Chapitre 18 : Les Troubles à Venir
Un rapport à la main, Lev fronçait les sourcils. Les choses avaient été bien montées, il devait l'admettre. Néanmoins, rien ne pouvait arrêter les enquêteurs envoyés sur place. Contrairement au traitre qui avait poussé Flavia au travers du portail, il avait une totale confiance envers les hommes envoyés sur le terrain.
Malheureusement, les traces avaient été trop bien couvertes pour pouvoir confondre l'ennemi. Il n'y avait pas suffisamment de preuves pour un jugement. Devrait-il se contenter de les exécuter ? Non... Il se souvenait trop bien de Cara pour le faire.
Le Marteau de Gentem le lui avait dit clairement, quelques jours plus tôt. « Ne fais pas la même erreur que moi, Lev. Je n'ai pas eu d'autres alternatives, à l'époque. Mais... toi, tu peux encore faire les choses différemment. »
Derrière son doux sourire, Cara avait vécu tant de choses... Ses conseils n'étaient pas à prendre à la légère. Toutefois, il le savait, si la situation se reproduisait ici et maintenant, elle ferait de nouveau la même chose. Même si cela devait la transformer en monstre aux yeux de son fils.
Tamir était-il au courant pour la Purge ? Non, il en doutait. C'était arrivé avant sa naissance...
Et lui, qu'allait-il faire ? Le moyen le plus simple serait clairement de les tuer. Mais le regretterait-il, plus tard ? Qu'en penserait donc sa femme ? Si elle avait géré les affaires de Véra durant toutes ces années, elle avait tout de même été mise à l'abri de ce type de situations par sa sœur.
En percevant l'appel d'Éléazar au travers de son collier, Lev se débarrassa de sa redingote, avant de claquer des doigts pour que son armure vienne se fixer sur lui. Les combats intermittents posaient problème. Cela le retardait toujours un peu plus sur ses prises de décisions, qu'il ne pouvait faire à la hâte.
En rejoignant la cour du portail, il fut surpris que ses hommes lui demandent où se trouvait la Duchesse. D'habitude, elle était là pour son départ. C'était fou, comme on prenait vite le pli pour les choses agréables. Il sourit niaisement en pensant à sa femme, en train de travailler dans le duché de sa sœur.
Son expression ne s'arrangea pas lorsque, juste avant de partir, Gaston le rejoignit, afin de lui livrer un précieux courrier vert tout à fait inattendu.
*
Quelques instants plus tôt, Flavia était parvenue à mettre la main sur sa sœur. Plongée dans la lecture d'une missive importante, Véra fronçait les sourcils. Les cheveux attachés en une queue de cheval haute, elle portait une redingote bleu sombre sur un pantalon blanc. Les yeux bridés, l'air souvent sévère, elle cachait bien sa gentillesse.
Souvent, elle lui disait qu'être une femme soldat impliquait souvent de se montrer plus dur que les autres.
Cara était-elle comme ça, aussi ? Elle qui souriait tout le temps...
-Véra ?
Sa sœur leva les yeux. Elle ne fut pas décontenancée par la froideur qu'il y lut, car cela fut vite remplacé par une chaleur qu'elle connaissait bien.
-Flavia. Ça fait plaisir de te voir, fit-elle en reposant la missive.
-Tu es difficile à trouver, rit la jeune mariée. Ça fait bizarre de ne plus te voir tous les jours, Véra.
-Oui... La maison est vide sans ta gaieté.
Ces mots touchèrent Flavia. S'installant avec son ainée, elle lui annonça qu'elle avait prévu d'engager un secrétaire pour l'aider dans les affaires du duché des Gladia. Véra avoua qu'elle n'y avait pas pensé, mais c'était une bonne idée. Elle avait remarqué que son majordome avait les cheveux de plus en plus blancs depuis le départ inattendu de Flavia.
-Bon, dis-moi... Tout se passe bien, avec Lev ? Ce grand con est insupportable, mais il est transformé une fois à tes côtés.
Elle ne put s'empêcher de sourire.
Véra connaissait Lev depuis leurs dix ans, environ. Ils n'avaient presque aucun secret l'un pour l'autre, et ses difficultés à ouvrir son cœur à une autre personne étaient évidentes. Néanmoins, les Protecteurs ne pouvaient qu'être là pour lui, formant une famille qui lui faisait défaut. Qui leur faisait défaut, à tous. Mais cette famille ne prônait pas l'amour aveugle. Ils se connaissaient trop pour ignorer les multiples travers des autres.
Qui eut cru que la personne susceptible de faire céder le cœur de ce grand con serait Flavia ? songea la Duchesse de Gladia.
-En fait, je dois te raconter quelque chose, Véra. C'est... En fait, j'entretiens une correspondance avec Lev depuis cinq ans.
Pour le coup, l'Épée de Gentem manqua tomber de sa chaise. Flavia éclata de rire à son expression stupéfaite, avant de lui expliquer. Les lettres échangées depuis des années. Leurs discussions sur papier qu'ils étaient les seuls à partager, leurs difficultés qu'ils n'évoquaient qu'entre eux. Ils étaient devenus le confident l'un de l'autre, sans jamais se rencontrer. Et jusqu'à il y avait peu, Flavia avait été persuadée que Lev pensait que l'auteur des lettres, c'était Véra.
Cette dernière éclata de rire, car jamais Lev ne lui avait parlé de tout cela. Pour cause. Il savait qu'elle mettrait un terme à cette correspondance, car elle aurait jugé qu'il n'était pas fait pour sa sœur adorée. De plus, Lev était terriblement perspicace quand il le voulait.
Mais pourquoi, en cinq ans, n'avait-il pas cherché à la voir ? Flavia haussa les épaules. Elle s'en fichait bien. Car à présent, ils étaient mariés.
-Véra ?
-Oui ?
-Que voulait dire Éléazar, au sujet de ses soupçons sur le péril qui s'approchait ?
Flavia observa l'attitude de sa sœur. Les yeux baissés sur son bureau, elle venait de se refermer comme une huitre.
-Pourquoi as-tu réagi ainsi, lors de la réunion avec le Roi ?
Véra leva les yeux sur elle. Si un regard pouvait transpercer jusqu'au cœur, c'était le cas de celui de la Duchesse de Gladia. Néanmoins, Flavia le soutint sans faiblir. Qu'est-ce qui pouvait ébranler un roc pareil ?
-Flavia, connais-tu la fonction du Mage ?
-Mmh... Oui. Le Mage est l'un des cinq Protecteurs de Gentem. Il protège et alimente la Tour en magie, afin que le bouclier qui entoure le royaume ne tombe pas.
-Ça, plus le fait que c'est cette même magie qui attire ces putains de démons. Éléazar gère tous les boucliers, portails, communications, en plus de former les mages de prochaine génération et de baiser tout ce qui bouge.
-Ce dernier point fait partie de ses fonctions ? ironisa Flavia.
-D'une certaine façon, oui, soupira Véra. C'est plutôt une conséquence directe de ses fonctions.
Elles restèrent silencieuses un moment. La tristesse de sa sœur était si évidente qu'elle sentit son cœur se serrer. Que...
-Véra, attaque à l'Est, soupira Éléazar par le collier à son cou. Tu es prête ?
-Toujours, lui répondit-elle aussitôt d'une voix neutre. A de suite.
Se relevant prestement, Véra claqua des doigts pour enfiler son armure bleu sombre, tout en avançant vers la porte. En chemin, elle posa la main sur la tête de sa sœur.
-On a discutera à mon retour.
Quelque chose clochait. Mais au moins, maintenant, elle savait que cela avait un rapport avec Éléazar. Elle aurait voulu poser des questions sur leur relation à Lev. Malheureusement, en rentrant chez elle, elle se rappela que si Véra était partie, son mari aussi.
Elle se serait sentie bien seule, si Dana et les enfants n'étaient pas arrivés à ce moment-là. Heureuse de les voir, elle fut surprise d'apprendre que c'était Tamir qui avait demandé à être là. Le petit garçon aux yeux rouges lui dit avec une moue désolée qu'il avait peur pour sa mère.
Un fils qui tremblait pour sa mère. Même si cette dernière était une Protectrice. Flavia ne pouvait que comprendre, elle qui avait souvent été dans le même état pour sa sœur, et maintenant son mari.
Ils cherchèrent tous à le rassurer. L'après-midi passa en un éclair. Si Autem clama que leurs parents étaient les plus forts, Tamir ne se dérida pas. Et quand le soir fut tombé, une main accrochée à la robe de Flavia, il lui demanda s'il pouvait rester avec elle cette nuit.
Avec des yeux implorants et une bouille adorable.
Flavia céda. Bien que Dana dût ramener les trois enfants de Rainier chez eux, elle promit de laisser un mot chez Cara, disant que son fils se trouvait chez les Clypeus.
N'ayant pas forcément l'habitude des petits, Flavia fut tout de même ravie d'avoir Tamir avec elle. Il ne la lâchait pas d'une semelle, même lorsque Tild et Teld, les enfants de la cuisinière, voulurent jouer avec lui. Il secoua la tête, se contentant de dire qu'il devait rester avec Flavia.
Cela l'intrigua. Néanmoins, étant donné la tension qui semblait étreindre le petit garçon, elle n'insista pas. C'est ainsi qu'elle se retrouva avec Tamir dans son lit. Vêtu d'une chemise blanche de Lev, qui lui faisait une longue tenue de nuit, l'enfant la regardait de ses grands yeux rouges. Les cheveux bruns épais, la peau chocolat, il était à croquer.
-Tamir, il y a autre chose que ta peur pour ta maman, n'est-ce pas ?
Allongée sous les couvertures, Flavia observait l'enfant. Assis contre le gros coussin, il hocha la tête.
-Je n'ai pas peur pour ma mère, c'est la plus forte. C'était juste un prétexte.
-Oh... Mais alors, que se passe-t-il ?
Il la considéra un moment, avec un regard qui ne collait pas à un enfant de dix ans. Puis, il hocha la tête, comme si sa décision était prise.
-J'ai des intuitions, avoua-t-il.
-Des intuitions ?
-Oui. Et mon intuition me dit que je dois rester avec toi ce soir.
Elle fronça les sourcils. Tamir semblait terriblement sérieux.
-Pourquoi ?
-Quelque chose de grave va se passer.
Cela l'inquiéta. Mais pas pour elle. Elle songea à Lev, dans les terres désolées, en train de se battre contre une armée de démons. Le cœur lourd, elle s'endormit avec Tamir dans ses bras.
Pas pour longtemps, à priori.
Des hurlements la réveillèrent d'un coup. La lumière de la lune éclairait faiblement la pièce. Pourtant, elle vit clairement la porte de la chambre s'ouvrir à la volée. Elle n'eut pas le temps de se relever, et encore moins de faire apparaitre son Arc. L'homme se jeta sur elle, un poignard à la main. Elle voulut repousser Tamir, pour le mettre en sécurité.
Mais rien ne se passa comme prévu.
Car l'enfant apparut soudain entre elle et l'assassin.
Le sang éclaboussa le lit, le mur. Flavia.
Les yeux écarquillés, couverte d'un liquide rouge et visqueux, elle vit l'homme s'écrouler sur les draps.
Coupé en deux.
Estomaquée, elle leva la tête vers Tamir.
Seuls ses iris rouges brillaient dans la pénombre de la nuit. À l'égale de la lame de l'épée sanglante dans sa petite main.
-Mon intuition ne me trompe jamais.
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