Chapitre 9 : Collision avec Véra
Jamais, de sa vie, Flavia n'avait vu cette expression sur le visage de sa sœur.
Véra Gladia, l'Épée de Gentem, était terrifiante quand elle était folle de rage.
Et la cible de cette fureur, c'était Lev.
-Véra, calme-toi !
-Comment as-tu osé toucher à ma sœur !?
Lev eu tout juste le temps de matérialiser son Bouclier, pour dévier l'Épée qu'elle lui jeta dessus. Poussant un juron, il se plaça devant Flavia, tout en jetant une couverture sur elle. Elle apprécia le geste. Néanmoins, tandis que Véra se précipitait vers eux, elle remonta prestement le pantalon de Lev, afin de dissimuler son érection.
-Merci, souffla-t-il, juste avant l'impact.
Faisant disparaitre son Bouclier, Lev se fit percuter de plein fouet par Véra. Il tomba comme une masse du lit, sa sœur à califourchon sur lui en train de le frapper. Flavia réalisa alors la situation.
-Véra ! cria-t-elle.
-Écoute-moi, bordel ! faisait Lev, en tentant d'arrêter les poings qui pleuvaient sur lui.
-Tu as osé toucher à ma sœur !
Bon sang, elle ne pourrait jamais l'arrêter par la parole ! Saisissant un coussin, Flavia donna un grand coup dans la tête de Véra.
Cela eut l'effet escompté. Sa sœur se figea, pour tourner la tête vers elle, d'un regard plein d'un sentiment de trahison et d'incompréhension.
-Véra, ça suffit ! Laisse-nous t'expliquer la situation !
-On est mariés, bordel ! s'exclama Lev.
-Et il n'était pas en train de me violer !
Un poing en l'air, l'autre autour de la gorge du Duc, l'Épée de Gentem fronça le nez. Les cheveux en bataille, couverte de poussière et d'une odeur de soufre, elle semblait dans le flou le plus total. La connaissant, elle avait dû arriver de mission il y avait une dizaine de minutes, tout au plus. Le temps qu'on lui annonce que le Duc violent qui avait passé à tabac son père avait épousé sa petite sœur.
-C'est vrai ça ?
-Véra ! Lâche-le !
-J'étouffe...
Elle relâcha Lev, qui prit une grande inspiration haletante.
-Bon... Le plus dur est fait... gargouilla-t-il. Maintenant, dégage d'au-dessus de moi, s'il te plait.
-Oh...
Sa sœur se releva, tout en croisant les bras.
-Bon. Expliquez-moi, voulez-vous ?
-J'ai le droit de débander, avant ?
-Ta gueule, Lev. Flavia ?
Enroulée dans la couverture, la Flavia en question regarda son mari par-dessus le rebord du lit. Étalé sur le dos, il avait le visage amoché.
-Ça va ?
Il releva la tête, pour lui sourire. Ouh, il avait l'arcade sourcilière ouverte.
-Ça va. Et toi ?
-Ah, ce n'est pas moi qui ai pris des coups. Véra, tu étais vraiment obligée de faire ça ?
Rougissant, sa sœur se gratta la tête d'un air gêné. Aussi brune que sa cadette, elle possédait des yeux sombres bridés qui semblaient maquillés en permanence. Et pourtant, Véra était bien la dernière personne à s'intéresser à ce genre de choses.
-J'ai peut-être un peu surréagi.
-C'est le moins que l'on puisse dire, remarqua Flavia en aidant son mari à se relever. Mais je te remercie pour ton inquiétude, Véra.
Cinq minutes plus tard, ils se trouvaient tous dans l'un des salons de la forteresse. Combien y en avait-il ? Flavia était encore incapable de le dire. Néanmoins, pour le moment, ce n'était pas la question. Torse nu, la tête en arrière avec un sac de glace sur l'arcade, Lev semblait dépité au plus haut point. Quant à sa sœur, elle semblait toujours sur le point de le frapper.
Elle entreprit donc de lui résumer la situation.
-Père a fait ça ? gronda Véra.
-Oui.
-Lev.
-Ouais ?
-Pourquoi avoir accepté d'épouser ma sœur ?
Ah. Toujours la même question.
-Putain, mais pourquoi tout le monde demande ça !? s'exclama-t-il en se redressant, sans lâcher son sac de glace. C'est si surprenant que ça que je décide d'épouser Flavia !?
-Dit donc, tête de con, tu as refusé cinq mariées avant ça, et tu les as humiliées devant l'autel. Ma question est légitime. Pourquoi ?
-Parce que Flavia est la seule personne que j'ai jamais voulue. Ça te va, comme ça ?
La jeune femme écarquilla les yeux. Véra, elle, sourit d'un air méchant.
-On va dire que c'est valable. Flavia... Tout va bien pour toi ?
-Hein ? Heu... Oui.
-Bien... Alors je vous laisse, les tourtereaux. J'ai un ou deux poings à mettre sur les i avec notre père.
Quand la porte claqua, ils se retrouvèrent tous les deux seuls. Lev laissa retomber sa tête en arrière, avec un profond soupir. Incertaine, Flavia regarda son profil. Les yeux fermés, ses cheveux argentés en bataille, il semblait contrarié. Ce qui n'était pas étonnant non plus.
Ne sachant quoi dire, perturbée par la déclaration de son mari, elle lâcha :
-Je n'avais jamais vu ma sœur ainsi.
-Véra est une grande tarée.
-Lev !
-Quoi ?
Il tourna la tête vers elle, un petit sourire diabolique aux lèvres.
-Tu vénères ta sœur, et elle t'aime plus que tout. Mais il n'en reste pas moins qu'avec tous les autres, elle est intraitable. Surtout avec moi !
-Lev... Tu ne t'entends vraiment pas avec Véra ?
Haussant un sourcil, il retira son sac de glace, pour mieux la regarder. L'angoisse dans le ton de sa femme l'avait alerté.
-Si, je m'entends même plutôt bien avec elle. Seulement, c'est son caractère. Je suis une langue de pute, c'est une grande tarée. Et surtout, je lui en veux de nous avoir coupés en plein acte.
Ils se dévisagèrent. Étrangement, Flavia ne pensait plus à ses cicatrices, une fois à ses côtés. Elle ne voyait que lui, et ses yeux. Ses yeux violets qui la fixaient comme si elle était la femme la plus belle du monde.
-Je suis vraiment la seule que tu as jamais voulue ?
Son sourire se fit un peu plus coquin.
-Et moi, je suis vraiment ton fantasme inenvisageable ?
*
C'était décidé, elle parlerait des lettres à Lev dès son retour.
Debout sur une petite estrade, Flavia se trouvait en plein essayage. Elle avait complètement oublié cette histoire de modiste. Occupée à distribuer des croissants aux gardes en faction, ce qui lui donnait une bonne excuse pour discuter avec tout le monde, elle avait été stupéfaite de voir Béa, la véritable intendante du Duc, arriver avec une dame vêtue de rose et de froufrous. Beaucoup de froufrous.
Elle avait à regret abandonné le panier à Tild et Teld, les deux enfants de la cuisinière. Il y avait une chance sur deux pour qu'ils mangent tout avant d'atteindre le dernier des gardes.
Quoi qu'il en soit, elle s'était retrouvée rapidement en sous-vêtements avec Béa et la modiste, occupée à prendre ses mensurations. Gênée, elle se dit qu'elle aurait préféré que Lev se charge de cette besogne. Il s'en serait fait un plaisir, elle pensait, mais il était parti au combat en début de matinée.
Heureusement pour lui, il avait une capacité de récupération bien plus importante que la sienne. Ou alors était-ce parce qu'elle n'avait pas l'habitude du sexe ? Dans tous les cas, elle était fatiguée.
-Vous avez un corps parfaitement proportionné, madame ! s'extasiait la modiste, en tournant autour d'elle.
-A... ah ?
-Oui ! Le Duc ne vous l'a pas dit !?
-Heu... Non.
Néanmoins, il avait d'ores et déjà étudié la question de très, très près. Elle s'abstint d'ajouter cela. La modiste n'avait pas besoin de le savoir.
-Le Duc ne vous fait pas de compliments !? s'exclama la femme, outrée.
Comment s'appelait-elle, déjà ? Maéve, ou quelque chose comme ça ? Bref, cela n'était pas d'une grande importance. Flavia ne s'était pas trompée en supputant que les rumeurs de son mariage s'étaient déjà répandues dans toutes les couches de la société, et que le marié le plus beau du royaume était à plaindre pour être tombé sur la mariée la plus laide de Gentem.
Or, en cet instant, elle ne portait pas son voile. Ses cicatrices étaient bien visibles, et elle pouvait discerner la réticence de la modiste à la regarder dans les yeux. Si elle disait n'importe quoi, cela serait déformé et amplifié en une journée jusqu'aux quatre coins du royaume.
-Les compliments sont creux, déclara-t-elle en brin froidement. Seuls comptent les actes, mademoiselle Maéve.
Cette dernière ne se départit pas de son sourire.
-À ce propos, j'ai entendu dire que le Duc avait un mauvais caractère ! J'espère que tout va bien pour vous.
Cette fouineuse...
-Ne vous en faites pas, je vous le ferai savoir, le jour où j'aurais besoin de vos conseils matrimoniaux, fit sèchement Flavia.
Elle n'appréciait pas ce type d'attitude. Maéve, elle, devint soudain plus pâle. Derrière elle, Béa approuva du chef sa réaction. Elle choisit ce moment pour intervenir.
-Madame la Duchesse, le bal des deux semaines de mariage est pour bientôt. Que voulez-vous comme robe ?
-N'importe laquelle fera l'affaire.
-Vraiment ? s'étonna la modiste en se reprenant. La robe a une signification particulière pour cet évènement.
-Ah ?
Interloquée, Flavia jeta un coup d'œil à Béa, qui approuva du menton.
-Oui, madame. Selon la couleur de votre robe, les gens sauront si oui ou non vous avez consommé votre mariage.
Stupéfaite, la jeune femme regarda l'intendante, puis la modiste. Cette dernière n'osait pas la regarder dans les yeux. Enfin, regarder son visage.
-Mais en quoi ça les concerne ?
-C'est une vieille tradition, madame. Vieille comme Gentem. C'est d'ailleurs la seule raison d'être du bal des deux semaines. S'assurer que les tentatives de procréations ont bien commencé.
Pour le coup, Flavia éclata de rire. Elle avait hâte d'en parler à son mari, tiens ! Si Béa sourit doucement à sa réaction, la modiste, elle, parut interloquée. Évidemment. Étant donné le visage sacrifié de la nouvelle Duchesse, elle n'avait pas envisagé que le beau Duc puisse avoir la moindre velléité sexuelle envers elle.
La suite se passa dans le calme. Elles choisirent les tissus pour ses futures robes, et pour d'autres tenues plus fonctionnelles. Béa insista pour lui faire faire plusieurs manteaux, des bottes et des bas bien chauds. C'était le printemps dans le Nord, donc Flavia ne se rendait pas encore bien compte de ce qu'allait être l'hiver.
Faisant confiance à une native de la région, elle approuva, avant d'écarquiller les yeux sur la facture prévisionnelle. Elle demanderait tout même à son mari si c'était une bonne idée de prendre autant de choses. Béa lui assura que oui, mais elle avait comme un doute.
Ce fut le vacarme, à l'extérieur du salon d'essayage, qui tira Flavia de la contemplation interloquée des différents modèles de robes. Inquiète qu'il s'agisse du retour blessé de son mari, elle sortit précipitamment, vêtue de sa robe bleue la plus simple.
-Vous êtes viré !
Comment ça, viré ? Le timbre était celui d'une femme. Fronçant les sourcils, Béa et la modiste avide de ragots sur les talons, Flavia arriva rapidement à l'escalier principal, dans le hall d'entrée. En contre bas, elle reconnut la belle-mère de Lev. Une femme superficielle, au large décolleté et au visage jadis beau.
Elle s'en prenait au majordome Gaston, qui se tenait le dos droit, impassible. Il semblait attendre que la tempête passe. Soudain, elle se souvint que cette même femme avait licencié Béa dans le dos de Lev, pour mettre quelqu'un d'autre à sa place. Or, étant donné l'attitude de son mari et de son personnel, cela n'avait pas été une première.
-Qui êtes-vous ?
La question péremptoire, prononcée d'une voix forte et claire, attira aussitôt l'attention sur elle. Gaston parut inquiet, tandis que la belle-mère fronçait les sourcils.
-Ah, ce visage laid... Vous êtes celle que votre père a donnée en mariage pour tromper la famille, c'est ça ?
Flavia n'aimait pas ce ton. Descendant lentement les escaliers, elle darda sur cette femme désagréable un regard implacable.
-Je vous ai demandé qui vous étiez, madame. Pas votre avis sur ma personne.
-Je suis la mère de Lev. Et vous, vous êtes une petite impertinente.
Gaston ouvrit la bouche pour parler, mais Flavia leva la main, lui intimant le silence.
-La mère de mon époux est décédée, il y a bien des années de cela. Vous n'êtes en rien sa mère, madame...
-Thérèse de Clypeus. Vous feriez mieux de vous en souvenir.
-Oh, ne vous en faites pas, je m'en souviendrais. Maintenant, dites-moi ce qui vous fait croire que vous avez l'autorité pour virer mon majordome ?
En bas des escaliers, gracieuse, elle souriait froidement. Thérèse, plus petite qu'elle, releva le menton. Quel âge avait-elle ? La quarantaine, au maximum ?
-Je suis ici chez moi.
-Vous êtes ici chez le Duc de Clypeus, madame. Vous n'êtes pas chez vous.
-Cet homme a refusé de m'obéir ! s'exclama Thérèse, changeant brusquement de stratégie. Il doit être viré !
Flavia pencha la tête de côté, sans quitter des yeux sa belle-mère.
-Vous obéir ? Mais pourquoi vous obéirait-il ?
-Je suis sa supérieure ! Je suis une noble ! La dame de Clypeus !
Ah... Voilà le fond de l'affaire. Flavia avait déjà vu ça plusieurs fois. Avec sa propre belle-mère, dont Véra ne faisait qu'une bouchée.
-Je crois qu'il y a maldonne, Thérèse. Ici, vous n'êtes rien.
Ces mots, prononcés d'une voix douce, firent l'effet d'une gifle à la femme. Mais Flavia ne s'arrêta pas là.
-De plus, nous allons mettre les choses au clair. Je suis la Duchesse de Clypeus, la femme du Duc de Clypeus. Vous, vous êtes simplement une impudente qui pense que son affiliation avec le père du Duc lui permet des choses insensées. Alors, à l'avenir, je vous conseille de rester à votre place, Thérèse de Clypeus.
Un silence de mort s'abattit sur le hall. Le majordome était bouche bée, et la Thérèse avait les yeux sur le point de lui sortir de la tête.
-Ah, je vous prierai de vous annoncer, avant de venir. À partir de maintenant, les gardes auront pour ordres de vous refouler si vous venez sans y être invitée. Comme c'est le cas aujourd'hui, je vais vous demander de partir.
-Je... Je ne partirais pas !
Flavia tourna la tête vers les gardes, en faction devant la porte principale.
-Messieurs. Faites-la sortir.
-Quoi !? Quoi !? Ne me touchez pas !
Elle fit un scandale jusqu'au portail de la forteresse. Là, on lui claqua la grille au nez, à elle et sa calèche aux couleurs des Clypeus.
Les mains sur les hanches, Flavia observait la scène avec ennui.
-Mmh... Gaston, Béa, vous pensez que le Duc va m'en vouloir ?
Le majordome et l'intendante, debout à ses côtés sur le perron, secouèrent vivement la tête. Les gardes qui revenaient du portail, eux, souriaient de toutes leurs dents.
-Je crois que le Duc va surtout vous remercier.
-Cette Thérèse est une vraie garce qui revient sans cesse quand le Duc est absent, ajouta Béa. Comme nous sommes des domestiques, elle fait sa loi, et il est contraint de virer les gens qu'elle a mis en place dès qu'il rentre d'une bataille. C'est épuisant pour lui de ne pas savoir ce qui l'attend à la maison à son retour, à chaque fois.
Flavia hocha la tête. C'était bien ce qu'il lui semblait.
-À moi de faire en sorte que son domicile reste un havre de paix, alors, déclara-t-elle. Si je peux décharger son esprit de ce fardeau, ce sera déjà bien. Y a-t-il autre chose que je puisse faire pour aider mon mari ?
Les deux domestiques se regardèrent, avant de sourire à leur Duchesse.
-Vous vous y connaissez, en gestion de domaine ?
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