Chapitre 15 : Les Maisons de Protecteurs


Le palais royal, au cœur des terres de Gentem, était d'une beauté élégante. Posé au centre de la capitale, il faisait la taille d'un village à lui tout seul. Un village de pierres blanches, dont les tours étaient coiffées de tuiles couvertes d'or.

La plus grande d'entre elles se trouvait au centre du palais, mais aussi au centre de la capitale... Et du royaume.

Il s'agissait là de la Tour du Mage.

La résidence d'Éléazar.

Mais pour lors, ce n'était pas lui que le Duc et la Duchesse de Clypeus allaient voir.

Main dans la main, le couple de jeunes mariés fit un tour dans les jardins luxuriants du palais royal, en attendant que le souverain du royaume soit présentable. Ils ne s'étaient pas annoncés avant de requérir cette entrevue, aussi avaient-ils un peu de temps à tuer avant d'y aller.

Vêtue d'une longue robe argentée rehaussée d'une épaisse ceinture violette, Flavia était parvenue à mettre un de ses voiles. Cela lui avait valu un début de dispute avec Lev, qui avait fini par céder. Elle ne savait pas pourquoi il détestait à ce point ses voilettes, mais elle, elle se sentait plus confortable ainsi.

Surtout ici, où tous les nobles qu'ils croisaient les regardaient avec une mauvaise curiosité, tout en venant présenter leurs salutations au Duc. Tout en l'ignorant pour discuter avec lui. Enfin, discuter...

-Qui a dit que je voulais vous parler ? cingla Lev, quand un troisième comte vint le voir. Je me promène avec ma femme, pas avec vous.

Sur quoi il les plantait là, entrainant Flavia avec lui. Elle comprenait pourquoi il avait la réputation d'être un sale gosse. Comment pouvait-il parler ainsi à tous ces nobles ? Enfin... Sa position le plaçait largement au-dessus de tout le monde. Seul le Roi avait autorité sur lui. Et encore... Oktar adorait Lev.

-Je pense que toutes ces femmes font des paris pour savoir dans combien de temps tu vas demander le divorce, souffla Flavia, tandis qu'ils passaient devant un groupe de commères assis sur un banc.

Les jardins étaient grands, néanmoins, la coupe basse des buissons permettait de voir d'un bout à l'autre. Seuls quelques arbres parfaitement taillés offraient parfois un abri aux regards curieux. D'après Lev, cela permettait de réparer les assassins de loin, quelle que soit la taille de la cible. Un enfant, par exemple.

-Si tu veux, on peut aller s'envoyer en l'air derrière une haie, histoire de perturber leurs paris, déclara-t-il avec un grand sourire.

Elle le regarda avec de grands yeux, de sous son voile. Sa réaction le fit rougir lui aussi, avant qu'un sourire canaille ne s'épanouisse sur ses traits.

-Un fantasme, ma petite femme ?

-Je... Tais-toi.

-Pourquoi ? roucoula-t-il en se penchant à son oreille. Je suis de pouvoir trouver un bosquet où je pourrais me glisser sous ta robe et te...

-Mauvaise idée, déclara une voix masculine dans leur dos. J'ai essayé, et je me suis fait attraper tout de suite.

Rouge comme une tomate, Flavia découvrit Éléazar, paré de son air moqueur. Ses cheveux blancs brillaient de santé dans la lumière du soleil, tandis que ses yeux bleus les observaient avec amusement. Vêtu d'une simple chemise et d'un pantalon ajusté, il ne trahissait sa fonction de Mage que par l'étole qui couvrait l'une de ses épaules.

-Ça m'étonne pas de toi, déclara Lev. Tu as culbuté qui, dans ces jardins ?

-Je sais plus, avoua le Mage après réflexion. Il faisait noir et j'étais bourré. Bref, le Roi est prêt à vous recevoir. Venez, que je puisse retourner travailler.

Il y avait un détail que Flavia avait tendance à oublier, au sujet d'Éléazar. En rentrant dans la grande salle de réunion des Protecteurs, celle dédiée exclusivement aux rendez-vous impliquant les Ducs, El et le souverain, Flavia pouvait sentir les regards intrigués posés sur elle. Mais ce n'était pas tout.

En voyant le Roi, elle fut frappée par sa ressemblance avec le Mage.

Oui, elle avait toujours tendance à l'oublier, mais El était le fils ainé du roi. Il était donc le Prince du royaume de Gentem.

-Salut, papa.

-Bonjour, fiston, fit le cinquantenaire avec un grand sourire. Ça fait plaisir de te voir !

Ah, ça, Flavia en avait également entendu parler, même si elle vivait à l'écart de la cour. Véra lui disait souvent qu'El ferait mieux d'aller voir son paternel un peu plus souvent, ce grand con qui ne se rend pas compte de la chance qu'il a. Evidemment. Flavia et elle avaient le même père, donc elles ne savaient pas en quoi consistait l'amour filial. Mais le Roi était réputé pour adorait son fils.

Ce qui rendait la situation d'autant plus tragique.

Le roi Oktar enlaça son fils presque trentenaire, en une accolade qui le fit râler et légèrement rougir. Dans la pièce se trouvaient les autres Protecteurs, qui sourirent à cette vue. À vrai dire, il n'y avait pas qu'eux. Rainier avait sa fille sur les épaules. Ena, la petite dernière de la fratrie, tirait sur ses cheveux en gazouillant. Étant donné les pics sur la tête de son père, elle mâchouillait allégrement les mèches épaisses de temps à autre. Le colossal Duc de Hastam, craint et redouté de tous, coiffé à la bave.

C'était une vision inattendue.

-Rainier, ta nounou est débordée, c'est ça ?

Le géant à la peau sombre sourit, une main dans le dos de sa fille pour éviter qu'elle ne tombe.

-Oui. Elle a amené les garçons faire du cheval, alors j'ai préféré garder Ena.

-La nounou s'appelle Dana, non ? s'enquit Flavia en regardant la petite, qui se mit à agiter les bras dans sa direction. J'ai hâte de la rencontrer.

Si elle avait bien compris, cette nounou était appréciée de tous les Protecteurs, Lev compris. La mère des enfants, par contre... Une énigme. Mais au vu de la peau d'albâtre des enfants de Rainier, elle se doutait qu'il y avait un problème avec sa femme.

-Tu devrais rencontrer Dana au bal des deux semaines, fit Véra en les rejoignant. Les petits ont lourdement insisté pour venir.

-Oui, confirma Cara d'un air tragique. Même mon petit sauvageon veut te revoir. Moi qui espérais pouvoir me prendre une cuite, je vais devoir le surveiller.

-Tu parles, tu ne bois jamais, rit Lev. Mais je suis contente que les enfants aient envie de voir Flavia. Ah... Ça y est, mon Roi ? Vous avez fini de faire un câlin à El ? Je peux vous présenter ma femme ?

Cette familiarité étonna Flavia. Néanmoins, elle manqua éclater de rire en voyant le grand sourire du monarque, et Éléazar se réfugier derrière Véra. Les mains sur les épaules de sa sœur, il fusillait Lev du regard.

-Pour quelqu'un qui saute tout ce qui bouge, tu as vraiment du mal avec les marques d'affection paternel, ricana Rainier.

Cara gloussa, tandis que le Mage faisait mine de bouder. Flavia, en revanche, avait autre chose à penser. Devait-elle faire la révérence devant le Roi ? Mince, elle... Elle reçut une accolade de la part du souverain de Gentem. À vrai dire, il la décolla du sol, avec un rire bienheureux. Cinquantenaire en pleine forme, Oktar avait une force phénoménale.

-Flavia ! C'est donc toi qui as fait fondre le cœur de glace de Lev !

-Ou... Oui, majesté.

-Je n'aurais jamais cru qu'un sale gosse comme lui finirait par se marier. Et en plus vous vous entendez bien ! Je suis heureux que ce ne soit pas un désastre, comme le mariage de Rainier !

Le concerné ricana méchamment.

-Ce n'est pas faute d'avoir essayé de le faire fonctionner, ce mariage.

-Je sais, je sais, ta mère a des gouts désastreux en matière de femme. Bref, mes deux tourtereaux, je suis content de vous voir en forme ! Mais, Flavia, pourquoi ce voile ? Enlève-moi ça, que je te vois.

Gênée, elle s'exécuta, pour le plus grand plaisir de son mari. Le Roi poussa un soupir en lui caressant les cheveux.

-Tu es le portrait craché de ta mère. Tu as bien grandi, Flavia. Lev est gentil, au moins ?

-Hé, ho, lança le Duc, fatigué de cette question.

-Gah !

Ena mit un terme cette discussion, en frappant au passage la tête de son père. Rainier comprit aussitôt, et posa sa fille sur la grande table ronde de réunion. Dessus, on pouvait voir une carte de Gentem, avec les quatre duchés, la capitale, et surtout, les terres désolées au-delà des murs. La superficie du royaume était énorme. Néanmoins, ses frontières étaient bien gardées.

-Bien, fit le souverain s'installant à la table. Cette réunion a deux axes importants. Le premier est le fait que vous savez enfin pour Flavia.

Tous hochèrent la tête. Sauf Ena, qui commença à ramper sur la grande table.

-Véra m'a expressément demandé de ne rien dire, donc je me suis exécuté jusqu'à présent. Néanmoins, El et moi ne sommes pas restés sans rien faire tout ce temps. Nous avons retrouvé les dernières traces de la maison de l'Arc. Mon fils ?

Aux côtés de son père, Éléazar hocha la tête avant de prendre la parole.

-Effectivement. La maison de l'Arc est éteinte depuis cinq cents ans. Elle a été la dernière à disparaitre, avec la maison de la Hache.

-Nous étions donc six maisons protectrices à l'origine ? s'étonna Cara. Pas plus ?

-Peut être sept, fit Éléazar. Mais il est difficile de savoir si celle de l'Épée et de la Claymore n'étaient pas deux choses différentes à l'origine. Si c'est le cas, Véra, tu serais la Claymore et non pas l'Épée.

La Duchesse de Gladia haussa un sourcil, sans le contredire.

-Ça me paraitrait logique. C'est une épée à deux mains que je fais apparaitre, après tout, pas une épée à une main.

-Donc, nous aurions trois lignées éteintes ?

-Au bas mot, oui. Mais l'Arc est revenu.

Ils restèrent silencieux un moment. Ena en profita pour s'asseoir devant le Roi, et se mettre à gazouiller. Oktar sourit comme un bienheureux en lui répondant. Comme si elle était sa propre petite fille.

-Quand quelque chose réapparait après de siècles d'absence, murmura Flavia, ce n'est jamais bon signe.

-C'est bien ce que nous craignons, approuva le Roi alors qu'Ena repartait dans une autre direction en babillant. Les Protecteurs sont apparus pour protéger le royaume face au péril des démons. Au plus fort de la menace, il y avait au moins sept maisons, en plus du Mage.

-Huit Protecteurs, fit Lev d'un air pensif. Il n'y a pas de raison pour que les maisons manquantes ne se soient simplement pas manifestées ? Qu'elles soient restées latentes chez les porteurs du pouvoir ?

-C'est une possibilité, soupira Éléazar. Mais dans tous les cas, le problème reste le même. Pourquoi réapparaitre maintenant ? Ça fait plus de dix ans que je fais des recherches sur le sujet. Et la seule chose qui ressort de tout ça...

Son ton se fit plus grave, tandis qu'il embrassait l'assistance du regard.

-C'est que nous avançons vers des temps de troubles.

Les Protecteurs restèrent silencieux. La mine du roi Oktar se fit sombre.

-Nous avons une idée de ce que ça peut être ? demanda Flavia.

Éléazar hocha la tête.

-Il y a une piste, effectivement. Mais... Je pense que toi, tu n'es pas au courant. Lev ?

Le Duc de Clypeus fit un signe de dénégation. Non, il n'en avait pas parlé. Inquiète, Flavia regarda le Mage, qui lui sourit gentiment. Elle ne sut pas ce qu'il voulait dire, car Véra quitta la pièce précipitamment. Inquiète, elle voulut la suivre, mais Lev la retint en secouant la tête. Quoi ?

-Je m'en occupe.

Cara sortit elle aussi, probablement pour aller voir de quoi il en retournait. Mais elle le savait déjà. Flavia regarda les gens autour de la table, inquiète de la lourdeur de l'ambiance. Ena dut le sentir aussi, car elle tendit les bras vers le Mage. Il lui sourit, tout en la prenant contre lui.

-Bref. Ce ne sont que des pistes, déclara-t-il. Le deuxième axe de la réunion concernait la tentative d'assassinat sur Flavia.

La suite de la réunion se basa sur des suppositions. Ils avaient de forts soupçons sur les responsables, mais ce n'était pas le plus grave. Le tout était de savoir ce qu'il se tramait. Quand le Roi exposa les éléments en sa possession, Lev fit grise mine. Il serra la main de sa femme dans la sienne. Ils allaient au-devant de troubles immédiats, pour le coup.

De la réunion, ils ne revirent pas Véra. Seule Cara les rejoignit, en secouant la tête. Elle ne reviendrait pas. Flavia ne savait pas de quoi il en retournait, mais elle allait devoir avoir une discussion avec son ainée.

Trois heures s'étaient écoulées depuis qu'ils avaient quitté la forteresse.

De toutes les choses possibles, elle ne s'attendait pas à voir un homme à genou dans le hall d'entrée, trois soldats du Bataillon, l'épée au clair, autour de lui.

-Bien, bien... Voici donc notre traitre, fit Lev, d'une voix glaciale.

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