10. New York, 768 5th Avenue, The Plaza Hotel
New York, 768 5th Avenue, The Plaza Hotel √
Même si Emma n'appréciait pas la présence de Nick qui, à côté d'elle, la tenait fortement par la main, cela ne l'empêcha pas de contempler l'architecture du bâtiment luxueux où elle allait dîner. Le « Plaza Hotel » s'étalait majestueusement sous ses yeux curieux et fascinés par tant de beauté. Elle observa les guirlandes qui égayaient l'entrée, le portier soigneusement habillé et le voiturier qui courrait de voitures en voitures pour les garer. Il régnait une importante effervescence.
Nick et elle s'engouffrèrent dans le bâtiment. Elle poussa un petit cri d'étonnement qui fit sourire son compagnon. L'endroit ne fascinait plus Nick depuis longtemps. En effet, à chaque venue à New York, il réservait une chambre ici, dans le plus grand palace de la ville. Qui ne connaissait pas le « Plaza Hotel » ? Nick aimait se faire plaisir et ça ne le dérangeait pas de payer une chambre au prix fort. A côté de lui, Emma était muette. Elle n'avait jamais vu tant de splendeurs dans un même endroit. Comme une enfant, elle s'amusa à regarder l'immense sapin décoré placé dans l'entrée avec ses multiples guirlandes illuminées et ses boules colorées. Elle distingua de la musique de Noël derrière le brouhaha de la salle de réception mais le volume bas ne permettait pas la compréhension des paroles.
Nick s'empressa de donner son nom à l'accueil. La surprise et la fascination qui se peignait sur le visage de la jeune femme l'ennuyait. Il aurait voulu qu'elle le regarde mais elle ne semblait pas pressée de plonger son regard dans le sien. Nick prit la main d'Emma et, tous les deux, suivirent le serveur qu'il les conduisit à leur table. Emma poussa un nouveau cri enfantin. Nick préféra grogner dans sa barbe.
« C'est vraiment magnifique ici » Dit la jeune femme une fois assise sur un siège de velours.
Pour Emma, ces décorations ne pouvaient que la fasciner. Elle n'avait jamais été habituée au luxe. Pour dire vrai, elle n'était jamais descendue dans un hôtel aussi luxueux que celui-ci. Elle savait que Nick était le fils d'un grand diplomate et que l'argent n'avait jamais été un problème dans sa vie. Il aurait pu devenir astronaute, chanteur ou même président grâce aux relations de son père. Emma se demanda pourquoi il était devenu steward et comment il avait pu avoir cette table dans ce prestigieux restaurant alors que tout est réservé la veille de Noël. Savait-il qu'elle dirait oui ? La réservation avait-elle été faite en avance ?
Il haussa les épaules « Je savais que tu aimerais »
« Ah bon ? Comment le savais-tu ? »
« Toutes les femmes aiment cet endroit » Il répondit sans savoir qu'il venait de dévoiler une partie de sa personnalité. Oh, l'imposteur, pensa t-elle.
« Je pourrais être différente » Renchérit Emma. Elle se demanda ce qu'elle faisait ici. Les plats arrivèrent et ils mangèrent en silence. Elle détestait déjà cette soirée et aurait préféré passer le réveillon seule, en mangeant un énorme bol de maïs soufflé devant sa série préférée.
Pourquoi avoir fait une telle erreur ? Se demanda t-elle quand Nick se mit à parler des nombreuses voyages qu'il faisait chaque année.
*
Le repas fini, ils se levèrent. Un instant, elle crut que Nick allait lui faire payer l'addition – qui devait être élevée – mais il n'en fit rien. Depuis quand était-il devenu un gentleman ? Elle donna son ticket et récupéra son manteau au vestiaire. Que devait-elle faire maintenant ? Partir semblait être une bonne idée mais Nick n'y était pas favorable.
« On pourrait boire un verre ou deux au bar, non ? » Il lui demanda mais ce n'était pas une question qui attendait une réponse. Il l'entraîna dans le salon et ils s'assirent sur de hautes chaises, devant le comptoir en bois verni. Ils commandèrent tous les deux à boire. Une boisson peut désigner la classe sociale d'une personne : il prit une coupe de champagne au prix excessif tandis qu'elle préféra commander un verre de Coca-Cola, un soda dont le coût n'excédait pas les quatre euros.
Ils parlèrent jusqu'à que l'horloge sonne dix coups distincts. Ou plutôt il parla. De voyages, de safaris où il tuait sans pitié des animaux en voie de disparition, de livres qu'elle n'avait jamais lus et de films qu'elle n'irait jamais voir. Ils n'avaient rien en commun. Ils n'avaient pas la même vision du monde. La célèbre phrase « Les contraires s'attirent » se révélait fausse. Elle en était presque soulagée.
« Tu es vraiment belle ce soir » Lui dit-il tout en posant sa main sur le genou d'Emma. Elle détesta ce contact. Elle pouvait presque sentir la moiteur de la main de Nick qui traversait ses collants. Il remonta sa main. Elle se leva prestement et attrapa son sac qui traînait négligemment sur le comptoir.
« Nick, si j'étais venue pour ça, je te l'aurais fait savoir bien avant » Elle lui apprit d'un ton glacial tandis qu'elle se dépêchait d'endosser son manteau.
« Attends Emma, ce n'est pas ce que tu crois » Balbutia-t-il. C'était un bon acteur mais la jeune femme se révélait meilleure que lui et avait un train d'avance, sachant lire clair dans son jeu.
« Ah oui ? Veux-tu bien m'éclairer alors ? »
« Je veux juste passer Noël avec toi. Rien que tous les deux... »
« Tu sais quoi Nick ? » Le prénom du jeune homme était comme du poison dans sa bouche « Je ne veux pas entrer dans ton petit jeu. Je ne suis pas une stupide marionnette dont tu peux manier les ficelles. Je te conseille d'abandonner ton pari parce que je ne suis pas aussi naïve que les autres. Tu as compris ? Je ne veux plus avoir affaire à toi » Pour un peu, elle se serait crue au théâtre.
Elle tira sa révérence devant un public inexistant et se retira. Le rideau venait de tomber, l'acte était terminé. Elle se décida à rentrer.
New York, Manhattan
Dans un building, 23h40
Dave était de nouveau plongé dans la contemplation de la rue new-yorkaise qui s'étendait sous ses pieds. Du haut de son bureau, il contemplait ce monde minuscule qui semblait si détaché de la vie qu'il menait. Il pensa à Daisy qui dormait dans un lit à l'hôpital la veille de Noël, à Lily sa sœur disparue trop tôt et à ses parents qui devaient sûrement être chez des amis pour réveillonner en buvant du champagne et en parlant politique et mode pour les femmes. Il détestait ces réunions qui se déroulaient toujours chez les personnes les plus hautaines de l'Amérique du Nord, celles qui mangeaient plus de caviar et de foie gras (qu'ils importaient spécialement de France pour les fêtes à un prix exorbitant) que n'importe qui. Bordel ! Et les gens qui meurent dans la rue la veille de Noël ? Quelqu'un pense-t-il à eux ?
Lui non plus ne faisait rien. Il restait là à contempler la ville en méditant. Il se sentait affreusement seul dans ce bureau trop grand, trop vide qui aurait pu accueillir la moitié des sans-abris de New York. Il n'y avait qu'une photographie dans la salle. Celle d'une jeune femme pleine de vie avec des yeux fatigués mais un visage épanoui qui tenait dans ses bras une jolie petite fille du nom de Daisy. Une merveille. Il se souvint de tout ce qui s'était passé dix ans auparavant et il ne ressentit rien que de la nostalgie. Lily manquait au tableau de la famille parfaite. Sa disparition avait éloigné Dave de ses parents du jour au lendemain. Même à l'enterrement il ne s'était pas assis près d'eux pour les réconforter. Il n'aurait pas été assez fort pour éviter que sa mère ne se transforme en une fontaine humaine.
Seul. Il était seul depuis quatre ans. Certes il y avait Daisy mais elle ne pouvait remplacer sa sœur qu'il avait tant chérie. Quelques fois, quand il regardait la fillette dans les yeux, il voyait les mêmes traits que ceux de sa mère et il ne pouvait s'empêcher de détourner le regard. Lily hantait si souvent les yeux de Daisy !
Il abattit un coup de poing sur un pan de son bureau et le bruit du bois qui craque se répercuta dans la pièce. Il aurait pu allumer la télévision ou rentrer chez lui mais il savait qu'il supporterait encore moins l'appartement vide et froid sans la présence de Daisy. Il détestait la veille de Noël parce qu'il n'avait pas de travail. Et, sans travail pour le tenir occupé, il tombait dans la spirale infinie de la tristesse profonde.
Le coup strident de son téléphone le tira de ses songes. Il se dépêcha de répondre. Que lui voulait-on à cette heure si tardive ?
« Une jeune femme souhaite s'entretenir avec vous» La voix au bout du fil était celle de sa secrétaire.
« Qui est-elle ? » Il y eut un moment de silence, il entendit une voix lointaine. Il ne perdit pas de temps à connaître le nom de la mystérieuse personne.
« Faîtes-la entrer » Il ajouta « Et... Mrs Galls ? » Il demeurait hésitant.
« Oui Mr Sherley ? »
« Vous pouvez partir et profiter des... festivités »
« Vous êtes sûr Mr Sherley ? » Elle poussait sa chance.
« Mrs Galls partez tout de suite où je devrai revenir sur mes paroles »
« Merci ! Je vous envoie la jeune femme » Il raccrocha pour ne pas avoir à répondre aux politesses excessives de sa secrétaire.
Il sourit. Au fond de lui, il savait qu'elle viendrait.
*
Venait-elle de commettre la plus stupide des erreurs en venant ici ? Se demandait la jeune femme tandis qu'elle attendait patiemment que l'ascenseur la conduise à l'étage annoncé par la secrétaire. Elle se tenait fortement à la rampe en fer comme si elle se sentait subitement faible. Le son infime l'informa que l'ascension était terminée et les portes métalliques coulissèrent, laissant découvrir un couloir interminable. C'est en traînant des pieds qu'elle s'extirpa de l'ascenseur comme si ce n'était un Apollon qui l'attendait mais un bourreau et sa hache aiguisée. Elle ne savait pas où aller et ne savait pas pourquoi elle était là. Elle aurait voulu ne jamais s'être présentée à l'accueil mais c'était dans un élan de tristesse qu'elle s'était ruée ici. Pourquoi était-ce le premier lieu où elle venait se réfugier ? Elle pensa à faire marche arrière mais trop tard : elle venait de frapper à une porte impressionnante qui portait le nom complet en lettres dorées de cet homme qu'elle brûlait intérieurement de rencontrer à nouveau. Mais la peur, le doute l'habitèrent à nouveau. Elle ne pouvait plus reculer, plus si près du but.
La porte s'ouvrit si lentement qu'elle se demanda si elle aurait eu la possibilité de s'échapper durant ce laps de temps. Comment avait-elle pu se rendre ici sans se poser de question ? Cela ne lui ressemblait pas ; normalement Emma organisait tout pour ne pas improviser à la dernière minute et dire une bêtise. Mais alors que faisait-elle ici ? Etait-ce le destin qui l'avait fait échouer devant le bureau de cet entrepreneur ? Elle se le demandait encore quand elle remarqua que Mr Sherley l'observait derrière des lunettes grises qui le rendaient plus sérieux qu'il ne l'était déjà. Elle tremblait. Leur plus ancienne rencontre remontait à trois jours environ. Il avait été brusque, presque impoli envers elle quand il l'avait toisée si méchamment. Alors pourquoi était-elle venue ici le retrouver dans son building en cet veille de Noël ? Etait-ce pour s'éloigner de Pamela et de son frère qui ne cessaient de se disputer au sujet de leur rendez-vous annulé ? Elle aurait aimé répondre 'oui' à cette question mais elle savait qu'il n'y avait pas que ça qui l'avait fait venir jusqu'à lui. Cela avait quelque chose à voir avec le regard attentionné qu'il avait posé sur elle à l'hôpital quand il lui avait tendu ce sandwich.
Emma prit conscience qu'il la dévisageait fixement comme s'il essayait de décrypter ses émotions. Soudain, il esquissa un sourire qui la fit rougir.
« Je suis désolée » Bredouilla la jeune femme, prise de honte « Je ne sais pas pourquoi je suis venue ici. C'était terriblement stupide de ma part » Elle voulut tourner les talons ou plutôt se retrouver à Paris pour ne plus sentir le regard de l'entrepreneur sur elle. Elle détestait l'attention qu'il lui portait.
« Non, restez » Il prononça et cela eut le don de faire battre le cœur d'Emma plus rapidement. Dave se dégagea pour la laisser entrer. Il ne pouvait croire qu'il l'avait laissée sur le seuil de la porte un si long moment mais il devait être excusé : il avait du mal à décrocher ses yeux d'un si agréable minois. Elle avait été faîte pour être regardée, admirée et certainement aimée mais alors pourquoi était-elle seule ce vingt-quatre décembre ? Bon sang, il la désirait tant qu'il pouvait à peine se contrôler. Par bonheur, c'était un homme de principes et il se refusait d'embrasser la jolie rouquine tant qu'il n'aurait pas son accord.
Pour ne pas s'embraser une nouvelle fois sous le regard pénétrant de l'entrepreneur, la jeune femme se glissa derrière le bureau et entreprit de contempler la vue comme elle le faisait si souvent. Mais elle n'était pas assez concentrée pour rendre hommage à un aussi beau panorama. Le jeune homme dans son dos y était pour quelque chose. Elle sentait monter en elle une bouffée de chaleur dont elle connaissait l'origine. Ce qui la choqua, c'est qu'elle n'avait jamais cru posséder un tel feu en elle. Etait-ce ce genre d'émotions que les romans d'amour décrivaient ? Mon dieu, était-elle déjà en proie à l'amour ou était-ce purement physique ? Dave se raclant la gorge pour obtenir l'attention de la jeune femme mit un terme à tous ses questionnements. D'un ton qui se voulait posé, il la pria de prendre place sur le canapé douillet. Elle tremblait légèrement d'être seule dans une entreprise déserte, la nuit, avec un homme, cet homme en particulier. Ce n'était pas de lui qu'elle avait peur mais bien d'elle, effrayée des pensées qu'elle pourrait inconsciemment révéler, effrayée qu'elle ne puisse résister.
« Comment trouvez-vous New-York ? » Lui demanda-t-il dans un français parfait ce qui eut le don de la rassurer. Elle se sentait presque en France.
« J'apprécie énormément cette ville. Ce n'est pas seulement New-York avec ses buildings, sa statue, ses hot-dogs que tout le monde connaît. Non, c'est une ville mystérieuse qui cache de plus grandes merveilles, de plus beaux joyaux » Dave ne put s'empêcher de rougir. Heureusement, dans le noir, ça passait inaperçu. Il crut qu'elle s'adressait directement à lui quand elle prononça qu'il y avait des choses mille fois plus belles que l'Empire State Building ou la Statue de la Liberté.
« Et vous, aimez-vous Paris ? »
« Je n'ai pas eu vraiment l'occasion de visiter cette ville. Quand je me déplace dans la capitale française, je viens pour affaire et j'ai malheureusement peu de temps à m'octroyer »
« Cela veut-il dire que vous n'avez jamais été voir l'Arc de Triomphe ? La Tour Eiffel ? » Elle était surprise qu'un homme qui jouissait d'un tel pouvoir n'ait jamais eu le temps d'admirer Paris et ses boulevards endiablés.
« Il y a des choses plus belles à voir à Paris qu'une simple tour de fer » Elle jura l'avoir vu cligner des yeux. Pourquoi s'empourpra-t-elle soudainement ? Il avait sur elle une emprise telle que ses émotions n'étaient plus siennes. Remarquant son silence, il lui proposa une boisson, offre qu'elle ne déclina pas. Elle avait bien besoin d'un petit remontant. Peut-être acquérait-elle assez d'assurance pour s'exprimer convenablement.
Il appuya sur un bouton et un volet dans le mur s'ouvrit. Elle découvrit un mini bar qui contenait tous les breuvages qu'une personne pouvait souhaiter. Elle demanda un verre de vin, sachant que celui-ci ne serait pas de la même qualité que celui qu'elle buvait quand elle fêtait Noël chez ses parents. Dave Sherley avait bien assez d'argent pour se payer une bonne bouteille de Château Margaux, pas sa famille. Il lui offrit le verre qu'elle prit dans ses deux mains. Elle tremblait tellement qu'elle aurait pu le renverser dans sa globalité sur la belle moquette ce dont elle s'en serait voulu.
Dave était muet. Non qu'il ne savait que dire mais bien parce que la jeune femme qui se tenait droite sur le canapé en face de lui l'intriguait. Que devait-il faire ? Devait-il se diriger vers elle et s'asseoir à ses côtés ? De quoi devait-il parler ? Il était perdu mais il n'était pas seul dans cet univers un peu brouillon. Emma se demandait s'il n'était pas préférable de partir maintenant qu'elle avait fini son verre et que rien ne la retenait. Elle savait qu'une fois dehors, elle retrouverait la monotonie de sa vie. Que ferait-elle pour tuer le temps ? Elle n'avait pas le courage de rentrer et ne se sentait pas assez téméraire pour faire face à Pamela et son frère mais elle n'était pas idiote : elle ne pouvait pas rester ici.
Elle se leva, posa précautionneusement son verre sur la table basse en verre et se dirigea vers la porte. Elle faillit croire qu'il ne ferait rien pour la retenir. Elle crut qu'il serait comme tous les autres. Mais elle avait tort.
« Restez, je vous prie » Sa voix était suppliante et le cœur de la jeune femme cogna plus fort à l'intérieur de sa poitrine. Comment une simple voix pouvait-elle causer tant de dégâts ?
Elle se retourna pour lui faire face. Il se tenait debout, non loin d'elle. Ses lunettes qui n'étaient plus sur son nez se retrouvaient maintenant sur le bureau. Il la regardait intensément, ne déviant jamais son regard lui montrant que sa présence ne le gênait pas, loin de là. Elle lança d'une petite voix fluette :
« Vous savez, si je reste, il ne se passera rien » Elle le mit en garde pour ne pas tomber de nouveau dans les filets d'un nouveau 'Nick'. Elle ne voulait pas séduire un homme dont elle ne connaissait rien, le soir de Noël. Même s'il était aussi charmant. Même si l'envie de l'embrasser la démangeait quelques fois. Souvent.
« Je n'attends rien de vous. Je ne me permettrai pas de penser cela même si votre corps est loin d'être repoussant » Elle lui sourit faiblement et referma la porte du bureau qu'elle venait à peine d'ouvrir. Il avait été sincère avec elle alors elle resta.
Ils parlèrent un temps, brisant ce silence qui n'avait pourtant rien d'embarrassant. Tous les sujets y passèrent comme la politique franco-américaine ou le sujet épineux des armes à feu qui mettait en opposition deux Amériques. Ensuite, Emma lui posa des questions sur son métier et il en fit de même, non pas pour retourner la politesse mais parce que brûlait en lui l'envie de tout savoir sur cette jeune femme. Elle l'intriguait, étrangement, tellement loin de ces conquêtes d'un soir qui n'ouvraient la bouche que pour en demander plus.
Ils ne burent pas beaucoup, ils n'avaient aucunement besoin de l'alcool pour se sentir euphoriques, leurs conversations et les regards qu'ils se lançaient à la fois timides et appuyés, les contentaient amplement. Tentés par l'autre mais voulant rester corrects, ils ne firent pas un pas vers l'autre. Ils étaient tels un gentleman et une demoiselle du dix-huitième siècle : ils faisaient attention aux convenances. On était bien loin de cette époque qu'est le vingt-et-unième où le temps est le principal ennemi de l'homme, où le besoin d'immédiateté guide ses actions, où on se jette sur l'autre dans l'unique but de goûter à ses lèvres parce qu'on ne sait pas attendre, qu'on ne sait plus attendre.
Car, ce que l'homme voulait, il le voulait tout de suite, comme un enfant trop gâté auquel rien n'avait jamais été refusé.
Ils ne désiraient pas ressembler à tant d'autres, voulaient faire les choses différemment alors ils se contentèrent de parler durant cette soirée, de se regarder, de capturer chacun des gestes, des paroles de l'autre.
Beaucoup de gens diraient qu' « entre eux, il ne se passa pas la moindre chose ». Tout ça parce qu'ils avaient préféré les mots aux actions. Tout ça parce qu'ils ne s'étaient pas rapprochés physiquement. Mais ceux-ci avaient tort, terriblement tort. Quelque chose avait changé dans leur relation quand ils avaient décidé, d'un commun accord, de préférer l'instant à l'immédiat.
*
Dave raccompagna à pied Emma chez son frère. Elle avait paru fatiguée et il avait préféré mettre fin à leur soirée malgré les protestations de la jeune femme que la raison semblait avoir abandonnée.
Les rues de New York étaient pleines d'entrain, constatèrent-ils. Il y avait tant de monde dehors en cette soirée de réveillon qu'ils avaient du mal à rester sur le trottoir bondé et plus d'une fois, elle avait failli basculer vers la chaussée si Dave ne l'avait pas retenue avec fermeté. A chaque fois qu'elle évitait de manger le bitume, elle lui adressait un sourire de remerciement.
Ils ne savaient pas combien de personnes déguisées en Père Noël récoltant des fonds pour la fondation The Salvation Army, ils avaient croisées. Ceux-ci faisaient sonner la cloche qui se trouvait dans leur main pour alerter les passants mais peu s'arrêtaient pour faire preuve de générosité. C'est à peine si on les remarquait ces bonhommes habillés de rouge dans tout ce tumulte et ce brouhaha, entre les magiciens d'un soir, les chanteurs de rue, les danseurs de break et toute cette population cosmopolite qu'abritait New York. L'extravagance à l'américaine, la preuve d'une Amérique de la démesure.
Avec ses grands buildings disparaissant derrière d'immenses annonces publicitaires numériques, ces panneaux lumineux qui aveuglaient les gens à chacun de leur pas, la ville de la grosse pomme était sans cesse en effervescence. Emma se demandait si on pouvait supporter de vivre toute sa vie ici, dans les embouteillages des voitures mais aussi des humains, dans ce perpétuel fond sonore. New York restait une ville de passage, une sorte de tremplin, le plus souvent pour sa carrière professionnelle.
Cerné par toutes ces grandeurs, on se sentait incroyablement petit et pourtant, on gardait la tête haute. Il ne pouvait en être autrement d'ailleurs. Sans confiance en soi, sans relation, il était quasi impossible de réussir à New York.
Bientôt, ils se retrouvèrent devant l'immeuble de Julien et Pamela, un peu sonnés – l'effet 'New York' certainement – et discutèrent encore un peu, à l'abri dans le vestibule. Puis, il fallut se séparer, proposer de se rencontrer à nouveau le lendemain et se dire bonsoir en se dévorant des yeux.
Cependant, ils n'avaient pas peur de se quitter, ils savaient, même si demain était encore trop loin et pourtant, si proche, qu'ils se reverraient.
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Que pensez-vous de Nick ? D'Emma qui se rend chez Dave ?
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