TROIS : Matt [REECRIT]
Tayla
— Couchez-vous !
Mais c'était trop tard : j'eus à peine le temps de me mettre à terre que le corps du barman s'écroulait au sol dans un fracas. Le choc de cette vue me cingla de plein fouet. Il l'avait tué. Il avait tué un innocent, bordel !
Cet acte me mit hors de moi, moi qui m'étais pourtant jurée de ne plus laisser aucune émotion m'atteindre. C'était la seule manière de ne pas devenir folle face aux situations traumatisantes auxquelles mon harceleur m'exposait. Et je ne voulais surtout pas donner à ce sadique la satisfaction de me qualifier d'« âme sensible ». Je repris alors mon sang-froid et arborai une mine froide et impassible, que je commençais à imiter à la perfection, à force.
Je pris mon courage à deux mains et me redressai fièrement pour faire face à mon adversaire... qui s'était bien sûr déplacé entre-temps pour disparaître de mon champ de vision. Au moins, en cet instant précis, je pus définitivement être certaine d'une chose : j'avais bien affaire à celui que je fuyais. Celui qui se fichait royalement de chaque vie qu'il prenait. Victor, le faucheur. Plus connu sous le surnom du Hunter.
— Montrez-vous ! le provoquai-je.
Aussitôt, je reçus un coup au flanc qui faillit m'entraîner au sol.
— Tu ne t'attendais pas à ça, hein ? susurra-t-il, rictus aux lèvres.
Puis il disparut à nouveau. Il semblait être partout et nulle part à la fois et prenait un malin plaisir à se jouer de moi. Mais cela ne fit qu'amplifier mon niveau d'adrénaline.
— Une fraction de seconde, relevai-je avec sarcasme, j'ai failli attendre !
Sans surprise, il tiqua face à ma pique. Je savais pertinemment que sa vitesse de réaction serait un point sensible. Ce que « Victor Le Hunter » détestait le plus, c'était être considéré comme « soft ». Ça le décrédibilisait. Il avait une réputation de terreur à maintenir.
— Oh, Mademoiselle veut que je pimente le jeu... Pour te servir, très chère, ironisa-t-il, les yeux pétillants de malice.
Le coup suivant réussit à me mettre à terre. Je grinçai des dents sous l'impact de mes mains heurtant le carrelage froid de la pièce.
— Non, même pas une esquive ? Allons, Tayla, pourquoi jouer la timide ? Nous savons tous les deux que tu es plus forte que ça. Je t'ai déjà vu à l'œuvre, je te rappelle... c'était largement plus distrayant, d'ailleurs.
Je frissonnai en pensant aux rares fois où j'avais laissé ma colère l'emporter en sa présence. Il savait très bien à quel point je détestais atteindre cet état. Ça se terminait toujours de façon funeste.
— Allez, la fête vient à peine de commencer ! Vas-y, montre-moi ce que tu as dans le ventre. Ça m'a presque manqué.
J'eus un frisson de dégoût. Sa manière de me parler – comme si nous nous connaissions depuis l'enfance – était des plus écœurantes. J'éludai sa remarque, voyant très bien où il voulait en venir. À la place, je pris tout mon temps pour me redresser, de manière à mettre sa patience à l'épreuve.
— Je ne rentrerai pas dans votre jeu, Victor...
— J'ai une mauvaise nouvelle pour toi, Tay : tu en fais déjà partie.
Je ruminais intérieurement. Je détestais cette façon familière qu'il avait de m'appeler. Il agissait comme si tout était normal, comme si ce n'était qu'une simple visite de courtoisie. Mais nous savions très bien tous les deux qu'il n'en était rien.
— Ça fait des mois maintenant, qu'est-ce que vous me voulez, bon sang ? lâchai-je, agacée.
Il émit ce petit rire amusé qui semblait précéder chacune de ses menaces, puis il plongea son regard droit dans le mien, de manière à avoir toute mon attention.
— Qu'est-ce que je te veux ? Tu te moques de moi, j'espère ? Tu as sans doute la faculté de tromper tout le monde autour de toi sauf qu'il s'avère que je vois bien au-delà de ça... Alors, ne fais pas l'innocente et rends-moi ce qui m'est dû.
— Je ne vois pas de quoi vous parlez.
Il se rapprocha brusquement de moi en un coup de vent. La courbe de ses lèvres se teinta d'une pointe de cruauté. La tension était palpable, l'atmosphère électrique. Je frissonnai.
— Hum... Je vais te rafraîchir la mémoire : tu as passé un pacte avec moi.
— Pour la énième fois : au départ, il n'a jamais été question de pacte, j'ai juste accepté...
Il claqua la langue en rapprochant dangereusement son visage du mien.
— Inutile, Tayla : tu as tué pour moi, tu te rappelles ? Et ce n'était que le début.
Je me figeai d'horreur. Sa manière de voir les choses me glaçait le sang. Il parlait sans doute de cet « incident » à cette soirée d'Halloween... Il disait n'importe quoi, il m'avait forcée, je n'avais pas eu le choix, ça avait été une question de vie ou de mort ! C'était...
— Comment osez-vous ! explosai-je. Espèce d'idiot comme si j'avais eu ne serait-ce que...
Je ne finis même pas ma phrase, sachant déjà d'avance que cela ne changerait rien, ni son avis ni ce qui s'était passé cette nuit-là. C'était une perte de temps. À la place, je me repris en soufflant calmement. Il savait très bien à quel point ce souvenir m'était douloureux. Je revoyais encore le corps affaibli des deux personnes qui avaient fini par faire partie de ma vie se tortiller de douleur sous la chaleur cuisante, je voyais les flammes s'approcher dangereusement d'eux et moi dans l'incapacité d'agir. Avec, pour seule option, accepter l'intervention de ce manipulateur qui ne « m'aiderait » qu'à une seule condition : en sauver un et « sacrifier » l'autre. Tu parles d'un marché ! Je voyais encore leur expression transparaître avec horreur leur impuissance, je les voyais sans cesse, chaque fois que j'essayais de me détendre un peu trop. Alors, non, je n'avais pas oublié. Et je n'étais pas près de le faire. C'était il y a maintenant plus d'un an, mais il savait très bien que je ne m'en étais toujours pas remise. Ça avait été l'élément déclencheur de ma fuite. Le déclic qui m'avait fait réaliser à quel point ce psychopathe pouvait aller loin dans ses menaces. Alors, oui, cela m'avait marquée à jamais.
Le Vampire profita de cet instant pour tenter de me déstabiliser encore plus, sans doute persuadé que je céderais :
— Tu sais ce qu'il te reste à faire... Tu n'as qu'un seul mot à dire. Te rendre est la meilleure de tes options. Cela fait combien de temps, maintenant ? Quinze, seize mois ? Combien de temps comptes-tu continuer à fuir ? Tu sais très bien que c'est une perte de temps. En plus : je te retrouve toujours.
Il s'approcha lentement de moi. Ses yeux noirs se plantèrent droit dans les miens, alors qu'il susurrait de sa voix envoûtante :
— Regarde-toi, cette cavale est en train de t'épuiser. Tu aurais à gagner en capitulant.
Je résistai avec peine face à son charisme. Ses propos résonnaient tel un chant de sirène et me parcouraient l'échine dans un doux murmure rassurant. Oh, dur, si dur, de ne pas succomber à ses dires... Parce que, mine de rien, ils contenaient une part de vérité. À chaque fois, il me retrouvait et, à chaque fois, j'en payais le prix. Je me rappelais encore la fois où il avait brûlé l'ensemble de mes papiers d'identité sous mes yeux pour s'assurer que je n'utiliserais pas les transports aériens pour quitter le pays. Avant ces quelques mois de tranquillité, je n'avais jamais tenu une semaine sans qu'il ne me retrouve pour me refaire les mêmes menaces. Il semblait avoir une véritable dent contre moi, ça en était obsessionnel. À un point que j'en venais parfois à me demander comment il se pouvait que je sois toujours en vie à cette heure-ci. Surtout lorsque je voyais tous les cadavres que ce sanguinaire laissait derrière lui, à chaque apparition.
Je fronçai les sourcils. Oui, justement... Sans savoir pourquoi, quelque chose me disait que je touchais un élément clé. Comme si, j'étais sur la bonne voie. Justement, je suis toujours en vie...
Puis, soudain, le charme fut alors rompu.
— Non ! m'écriai-je brusquement en m'éloignant de lui.
Mon ton grave le figea un instant et j'en profitai pour l'observer avec autant de mépris que je pouvais.
— Je ne ferai pas ce que vous me demandez ! Je ne vous dois rien. Rien !
Son expression changea brusquement du tout au tout. Une étincelle de fureur apparut dans ses yeux froids comme l'acier. L'instant d'après, je sentis une main ferme se saisir de mon cou tandis que son visage se rapprochait dangereusement du mien. Cette proximité me gêna au plus haut point. Même sous la douleur, difficile d'ignorer son charme hypnotique d'aussi près. Et il le savait.
— Excuse-moi ? Je n'ai pas entendu, feignit-il dans un murmure.
Son regard glacial contrastait drastiquement avec la chaleur de son comportement enjoliveur. La menace était palpable. Son aura suggestive me hurlait de flancher... Mais je m'efforçai de résister tant bien que mal.
Puis, dans ma lutte intérieure, une question s'imprima dans mon esprit : pourquoi ? Pourquoi s'évertuait-il à me hanter de la sorte ? Ça n'avait aucun sens...
Comme à chaque fois, je me demandai ce que j'avais bien pu faire pour me retrouver dans son viseur. Certes, il voyait en moi des capacités que j'avais toujours reniées. Certes, de par ma fuite, je n'avais pas honoré ma part de « l'accord » – à mes yeux il n'en était rien : je n'avais pas eu le choix et, en plus, deux personnes étaient mortes malgré tout ce jour-là, contrairement à ce qu'il m'avait assuré. Mais, ça, cette traque, toute cette mise en scène, c'était bien différent de juste « capturer » quelque chose qu'il convoitait ou qu'il estimait dû. C'était méchant. Vicieux. Une volonté de me faire souffrir jusqu'à ce que je craque, et capitule enfin. Presque comme si cela était personnel... ou qu'il ne pouvait faire autrement. Peut-être même les deux.
— Vous avez besoin de moi...
Cette phrase m'avait échappé dans un murmure presque inaudible. Pour la première fois, cela m'apparut clair comme de l'eau de roche.
Son regard vacilla. Ça n'avait duré qu'une seconde, tout au plus. Juste assez, pour me mettre la puce à l'oreille. Étrangement, cela m'effraya encore plus, car ça ne pouvait signifier qu'une chose : il comptait se servir de moi. Et, s'il ne l'avait toujours pas fait, la raison ne pouvait qu'en être encore plus déplaisante. Le poids de ce qu'une réalité pareille représentait oppressa ma poitrine à un tel point que je sentis ma contenance flancher. Et une hystérie me gagner.
— Mais c'est pas vrai, qu'est-ce que je représente à vos yeux ?! cinglai-je excédée.
Ma voix stridente me fit l'effet d'un choc électrique. Ce n'était pas moi. Non, non, non, je me devais d'être calme. Ne pas céder à ma rage intérieure. J'inspirai lentement, sans pour autant réussir à ignorer le regard scrutateur de mon interlocuteur. La curiosité malsaine que j'y vis me prit complètement de court. Il attendait une réaction de ma part bien précise. Alors une vérité s'imposa à moi : il ne me tuerait pas.
À cet instant, j'en fus presque certaine. Pas le Vampire qui m'avait affirmé deux ans plus tôt que j'étais « différente » avant de me retrouver un an plus tard à cette soirée d'Halloween pour m'enrouler dans une histoire de pacte... aussi vraie qu'elle soit. Une histoire qui, en fin de compte, s'apparentait plus à de la manipulation psychique et du harcèlement qu'autre chose. Si j'étais encore en vie, c'est qu'il devait avoir besoin de moi.
Je prononçai alors avec clarté les mots qui me brûlaient la bouche depuis un moment déjà :
— Allez vous faire voir !
Et là, tout s'enchaîna très vite : il m'envoya valser à l'autre bout de la pièce en une fraction de seconde avant de se pencher en avant, prêt à de nouveau s'en prendre à moi sans problème. Heureusement, j'avais tout juste anticipé son coup et je réussis à l'esquiver juste à temps en roulant en boule sur le côté. Instinctivement, je me redressai et voulus contre-attaquer, mais il disparut brusquement... avant que je ne sente quelqu'un m'attirer derrière en m'empêchant tout mouvement brusque. Je reconnus son odeur âcre plus rapidement que ce à quoi je m'attendais. Il m'avait eue. Ses poignes d'acier me retenaient captive d'une étreinte... finalement beaucoup moins restreinte qu'il n'en avait l'habitude. Et ce fut là son erreur.
— Alors, tu changes d'avis, maintenant ?
Je ne pris pas la peine de lui répondre : le coup de tête vers l'arrière que je lui donnai dans un grognement suffit amplement à faire passer le message. Mais Victor ne fut déstabilisé que deux secondes avant d'à nouveau me projeter avec fracas sur une table. Le choc fut tellement fort que je n'en revins pas de tenir encore debout. Je me crispai de douleur tandis que je sentais un fin liquide chaud s'écouler de ma bouche. J'avais la tête qui tournait à un tel point ! Je me massai les tempes et tâchai de retrouver vivement mon équilibre en ignorant le sol vacillant sous mes pieds.
Cette fois-ci, il allait trop loin. Je me demandai même s'il n'avait pas finalement décidé que ma survie n'était qu'un détail parmi tant d'autres. Il voulait clairement me faire regretter mes propos. Ah, je le savais ! Je me doutais qu'il serait moins indulgent, cette fois. Quelque chose dans son approche avait changé.
J'étais à bout de souffle. Un bref coup d'œil autour de moi me suffit pour constater à quel point la pièce était saccagée. Consciente qu'il fallait mettre fin à cette mascarade acrobatique au plus vite, je me mis en quête de projectiles pour me défendre face à ce fou furieux. Je me saisis du premier objet tranchant qui me soit tombé sous la main : un couteau parfaitement bien limé.
Brusquement, mon assaillant ralentit le pas. Mais, très vite, l'amusement prit le pas sur la stupéfaction.
— Oh... Tu n'en serais pas capable, me provoqua-t-il, les yeux pétillants de malice.
Je sus à son air sournois qu'il avait hâte que je lui prouve le contraire.
Oh, je n'étais pas près de lui faire ce plaisir.
Comme s'il avait lu dans mes pensées, il se munit vivement d'un couteau à son tour, pour me mettre au défi. Je lui jetai un regard alarmant, soudain douteuse à mon tour :
— Vous ne feriez pas ça ?
Aussi loin que je me souvenais avoir haï cette chose, à aucun moment elle ne m'avait un jour attaquée avec une arme blanche. Non pas que cette créature ne m'ait jamais blessée – non, on parlait bien du « Hunter », là – mais, disons simplement que Victor préférait manipuler et harceler ses proies : il se « contentait » d'user de menaces physiques ou morales, à tel point que cette autre alternative plus « agressive » ne m'avait même pas effleuré l'esprit.
Que tu es bête, Tayla, marmonnai-je intérieurement , c'est avant tout un Vampire. Et il est de ces immortels dépourvus d'empathie, en plus. Un Vampire extrêmement sadique.
Comme pour corroborer mes propos, mon assaillant esquissa son plus grand sourire narquois et s'avança avec le poignard pointé vers moi, sous mon regard aussi horrifié que sidéré.
Ce fut extrêmement rapide. Je ne saisis pas tout : tout ce que je sentis, ce fut une douleur déchirante au niveau de ma cuisse.
Alors, là, ce fut trop. Ma souffrance fut telle que mon coup partit tout seul. Tout s'enchaîna très vite : je poignardai aussitôt mon assaillant avec tant de force et rage que j'en frissonnai moi-même. Je voulus me reprendre et me calmer, mais cela sembla au-dessus de mes forces. Chaque microparticule de mon être était orientée vers un seul objectif : réduire à néant cette abomination qui avait osé mettre ma vie en danger.
Il devait payer.
Je retirai brutalement le couteau qu'il avait enfoncé dans ma cuisse et le jetai vivement à terre, éclaboussant le sang sur le carrelage. Puis je me rapprochai lentement mais sûrement vers ma cible qui s'était légèrement éloignée de moi par réflexe. Je sentais le mélange d'horreur et fascination qu'il y avait dans son regard et qui le sciait sur place, mais c'est à peine si je le voyais, aveuglée par la rage.
J'avais toujours essayé du mieux que je pouvais de ne pas céder à ma colère sans fin et pendant plus de seize mois de cavale j'avais réussi à tenir le coup, mais là, avec son geste... À présent qu'il avait osé franchir ce pas, qu'il avait osé mettre ma vie en danger de la sorte, cette décision n'avait plus lieu d'être.
J'empoignais mon opposant par le col de la veste.
Désormais, ce n'était plus simplement une menace qui prenait plaisir à me hanter. C'était un désagréable moustique sur mon chemin, un insecte insignifiant mais agaçant et agile que j'avais envie d'écraser une bonne fois toute.
Je profitai de la torpeur momentanée de mon ennemi pour lui asséner un coup de poing au niveau de sa plaie. Le Vampire, qui ne s'attendait manifestement pas à autant d'absence d'empathie, vacilla assez longtemps pour que je puisse lui effectuer un crochet au visage qui lui fit perdre l'équilibre et il s'écroula sur l'une des rares chaises encore debout de ce bar. Folle de rage, je saisis l'occasion pour lui administrer une ruade de coups. J'enchaînai le tout sans réfléchir avec, pour la première fois, une agilité et réactivité telle que le Vampire lui-même ne sut les esquiver. J'enchaînais, encore et encore, et... Arg., j'en perdais presque le contrôle de moi-même !
Son ricanement me sortit de ma léthargie.
Un filet de sang s'échappait de sa bouche alors qu'il susurrait, sournois :
— J'en étais sûr. Tu as ça en toi.
La pointe de satisfaction dans sa voix me révulsa, mais cela ne fit que l'encourager à répéter :
— Oh que oui... Tu as ça en toi !
Son rictus en coin me révolta encore plus. S'il se croyait être en mesure de prédire mes faits et gestes, il pouvait toujours se fourrer le doigt dans l'œil ! Et puis, que pouvait-il bien dire par là ? Pour qui il se prenait, d'abord ! Je n'attendis pas une seconde de plus et quittai furtivement la pièce, refusant de me prêter à son jeu.
Son jour viendrait. Mais pour l'instant, une seule chose m'importait : survivre.
~
~
Arrivée dehors, il ne m'était plus question de m'échapper à pied. Et, si auparavant m'enfuir de manière « civilisée » en minimisant mes infractions à la loi avait fait partie de mes préoccupations, ce n'était désormais plus le cas aujourd'hui. J'avais bien compris son message : Victor le « Hunter » avait mis ses menaces à exécution et, maintenant que j'avais osé lui dire ouvertement ce que je pensais, j'allais en subir les conséquences. Pour lui, ce n'était qu'un jeu. Et, désormais, nous étions passés au cran supérieur. Un niveau, où le fait que je puisse m'échapper n'était plus envisageable à ses yeux. Un niveau, où la tolérance et la bonne conscience n'avaient plus leur place. Je songeai alors à voler une voiture, mais, vu l'état de ma jambe, je ne pensais pas tenir longtemps.
Consciente que le temps me manquait, mon instinct de survie prit le dessus et j'analysai avec une rapidité incroyable la situation. Très peu de choix s'offraient à moi : je me trouvais au milieu de nulle part, près de ce qui semblait être une grande voie de circulation. Je me dirigeai alors aussi vite que je pus vers la zone industrielle qui se trouvait juste à côté. Ce fut la meilleure idée de toute ma vie : j'aperçus, au loin, un camion de taille moyenne qui était en cours de chargement. Je n'hésitai pas une seconde et je me glissai discrètement à l'intérieur, puis me dissimulai entre deux compartiments. Quelques instants plus tard, les battants du coffre se refermèrent derrière moi, me plongeant dans le noir. Enfin !
Ce fut à ce moment-là que la douleur lancinante de ma jambe décida de se manifester à nouveau. Baisse d'adrénaline, retour à la réalité. À cet instant, je maudis Victor avec autant de conviction que je le pouvais : un bref regard à ma blessure m'indiqua que le cauchemar ne faisait que commencer. Je coupai la circulation sanguine à l'aide de ma ceinture, même si je n'étais pas sûre que ça change grand-chose. J'aurais dû suivre avec plus d'assiduité ce cours de premiers secours auquel mon père adoptif tenait tant, tiens ! me sermonnai-je intérieurement en observant, les yeux exorbités, la zone où un filet de liquide chaud se faisait ressentir. Mais l'heure n'était pas aux regrets. Mince, ce Victor ne m'avait pas loupée ! Ça avait été quoi, son but ? me saigner à blanc ?! m'exaspérai-je mentalement, frustrée par sa nouvelle approche. Il n'avait encore jamais franchi ce pas auparavant. Je le connaissais maintenant, il avait sûrement une idée derrière la tête. Je le voyais très bien revenir vers moi avec son chantage : à présent que j'étais blessée je ne pouvais que le rejoindre, lui, et sa troupe. C'est donc ce qu'il avait voulu depuis le début... Oui, c'était sûrement ça.
Eh bien, il ne perdait rien pour attendre ! Il ne semblait pas se rendre compte du pas qu'il venait de franchir.
Plus de retour en arrière possible, Victor, songeai-je avec amertume.
Il allait regretter d'avoir éveillé cette sombre partie de moi, celle qui est sur la défensive, prête à tout pour avoir la paix. Le mot « limite » ne semblait même plus faire partie de mon vocabulaire, c'est pour dire. Victor venait de briser quelque chose en moi.
Et, au fond, une partie – trop infime – de moi se demandait même s'il en avait fait exprès.
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