6. Le Mans
Entre sa mère, à qui elle envoie 1000 € par mois, et ses frangins au RSA, j'ai une visite à faire au Mans. Beauchêne m'a combiné un rencard avec le gars de la DGSI. Jean-Philippe Burzier, dit Bubu, un grand maigre, à cran, ex des RG, en poste depuis dix ans. Rendez-vous dans la cathédrale, chapelle des anges musiciens.
Cette chapelle, l'image de ce que Nora est pour lui : « Parcours hors norme : bac S avec 19,8 de moyenne, major à l'entrée en médecine, major à l'internat ! Avec ça, prix de flûte à quatorze ans, et double championne de France de kalaripayat ».
Un truc indien, du Kerala, la source des arts martiaux, m'explique-t-il, un truc en plus qui tient de la danse et du spiritisme. Chaque fois qu'elle vient, il passe à la salle de sport, rien que pour la voir.
Eperdu, mon Bubu : un vieux des RG en plein béguin platonique ! Elle se l'est mis en poche en jouant les saintes, nitouche et famille. Elle le confesse dans cette chapelle. Pas étonnant qu'on n'ait pas de fiche sur elle. Je n'ai pas osé le mettre au parfum : trop risqué pour lui.
Et pour mon business, mieux vaut sans doute qu'il continue comme ça. D'ailleurs, il est intarissable, à genoux devant son icône :
– Avec ça, une sainte !
– C'est-à-dire ?
– Tout ce qu'elle gagne, c'est pour sa mère !
– Ça fait une somme ?
– Je sais pas, mais depuis ses 17 ans, elle est soutien de famille !
– Le père ?
– Mort, quand elle avait 15 ans.
– Comment ?
– Heures sup au black, un échafaudage.
Il lui reste une inquiétude, le pauvre : sa copine, la Corse, Laetitia Paoli. Il est convaincu que c'est à cause d'elle qu'on s'intéresse à Nora. Des choses affreuses : trafics, escorting... Il lui a recommandé de laisser tomber : ça risquait seulement de lui attirer des ennuis.
Ben tiens !
Bubu n'est pas chaud, mais j'ai insisté. Je veux rendre visite à sa mère, dans sa tour des Sablons. Il me faut un prétexte. Je profite d'une vérification des compteurs, tenue d'agent EDF. Aïcha, Madame Jemmali mère, me reçoit avec un doux sourire et un thé à la menthe.
Sur les genoux de son père, dans les bras de sa mère, avec ses frères, flûtiste, tenue kalaripayat, apprentie toubib, Nora envahit l'appartement. Entrée, buffet, cuisine, chambre à coucher... tapissée partout, sauf dans les toilettes, qui doivent servir de planque à daube pour les frangins.
Elle insiste pour me montrer sa chambre : un nid de douceur, rempli de peluches. Craquant !
Faut aussi que je consacre un peu de temps aux jumeaux, Ahmed et Jamal. Je leur colle un mouchard aux fesses, histoire de les pister de ma chambre, hôtel de la Pommeraie, sur mon GPS. Tout de suite, je sens le coup foireux : le mouchard me les fait voyager en ville quand leur bagnole ne quitte pas le parking, et me les scotche aux Sablons quand ils sont en vadrouille.
Beauchêne me fait les vérifications nécessaires : c'est Medhi, le petit frère, qui mène la danse. Il crèche dans la tour voisine, dernier étage, juste en dessous des paraboles, et sa consommation électrique, qui contourne le compteur, est vingt fois au-dessus de la normale. Il doit fonctionner à la baie GPU, avec moulinets de données. Pas manchot, il est même capable de repérer mes mouchards, d'intercepter les communications et de me balader dans le vaste monde !
Je tente bien la filature, mais chaque fois que je me pose dans un café pour observer leurs mouvements je retrouve ma note acquittée, assortie d'un billet doux : « Avec les compliments d'Ahmed », « Hommage à Paul Dumonchelle », « Jammal vous salue bien ».
Et je n'ai pas tout vu ! Nora est dans le coup : alors que je fais tranquillement des papouilles à Morphée, elle surgit dans ma chambre, kalaripayat, position du chat, la pire !
Nora à la baguette, Medhi aux machines, les jumeaux pour l'action, on a affaire à quelque chose comme un service secret nouvelle formule des cités. Et Aïcha dans tout ça : mystère ? Pendant ce temps-là, nous, on n'est même pas au courant : Edouard peut se faire du mouron...
De la foudre plein les yeux, Nora m'apostrophe :
– Viens te battre, si t'es un homme !
– Justement, vu ce que t'en fais, je renonce.
L'instant d'après, elle se glisse sous les draps, la tête sur mon épaule :
– Maman, tu ne lui as rien dit ?
– Non.
– Bubu ?
– Non plus.
– Tu ne leur diras rien ?
– Non.
– Je peux compter sur toi ?
– Ça dépend ?
– De quoi ?
– De toi.
Le pacte était scellé, ça pouvait commencer...
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