ne pas s'évanouir de bonheur. Ses doigts jouaient dans les cheveux bruns en bataille de Dave. Il renforça bientôt encore plus l'intensité du baiser comme s'il pouvait atteindre un point de non-retour. La bouche de Dave avait le goût du paradis et elle était incontestablement menée au septième ciel sous ses caresses. Elle entreprit de déboutonner les premiers boutons de sa chemise pour pouvoir avoir une meilleure emprise sur lui. Ses mains effleuraient son torse musclé et bien vite il se retrouva torse nu, sur elle. Ils se séparèrent peu après, étrangement sonnés de s'apercevoir à quel point il était compliqué de garder une distance convenable entre leurs deux corps. Chacun avait désespérément besoin de l'autre. Emma ne pensait à plus rien d'autre que Dave : Louis, son père et ce dîner foireux avaient été relégués loin derrière elle. Quant à Dave, il mit tout son savoir-faire pour procurer à sa jolie française un bonheur sans égal. Ils s'aimèrent follement ce soir-là, sans se préoccuper des autres habitants du logis puis ils s'endormirent l'un contre l'autre sur le petit lit, sans rien dire. Ils n'avaient aucunement besoin de parler pour se comprendre, comme deux âmes sœurs ils savaient décrypter l'état dans lequel se trouvait l'autre.

Que pensez-vous de ce nouveau chapitre ?

Je m'excuse de l'attente !

Bisous & très bon week-end à tous et à toutes!

xx

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