16. Paris

Paris, √

17h25

C'était agréable de déambuler dans les rues parisiennes au bras de Dave Sherley. Emma remarqua que, durant leur promenade dans un petit parc, on les observait curieusement. Elle ne savait pas si les gens qu'elle rencontrait sur son chemin reconnaissaient Dave mais elle ne s'en préoccupait pas tant elle était au septième ciel. Son bras était coincé sous celui du jeune homme et bien que la pression qu'il exerçât soit assez forte pour la gêner, elle ne dit rien, trop heureuse d'être si près de lui. Leurs habits se touchaient, leurs corps se frôlaient pour le plus grand plaisir de la jeune femme qui avait l'impression d'être retournée quelques années auparavant, tant elle se sentait comme une adolescente dans les premiers temps où l'on découvre l'amour. Quand elle inspirait profondément, ce n'était pas l'odeur agréable de la pluie qui avait mouillé l'herbe la nuit dernière qui venait en premier lieu mais bien le parfum enivrant de l'entrepreneur. Elle aurait presque aimé nicher sa tête dans le cou du jeune homme. Elle trouva son comportement stupide mais cela ne l'empêcha pas de continuer à penser à ces gestes étranges qu'elle aimerait faire.

A côté, Dave était plus discret et arrivait mieux à taire ses désirs bizarres qui s'éveillaient quand Emma était à proximité. Il ne pensait plus à rien et c'était agréable de laisser son esprit dériver vers des pensées plus heureuses que l'opération de Daisy. Il comparait ce moment de calme à une vraie délivrance. Rien n'était plus agréable que de se sentir dans la peau d'un homme de son âge, ayant une vie des plus banales, à côté de sa tendre bien-aimée. Il se disait fou de penser à cette jeune femme de cette façon mais secrètement, il se demandait si elle ressentait la même chose. Avait-elle aussi de légers picotements dans son ventre ? Sentait-elle son cœur battre à tout rompre, presque en proie à un évanouissement ? Dissimulait-elle l'envie secrète de poser ses belles lèvres écarlates sur les siennes, dans un tendre et passionné baiser ?

Il rêvait, divaguait mais c'était à la fois étrange et plaisant de se laisser porter par ces douces pensées. Combien de temps s'était-il écoulé depuis qu'il n'avait pas ressenti de tels sentiments ? Le seul mot qui lui venait à l'esprit était 'Longtemps'. La dernière fois qu'il s'était cru amoureux, ça remontait au bal de fin d'année, celui qui clôture des années de dur labeur au lycée. Il avait invité une jeune fille à danser, bafouillant légèrement tandis qu'elle n'avait fait que rire. Mais quel rire ! Il semblait encore l'entendre... Mais il se rendit vite compte que ce n'était pas celui de la jeune fille du bal mais bien le rire cristallin d'Emma qui venait de se retrouver par terre sans qu'il puisse savoir comment.

Il l'observa tandis qu'elle riait aux éclats, son visage tâché par la boue qu'elle n'essayait pas de dissimuler. Elle avait dû tomber à la renverse et sa tête avait rencontré la terre molle du square sans qu'elle ne se blesse. Il se baissa à sa hauteur, admirant les fossettes qui se créaient au coin de ses joues rosies par le froid ou l'excitation, et lui demanda si tout allait bien. Elle répondit par un rire, toujours incapable de se contenir et, singulièrement, il se trouva captivé par la joie qui émanait de son visage. Les boucles rousses de ses cheveux frôlaient la terre sans jamais perdre de leur brillance, se mélangeaient au peu de feuilles qui parsemaient le parc au début de l'hiver tandis que les yeux d'Emma se perdaient dans les siens.

D'où elle se trouvait, elle avait une magnifique vue sur Dave. Il la surplombait de toute sa hauteur, la dominant. Quand il s'approcha d'elle, elle retint son souffle ce qui fut compliqué étant donné qu'elle n'avait fait que rire éperdument les dernières secondes. Les nuances de marron et de dorées des yeux de Dave étaient captivantes, presque hypnotisantes et si le souffle de Dave ne s'était pas avéré être si près d'elle qu'elle pouvait en discerner l'odeur, elle n'aurait certainement pas bougé ne fut-ce que d'un millimètre. Il était là, près d'elle, dans son élégant manteau noir déboutonné comme s'il affrontait le froid avec témérité, l'observant d'une manière si différente qu'elle fut tout d'abord bouleversée. Elle sentait couler sur elle les regards des passants mais qu'importe qu'elle ait de la terre sur le visage ou qu'elle soit trempée, Dave la regardait ! Une envie ardente de l'embrasser la titillait nerveusement et elle dut détourner le regard un instant. Le temps d'après, leurs lèvres bougeaient ensemble dans une danse effrénée, incontrôlable comme si tous les deux avaient pris conscience de l'absurdité qu'ils faisaient en dissimulant leurs sentiments. Elle était toujours à même la terre, Dave la surplombant, sa tête penchée vers elle, rien que vers elle. Elle pressa un peu plus ses lèvres vers lui (ou alors était-ce lui qui était à l'origine de ce geste) sans bouger, immobile comme si elle n'avait été dotée que de lèvres, des lèvres faîtes pour aimer, embrasser.

Elle ne se préoccupait pas des familles qui venaient promener leurs enfants dans le parc et qui émettaient quelques commentaires négatifs à la vue de ces tendres amoureux, enlacés. Pour une fois dans sa vie, elle n'avait pas peur du regard des autres. Tout ce qui comptait maintenant c'était lui, ce qui sonnait affreusement cliché dans sa tête mais qui avait tellement du sens quand elle y pensait plus profondément. N'avait-elle pas rêvé de ce moment quand elle était petite fille ? N'avait-elle pas déjà imaginé le scénario d'un garçon posant ses lèvres contre les siennes ? Certes, Dave avait brûlé quelques étapes mais tout ce à quoi elle avait rêvé auparavant n'arrivait pas à la hauteur de la situation qu'elle était en train de vivre. Ca n'avait aucune importance parce que tout ce qu'elle sentait – ce n'était ni le froid polaire, ni l'odeur de l'herbe fraîchement mouillée – était l'agréable sensation des lèvres humectées de Dave Sherley contre les siennes. Elle s'adonna si bien au baiser que l'étreinte dura longtemps. Assez longtemps pour qu'ils éprouvent tous deux la sensation d'être restés en apnée sous l'eau.

*

Quand ils se furent relevés du sol humide, ils se regardèrent comme pour décrypter les sentiments de l'autre. Dave, voyant que d'infimes tâches de boue parsemaient encore le visage angélique d'Emma, sortit un mouchoir brodé de sa poche et s'appliqua à tout enlever dans un geste empreint de douceur. Emma sentait et voyait les petits sursauts qui parcouraient les mains de Dave et ceci la plongea à songer : Dave était-il si timide envers elle ? C'était tout bonnement inimaginable puisque l'entrepreneur devait être habitué à avoir des présences féminines autour de lui. Après tout, Emma parlait bien d'un homme riche et beau comme Apollon. Et pourtant, elle était presque sûre d'apercevoir les soubresauts ; ce baiser le plongeait dans la perplexité la plus totale. Avait-il déjà ressenti cela avant ? Maintenant qu'il avait goûté à ce plaisir il lui semblait qu'il ne pourrait plus jamais vivre sans.

« Où êtes-vous descendu ? » Questionna Emma tandis qu'il était toujours en plein travail, calant son visage dans ses mains pour mieux le détailler. C'était étrange que Dave prenne tout ce temps pour quelques traces de boue.

« L'hôtel 'Le Bristol'. J'y descends à chaque fois que je suis en voyage d'affaires dans la capitale française » Dit-il et comme il était tout près d'elle, elle pouvait de nouveau sentir son souffle chaud contre sa peau. Elle eut presque envie de sceller ses lèvres aux siennes mais elle ne savait si le baiser échangé auparavant pouvait être renouvelé.

« Etes-vous venu seul Mr. Sherley ? » Elle releva la tête et la libéra de ses mains malgré elle.

« Ma nièce et mon majordome m'accompagnent et sont en ce moment-même à l'hôtel »

« Votre nièce ? » Demanda-t-elle, surprise mais elle dissimulait sa curiosité car elle sentait que Dave n'était pas très à l'aise sur ce sujet. Elle se questionnait mais restait silencieuse de peur d'effaroucher le jeune et bel entrepreneur. Comme si elle, une jeune femme se trouvant tout à fait insignifiante, pouvait le déstabiliser.

« Elle a toujours désiré visiter Paris et je lui parlais tellement souvent de cette si belle ville que j'ai décidé de l'y emmener »

« C'est très généreux de votre part » Affirma Emma bien qu'elle sache que ce n'était peut-être pas la simple raison. Qu'est-ce qu'il lui cachait ? Tout en se posant ce genre de questions, elle se demanda si elle devait se préoccuper de tout ça. Ce n'était pas un baiser qui allait changer le court de leur relation, n'est-ce pas ? Et pourtant, même si elle ne voulait pas le déclarer haut et fort, au fond d'elle, elle savait que ce baiser avait une signification bien précise. Si elle n'avait pas voulu de Dave, elle n'aurait jamais accepté qu'il pose ses lèvres sur les siennes aussi facilement. Elle aurait aimé discuter du sens de cette embrassade avec Dave mais il ne semblait pas pressé d'aborder le sujet, encore trop brûlant peut-être. En vérité, il revivait le moment en boucle.

Un portable sonna. Emma mit du temps à se rendre compte que ce ne pouvait être le sien car elle ne l'avait pas pris avec elle, voulant sans doute passer un moment avec Dave sans qu'elle ne soit sans cesse dérangée. Dave s'excusa auprès de la jeune femme avant de répondre à l'appel.

Emma ne l'observa pas attentivement mais elle l'entendit distinctement. Il répondait par de courtes phrases évasives comme s'il ne voulait pas qu'Emma comprenne la conversation et il raccrocha vite. Il rangea son portable dans l'une de ses poches de pantalon et se mit debout prestement comme s'il se rappelait qu'il avait mieux à faire que de rester en compagnie d'une jeune femme telle qu'Emma.

« Je dois retourner à l'hôtel » Emma tourna son visage vers le sien mais Dave ne la regardait pas. Elle décela sur son visage une pointe de regret comme s'il désirait vraiment rester à ses côtés mais que le devoir l'appelait.

« Ecoutez Mr. Sherley. Si vous ne désirez pas ma compagnie, dîtes-le moi sincèrement. Cela évitera de nombreux quiproquos » S'exclama-t-elle, légèrement frustrée du comportement de Dave. Pourquoi semblait-il dissimuler tant de secrets ? Mais elle était encore plus énervée contre elle car qui était-elle pour le juger ? Avait-elle dépassé le stade de la connaissance ?

Elle se leva à son tour mais ce n'eut pas l'effet escompté. Il lui sembla même que tout chez elle reposait sur le ridicule de sa personne mais quand elle vit que Dave souriait tendrement, elle comprit qu'il ne voyait pas seulement la personne qu'elle était, mais sa globalité. Elle se radoucit légèrement.

« Croyez-moi Miss Bolet » Comment connaissait-il son nom de famille ? L'avait-elle déjà prononcé ne serait-ce qu'une seule fois ? « Je désire et j'aspire véritablement votre compagnie et jamais je n'ai été aussi enchanté de me promener avec vous » Il lui adressa un sourire charmeur qui la fit littéralement fondre de bonheur. « Pour vous prouver la sincérité de mes propos, je vous propose de dîner ce soir avec moi. Aurais-je la chance d'être gratifiée de votre compagnie ce soir même ? » Cette fois-ci, il ne quittait pas les yeux de la jeune femme pour ne pas qu'elle soit tentée de dire non. Mais comment aurait-elle pu répondre par la négative alors qu'un tel homme s'adressait à elle comme jamais personne ne l'avait fait auparavant ?

Elle ne se pressa pas à lui répondre, ne voulant pas qu'il remarque qu'elle s'intéressait beaucoup à sa personne. Toutefois, elle ne pouvait complètement dissimuler le fait qu'elle attendait ce dîner en tête-à-tête avec un certain empressement. C'est seulement quand il réitéra sa question qu'elle lui laissa connaitra la réponse. Tandis qu'elle répondait par l'affirmative, elle se creusait déjà la tête pour trouver la robe adéquate pour ce genre de rendez-vous, elle qui n'avait aucunement l'habitude de dîner avec de beaux jeunes hommes attirants.

Paris,

20h21

Emma glissait ses pieds dans de hauts escarpins – les seules chaussures à talons qui garnissaient son placard – quand Dave Sherley sonna à l'interphone. Elle se rua sur le téléphone et lui proposa de monter quelques minutes le temps qu'elle finisse de se préparer. Elle laissa sa porte d'entrée semi-ouverte pour qu'il puisse entrer sans problème pendant qu'elle serait à la salle de bain, à observer minutieusement chaque parcelle de son visage. Le reflet du miroir lui renvoyait l'image d'une jolie jeune femme. Elle avait relevé ses cheveux et quelques mèches rousses s'étaient rebellées, s'échappant de l'élastique. Elle ajouta une pointe de parfum, remit en place son collier et retourna dans l'entrée où Dave attendait patiemment tel un preux chevalier. Elle lui sourit au lieu de le saluer et alla chercher son sac. Dans l'entrée, elle se regarda une nouvelle fois en secret. Elle portait une robe bordeaux aux manches trois-quarts et avait ajouté une petite ceinture à sa tenue ce qui affinait sa taille. Des bracelets tintaient gaiement les uns contre les autres dès qu'elle marchait ou faisait un simple geste. Elle ne se trouva pas splendide – en tout cas pas à la hauteur de Dave – mais le résultat était acceptable. Elle ne voulait pas mettre beaucoup de maquillage pour ce premier rendez-vous (si encore elle pouvait considérer ce dîner comme tel). Par ailleurs, elle essayait toujours de n'en appliquer une touche légère qu'elle aille au travail ou en boîte de nuit pour ne pas se faire trop remarquer.

Dave l'attendait, coinçant les portes de l'ascenseur. Il observa la jeune femme enfiler à toute vitesse un manteau qui pendait à l'entrée. Elle ferma la porte à clé et se rua aussi vite que possible vers l'ascenseur, ne voulant pas faire attendre Dave trop longtemps. Dans son élan et sa précipitation, ses pieds semblèrent s'entremêler et elle faillit tomber la tête la première contre le sol dur du palier. Elle avait attendu le choc mais elle ne sentit rien que deux paires de bras qui la maintenaient fermement, l'empêchant de rencontrer le sol. Elle pensa à quel point le rapprochement de ce geste venait de causer de petits tourbillons étranges dans son ventre. Dave l'aida à se remettre d'aplomb tout en esquissant un magnifique sourire d'une blancheur inqualifiable. L'envie de l'embrasser la tiraillait affreusement mais elle lutta contre ce désir urgent.

« Soit vous êtes très maladroite, soit vous aimez tomber dans mes bras » Déclara Dave quand ils furent coincés tous les deux dans l'ascenseur. Dans ce petit habitacle, elle pouvait sentir sans problème l'odeur envoûtante de Dave qui lui montait à la tête et la faisait fantasmer. Pour un peu, elle aurait presque plaqué Dave contre le mur et échangé avec lui un énième baiser – le deuxième pour être exact. Elle ne s'était jamais sentie aussi inconfortable en présence de quelqu'un mais le fait que Dave soit impressionnant et qu'il ait permis un rapprochement entre elle et lui dans le parc ne la laissait pas indifférente. Elle ne savait pas comment se comporter dans ce genre de situation bien qu'elle ait lu de multiples livres à l'eau de rose où l'héroïne se trouve pour la première fois confrontée à la beauté d'un garçon. Il lui semblait que tous les conseils qu'elle avait pu entendre avant s'étaient évaporés et que maintenant, elle était perdue. Emma n'avait pas le contrôle de la situation. A vrai dire, elle se sentait tellement nerveuse qu'elle se demandait même si elle serait capable de résister au charme destructeur de Dave. Ce dernier lui souriait innocemment comme s'il ne comprenait pas ce qui se passait dans la tête de la jeune femme. La vérité était qu'il avait découvert la gêne d'Emma puisque ses joues rosies venaient de la trahir une nouvelle fois.

Quand ils furent dehors, il aida Emma à monter dans le taxi, lui maintenant la taille pour ne pas qu'elle tombe à nouveau. La nuit était froide et quand les deux personnes échangeaient de brèves paroles, de petits nuages se formaient dans l'air avant de disparaître. Emma tremblait légèrement dans sa robe et son manteau mais elle ne le laissait pas paraître, trop peur que Dave ne fasse un geste dont elle ne saurait décrypter le sens réel. Si jamais il lui proposait de se rapprocher de lui, elle savait qu'elle ne résisterait pas à l'envie ardente de rester nicher ainsi toute la nuit. Et s'il enlevait son propre manteau pour le lui proposer et ensuite l'enrouler autour de ses épaules ? Elle ne voulait pas que Dave prit froid par sa faute ; aussi pour toutes ces multiples raisons, elle se tut et attendit patiemment que le taxi se gare devant le restaurant.

« Je n'ai pas voulu choisir un restaurant trop huppé » Déclara Dave quand le chauffeur leur eut annoncé l'arrêt. « Je me disais qu'un endroit bien plus simple et familier vous conviendrait à merveille » Emma approuva ce choix d'un hochement de tête ; elle se rendit compte que Dave n'était absolument pas comme Nick, qui, lui, l'emmenait directement dans de luxueux restaurants pour étaler son argent sans remords. Elle qui était issue d'une famille modeste préférait une auberge pleine de charme à un restaurant aux chandeliers de cristal. Emma était une femme qui avait été élevée dans la simplicité, c'est-à-dire qu'elle connaissait la valeur de l'argent et savait se retenir de tout acheter. Quand elle consommait, c'était seulement pour acquérir des biens dont elle était sûre qu'ils seraient utiles. Jamais elle n'achetait du superflu.

Le restaurant était situé dans une charmante petite rue parisienne, coincé entre deux immeubles. La façade avait été fraichement peinte d'un bleu foncé, de la même couleur que le ciel de ce soir d'hiver et la lumière qui s'échappait de l'entrée du restaurant accueillait chaleureusement les visiteurs affamés et les passants. Un délicieux fumet flottait dans l'air. Emma humait cette odeur et se délectait d'avance. A côté d'elle, Dave se montrait plus discret.

Il entra dans la bâtisse, tenant la porte à Emma, tel le gentleman qu'il pouvait être. Dave se comportait si simplement et si parfaitement comme s'il avait déjà vécu cette scène bien que cela ne soit guère possible. Il salua le gérant du restaurant d'une poignée de main chaleureuse et Emma comprit vite qu'il venait souvent dans cet endroit.

« Mr Sherley ! Quel plaisir de vous revoir ! Quand êtes-vous arrivé ? » Questionna le directeur du restaurant, un vieux monsieur à l'air campagnard qui portait la moustache et un tablier à l'ancienne mais impeccable. Les deux hommes discutèrent un moment d'affaire et de voyages puis finalement, le gérant aperçut la fine silhouette d'Emma qui semblait se cacher derrière la carrure imposante du bel entrepreneur. Les yeux du vieux monsieur s'illuminèrent à la vue de la jeune femme. Ce dernier eut tant de douceurs envers elle qu'elle crut même qu'il allait quitter l'arrière de son comptoir et lui baiser la main. Elle se sentait un peu mal à l'aise mais c'était seulement à cause de l'attention particulière que lui portait Dave. Effectivement, il ne cessait de la dévorer du regard sans être discret. Il aurait affiché la même impression s'il avait regardé un joyau éclatant de beauté à la valeur inestimable. Quand leurs yeux se croisèrent, elle se sentit prisonnière de ses regards passionnés qu'il lui dédiait.

Durant le repas, elle frémit, eut chaud, eut froid et faillit presque renverser la bouteille de vin rouge quand Dave la dévisageait un peu trop ouvertement. Ses mains tremblaient légèrement et elle essayait le moins que possible de les mettre à la vue de Dave. Il lui parlait de sa voix rauque, sensuelle et quelques fois elle n'écoutait pas seulement les mots qui se déversaient de sa bouche et risquait d'être compromise par les regards doux qu'elle lui portait. Elle se retenait, tentait vainement de ne pas fixer ces si belles lèvres sans cesse en mouvement mais est-ce possible de dévier les yeux d'un dieu vivant ? La réponse est, sans l'ombre d'un doute, non. Il n'aurait été doté que par la nature, Emma ne lui aurait peut-être pas accordé toute son attention, mais le jeune homme en question se révélait être aussi érudit que n'importe quel académicien, aussi beau qu'Apollon en personne et aussi charmeur qu'un Don Juan. Aussi, quand Emma l'observait – si fixement qu'on aurait pu frôler l'impolitesse – ce n'était pas tant sa beauté qu'elle admirait mais la personne en sa totalité. Oui, elle remarquait les creusements distincts des belles fossettes ; oui elle était conquise par les nuances de couleur des yeux de Dave ; oui, elle aurait certainement transgressé toutes les règles du savoir-vivre pour goûter à nouveau à l'exquise sensation de ses lèvres mais ce n'était pas que physique. Il n'y avait rien de déplacé, chacun dévorait l'autre des yeux plus comme un cadeau sacré envoyé de l'Olympe que comme une proie sans défense.

*

Le repas en sa globalité fut exquis car Emma eut tout le loisir d'observer le charmant portrait de Dave, un visage sans défaut qui se dessinait sous la pâle lueur des lustres de la salle de restaurant et qui l'émerveillait tant qu'elle ne cessait de vouloir en toucher chaque parcelle, chaque recoin. Elle était sûre que sa peau claire devait être douce au toucher, que ses lèvres, touchées auparavant, cachaient mille autres merveilles et que ses yeux profonds étaient la seule preuve incontestable de l'attachement qu'il vouait à la jeune femme. Le toucher, telle était sa préoccupation première. Elle se sentit rougir de penser cela alors qu'elle se trouvait juste devant lui. Fallait-il qu'elle éprouve ces étranges sentiments pour un homme de son envergure ? Après tout, n'était-il pas un homme qui aimait batifoler et s'amuser ? Ne faisait-il pas partie de la catégorie infecte de ces hommes qui ne considère les femmes que le temps d'une nuit ? Ne devrait-elle pas refouler ses émotions et partir maintenant pour fuir ? Mais pour aller où ? Elle n'avait nulle part où aller et se rendre chez elle n'était pas une assez agréable option pour qu'elle puisse l'envisager. Si elle rentrait chez elle maintenant, elle était sûre de finir sa soirée à pleurer silencieusement, la tête contre l'oreiller pour étouffer ses pleurs. Elle préférait se tromper de direction, croire que cet homme l'admirait que de se retrouver seule encore. Emma avait finalement compris que s'enfuir ne menait à rien. Dans le pire des cas, elle aurait le cœur brisé de s'être lamentablement créée de parfaites illusions mais pour l'instant, elle se délectait de chaque instant, considérant que ce serait peut-être le dernier.

« Avez-vous apprécié le repas ? » Demanda Dave en ne détachant pas son regard du sien. Elle rougit, aurait aimé ramener ses longs cheveux roux devant son visage mais elle les avait attachés.

« Je... » Bafouilla-t-elle piteusement, cherchant à se défaire de l'attention particulière que lui vouait Dave Sherley. Ce fut compliqué de trouver les mots pour décrire une aussi charmante soirée – sachant qu'elle n'en avait pas beaucoup partagé avec un si beau et agréable jeune homme – mais elle y parvint heureusement.

Quand il se leva de sa chaise, elle fit de même mais tandis que son geste était tout à fait élégant, elle semblait, selon elle, plutôt avoir la grâce d'un éléphant. Elle se baissa pour attraper son sac qu'elle avait posé à ses pieds le temps du repas mais elle ne le trouva pas. Son cœur s'affola dans sa poitrine comme s'il désirait s'en échapper. Elle échangea un vague regard avec Dave, lui pria de s'excuser et se mit à quatre pattes, baladant son bras sous la table pour essayer vainement de sentir son sac. Il était introuvable mais elle s'entêta à le chercher encore et encore. Tandis qu'elle tentait de percevoir la forme de son sac à main noir sous la pénombre de la table, elle vit que même Dave participait activement à la recherche, s'étant lui aussi agenouillé sous la table dans la ferme intention de le retrouver. Mais il n'en fut rien. La scène aurait pu paraître étrange et insensée aux yeux d'Emma mais elle était trop nerveuse à l'idée qu'on lui ait volé son sac qu'elle n'y pensa même pas. Des larmes roulèrent sur les joues de la jeune femme et elle en fut toute honteuse. Elle aurait souhaité que ce petit moment de faiblesse reste inaperçu mais Dave comprit vite ce qui se passait et il la réconforta du mieux qu'il pouvait, la calmant, la rassurant, lui frottant même le dos de sa main. Les quelques personnes présentes dans la pièce chuchotèrent entre eux, trouvant cette scène inacceptable, d'autres, les plus curieux et les plus éloignés des deux jeunes, se demandaient ce qui pouvait bien se passer sous cette table parce qu'Emma et Dave se trouvaient encore à genoux sur la moquette.

Quelques minutes plus tard, ils se retrouvaient dehors, dans la pénombre d'une nuit d'hiver. Dave tenait fermement contre lui la jeune femme qui ne protestait pas à tant de proximité. Elle pleurait silencieusement comme si elle en avait l'habitude. Ils attendirent un taxi et durant le laps de temps qui s'écoula, Dave comprit qu'Emma ne versait pas forcément des larmes pour la perte d'un sac mais que c'était tous les pleurs retenus qui se déversaient à cet instant même. Tant de détresse lui déchira le cœur. Il aurait voulu en faire plus mais il savait qu'aux yeux de la jeune femme, il en faisait déjà beaucoup.

Comme d'habitude, n'hésitez pas à me faire savoir vos impressions sur ce chapitre :)

Allez aussi jeter un coup d'oeil à la fiction 'Since You've Been Gone'. C'est une histoire que _Marie_Is_A_Penguin_ reprend en changeant un des personnages principaux. Tout ça me semble bien prometteur! xx



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