14. New York, Manhattan
New-York, Manhattan √
16h
« Que fais-tu ici ? » Questionna Dave à son meilleur ami d'enfance qui se trouvait devant la porte de son appartement. Damien Dean avait le même âge que Dave mais d'une beauté différente de l'entrepreneur. C'était un beau jeune homme à la carrure musclée qui, quand il flânait dans les rues, ne pouvait qu'accaparer l'attention de la gente féminine. Un visage parfaitement proportionné qui semblait avoir été sculpté par Dieu lui-même, des cheveux de jais ébouriffés qui lui masquaient quelques fois la vue quand ils tombaient devant ses yeux verts et un sourire angélique complétait un tableau déjà flatteur. Les muscles saillants s'apercevaient sous le mince tissu du tee-shirt à l'effigie d'un groupe de rock et un pantalon rapiécé s'ajoutait à l'ensemble. C'était l'inverse de Dave. L'entrepreneur faisait toujours attention à ce qu'il portait et endossait la plupart du temps un costume. Ce jour-là, il avait fait une exception. Trop fatigué pour porter les vêtements habituels, sa tenue se composait d'un tee-shirt ample et d'un short. Ce fut ce qui surprit le plus Damien qui remarqua sans peine ses yeux cernés et le chagrin de son meilleur ami. Au lieu de la simple poignée de main, il accueillit son ami dans ses bras.
« Comment vas-tu Dave ? Ça n'a pas l'air d'être la grande forme. »
« Pas vraiment comme tu peux le voir » Répondit Dave tout en se demandant ce que faisait Damien ici, lui qui ne quittait jamais son atelier de peinture situé à Boston. En temps normal, il se contentait de téléphoner à Dave pour que celui-ci se déplace mais jamais il n'avait pris l'avion jusqu'ici, surtout sans le prévenir. Damien trouvait que c'était trop compliqué de laisser derrière lui ses pinceaux et ses toiles, lui qui était un peintre à la renommée internationale. Il vivait dans un quartier luxueux de Boston car ses toiles se vendaient très chères et étaient exposées partout dans le monde. Dave ne comprenait pas très bien les œuvres de son ami qui étaient assez abstraites et contemporaines alors que lui aimait justement les toiles réalistes, celles représentant des paysages anglais sous la brume épaisse, pas celles avec des traits dans tous les sens et des taches de couleur.
« Que se passe-t-il ? » S'inquiéta Damien en pénétrant dans l'appartement de Dave qu'il n'avait visité qu'une seule fois durant toutes les années où ils avaient été amis.
Damien et Dave se connaissaient depuis le lycée. Ils jouaient ensemble dans la même équipe de football américain et partageaient souvent de bons moments. C'était à l'époque où ils habitaient encore chez leurs parents à Seattle. Ils avaient vécu et traversé beaucoup de choses : le premier bal du lycée, les examens terrifiants où ils devaient jurer de ne pas tricher, les victoires et les défaites de leur équipe et la remise des diplômes à la fin de la troisième année. Dave se rappelait de Damien qui s'amusait à ressembler à un romain avec sa toge de lycéen. Puis, ils avaient dû se séparer, ne voulant pas suivre le même chemin. Damien s'était inscrit dans une université de dessin et design et Dave avait choisi une école de commerce et de management qui l'avait mené vers les sommets, car à seulement 26 ans, il contrôlait une entreprise de haute renommée.
« Je ne sais pas » Avoua Dave et c'était vrai. Tout allait mal en ce moment. Même le travail de son entreprise ne l'intéressait plus autant qu'avant. Pourquoi avoir tant changé en si peu de jours ? C'était certainement la souffrance qui le malmenait ainsi, la douleur de savoir Daisy à l'hôpital dans un état lamentable sans que sa position ou son argent ne puisse résoudre le problème mais surtout sans qu'il ne puisse rien faire.
« J'ai appris pour Daisy » Dit Damien tout en se laissant tomber sur le canapé du salon, l'air triste. Il avait toujours aimé la nièce de Dave et avait bien connu Lily. Pour lui, ça avait été une tragédie d'apprendre la mort de Lily et, Dave s'en rappelait, il avait disparu longtemps après la terrible annonce. Ce fut seulement deux mois plus tard qu'il avait pu faire face au visage morne de Dave. Ce dernier avait eu besoin d'aide pour traverser cette mauvaise passe et son ami Damien l'avait énormément aidé. Il n'oublierait jamais ce qu'il avait fait pour lui et gardait une place toute particulière pour lui dans son cœur. Son ami de toujours.
« C'est terrible » Ajouta-t-il en baissant les yeux. Damien ne comprenait pas pourquoi tout s'acharnait sur la famille Sherley depuis la mort de Lily. Il avait connu Lily et c'est avec nostalgie qu'il la revit mais ce n'était plus qu'une image floue, estompée qui le rendait infiniment triste. Daisy était un peu la fille qu'il n'avait pas eue et il l'adorait, la gâtait toujours quand il la rencontrait. Il ne la voyait pas souvent mais les rares moments qu'ils passaient ensemble étaient magiques. Damien aurait aimé fonder une famille et même s'il était encore jeune (26 ans), il se trouvait déjà âgé et vieux jeu. Il ne tirait aucun plaisir à charmer une femme et avait donc tiré un trait sur tous les plaisirs qui venaient avec. Il se disait de toute façon plus heureux ainsi : s'il ne s'éprenait de personne, il ne souffrirait pas. Il avait la même philosophie de la vie que Dave. Il ne désirait pas s'attacher pour l'éternité à une personne qu'il risquait de perdre un jour et il tenait parole.
« Je ne sais pas quoi faire Damien » Affirma Dave en s'asseyant à côté de son ami. Il détestait la position de faiblesse dans laquelle il se trouvait mais le fait que Damien soit avec lui le rassurait. Il le comprenait mieux que personne parce qu'il savait ce qu'il avait traversé.
« Dave ? »
« Oui ? »
« N'y-a-t-il que l'état de Daisy qui t'inquiète ou autre chose ? » Damien le connaissait tellement bien. Il avait vu Dave se lever après tant d'épreuves douloureuses, se battre contre la fatalité de la vie mais jamais il n'avait été si déprimé, si vide. Il n'avait pas l'impression d'avoir son ami vigoureux à côté de lui mais un étranger déboussolé et perdu.
« J'ai l'impression de perdre toutes les personnes auxquelles je m'attache. Une à une, elles s'en vont »
« Ainsi c'est une femme » Conclut Damien en se levant du canapé et en se rendant dans ce qui lui semblait être la cuisine. Il fureta dans la plupart des placards jusqu'à trouver deux petits verres et une bouteille de whisky. Il les remplit et en tendit un à Dave que celui-ci prit sans se poser de question. Il l'avala d'une traite mais il ne parut pas reprendre un peu de vie.
« Comment s'appelle-t-elle ? » Demanda Damien en sortant une cigarette de sa poche. Il en proposa une à son ami qui déclina l'offre d'un geste de la main.
« Emma. Comme Emma Bovary » Souffla Dave en toussant sous la fumée qui sortait de la bouche de Damien. Il détestait cette odeur mais ne dit rien.
« Tu as l'air drôlement amoureux » Gloussa Damien « Quand l'as-tu rencontrée ? »
« Pour la première fois ? A bord de l'avion qui me ramenait à New York. Elle est hôtesse de l'air »
« Française ? »
« Oui mais elle passe beaucoup de temps à New York où vit son frère » Lui apprit Dave. Ce dernier se sentait légèrement mieux comme si le simple fait de parler d'elle le guérissait, pansait sa blessure.
« Tu t'es entichée d'une française ? Je te reconnais bien Dave » rit Damien en se resservant un nouveau verre d'alcool. Heureusement que son ami tient bien l'alcool pensa Dave parce que celui-ci ne se sentait pas assez en forme pour s'occuper de lui.
« Je ne sais pas si je pourrai dire que j'en suis épris. Je ne l'ai rencontrée que deux fois après tout » dit sérieusement Dave. Au fond de lui il ne savait pas ce qu'il éprouvait pour cette timide jeune femme mais il savait que c'était quelque chose de fort, d'assez fort pour qu'il se rappelle d'elle, pour qu'elle le marque ainsi.
« Et ? Ne crois-tu pas aux coups de foudre ? » Ricana Damien parce qu'il savait pertinemment bien la réponse de son ami.
« Pas le moins du monde » Observa Dave. Croire aux coups de foudre était comme croire aux contes de fées pour lui. Jamais il ne pourrait avouer ceci. C'était tout simplement impensable pour un homme de son envergure, un entrepreneur herculéen à la tête d'une puissante entreprise et qui croirait à ces stupidités enfantines ! Ça ferait jaser, ce serait le comble pour Dave. Non, les coups de foudre c'est une invention de l'homme pour faire croire aux femmes qu'il y a du bon dans la vie.
« N'est-ce pas le destin qui te l'a fait rencontrer ? » Demanda Damien en arquant un de ses longs sourcils.
« Rien n'arrive par hasard Damien, rien » Par cette phrase, il conclut la conversation.
*
Peu de personnes venaient s'entraîner dans la salle de sport située au sommet de l'appartement. On pouvait s'exercer sur n'importe quelles machines de sport, tant qu'on habitait dans l'immeuble luxueux et qu'on ne transformait pas la belle salle en un capharnaüm. C'était une belle construction lumineuse en haut de l'appartement avec de grandes baies vitrées qui donnaient directement sur une vue splendide de Manhattan et de ses alentours. Elle possédait plus de machines sportives qu'une boutique de fitness et était sans aucun doute plus grande. Tout semblait être neuf car personne ne s'entraînait ici à part Dave qui voyait son corps se développer harmonieusement même si ce n'était pas son but premier. Il venait ici pour échapper à ses propres pensées sombres et, quelquefois, on le retrouvait à une heure du matin à soulever des haltères. C'était un véritable soulagement, pour lui, cette salle de sport.
Damien s'entraînait non loin de Dave sur le tapis roulant, son tee-shirt entourant ses cheveux noirs pour éponger la transpiration de son front. Toute la sueur sur ces hommes n'était absolument pas désagréable à regarder : ils ressemblaient à des dieux descendus de l'Olympe. Sous leurs efforts, leurs muscles se tendaient avec force. Quelques fois ils s'arrêtaient pour acheter à boire au distributeur de boissons mais jamais pour parler. Chacun était dans sa propre bulle, songeant à leurs problèmes respectifs. On n'entendait que leur souffle cadencé et le bruit des machines dans le silence de la pièce.
Trente minutes plus tard, Dave se laissa choir sur le sol à côté de Damien. Ils étaient couverts de sueur, essoufflés et leurs corps musclés luisaient sous le halo des lumières. Ils ne parlaient pas, se contentant d'observer la vue donnant sur une rue bondée de Manhattan, leurs yeux reflétant l'extrême luminosité due aux nombreuses affiches publicitaires électroniques et aux phares des voitures qui attendaient plus ou moins patiemment la fin des bouchons. Pour la première fois de sa vie, Dave sentit qu'il ne faisait plus partie de cette ville. Rien ne lui paraissait aussi beau qu'avant : l'immense affiche à l'effigie de Coca-Cola qu'il voyait d'ici ne le remplissait plus de la même fierté pour son pays et même l'animation qui régnait plus bas le réjouissait à peine. Il ne pouvait pas dire que tout lui était terne mais il aperçut vite qu'il manquait quelques couleurs au tableau.
« L'aimes-tu ? » Demanda à nouveau Damien comme s'il avait déjà oublié la réponse que lui avait faite Dave un peu plus tôt.
« Je ne sais pas » Et c'était vrai, rien ne pouvait être plus vrai. Dave ne pouvait nier qu'il ressentait quelque chose mais comment reconnaître l'Amour quand on ne l'a jamais expérimenté avant ? Pouvait-il dire qu'il l'aimait alors qu'il ne savait pas ce que cela signifiait ?
« Il n'y a qu'un moyen de le savoir, c'est de la revoir » Lui assura Damien après avoir bu une gorgée d'une bouteille d'eau.
« Et Daisy ? » Dave ne pourrait jamais sur un coup de tête se rendre à Paris. Même si l'envie de revoir Emma le tenaillait, pouvait-il laisser Daisy sans ressentir aucun scrupule ? Jamais. Soit il perdait la femme qu'il pensait aimer, soit il perdait l'autre. C'était une sorte de cercle vicieux.
« Emmène-là » Et soudain tout devint clair dans la tête de Dave. Il allait tout simplement se rendre à Paris dans un jet privé.
Dans une boîte de nuit, Paris
23h30
Emma souffla bruyamment mais c'est à peine si elle entendit son propre souffle tellement il y avait de bruit dans la boîte de nuit. Elle avait affreusement mal aux pieds à cause des chaussures à talons que Camille lui avait demandé (ou plutôt obligé) à porter et la petite robe qui la moulait, une robe si fine et si petite qu'elle se demandait encore si ce n'était pas un vêtement pour une enfant de douze ans. Elle se trouvait peu attirante dans cet accoutrement mais ce n'était pas l'avis des hommes qui souvent frôlaient accidentellement son derrière à peine recouvert par le mince tissu de la robe. Elle ne se sentait pas à son aise ici, même après avoir bu quatre verres d'alcool et les regards que lui jetaient les drogués de la pièce ne la mettaient pas du tout en confiance. Elle n'aurait jamais dû venir mais elle avait suivi Camille pour ne pas se retrouver seule dans son appartement minable, manquant affreusement de vie. Elle cherchait de la compagnie mais certainement pas de cette sorte, pensa-t-elle en posant son regard sur les prédateurs mâles. Et quand elle désirait un peu de solitude, un homme venait justement l'accoster pour lui demander innocemment une danse (qu'elle refusait toujours) ou pour lui désigner une porte cachée derrière un rideau de velours, dans ces cas-là elle se réfugiait ailleurs. Elle ne savait pas exactement ce qui se déroulait derrière mais elle pouvait le deviner facilement.
Quelqu'un (elle n'eut pas le temps d'apercevoir qui que ce soit) lui mit un verre dans une de ses mains libres et bien qu'elle le garda, elle ne le but pas. Elle savait que c'était fréquent que des personnes versent une drogue dans les boissons et elle était assez avertie pour ne pas accepter un verre d'un inconnu.
Emma observait Camille danser sur la piste, se déhancher sur le rythme de la musique sans qu'elle ne trouve ça honteux. Jamais Emma ne se sentirait capable de s'exhiber autant devant des personnes dont elle ne connaissait même pas l'existence depuis ce soir. Plusieurs personnes lui avaient demandé de danser mais elle avait poliment refusé. Pour ne pas paraître trop ringarde, elle leur disait qu'elle attendait son petit-ami qui était allé lui chercher un verre. Mais la vérité était que personne n'était là pour elle et le problème était que malgré la présence de superbes jeunes hommes qui n'avaient des yeux que pour elle, elle ne cherchait pas une relation d'une nuit seulement. Non, elle désirait bien plus. Elle voulait un homme qui se réveille à côté d'elle, pas un qui se défile au milieu de la nuit. Elle désirait quelqu'un qui pourrait voir un avenir avec elle mais jusque là, les recherches avaient été infructueuses. Elle avait 24 ans, la vie devant elle et déjà elle se sentait l'âme d'une vieille fille. On s'intéressait à elle, bien ! mais pourquoi personne ne voyait qu'elle recherchait plus qu'une aventure ? Ce n'était assurément pas en boîte de nuit qu'on rencontre l'âme sœur !
La chanson se finit et bientôt Camille vint rejoindre sa meilleure amie, tenant un beau jeune homme par la taille. Elle savait que Camille ne faisait pas ça pour elle (après tout Camille avait déjà le parfait petit-ami) mais elle voulait absolument présenter tous les hommes qu'elle croisait à son amie. Elle ne supportait pas de laisser Emma à part alors qu'elle était tellement jolie. Aussi fit-elle les présentations.
« Emma, voici Louis » Emma n'observait pas le garçon, c'est à peine si elle lui jeta un regard alors que celui-ci ne regardait qu'elle. Si elle donnait une chance aux hommes, elle verrait que tous n'attendent pas d'elle la même chose. Louis était un garçon charmant, doté d'un corps fin, ses mains passaient inlassablement dans ses cheveux pour les ramener sur le sommet de sa tête et pour ainsi obtenir quelques moments de répit pour une vision parfaite. Il observa Emma avec une intensité étrange comme un savant regarde l'œuvre qu'il a créée. Il la trouvait simple, jolie et il sentait qu'elle n'était pas dans son élément ici.
« Vous venez souvent ici ? » Demanda-t-il à la jeune femme qui lui accorda un regard froid avant de répondre par la négative. Elle voulait à peine être polie, elle désirait juste rentrer chez elle et se recroqueviller sous les couvertures de son lit : réaction enfantine !
« Et pourquoi ? » Il était intéressé, ça se voyait. Ce n'était assurément pas la conversation qui l'absorbait autant mais Emma mettait entre elle et lui une telle distance comme s'il était un prédateur qu'il se sentait légèrement mal à l'aise. Elle était froide mais étrangement, il aimait ça.
« Vous voyez bien » Souffla-t-elle, exaspérée par la conversation inintéressante qu'elle menait avec cet homme. Elle aurait voulu le laisser mais maintenant que son amie était repartie danser, elle n'avait aucune excuse. Camille l'avait sans doute informé qu'elle n'avait aucun petit-ami et sûrement pas un lui commandant une boisson au bar.
« Non, je ne vois absolument rien. Eclairez-moi » Ajouta-t-il ce qui coupa le souffle à Emma. Jouait-il avec elle ? Que voulait-il prouver ?
« Je déteste cet endroit, cette robe, ces hommes qui vous regardent comme si vous étiez une proie et cette musique trop bruyante ! Je déteste le fait d'avoir l'impression d'être seule constamment, de rentrer chez moi pour trouver une maison silencieuse et de voir que tous ceux qui m'entourent ont la vie que je voudrais avoir ! » A vrai dire, elle enrageait et depuis longtemps elle avait voulu crier ces mots. Ça lui faisait du bien de s'entendre parler à voix haute.
« Vous détestez énormément de choses Emma » Elle leva les yeux au ciel, moins exaspérée qu'avant mais elle ne pouvait avouer à cet inconnu qu'elle se sentait mieux. Elle ne pouvait pas non plus rester là à discuter avec lui. Que savait-elle de lui ? Il n'était peut-être pas fréquentable même si son apparence ne présageait rien de mauvais. Elle réajusta son sac à main sur une de ses épaules et se fraya un chemin pour sortir de cet endroit. Ce fut compliqué de se retrouver dehors mais elle y arriva et ne partit pas tout de suite. Elle resta un moment dehors et alluma une cigarette. Elle était assise sur le capot d'une voiture quand il vint vers elle. Elle aurait voulu courir jusque chez elle pour s'enfermer dans sa chambre mais elle trouvait cette réaction digne d'une adolescente effarouchée.
« A quoi pensez-vous ? » La questionna Louis. Elle se surprit à lui répondre alors qu'elle aurait préféré l'ignorer royalement.
« Que vous n'êtes peut-être pas fréquentable »
« Ah oui ? Et qu'est-ce qui vous fait dire cela ? »
« Qui vous permet de me suivre ? » Rétorqua Emma, jetant sa cigarette au loin. Elle était dégoûtée par l'odeur infecte.
« Vous êtes donc une de ces filles qui répond à une question par une question »
« Il semble que oui » Dit-elle, sautant du véhicule et s'éloignant comme si elle ne se préoccupait pas que Louis puisse la suivre.
« Ça tombe bien car j'adore ce type de filles » Rit-il et il eut juste droit à un autre regard glacial d'Emma mais il ne laissa pas tomber. « Vous n'aimez pas l'humour ? »
« J'adore l'humour, particulièrement le vôtre » Ajouta-t-elle sarcastiquement et Louis sourit dans le noir. Étrange qu'il ne ressente pas le besoin de retourner dans la boîte. Il se trouvait bien avec la jeune femme mystérieuse qui le remettait toujours à sa place.
« Ce n'est pas que je n'aime pas votre compagnie mais vous n'avez pas autre chose à faire que de suivre des jeunes femmes ? » Lui demanda-t-elle et il lui répondit que c'était un pur plaisir que de lui tenir compagnie en cette si fraîche soirée. Il ajouta que son passe-temps favori était de raccompagner les jeunes filles en détresse chez elle et s'assurer que tout va bien.
« Ne vous inquiétez surtout pas pour moi, je vais très bien » Lui assura Emma mais elle devait dire qu'elle aimait le fait qu'on se préoccupe d'elle. Peu de personnes le faisait. Aussi ne dit-elle rien à l'inconnu de peur de le brusquer et qu'il s'en aille comme une apparition.
La nuit était froide comme peut l'être une nuit d'hiver et Emma devait serrer contre elle sa mince veste pour se procurer un peu de chaleur. L'inconnu, lui, n'était vêtu que d'un t-shirt mais il ne semblait absolument pas sentir le froid extérieur. Elle l'observa minutieusement tout en restant discrète. Elle ne voulait pas recevoir un propos tel que "Prenez une photo, ça ira plus vite". Il n'était pas mal, se dit-elle même si c'était compliqué de juger de son apparence sous le faible éclairage des rues de Paris. Quand il se tourna vers elle, elle détourna vite son attention de sa personne et se renfrogna, enfonçant ses mains plus profondément dans ses poches. La boîte n'était pas très loin de son appartement mais elle était venue en voiture, notamment avec celle de Camille. Elle ne savait même pas si elle était en train de suivre la bonne direction. Tout ce qu'elle savait c'est qu'elle mourait de froid. Quelle idée d'avoir laissé son manteau dans la voiture de Camille !
« Vous tenez le coup ? »
« De quoi parlez-vous ? » Demanda-t-elle, se braquant brusquement. Elle s'arrêta pour lui faire face.
« Je parlais du froid, inutile de vous emporter » Elle haussa juste les épaules, essayant de ne pas grelotter mais elle n'y parvint pas.
« Vous tremblez » Et vous êtes très perspicace « J'habite dans le coin, venez vous réchauffer » Et comme pour accentuer ses propos, une pluie fine et transperçante se mit à tomber.
« Vous ne faites pas que raccompagner les jeunes femmes... »
« Jamais je n'ai proposé à une femme de venir visiter mon appartement. En tout cas, jamais quand elles ont froid » Il lui souriait maintenant, gentiment comme si elle était une petite fille perdue.
« Je vous promets que je ne vous ferai aucune avance ni aucun geste déplacé » C'est étrange car elle le suivit jusque chez lui sans jamais éprouver de la peur. Elle ne le connaissait absolument pas mais ça lui était égal. Si elle ne profitait pas des petits moments que lui offrait la vie, elle gâcherait sa jeunesse et Emma ne voulait ressentir aucun regret quand elle serait plus âgée.
*
L'appartement de la personne qu'elle s'entêtait à prénommée 'l'inconnu' se trouvait à l'angle d'une petite rue calme. Cela ne ressemblait en rien au quartier d'Emma qui comptait plus de gens louches que de bons parisiens. Ils montèrent deux étages à pieds, le vieil immeuble n'ayant pas d'ascenseur et Louis la fit ensuite pénétrer chez lui. Ce n'était pas particulièrement spacieux, ni chic mais aux yeux d'Emma s'était tout à fait charmant. Le style de la maison datait peut-être des années 80. Elle retira ses chaussures à l'entrée comme elle en avait l'habitude de faire et attendit que Louis lui montre son chez soi. Elle tomba amoureuse de l'appartement de Louis qui ne pouvait qu'être mieux que le sien de toute façon.
« Je ne m'attendais pas à... » Elle s'arrêta, ne trouva pas de mots pour continuer sa phrase qui resta en suspend. Louis dévisagea Emma une nouvelle fois tandis qu'elle observait minutieusement son appartement. C'était étrange pour lui de ramener une femme à la maison. En vérité, même s'il était particulièrement charmant, ça ne lui venait jamais à l'esprit de batifoler avec une inconnue durant une nuit. En invitant Emma chez lui, c'était par simple politesse et aussi parce qu'il était troublé de se sentir aussi bien près d'elle. Peu de personnes lui avaient donné cette impression.
Son portable sonna dans sa poche mais Louis ne répondit pas. Sûrement un de ses copains qui venait de se droguer et qui l'appelait pour l'exaspérer lui souhaiter une bonne nuit. Il les détestait ses amis, ils étaient tous snobs et hautains, faisant partie d'un autre univers tandis que Louis avait été parfaitement éduqué par sa mère, vivant seule. Il connaissait le prix de la vie tandis que ses amis dépensaient sans compter, jetant leur argent par les fenêtres. Il se blâma de les fréquenter encore alors que rien ne l'attachait à eux. Il y avait dans le groupe deux filles : Fiona, la blonde pulpeuse aux fesses galbées et aux seins énormes qui ajoutait toujours à ses phrases des mots grossiers pour se rendre plus rebelle et Bérénice, un nom trompeur puisque que la fille qui se nommait ainsi était plus stupide que jamais et elle détestait qu'on l'appelle par son vrai nom. On comptait aussi Tristan, jeune homme de vingt ans qui vendait la drogue dans les boîtes de nuit et Jeremy qui finissait constamment soûl quand Louis l'accompagnait à une fête. C'était ses amis. Des putains d'amis, on pouvait le dire mais il n'y avait qu'eux.
« Je vous apporte des habits secs » Louis disparut derrière une porte qu'Emma n'avait pas remarquée tout de suite. Il réapparut quelques secondes plus tard, les bras chargés de vêtements pour que la jeune femme ait le choix. Elle choisit un vieux pantalon de jogging et un t-shirt noir, qui bien entendu descendait jusqu'à ses genoux. Louis lui indiqua la salle de bains pour qu'elle puisse s'habiller en toute tranquillité. Étrangement, elle repensait au soir où elle s'était rendue chez Dave Sherley et qu'elle s'était ensuite réveillée dans des habits qu'elle ne connaissait pas. Que faisait-il à ce moment-même ? Pensait-il à elle ? Pourquoi penserait-il à elle ? Quitter New York avait été bien plus difficile que d'habitude, aussi avait-elle pleuré le jour où elle avait retrouvé son minable appartement glacial. Elle avait laissé derrière elle son frère, quelque peu abattu mais qui lui semblait mieux se porter quand elle lui téléphonait, chaque jour. Pamela aussi lui manquait mais elle n'essayait jamais de l'appeler, de peur de s'aventurer sur un terrain hostile et trop étranger. C'était à son frère et à Pamela de faire le premier pas. Et puis, Dave était toujours présent dans ses pensées. Elle le voyait clairement quelques fois, ce sourire en coin, cette petite fossette et quand elle entendait sa voix, c'était l'apothéose. Comme si elle était raccrochée à lui, comme si un lien les unissait désormais, comme si l'océan Atlantique n'était qu'une minuscule goutte d'eau. Il lui manquait, terriblement mais comment expliquer ça alors qu'elle n'avait passé qu'une journée avec lui ? N'était-ce pas trop tôt pour déclarer qu'elle l'aimait ? Trop tôt, bien trop tôt. Elle le savait éperdument et elle faisait chaque jour l'effort de ne pas sauter dans le premier avion, direction la Grosse Pomme. Tous les jours, c'était une bataille qu'elle menait entre son cœur et sa raison.
Elle s'observa dans le miroir de la salle de bain, s'aperçut que le peu de maquillage qu'elle portait avait coulé sur ses joues à cause de la pluie et avec un peu d'eau, elle enleva tout. Elle se recoiffa avec sa main puisqu'elle ne pouvait trouver une brosse et qu'elle n'allait pas fouiller dans les affaires de Louis. Elle regarda minutieusement les cernes, juste en dessous de ses yeux, preuve d'une perte de sommeil qu'elle n'arrivait pas à récupérer. Le soir, quand elle regagnait son lit, s'était seulement pour éviter qu'elle ne fasse les cent pas dans son petit appartement. Jamais elle n'arrivait à complètement fermer les yeux, ni à s'accorder une minute de répit et c'est pourquoi elle avait demandé un congé de quelques jours à son patron mais finalement elle aurait préféré travailler pour tenir son esprit occupé. Allait-elle pouvoir s'endormir ce soir ou allait-elle encore rester éveillée ? Se demanda-t-elle tout en sortant de la salle de bain, rejoignant Louis qui se trouvait dans la cuisine. Il avait lui aussi troquer ses vêtements comme des habits plus confortables. Quand elle arriva dans la cuisine, il leva les yeux vers elle et il put voir qu'elle était très belle dans ses vêtements, d'une beauté différente des autres que les autres femmes qu'il avait pu connaître, d'une manière plus innocente aussi comme si elle était aveugle à sa propre beauté. Il lui adressa un petit hochement de tête pour lui indiquer qu'il venait de prendre conscience de sa présence dans la pièce. Elle s'assit sur une des grandes chaises de la cuisine et observa l'horloge digitale qui marquait maintenant 00h25.
« Vous pouvez dormir ici si vous voulez... » Annonça Louis tout en rangeant une cuisine déjà ordonnée. Il n'avait jamais été aussi peu convaincant que ce soir-là mais Emma répondit quand même positivement à sa demande. Elle ne se sentait pas de rentrer chez elle ni de marcher dans la rue habillée ainsi. Elle ne pouvait décliner cette offre et même si elle ne connaissait pas Louis plus que ce qu'elle avait pu apprendre de lui ce soir, quelque chose lui disait qu'elle n'avait rien à craindre avec lui. Et ça paraissait étrange que la présence de ce garçon ne la dérange pas le moins du monde alors qu'elle ne l'avait rencontré à peine une heure auparavant.
« Tu peux dormir dans mon lit » Dit-il mais elle lui répondit gentiment qu'elle pouvait tout aussi bien se contenter du canapé. Commença un long dialogue entre les deux jeunes personnes pour savoir qui aurait l'honneur de dormir sur le canapé et finalement se fut Louis qui gagna. Ce dernier montra sa chambre à Emma qui le remercia une fois de plus pour sa bienveillance.
Une fois que Louis la laissa seule dans la chambre, elle se terra sous les couvertures et éteignit la lumière. Elle pensa peu à Dave ce soir-là mais elle put s'endormir facilement et une bonne nuit de sommeil était un cadeau du ciel qu'elle accepta avec bonheur. Quant à Louis, il erra longtemps dans sa propre maison, ses yeux refusant de se fermer. Cela lui permit de se focaliser sur ses soi-disant « amis » qui représentaient plus des profiteurs pour lui que de vrais copains.
N'hésitez pas à partager vos impressions! xx
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