18. Dominique de Villeneuve



Comme tous les matins, dès le petit-déjeuner, Beauchêne est en visio-conférence avec l'Elysée. Cellule de crise.

Bon prince, il prend tout sur lui, face au chef de cabinet du Président, Dominique de Villeneuve, costard cravate, légion d'honneur, mérite agricole et palmes académiques, qui est en train de lui remonter gravement les bretelles :

– Les deux qui ont été défenestrés, c'est vous ?

– Oui, Monsieur le Directeur.

– Les quatre accidentés aussi ?

– Oui, Monsieur le Directeur.

– Ceux qui ont disparu également ?

– Egalement, Monsieur le Directeur.

– Donnez-moi les noms des agents fautifs ?

– Pas question, Monsieur le Directeur !

– Vous me les donnez, ou vous êtes relevé de vos fonctions !


Vu ma situation de disparu mort au champ d'honneur, je suis bien placé pour lui venir en aide. Je m'assieds à côté de lui, face à l'écran :

– Mes respects, Monsieur le Directeur.

– Vous êtes qui vous ?

– Paul Dumonchelle, pour vous servir, Monsieur le Directeur.

– Mais...

– ... ex décédé, oui, Monsieur le Directeur.

– Beauchêne, vous...

– ... ta gueule, Monsieur le Directeur !


Primo on l'a chez Drouant, recto, verso, plus quelques détails pittoresques. Question moralité, la nôtre vaut bien la sienne. Il se traine tellement plus de cadavres que nous. Seule différence : les siens, il les a mis au placard, bien chauds proprets, entre son loden O'Connel's et ses cravates Marinella.

Soit dit en passant, on peut lui donner une liste de ses cadavres de prédilection, commentaires en sus, avec la LLC, tellement il sait pas se taire quand on lui retaille le poireau. Alors que nous, nos cadavres, on se les écrabouille en trois dimensions, cervelles sur le pare-brise et mares de sang plein le bitume.

Deuxio, avec son cul bordé de nouilles, sa belle gueule d'énarque normalien, son père polytechnicien, son appart jardin du Luxembourg, ses enfants à l'école alsacienne, son chalet de vacances à Névache, il est très mal barré.

Bref, soit il se la boucle, soit on refile son pedigree aux Castreurs Islamiques du Désert, qui se feront une joie d'enlever sa chère Isabeau pour lui donner des leçons de Kâma-Sûtra à l'aide d'un manche à balai, avant de la lui livrer, avec la vidéo, en pièces détachées, par colis spéciaux.


J'ai été un peu dur. On le sent déstabilisé. Prêt à pleurer quand il ira aux toilettes. Faut dire que dans leurs écoles, ils apprennent sans doute des tas de choses, mais d'abord à se retenir. En général, ils causent bien ; parfois, ils ont aussi appris à se taire ; imperturbables en toutes circonstances, ils savent surtout se retenir.

Il veut en référer au Président. C'est le sommet ! « Notre boulot, c'est la transgression, sans ta bénédiction. On risque tous les jours de sauter : hier une rafale, avant-hier une bombe. Ton boulot, c'est bouclier bouclant, qui laisse son Président pioncer. Toi, si tu sautes, ce sera seulement à l'encre des journaleux et aux paillettes des plateaux télé, avec tes mômes et ton Isabeau qui t'attendent pour dîner, retraite garantie, plus les congés payés. Plus forte est l'explosion, plus t'auras de blé à te faire, en négociant tes mémoires. Alors que nous, plus ça fait de bruit, moins il reste de morceaux dans le cercueil... et encore, quand on y a droit ! »

Le Président s'est pointé pendant ma diatribe. « Il a raison, mon petit Villeneuve, et observez sa technique : mort au champ d'honneur, absolution, résurrection. Ça fait partie du métier de fusible : excellents principes ! »


Il nous a à la bonne. Et comme on a besoin de lui pour l'idée de substitution... Trois phrases d'explication suffisent. Tope là : il en informera ses collègues.

Ça tiquera un peu, côté US, Teutons et Tommies, quand il leur expliquera qu'on va devoir caramboler leurs spécimens endormis, mais ils finiront par céder : le poids des nécessités...

On aura même droit aux chasseurs du porte-avion G.H.W. Bush, qui croise au large de Chypre, si besoin.


Au pire, morts au champ d'honneur, comme d'hab...


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