Chapitre 17 : Le Bal des Deux Semaines
Lev avait fait le plus vite possible. Il avait même prévu sa tenue de rechange, qu'il avait enfilé juste avant de rentrer dans le domaine. Il s'était rarement autant pelé les fesses pour se changer ! Néanmoins, cela valait le coup. Car s'il avait les cheveux décoiffés par la chevauchée, il était parfaitement accordé à la toilette de sa femme.
Elle était magnifique, bien que cette foutue voilette couvrit son visage. Vêtue d'une longue robe argentée, rehaussée de violet, elle avait la taille soulignée par une épaisse ceinture couleur améthyste. Un bustier découvrait largement ses épaules, révélant la découpe délicate de sa gorge. À son cou se trouvait le collier qu'il lui avait offert le midi même, avant de partir. Un diamant violet serti dans de l'argent. Lev ne put s'empêcher de sourire. Il l'avait commandé exprès pour elle.
Il avait envie de l'embrasser.
Mais pour lors, une bande de rats se trouvait entre lui et sa femme.
Baissant les yeux sur les trois couples de nobles, il vit clairement la panique chez eux.
-Madame, fit-il en vrillant son regard à celui de la marquise, je vous trouve gonflée de parler de divorce, vous qui en êtes à votre troisième mari.
Le rouge monta aux joues de l'impudente. Mais il n'en avait pas fini avec elle.
-S'il y a bien quelqu'un qui n'a ni les compétences ni la prestance nécessaire pour juger ma vie de couple, c'est vous. Tentez déjà d'éviter de vous faire cocufier par votre époux, après on en reparlera.
-Oh !
-Quant à vous, comtesse, la dernière fois vous avez invité chez vous un chanteur qui vous a volé tous vos bijoux. Vous n'êtes pas franchement la mieux placée pour juger de la qualité de nos convives. Quant à vous...
Il planta son regard dans celui de la troisième fautive.
-... Votre lignée est si minable que jusqu'à présent je n'ai jamais entendu parler de vous. Mais ne vous en faites pas, votre nom est à présent gravé dans ma mémoire.
Les contournant, il adressa un signe de tête aux époux de ces dames, avant de rejoindre sa femme. Prenant sa main dans la sienne, il toisa l'assistance.
-Votre Duc et votre Duchesse vous honorent de leur présence. N'allez-vous donc pas les saluer ?
La menace implicite était limpide.
Dans un bel ensemble, chacun des invités posa un genou à terre devant le couple ducal. Du coin de l'œil, il vit Tamir et Autem, qui observaient la scène avec une impassibilité suspecte. Aïe. Si ces deux-là prenaient encore exemple sur son attitude en société, il allait se faire disputer par leurs parents.
-Nous sommes ravis de vous recevoir pour notre bal des deux semaines, déclara le Duc. Je suis navré d'être arrivé si tard, ajouta-t-il pour son épouse, en baisant sa main. Mais tout s'est bien passé.
Flavia hocha la tête.
-C'est l'essentiel, Lev.
Oui, enfin, il aurait bien aimé être là plus tôt, afin d'éviter toute cette histoire. Néanmoins, sa femme avait très bien géré la situation. D'ailleurs, les trois épouses furent congédiées, tandis que les maris étaient invités à rester. Ces derniers furent soulagés. Évidemment. C'était eux qui géraient les affaires, par leurs mégères.
Lev pris le temps de saluer Dana, ainsi que les enfants qui avaient assisté à toute la scène. Il apprit que Flavia avait défendu leur nounou, ce dont ils lui seraient éternellement reconnaissants. Il sourit. Elle avait gagné la totale confiance des petits. Quant à la nourrice, elle ne savait plus quoi faire pour la remercier.
Le temps d'une petite accalmie, il tira doucement sur le bout de la voilette de sa femme, le regard rivé au sien au travers du tissu.
-Dis-moi... Tu pourrais l'enlever.
-Je t'ai déjà dit que je me sentais plus à mon aise avec.
-Oui, mais ça m'empêche de t'embrasser.
Il le savait, elle rougissait là-dessous. Un sourire machiavélique aux lèvres, il se rapprocha d'elle.
-P... Pas en public, bafouilla-t-elle.
-Pourquoi pas ? Le but de ce bal est de montrer si nous avons consommé notre mariage, non ?
Il se rapprocha encore, sa main se glissant sous son voile.
-On a même commencé dans une calèche.
-Lev...
Ah, cette façon de prononcer son nom... Se plaçant entre elle et la foule, il la dissimula aux regards de tous tandis qu'il soulevait son voile, afin de l'embrasser. Elle rougissait d'ores et déjà. Toutefois, son baiser n'avait pas pour seule intention de gouter ses lèvres. Profitant de sa distraction, il lui ôta sa voilette, ce qui lui valut une bordée de juron contre sa bouche.
Ricanant en fourrant le tissu dans la poche de sa veste, il remarqua que les autres Protecteurs étaient arrivés. Il ne le devait pas à son sens de l'observation, mais plutôt à son ouïe. Le « papa » tonitruant des deux garçons de Rainier, et le cri de Tamir tandis qu'il fonçait vers sa mère auraient été entendus même par un sourd.
Il était rare de voir Véra et Cara si bien habillées. Vêtues de robes étincelantes, elles resplendissaient. Rainier et Éléazar n'étaient pas en reste, mais dans un autre style. Le bal se fit plus animé. L'ambiance se détendit. Tout sourire, Lev fit signe aux musiciens venus pour l'évènement.
Quand la musique s'éleva, tous sûre qu'il était l'heure de la première danse.
Main dans la main, le couple ducal s'avança au milieu de tous. Flavia était angoissée, surtout sans son voile. Néanmoins, l'assurance de Lev la rassurait. L'attirant à lui, un bras autour de sa taille, ses doigts se mêlant aux siens, ils entamèrent une valse sous les regards de l'assistance.
La robe de Flavia était censée illustrer l'état de leur relation. C'était là le cœur de la communication du bal des deux semaines. Néanmoins, les couleurs choisies, qui étaient celles de Lev, rendaient le décryptage plus difficile. D'habitude, les femmes portaient soit du blanc pour signifier qu'elles étaient toujours vierges, soit du rouge pour symboliser la passion de leur union. En arborant le violet et l'argent des Clypeus, Flavia avait décidé de se positionner différemment.
Car sa relation avec son mari ne concernait personne d'autre qu'eux.
Mais ce qu'elle ne savait pas, c'était qu'au terme de ce bal, les paris n'étaient plus les mêmes. Il ne s'agissait plus de savoir quand ils divorceraient, ou quand il la répudierait.
Maintenant, chacun supputait sur la date à laquelle arriverait le premier bébé des Clypeus. Ce qu'elle ignorait aussi, c'était qu'Éléazar était à l'origine du premier pari, fait avec Cara. Véra décréta qu'elle refusait de miser sur le fait que sa sœur chérie se faisait culbuter par ce pauvre crétin de Lev. Rainier, lui décida que dans neuf mois, un bambin les empêcherait de faire leurs nuits complètes, ce qui fit glousser la nounou.
Quoi qu'il en soit, tout un chacun passa une bonne soirée. Les nobles discutèrent calmement avec Flavia et Lev. Certaines femmes s'aventurèrent à parler de cicatrices, ce qui parvint à faire dire à Lev qu'il en avait plus que son épouse. Comme personne ne le croyait, il demanda à sa femme qu'elle était la plus grosse qu'il avait sur lui. La réponse se trouvant juste au-dessus de sa verge, elle devint rouge comme une tomate quand elle se rendit compte de ce qu'il lui avait fait montrer sur son corps. Cela lui valut de se faire engueuler par son épouse, en dépit de l'hilarité de son mari.
Personne, ici, n'avait jamais vu le Duc de Clypeus si enjoué. Si heureux.
Et si les cicatrices de son épouse étaient clairement visibles, au sortir de ce bal, nul n'en parlait plus. Le seul sujet de conversation était la connivence évidente entre les époux, ainsi que l'amour qu'ils semblaient se porter. Mais aucun ne comprenait comment une telle chose était possible.
Après tout, ne se connaissaient-ils donc pas que depuis deux semaines ?
*
-Lev... Ah...
Allongée sur le ventre, Flavia gémit en sentant les dents de son mari lui mordiller la nuque. Sa peau était à vif d'avoir joui, et pourtant, sentir l'érection de Lev contre ses fesses l'excitait de nouveau.
-Flavia... Si on essayait cette position ? susurra-t-il contre son oreille, l'une de ses mains caressant la courbe de son postérieur.
-C'est... C'est possible comme ça ? haleta-t-elle alors qu'il glissait ses doigts entre ses cuisses. Ah...
-Oh oui... On arrête quand tu veux, mais tu vas voir, la sensation est...
-Tout le monde sur le pont !
La voix, pas tout à fait réveillée, d'Éléazar s'éleva entre eux par le biais du collier. Brisant net cet instant de volupté intime.
-Non, gémit Lev en posant le front contre le dos de Flavia.
Même si elle partageait sa frustration, elle ne put s'empêcher de rire.
-On a déjà fait l'amour deux fois ce matin ! Tu ne peux pas vraiment râler !
-Mais j'en ai encore envie...
Se retournant sur le dos, Flavia prit son visage entre ses mains, pour l'embrasser doucement.
-À ton retour, je serais là. Ne t'en fais pas.
-C'est une promesse ?
-Si tu n'es pas trop fatigué ni trop blessé, oui.
Il sourit d'un air mutin, avant d'accepter de se préparer en quatrième vitesse. Flavia en fit de même, afin de l'accompagner au portail. Là, elle croisa Éléazar avec une tartine dans la bouche, en train d'exécuter les gestes visant à la fabrication de l'énorme disque bleu. Rainier dormait encore à moitié, tandis que Cara trainait des pieds.
-J'ai une de ces gueules de bois, gémit-elle.
-Tu as bu à peine deux verres de champagne, remarqua le Duc de Hastam, avec un sourcil haussé.
-Je sais, mais je ne bois plus depuis ma grossesse. Je supporte plus l'alcool... Pouah, Lev, tu pus le sexe à trois kilomètres ! Ah... Désolée, Flavia, je ne t'avais pas vu.
Toute rouge, elle regarda Lev, qui ne semblait pas du tout gêné. Au contraire, il souriait de toutes ses dents. Cet homme... Serait-il donc toujours aussi fier d'avoir fait l'amour ? De lui avoir fait l'amour ?
-Me parlez pas de sexe, supplia Véra en levant les yeux au ciel. Pas quand il s'agit de ma sœur !
-Pourtant, elle se fait culbuter tous les soirs, remarqua Éléazar.
Il se prit un coup dans les côtes, ce qui ne le perturba pas pour autant dans la conception de son portail.
-Ne me dit pas ça !
-Tu crois quoi ? Qu'ils enfilent des perles ?
-Je m'en fous, je veux pas le savoir ! C'est ma petite sœur !
-Oh, ça va. Elle aussi doit se douter que tu t'envoies en l'air de temps à autre, Véra.
-Ta gueule, Éléazar.
Même s'ils parlaient de façon peu cérémonieuse de sa vie sexuelle, Flavia ne put s'empêcher de glousser en assistant à leur échange. Véra semblait accepter de plus en plus le fait que Lev et elle étaient mariés. C'était une bonne chose.
-Bon, chacun va chercher ses soldats, bailla Rainier. La vache, après une fête comme ça, c'est dur d'aller se battre. Cara, si tu dois vomir, fait le maintenant, sinon ça va être compliqué.
-Argh, m'en parle pas...
Les Ducs et Duchesses passèrent le portail en trainant de la patte. Comme quoi, même les Protecteurs avaient du mal à repartir après des festivités. Lev embrassa sa femme, avant de partir avec un clin d'œil. Il traversa le portail à la suite de ses amis, suivit de ses soldats. Une fois que tout le monde eu disparu par le portail, Flavia renifla discrètement son bras. Effectivement, un bain ne lui ferait pas de mal.
Une heure plus tard, elle retrouva Dana et les quatre enfants pour le petit déjeuner. Le printemps commençait à se manifester dans le nord, mais l'extérieur restait froid. Ils décidèrent donc de se rendre dans la serre. La pièce était chaude, avec des plantes luxuriantes, et de quoi occuper des enfants dynamiques.
Les Protecteurs, à l'instar des invités du bal, avaient tous dormi ici, ce qui expliquait leur départ commun. Néanmoins, il était encore tôt pour les autres nobles. Aussi Flavia pouvait-elle être tranquille avec la nounou, dont les cernes marqués étaient dus à une grosse crise de larmes nocturnes de la part d'Ena. Cela expliquait également la tête de Rainier avant de partir. Étant donné son attitude avec ses enfants, il avait dû s'en occuper une partie de la nuit.
-Vous voulez aller faire une sieste, Dana ? s'inquiéta Flavia.
-Non, non, je vous remercie... J'ai l'habitude, après tout je suis leur nounou.
Un café bien fort ne lui ferait pas de mal, en tout cas. En regardant les trois garçons jouer, Flavia se demanda si elle pouvait poser la question. Les deux têtes blondes et le brun Tamir.
-Dites-moi... Comment est la mère d'Autem et d'Eorum ?
-La Duchesse de Hastam ? Elle est... Elle est...
Dana parut réfléchir à ce qu'elle pouvait bien dire. Flavia haussa un sourcil. Elle soupçonnait que ça n'allait pas du tout, étant donné l'attitude et les remarques de Rainier. Mais elle ne voulait pas faire preuve de curiosité malvenue.
-Vous n'êtes pas obligée de me répondre. Je sens que le sujet est délicat. C'est juste que je suis surprise... De ne pas la voir du tout.
-Absente, fit Dana. Je crois que le bon terme pour la désigner, c'est absente.
-Oh. À ce point-là ?
La nounou hocha la tête, tout en regardant les enfants avec tristesse.
-Tatie ?
Ah, Tamir.
Pour un enfant de dix ans, il était plutôt grand. Les cheveux bruns, la peau mate et les yeux rouges, il avait une bouille absolument adorable. Bien que ses iris soient atypiques. Quoique, vu la tête de son mari, Flavia se demanda qui était le plus atypique des deux. Des hommes aux cheveux argentés et aux yeux violets, il n'y en avait pas en dehors de lui. Le fait que Tamir soit un exemplaire unique de ses caractéristiques physiques ne voulait rien dire. Quoi qu'il en soit, il semblait avoir quelque chose d'important à lui dire. Autem et Eorum l'avaient rejoint, timides.
-On a une question, fit le fils de Cara.
-Oui ?
-Est-ce que tu es amoureuse de tonton Lev ?
Leur nounou haussa les sourcils de surprise, avant de regarder la Duchesse. Qui était devenue cramoisie. Elle n'avait jamais songé à poser un mot sur ses sentiments pour Lev, jusqu'à présent. Depuis cinq ans, il faisait partie de sa vie de façon discrète, mais constante. Mais depuis deux semaines... Les choses avaient pris un tour si inattendu que tout ce qu'elle avait gardé pour elle durant cinq ans explosait au grand jour.
-Ou... Oui. Heu... Pourquoi ?
Tamir regarda Autem, qui croisa les bras d'un air pensif.
-Donc, il est possible d'être marié et d'être amoureux ? fit le petit blond.
La question lui serra le cœur. Elle voyait venir le problème.
-Oui. C'est possible.
Eorum, le deuxième fils de Rainier, secoua la tête.
-Mais alors... Pourquoi papa il est pas amoureux ?
-Parce que c'est maman à qui il est marié, pensa tout haut Autem.
-Il est malheureux, votre père, pas vrai ? demanda Tamir.
Les deux têtes blondes acquiescèrent.
-Bah alors, pourquoi il fait pas comme ma mère ? Il a qu'à être seul.
Flavia écarquilla les yeux face à cet échange. Les trois petits semblaient particulièrement sérieux. Visiblement, ce n'était pas un sujet dont ils parlaient pour la première fois. Ils avaient remarqué que Rainier était malheureux en mariage ? Quoique, même elle qui le connaissait depuis peu, elle l'avait compris.
-On peut être seul alors qu'on est marié ? s'interrogea Autem. Ta maman, elle n'a jamais été mariée.
-Oui, mais elle m'a eu. Et elle est heureuse comme ça.
Ils eurent un instant de réflexion. Puis ils se tournèrent de nouveau vers Flavia, qui s'inquiéta franchement de ce qu'on allait lui demander.
-Tatie, nounou, comment on fait pour être seul alors qu'on est marié ?
La situation leur paraissait insoluble. Flavia et Dana se regardèrent, ne sachant pas quoi répondre.
-Une des solutions, c'est la mort d'un des deux, remarqua Tamir, voyant qu'elles ne répondaient pas.
-Mais je veux pas que maman meurt, fit Eorum. C'est maman, mais... Elle mérite pas de mourir. Si ?
-Je suppose que non, soupira Autem.
-Il y a une autre solution, lança Flavia en rendant les armes.
-Vraiment ? s'étonna Tamir.
-Oui. C'est ce que l'on appelle un divorce.
Face à leur tête, elle se fit un devoir de leur expliquer en quoi cela consistait. Autem en arriva à la conclusion, très grave, qu'il devait absolument en parler à son père. Il n'était peut-être pas au courant que cela existait.
Sur quoi ils partirent fomenter un plan pour réussir à en parler à Rainier.
Médusée, Flavia se tourna vers Dana. Cette dernière semblait désolée.
-Dana ? Tout va bien ?
-Mmh ? Oui. C'est juste que... Je ne pensais pas qu'Autem et Eorum avaient saisi le fond du problème. Ils sont plus vifs que les enfants de leur âge.
Elle contempla un instant le profil de la belle rousse. Ses yeux étaient tristes.
-C'est si dur que ça, pour Rainier ?
-Je ne sais pas. Le Duc n'en parle jamais. Je crois... Qu'il ne se rend même plus compte de sa propre souffrance à l'égard de son couple.
Au contraire, il s'en rendait compte. Elle avait saisi assez de ses piques, au sujet de son mariage, pour savoir qu'il n'avait pas fermé les yeux sur la situation. Mais alors, pourquoi ne pas avoir déjà divorcé, si les choses allaient si mal ? Non... Elle regarda Ena, qui mâchouillait une crêpe. Elle savait pourquoi il ne faisait rien.
Ce n'était pas difficile à comprendre, une fois qu'on le connaissait.
Jamais il ne divorcerait, pour le bien de ses enfants. Bien qu'ils ne soient pas de lui.
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