23. Paris, 18ème arrondissement


FEVRIER √

Paris, 18ème arrondissement

23h56

Elle rentra chez elle aux alentours de minuit, éreintée. Elle venait juste de finir sa journée de travail et elle avait voyagé toute la journée. La jeune femme tentait de combattre la fatigue mais elle avait du mal à garder ses paupières ouvertes. Elle retrouva son appartement où régnait un froid polaire sans grande joie. Il fallut plus de quinze minutes pour que l'atmosphère trouve un semblant de chaleur. Rares étaient les soirs où elle rentrait dans un tel état, rampant presque jusqu'à son lit pour s'y laisser tomber. Elle portait encore son habit d'hôtesse de l'air et se sentait sale mais elle n'eut pas la force de se rendre à la salle de bain. Elle s'enfouit sous les couettes de son lit et n'eut même le temps de souffler le nom de Dave qu'elle sombrait dans un profond sommeil. Quelque part aux Etats-Unis, un jeune homme rêvait d'elle et regardait sans grand intérêt la ville de New York s'agiter sous ses pieds.

*

Emma avait passé sa journée aux côtés de Louis. C'était la première fois qu'il reprenait contact avec elle et étrangement, elle avait besoin de ça. Ces retrouvailles avaient un peu le goût de la liberté. Ses horizons s'agrandissaient considérablement, elle qui pouvait compter ses amis sur une seule main. Quand elle sonna chez lui, la porte s'ouvrit tout de suite sur le jeune homme, torse nu. Elle se sentit gênée et ne put empêcher la rougeur de ses joues. Il ne portait qu'une simple paire de jogging gris. Mis à part Dave, elle n'avait jamais vraiment côtoyé de garçons qui avaient l'habitude de se promener à demi-nu. Mais quand elle vit le visage creusé de Louis, tout son trouble disparut. De petites perles de sueur faisaient leur apparition à tout endroit de son corps. Sans un mot, elle plaqua la paume de sa main fraiche sur son front et constata bien vite qu'il n'allait pas bien. Le contraste de température d'un membre tiède sur le corps chaud de Louis le fit soupirer de soulagement.

« Mon dieu Louis, tu es brûlant » Dit-elle avec un air maternel « Il faut que tu retournes dans ton lit » Elle l'entraîna dans ce qu'elle savait être sa chambre et l'aida à se placer sous les couvertures. Tandis qu'il attendait patiemment sous la couette, elle se remuait pour trouver une serviette qu'elle humidifia. Elle retourna dans la chambre, s'assit sur le lit, près de lui et posa délicatement ce bout de tissu frais sur le front chaud de Louis. Il ne cessait de la fixer comme si elle était un ange descendu du ciel rien que pour lui. Il délirait presque tant il suffoquait. Devant lui se trouvait la plus agréable créature qu'il lui eut été donnée de voir. Les cheveux roux de la jeune femme formaient un halo autour de son visage cristallin et ses beaux yeux bruns se détachaient de cet ensemble déjà bien flatteur. Dépourvu de raison, il ne se retint pas du désir qui le consumait quand il la regardait. Ses lèvres se déposèrent machinalement sur celles d'Emma sans que cette dernière n'ait eu le temps de réagir. Il trouva dans ce baiser bref ce qu'il avait désiré depuis longtemps : la preuve qu'il n'était plus seul. Il n'obtint peut-être aucune réponse de la jeune femme mais elle ne lui interdisait pas non plus. Il se releva difficilement, calant son corps entre deux coussins et encadra le visage d'Emma à l'aide de ses mains tremblantes. Cette immobilité se traduisait pour Louis comme un accord tacite tandis que la vérité était bien plus compliquée que cela. Emma ne comprenait pas pourquoi elle ne stoppait pas cette avancée, cet acte qui la rendrait plus tard honteuse. Elle n'avait pas de contrôle sur son corps. La sensation de ses lèvres chaudes sur les siennes était agréable et elle se détesta de penser cela alors que ses sentiments se tournaient indéniablement vers Dave. Dave. Elle répéta ce prénom comme si elle retrouvait sa raison. Elle réalisa bien vite ce qui se passait et alors que Louis s'accrochait à elle désespérément, elle se crispa dans son étreinte et se délivra de cette dernière. Elle s'enfuit du lit, marquant une distance entre Louis et elle comme pour éviter que ce dernier n'exerce une autre pression sur elle.

« Bordel... Emma je suis désolé » Avoua Louis quand il vit que la jeune femme retenait difficilement ses pleurs. Il ne l'avait jamais vu aussi triste et elle lui apparut comme un ange apeuré, un ange qui venait de se brûler les ailes. Elle éclata en sanglots alors qu'elle avait tout mis en œuvre pour surmonter la honte qui la submergeait à cet instant même. Elle l'avait embrassé ou plutôt elle l'avait laissé l'embrasser mais quelle différence était-ce ? Elle était fautive et maintenant elle se sentait oppressée sous un poids insupportable. Elle avait trompé Dave à cause d'un stupide baiser volé. « Tu n'as pas à te sentir mal Emma, c'est de ma faute. Je délirais et tu étais là » Souffla Louis, regrettant de l'avoir embrassée dans un moment de faiblesse. Il l'observait tendrement, elle venait de s'agenouiller au sol et elle cachait sa tête dans ses mains, ne voulant pas qu'on puisse lire sa peine. Elle n'en voulait pas à Louis. Il lui avait paru tellement désespéré quand il avait scellé ses lèvres aux siennes comme si ce simple geste était son remède.

« Parle-moi Emma » Gémit Louis, s'extirpant difficilement des couvertures et s'approchant de la jeune femme prostrée à même le sol. Elle lui parut tellement brisée qu'il relégua sa douleur physique au second plan. Elle pleurait par sa faute. Il s'injuria intérieurement, se traitant d'imbécile. Comment avait-il pu se laisser tenter ? Certes, Emma était attirante mais il avait toujours su contenir son désir. « Je suis le seul fautif dans cette histoire Emma, tu n'as pas à t'en faire » Réussit-il à prononcer. Il venait de réaliser que ce geste futile pouvait lui coûter l'amitié qu'il portait déjà à Emma. « Je suis tellement désolé » Ajouta t-il et il sentit des larmes rouler sur ses joues. Lui qui avait tant de mal à pleurer devant quelqu'un, il déversait sa peine juste devant elle. Pourtant, à cet instant précis, il se sentait tout sauf gêné. Quand elle eut fini de pleurer et que sa honte avait considérablement diminué en son for intérieur, elle se permit de lui jeter un regard. Elle le trouva à ses côtés mais se tenant à une distance raisonnable d'elle, elle comprit alors qu'il la respectait. Elle avait le choix de creuser encore plus cet espace en s'enfuyant d'ici ou de le rendre inexistant. Elle suivit ce que lui dictait son cœur, elle l'entoura le jeune homme de ses bras. Une étreinte innocente que Louis accueillit comme un présent envoyé par le ciel. Il ne souhaitait aucunement plus, même le baiser était loin derrière. Non, sentir ce corps contre lui était bien suffisant.

New York, Manhattan

Dans un building, 21 h 10

Dave observait le vide devant lui. Les pieds nonchalamment posés sur le bureau en face de lui, il ne bougeait pas comme pétrifié. Deux jours déjà qu'elle était partie et elle lui manquait déjà terriblement, il l'aimait tant ! Sa belle créature peuplait même ses rêves ! Il devenait fou d'elle : il la voyait dans le visage des autres. Sa beauté suprême, ses tâches de rousseur sur ses deux joues roses, ses yeux pétillants quand elle était persuadée qu'il ne la regardait pas, tout chez elle devenait un manque pour Dave, une preuve irréfutable qu'il était bel et bien amoureux d'elle. Comment avait-il pu baisser sa garde ? Comment avait-elle réussi à conquérir des contrées réputées impénétrables ? Il ne se rappelait pas la dernière fois où il avait aimé se laisser aller avec elle doucement sur ce lit, lui qui était plutôt du genre impétueux et sauvage. C'était un nouvel homme, une nouvelle version de lui-même. Emma venait de le perfectionner, de le rendre meilleur. Il se croyait banni, voué à l'enfer pour avoir préféré des conquêtes éphémères à l'amour de sa vie, pour avoir délaissé ses parents, pour avoir cru qu'il pourrait s'en sortir seul. Etait-ce un cadeau de Dieu cette jolie française qu'il avait rencontrée tout à fait par hasard ? Serait-ce une preuve irréfutable qui lui prouverait qu'il ne pouvait continuer sa route en solitaire ? Il n'était plus sûr dans quoi il s'aventurait mais il savait que tout ce qu'il désirait maintenant valait la peine d'être tenté. Il aurait vendu son âme au diable et souffert mille tortures pour garder Emma. Elle représentait pour lui tout ce qu'il y avait de plus humain dans ce monde : elle pouvait tout d'abord compatir à la souffrance des autres, s'efforcer de la comprendre et puis piquer une crise pour prouver son existence. Elle avait du caractère, personne ne pouvait en douter. Sous des apparences trompeuses, se cachait la réelle Emma, celle dont il était tombé follement amoureux. Celle qui lui permettait de voir plus loin que le mur effrayant et infranchissable qui lui barrait le chemin, qui le séparait de la vie qu'il pensait vouloir mener. Tout lui paraissait possible et décidément moins terne qu'auparavant. Quand son regard se porta sur une vieille photographie de sa vie d'antan, un sourire nostalgique se dessina sur son visage adouci par l'amour.

Paris,

4h50

Décidément, Emma ne comprenait pas la raison qui lui avait soufflé de sortir de son appartement à cette heure si indue. Elle ne savait pas ce qu'elle faisait, assise sur ce banc alors que cinq heures n'allaient pas tarder à sonner au clocher de la paroisse du quartier. Elle était encore en pyjama sous son long manteau qui la protégeait du froid pénétrant de l'hiver. Elle attendait avec impatience l'arrivée du printemps, sa saison préférée. Le temps maussade influait tellement sur son moral ! Elle rêvait de prairies verdoyantes, de fleurs écloses, d'arbres feuillus, d'oiseaux chantant leur joyeuse musique et surtout, elle espérait que Paris ne soit plus recouvert de ce brouillard épais qui rendait la vie de tous les Parisiens plus dure. Elle voyait à peine ce qui se dressait devant elle, cette force étrange qui se mouvait dans la brume matinale. Sûrement une personne insomniaque qui, comme elle, cherchait un réconfort. Elle ne supportait plus de vivre seule dans cet appartement qu'elle avait appris à détester quand Dave n'était pas à ses côtés. Que faisait-il en Amérique ? Elle pensait elle aussi à lui parce qu'elle savait pertinemment bien que l'immensité de sa maison avait le même effet sur le moral du jeune homme. Pourquoi pensait-elle à eux comme deux amants déchirés par un destin défavorable ? Pourquoi persistait-elle à croire que tout se finirait comme une pièce de théâtre classique ? Il n'était ni Hernani et elle-même n'était ni Dona Sol. Ils n'incarnaient pas le rôle des héros romantiques ! Eux, contrairement à ces personnages de théâtre, vivaient dans le monde réel... Mais n'existe-t-il pas autant de malheurs dans la réalité que dans le monde fictif ?

Je pense vraiment n'importe quoi, se dit-elle plus pour se rassurer que pour autre chose. Qu'est-ce qu'il l'empêchait de rejoindre son amant maintenant ? Personne. Il n'existait aucun triangle amoureux, aucun adversaire, aucun homme jaloux qui puisse la retenir ici dans cette ville qui avait perdu tout son charme aux yeux de la jeune fille. Elle n'avait commis aucun crime, aucune faute. Elle était presque immaculée. Son casier judiciaire était vierge, elle avait toujours suivi toutes les lois, se conformant à chaque ordre. Elle avait toujours été acceptée en Amérique alors pourquoi s'acharnait-elle sur son sort alors qu'elle avait tout ce que les autres pouvaient lui envier ? Dave l'aimait ! Sa situation était peut être la chose la moins enviable mais elle appréciait ce qu'elle faisait. Son frère s'épanouissait à New York comme Pamela et Dieu merci leur relation serait bientôt rétablie. Daisy semblait être sur la voie de la rémission. Quant aux parents d'Emma, ces derniers ne prenaient certes peut être pas beaucoup de temps pour l'appeler mais quand ils la contactaient, sa mère débordait toujours d'affection. A la seule pensée de ses parents, elle se sentit subitement nostalgique. Elle avait passé tellement de temps à leur côté et ils lui avaient appris tant de choses ! Dave lui avait ouvert les yeux : peut-être qu'elle n'était pas la parfaite petite parisienne mais elle, elle pouvait se vanter de savoir faire autre chose que de se vernir les ongles et de savoir coordonner ses vêtements. Elle était provinciale avant et après tout. Elle n'avait pas besoin de sentir du sang royal couler dans ses veines, elle se sentit pour la première fois pleinement vivante. Elle était une Bolet, n'est-ce pas ? Elle avait entendu que ses ancêtres, au temps de la Révolution française, avait mené les paysans à la rébellion et avait donc participé à construire un pays plus égalitaire. Et elle en était fière.

*

Paris, Aéroport Charles-de-Gaulle

11h30

« Je t'offre un week-end » Souffla Dave à l'oreille d'Emma. Cette fois-ci, avant de débarquer chez sa française préférée, il l'avait informée. Jamais la distance qui séparait le continent américain de celui de l'Europe ne lui avait semblé aussi longue. Quand enfin il avait pu prendre Emma dans ses bras, il se sentait finalement chez lui. Son appartement luxueux à New York n'était qu'un bien matériel dont il avait appris à s'en défaire. La jeune femme qui lui faisait face représentait ce qui se rapprochait le plus d'un foyer. Pour elle, il aurait abandonné le poste si important qu'il occupait et que beaucoup de personnes convoitaient si seulement elle lui avait prié de le faire.

« Je pense que ça sera amplement suffisant pour toutes les choses que j'envisage de faire » Murmura t-elle pour que seul Dave l'entende. Ils se trouvaient présentement à l'aéroport Charles-de-Gaulles, Emma étant venu chercher son amant en ce vendredi matin.

« Est-ce que tes idées prennent en compte un lit et nous deux dans le plus simple appareil ? » Osa-t-il dire fortement et une famille se tourna vers eux, les parents leur offrant un regard froid et distant pour leur montrer à quel point leur conduite frivole était inacceptable dans un tel lieu mondain. Dave, pour toute répartie, haussa les épaules devant tant de frigidité. Il voulait la jeune femme et il ne s'en cachait absolument pas. Il n'aurait pas été gêné de crier haut et fort qu'il appréciait leurs ébats.

« Tu veux dire comme Adam et Eve ? » Emma offrit un clignement d'œil à Dave une fois qu'ils se trouvèrent à une distance acceptable de la famille.

« Tu comprends vite mon ange » Approuva Dave d'un hochement de tête. Emma ne put s'empêcher de se sentir toute retournée à l'utilisation de ce surnom si tendre.

« C'est aussi peut être parce que j'ai un bon mentor » Cette phrase lui valut un baiser de la part de Dave. En vérité, il l'aurait bien embrassée avant mais il voulait savoir s'il pouvait résister à la tentation. Maintenant, il était convaincu qu'il n'était dorénavant plus qu'un simple humain guidé par ses pulsions. La sensation des lèvres de sa bien-aimée sur les siennes l'amena à penser à des actes si torrides qu'il lui fallut rassembler tout ce qu'il lui restait de raison pour se convaincre d'attendre un peu avant de les réaliser. De préférence quand ils seraient dans l'intimité d'une chambre. Emma, elle, avait d'autres pensées. Elle était bouleversée de se rendre compte qu'elle avait tout d'abord comparé ce baiser à celui volé par Louis. Même si elle rendit compte que cet échange la menait directement au septième ciel, elle ne put tout à fait se laisser aller comme avant dans l'étreinte passionnée. Dave ne demanda heureusement pas la cause d'un tel revirement, il était trop heureux de l'avoir pour lui seul le temps d'un week-end qu'il oublierait alors tout.

« Tu comptes vraiment me faire attendre sur ce parking encore longtemps Emma ? » Demanda gentiment Dave sans remarquer le trouble de sa bien-aimée. Elle lui offrit un sourire triste dont il ne comprit aucunement le sens.

Un nouveau chapitre ! Quelles sont vos impressions ?

Je vous souhaite un bon dimanche xx



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