18. Paris

Paris, √

15h30

La bibliothèque de son quartier était petite mais elle contenait toujours ce qu'Emma cherchait pour s'évader, fuir. Les livres qu'elle empruntait ici ne s'arrêtaient pas seulement aux romans d'amour, elle aimait aussi relire les œuvres de Jane Austen et des sœurs Brontë. Tout dans cette Angleterre victorienne la laissait admirative, elle aurait aimé vivre à cette époque, rencontrer Mr. Darcy bien que Mr. Rochester soit plus à son goût, danser non pas dans une de ces boîtes de nuit infectes de son temps mais dans ces grands salons dorés aux sons d'un orchestre, se faire dire des galanteries. Elle aurait voulu se promener dans les jardins anglais toujours verts, ressentir l'air dans ses cheveux, elle aurait aimé porter ces tenues si élégantes qui cachaient tout chez la femme ce qui ne faisait pas d'elle quelqu'un de superficiel. Elle aimait se dire qu'elle était née à la mauvaise époque. Peut-être qu'Elizabeth Bennet partageait le même souhait qu'elle ? Changer de temps ? Porter moins de tissus ? Avoir plus de droits en tant que femme ? Elle chassa ses étranges pensées quand elle vit que Daisy était émerveillée par l'endroit pourtant banal par rapport à l'architecture. Ce n'était pas la forme du bâtiment qu'elle contemplait mais les livres qui peuplaient les rayons, dans les yeux d'un enfant voir tous ces documents peut être le synonyme même du bonheur. Emma comprenait la réaction de Daisy, ne ressentait-elle pas la même chose quand elle poussait la porte de la bibliothèque ? C'était un tout autre univers, un peu silencieux mais peuplé d'histoires merveilleuses qui pouvaient facilement vous faire rêver. La bibliothécaire qui connaissait bien Emma car elle était une habituée de ces lieux la salua d'un petit geste chaleureux de la main et elle fit de même pour la jolie petite fille qui l'accompagnait.

Emma et Daisy furetèrent dans les rayons à la recherche de livres. La petite fille semblait vraiment intéressée mais non pas par les livres d'enfants mais plutôt par les romans de littérature française. Emma la laissa seule un instant, trouva trois livres et se mit à la recherche de Daisy. Elle trouva cette dernière le nez plongé dans un roman, assise à même le plancher. Elle s'assit avec elle, eut peur que Daisy ne la rejette mais elle ne dit rien, ne souffla pas non plus et Emma en fut soulagée. Elle appréciait beaucoup la petite fille qui semblait frêle mais à la fois forte.

« Maman me lisait toujours ce livre car c'était l'un de ses préférés » Murmura-t-elle sans lever les yeux du papier comme si elle avait peur que ce ne soit qu'un mirage. « Elle disait toujours que la vie de cette héroïne devait être une sorte d'exemple pour nous tous, que ce n'était pas parce que tout allait mal qu'il fallait se laisser aller » Cette fois, elle laissa échapper un soupir qui trahissait sa nostalgie « J'ai été bercée par ce livre et maintenant, j'ai l'impression que je pourrais en réciter des paragraphes par cœur » Emma se sentit presque l'envie de serrer Daisy contre elle mais aurait-elle voulu de cette étreinte ?

« Elle te lisait souvent des livres ? » Questionna la jeune femme quand elle comprit que Daisy avait fini de parler. Emma ne voulait pas que la discussion s'arrête maintenant, pas alors qu'elle venait de s'ouvrir à elle.

« Oui, elle adorait ça. C'était plus qu'une passion, quand elle lisait, on aurait pu croire qu'elle vivait exactement tout ce qui se passait dans ses romans. Je venais me blottir contre elle avant d'aller me coucher et sa voix me berçait tandis qu'elle me faisait partager ses lectures. Ce sont des moments que je n'oublierai jamais, peu importe ce qu'il va m'arriver ! » En entendant ces mots, personne n'aurait pu se douter que c'était une fillette de dix ans qui laissait échapper ses émotions.

« J'aurais aimé vivre ça avec ma mère » Affirma Emma, les yeux perdus dans le vide. Son enfance défilait dans sa tête. Elle ne pouvait pas se plaindre de ce que ses parents avaient fait pour elle, pour son frère. Ils avaient toujours été là d'une certaine manière. Certes, ils ne l'avaient jamais bordée, ne lui avaient jamais lu une histoire avant d'aller dormir. Emma pensait qu'elle avait eu simplement une enfance différente parce qu'après tout, il en existe plusieurs. A leur façon, ses parents lui avaient toujours prouvé leur amour et c'était bien ça l'essentiel. Elle se mit à sourire.

« Le temps de l'enfance ne suit aucune règle. Chaque personne a sa propre définition, sa propre signification et chacun a ses souvenirs. Ce temps est fait pour plus tard se rappeler, pour partager et pour échanger » Sur ces mots, Emma se leva, suivit de Daisy. Discrètement la fillette nicha sa main dans celle de son aînée. Une porte s'était ouverte, elles en étaient toutes les deux conscientes. Il ne leur restait plus qu'à poursuivre le chemin.

*

De retour à la maison, elles s'assirent toutes les deux sur une chaise de la cuisine et commencèrent à parler. Au commencement, elles discutaient de choses insignifiantes, sans aucune importance mais qui permettait quand même d'en apprendre plus sur l'autre. Puis, après qu'Emma se soit mordue la langue plusieurs fois pour ne pas poser la question qu'elle avait bien en tête, elle se décida quand même à lui poser une question sur sa maman.

« Qu'est-il arrivé à ta maman ? » Emma s'attendait-elle à des pleurs ou à des cris ? Dans tous les cas, elle n'avait aucunement anticipé le calme qui suivit cette question. Daisy ne disait rien, cherchait ses mots, des paroles appropriées pour parler de ce sujet qui lui tenait à cœur.

« Elle est morte il y a quatre ans, dans un accident de voiture. J'avais six ans à l'époque mais les souvenirs sont toujours aussi vifs dans mon esprit » Répondit-elle, les yeux perdus dans le vide comme si elle mettait tout en œuvre pour se rappeler de chaque détail de ce jour funeste. Elle l'avait attendue, toute la soirée, nichée contre Dave qui avait essayé de dissimuler son inquiétude. Elle se souvenait l'avoir senti trembler. « Après les longues heures d'attente, il y eut la sonnerie du téléphone, cette sonnerie stridente et angoissante. Je crois qu'on avait tous compris ce qui se passait avant même qu'on ne décroche le combiné. On savait que rien ne serait comme avant » Emma la comprenait si bien qu'elle pouvait même imaginer la terrible scène sans trop de mal. Elle voyait la confusion des parents, la sombre mine de Dave qui essayait vainement de lutter contre des émotions envahissantes et la douleur d'un enfant qui vient de perdre sa mère, son seul élément.

« Où est ton père ? » Daisy s'extirpa de ses pensées pour fixer Emma.

« Je ne l'ai jamais connu mais d'après ce que maman m'a dit, élever seule un enfant n'est jamais une erreur. Elle ne s'est jamais plainte du fait que personne ne l'attende à la maison pour l'étreindre ou lui proposer de dîner dehors le soir. Elle était si bien accaparée par son seul enfant qu'elle ne sortait presque jamais » Emma comprit à quel point perdre sa mère avait dû être terrible car, n'était-ce pas elle qui avait pris soin de Daisy le temps de son enfance ? N'était-ce pas elle qui avait mis les relations de côtés dans le seul but d'élever correctement sa fille ?

« Un mois après sa mort, mon oncle Dave a demandé ma garde comme si c'était la chose la plus normale du monde. Nous avons quitté mes grands-parents, leur maison où il y régnait encore l'atmosphère pesante de la mort et nous avons gagné New York. Le travail de Da' occupait une grande partie de son temps mais il en consacrait toujours pour moi si bien que je ne pourrais jamais lui en vouloir. Durant un temps, j'ai cru que Da' redevenait celui qu'il était avant la mort de ma mère mais l'accident l'a trop perturbé mentalement. Il a brisé les ponts avec mes grands-parents dans le but d'effacer sa vie d'avant mais je crois que ça n'a servi qu'à le rendre plus faible et plus malheureux que jamais. Avec tous mes problèmes de santé, je ne lui accorde aucun répit et quand je m'aperçois que je le détruis petit à petit, je n'arrive pas à m'enlever de la tête que, une fois que je ne serai plus là, il sera seul. Seul avec ses funestes pensées qui conduisent souvent un homme à entreprendre les pires choses » Face à cette révélation, que pouvait dire Emma ? Que fallait-il qu'elle fasse pour consoler une petite fille qui a déjà compris le sens de la vie, qui connaît déjà sa chute ? Penser à la mort la rendait-elle plus mature ? Tout échappait à Emma et pourtant tout cordonnait. Quand elle avait croisé Dave à l'hôpital, c'était parce que la fillette avait fait une rechute. La mine fatiguée et triste de l'entrepreneur trahissait une histoire sombre et funeste qu'elle comprenait maintenant. N'entretenant plus aucune relation avec ses parents, s'il perdait Daisy, il se retrouverait sans rien. Il ne lui resterait que sa compagnie à gérer et son argent à sauvegarder. Que fait un homme seul et malheureux quand tout lui est retiré ? Dort-il comme un bienheureux quand vient la nuit et que les cauchemars le happent ? Songe-t-il à autre chose que tout ce qu'il a perdu ? Boit-il dans le but d'oublier une part de sa vie, pour épancher sa peine immense ?

« Quand je ne serai plus là... » Murmura Daisy comme si elle se parlait à elle-même.

« Mais tu seras là, n'est-ce pas ? » Il semblait à Emma que les rôles étaient inversés. La situation lui échappait.

« Je peux encore mentir à Dave mais je ne peux pas vous mentir. Je sais, d'une manière, que je ne survivrai pas » Daisy venait de s'emparer de la main d'Emma et la serrait à l'aide de sa petite paume enfantine, un geste qui fit perler de discrètes larmes dans les yeux de la jeune femme.


JANVIER

Aéroport Charles-de-Gaulle, Paris

7 h 45 du matin

Il y avait énormément de monde à l'aéroport. Les valises s'entrechoquaient, les gens se bousculaient et les jurons allaient bon train. L'humeur exécrable des personnes se comprenaient aussi au temps maussade qui apparaissait derrière les vitres tâchées de traces de doigts. Quand les portes automatiques s'ouvraient, une bourrasque de vent s'engouffrait à l'intérieur et faisait frissonner quiconque se situait à proximité de l'entrée. Emma serrait autour d'elle son manteau et essayait de garder son écharpe autour de son cou mais le vent froid et pénétrant la rendait dérisoire. Elle s'était risquée dehors pour allumer une cigarette et maintenant elle piétinait dans le froid, sans l'avoir fumée. La jeune femme essayait de se raisonner tandis que Dave et Daisy attendaient patiemment que leur vol soit annoncé à l'intérieur de l'aéroport. Ils avaient finalement choisi de ne pas rentrer en jet privé.

Une semaine s'était écoulée depuis que Dave l'avait emmenée au restaurant et tant de choses s'étaient déroulées en si peu de jours. Ils s'étaient tout d'abord embrassés plus d'une fois, c'était soit un baiser doux et passionné, soit un de ces baisers sauvages qui vous laissent sur votre faim quand ils se terminent. Ces embrassades arrivaient toujours à l'improviste, sans qu'aucun des deux ne le sache comme si c'était instinctif. Le plus souvent, c'était Dave qui faisait le premier pas, scellant ses lèvres aux siennes. Elle n'avait pas encore pris l'habitude d'être embrassée comme ça, de cette manière si étrange. Elle pensait plutôt que les baisers étaient un plan élaboré par les deux amoureux: des regards qui se croisent, des sourires qui se forment puis des bouches qui s'attirent inlassablement, sans qu'on puisse les séparer. Mais, elle apprit à aimer ces baisers, elle comprit vite aussi qu'elle les désirait. Elle n'était après tout qu'une femme, éprise de ce bel Apollon, descendu du ciel spécialement pour la jeune femme sans expérience particulière.

Les si belles pensées furent prestement remplacées par d'autres, plus sombres qui la renfrognèrent un peu et qui la firent pâlir. Le sourire qu'arborait son visage à l'idée des baisers échangés se transforma en une moue triste. Elle ne voulait pas que Dave parte. C'était égoïste de sa part de penser cela puisque Daisy devait rentrer pour son opération - et aussi parce qu'elle avait vaguement compris que Dave avait ses parents chez lui - mais tout allait lui manquer. Alors qu'il avait fait si beau ces derniers jours, un temps sombre venait de prendre place. Même la météo concordait avec son humeur ainsi que ses habits : elle était vêtue d'un jean gris, d'un pull épais et de son manteau trop grand pour elle. Seulement son écharpe s'échappait du lot même si son jaune vif n'égayait en rien la scène. Elle soupira. Il fallait qu'elle trouve l'homme qu'elle savait qu'elle pourrait aimer pour le restant de ces jours pour que finalement celui-ci s'en aille dans la foulée ?

« Est-ce que ça va ? » Une voix la fit sursauter ou plutôt sa voix rauque. Elle se délecta de son accent américain qui jouait avec les sons français, ce si bel accent qu'elle n'entendrait plus avant de longs jours, peut être plus d'un mois. Quand reviendrait-il ? Le problème ne résidait pas dans cette question car elle savait qu'il voulait revenir à elle. La vraie question était : Aurait-il le temps ? Parce qu'entre la santé chancelante de sa nièce, ses parents qu'il hébergeait et n'oublions pas, l'entreprise qu'il dirigeait, il fallait trouver le temps.

Elle se tourna vers lui, lentement. Elle n'osait pas répondre à cette question parce qu'ils connaissaient pertinemment la réponse ! Ils n'allaient pas bien et ils n'iraient pas bien s'ils ne pouvaient continuer à être ensemble. Le destin fait souvent mal les choses mais encore là, Emma ne put jurer contre ce destin qui l'avait fait rencontrer Dave. Elle ne put s'empêcher de penser à ce que pourrait être son avenir sans lui. Elle aurait certainement continué de vivre comme avant - si encore elle pouvait appeler ça vivre, survivre conviendrait mieux - à se demander où était son prince charmant. Une chose était certaine, il était là aujourd'hui, devant elle, hélas non pas prêt à commencer une vie avec elle puisqu'il partait pour les États-Unis, où était sa vie.

« Je ne veux pas te laisser partir » Avoua-t-elle en un murmure qu'il réussit quand même à intercepter tant il prêtait toute son attention à cette jeune femme. Il l'observa attentivement comme pour garder une image d'elle quand il débarquerait sur le territoire américain mais il ne voulait pas qu'elle lui apparaisse si triste dans ses pensées. Il voulait se rappeler son sourire franc, son rire cristallin et ses caresses douces. Il la désirait terriblement, il s'en était rendu compte lors de ces derniers jours et il avait bien du mal à cacher son désir ardent. Il se trahissait quelquefois quand il allait plus loin que ces baisers mais il arrivait toujours d'une manière - bien qu'il ne comprenne pas comment - à se raisonner. Il ne voulait pas abuser d'elle, et même si elle n'avait jamais pensé ça, il cherchait à ne pas la brusquer comme si elle était une biche effarouchée. Cela aurait été plus juste de la comparer à une panthère, prête à sauter sur sa proie et c'était exactement cela qu'elle ressentait près de lui. Même devant les touristes et les passagers qui se pressaient pour entrer dans l'aéroport, elle aurait voulu se jeter à son cou et lui planter des dizaines de baisers dans le cou. Il lui arrivait de penser plus intimement à Dave comme la fois où il avait dormi dans son lit dans un simple boxer mais ça n'allait jamais plus loin. Non pas parce qu'elle ressentait le moindre scrupule mais bien parce qu'elle savait qu'elle ne pouvait se laisser aller à ses étranges pensées si jamais rien ne marchait entre eux. Peut-être que dès son arrivée en Amérique, il l'oublierait. Il ferait comme tous les autres : il ne la rappellerait jamais mais tout en gardant quand même son numéro dans ses contacts pour s'en vanter au travail. Tandis qu'elle essayait de se raisonner, Dave savait qu'il ne pourrait la laisser lui échapper. Sans le savoir, il l'avait cherchée et miraculeusement trouvée. Sa nymphe aux beaux cheveux roux. Sa petite française. Il la reverrait, il l'attendrait, il patienterait. Il allait faire tout ce qui lui paraissait juste pour se l'approprier, pour qu'elle soit sienne. Il souffrirait certainement pendant un temps parce que même s'il n'avait jamais expérimenté l'Amour, il avait entendu parler des plaies qu'il laissait derrière lui. Il la reverrait. Bientôt, il le fallait pour leur propre vie.

« J'aimerais rester ici avec toi » Souffla-t-il pour la rassurer mais elle comprit que c'était du conditionnel qu'il utilisait et non du futur. Une conjugaison qui la meurtrit sans que Dave ne s'en aperçoive. De toute façon, elle faisait tout pour qu'il ne remarque pas la tristesse infinie qui l'accablait. Dans quelques minutes, il ne serait plus là.

Emma ne lui répondit pas 'Alors reste'. Elle savait que Dave ne partait pas heureux mais qu'il se sacrifiait pour sa nièce et la jeune femme comprenait son geste. Dans la même situation, elle aurait fait de même, elle aurait peut-être même évité à Dave de souffrir en lui faisant croire qu'elle ne l'appréciait pas. Avant de monter dans l'avion, elle lui aurait fait comprendre qu'ils ne pouvaient être ensemble dans un futur proche. Mais ce n'était pas elle de prendre cette décision, elle allait l'attendre à Paris sagement sans faire d'histoire.

Dave la serra fortement contre lui. Il y avait tant de désespoir dans ce geste que le cœur de la jeune femme battit plus promptement comme pour lui montrer qu'elle était avec lui. Ses mains se baladaient dans les cheveux roux soyeux, caressait son visage si perdu pour tenter de se souvenir de chaque trait. Mais il n'aurait aucun mal à se rappeler d'elle. Il savait que son portrait allait le hanter chaque jour, chaque nuit au point qu'il prierait le ciel de lui donner un instant de répit. Et puis, tout naturellement, il l'embrassa doucement, un baiser semblable au premier qu'ils avaient échangé dans un parc. Ils ne surent pas si ce baiser accentua la tristesse des adieux mais quand ils entendirent une voix annoncer le vol, ils ne purent se détacher l'un de l'autre.

Qu'avez-vous pensé de ce nouveau chapitre ? Est-il à la hauteur de vos attentes ?

Bon dimanche à tous

xx




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