Chapitre 13 : Rencontre avec un Dragon
-Flavia !
En passant le portail, beaucoup de choses avaient traversé l'esprit de Flavia. Mais la plus grande consistait en un seul mot. « Merde ». À l'instant où le disque bleu de magie avait été sur le point de disparaitre dans le Nord, elle avait senti un impact dans son dos.
On l'avait très clairement poussé au travers du portail.
-Flavia !
Se jetant à genoux devant elle, Lev avait relevé la visière de son heaume. Inquiétude, colère et incrédulité se disputaient sur son visage. Se remettant sur pieds, elle le rassura d'un sourire.
-Ne t'occupe pas de moi.
-Putain, comment tu peux me dire une chose pareille !? rugit-il.
Flavia désigna la ligne de front, juste devant eux. Elle pouvait voir les démons de types rampants, qui grouillaient comme une masse immonde en se dirigeant vers la muraille de Gentem. Mais aussi celui, plus gros, de type draconique qui les survolaient.
Lev serra les dents, déchiré entre elle et son devoir. L'ambiance était électrique, les soldats autour d'eux ne savaient pas sur quel pied danser. Ceux de l'Ouest devaient se demander quoi faire, tandis que les autres ne la connaissaient pas. De fait... Flavia posa sa main sur la joue de son mari, avec une détermination qu'elle espérait lui communiquer.
-Bats-toi, mon amour. Moi je vais rester à côté d'Éléazar.
-Tu es ma femme !
-Alors, bats-toi pour me protéger.
Mâchoires serrées, Lev finit par hocher la tête. Elle pouvait sentir son gantelet se crisper sur sa main. Mais elle ne devait pas céder, en cet instant.
-Lev ! Qu'est-ce qui se pa... Bordel, Flavia !?
Véra. Sa sœur écarquilla les yeux en la voyant. Ses longs cheveux noirs noués en une tresse, vêtue de son armure d'un bleu sombre, elle était l'image même de la belle guerrière. Une guerrière qui fronça aussitôt les sourcils, une envie de meurtre dans le regard. Elle comprenait vite.
-Je vais avec Éléazar, déclara rapidement Flavia. Lev... Tu as intérêt à assurer, tu as une admiratrice dans les gradins, cette fois-ci.
Elle fut rassurée en voyant un sourire insolent s'épanouir sur le visage de son mari.
-Je vais t'en mettre plein la vue, ma Duchesse. Soldats ! En position !
La prenant en poids, il partit au pas de course en direction d'Éléazar. Debout, environné d'une forte aura de magie lumineuse, le Protecteur manqua faire une syncope en la voyant. Plus encore lorsque Lev la lui laissa, en lui intimant de prendre soin d'elle. Puis, rabattant sa visière avec un clin d'œil pour sa femme, le Bouclier de Gentem partit au front, ses soldats sur les talons.
-Flavia.
Véra saisit le poignet de sa sœur, attirant son attention sur elle. Elle paraissait grave.
-Fais ce qu'il faut. Compris ?
-Compris.
Seule avec le Mage, Flavia vit sa sœur ainée et son mari partir au combat. Le cœur serré, elle observa cette scène, qu'elle n'avait jamais cru voir un jour. Les Protecteurs, en pleine action. Ce fut Cara qui ouvrit le bal. Projetée en l'air par le Bouclier de Lev, elle frappa le sol de son marteau, propageant une onde de choc qui créa une poche de vide dans les rangs grouillants des ennemis. Où se trouvaient-ils ? Sud, est, ouest ou nord ? Vu la température et le type d'ennemi, Flavia aurait plutôt dit le sud. C'était le domaine du Marteau de Gentem, justement. Néanmoins, elle avait rarement entendu parler de rampants s'associant avec un démon draconique.
Éléazar devait penser la même chose, car il souffla :
-Il y a quelque chose qui cloche.
Le dragon, planant au-dessus du champ de bataille, semblait attendre quelque chose. Créatures intelligentes, elles n'aimaient pas les sous-espèces démoniaques. À force de siècles d'observation, les Protecteurs de Gentem en étaient arrivés à cette conclusion. Le Mage avait pour rôle de répertorier les batailles, les différences et d'analyser les situations. L'esprit chargé des données du passé, El était le plus à même de voir les problèmes.
Et là, il semblait y en avoir un gros.
-Quoi ? s'enquit Flavia.
-Ils sont trop nombreux.
Elle remarqua les yeux du Mage. Ils étaient devenus l'entièrement bleu, avec une lumière intérieure surnaturelle. Il était en train de sonder la terre démoniaque, jusqu'au-delà de la brume violacée qui obscurcissait leur vision. Ainsi, il pouvait couvrir plusieurs kilomètres, pour anticiper les actions.
Les rampants grouillaient sur cinq hectares. L'estomac de Flavia se noua. Normalement, on ne dépassait jamais l'hectare avec eux. Pourquoi étaient-ils cinq fois plus ? Et pourquoi étaient-ils associés à un dragon ?
Du côté des autres Protecteurs, Flavia vit des monstres au corps de scolopendre géants être propulsés dans les airs, comme balayés sur le passage d'un bélier. Lev. La Lance de Gentem en profita pour les transpercer avant qu'ils ne touchent le sol, déployant une centaine de Lances en même temps.
-El, les rampants vivent en colonies, d'après ce que m'a raconté Véra. Ils ont une reine, n'est-ce pas ?
Ils échangèrent un regard, avant de lever les yeux en direction du dragon, haut au-dessus de la bataille.
-Bordel de merde. Ce n'est quand même pas lui qui a...
Le Mage n'eut pas le temps de confirmer leurs soupçons. Le sol explosa soudain devant eux, les prenant par surprise. Un scolopendre de six mètres de haut venait de jaillir de la terre démoniaque, ses centaines de pattes s'agitant dans l'air, ses mandibules claquant dans le vide. En un éclair, son corps s'abattit sur eux.
Elle n'avait plus le choix.
*
Lev, Rainier, Véra et Cara entendirent le cri d'Éléazar au travers de leurs colliers. Tous se tournèrent vers lui, des centaines de mètres en arrière. Ils virent le scolopendre jaillir du sol, à l'endroit où le pilier de lumière indiquait la présence du Mage. Non... Flavia... Non !
Le Bouclier crut son cœur sur le point d'exploser. Mais la seconde suivante, la tête du scolopendre disparut dans un trait de lumière, si puissant qu'il fendit les cieux. Que... El ne faisait pas ça ! Cela lui demanderait un déploiement de magie dangereux pour sa santé !
-Lev, s'exclama Rainier, le plus proche de lui sur le champ de bataille. C'est ta femme qui vient de faire ça ?
-C'est ma femme qui vient de faire ça...
*
Debout, son Arc matérialisé à partir du néant dans les mains, Flavia fusilla le corps du scolopendre mort du regard. À cause de lui, elle avait été contrainte de se révéler ! Vu la force qu'elle venait de mettre dans son tir, il n'y avait aucune chance pour que Lev l'ait manqué !
-Éléazar, ça va ? lança-t-elle en le regardant par-dessus son épaule.
-Ça va, ma grande. Mais tu es sûre de toi ? Je croyais que tu voulais rester dans l'ombre.
-On dirait que c'est trop tard, soupira-t-elle.
-Soit.
Posant une main sur son épaule, El fit apparaitre son armure légère sur elle, faisant disparaitre temporairement sa longue robe. Elle serait plus à l'aise ainsi.
-Le scolopendre te visait, déclara-t-elle en surveillant le dragon. Ils ne sont pas doués de raison, donc c'est celui-là qui a donné l'ordre. Tu vois quelque chose ?
Par sa vision augmentée, le Mage regarda le draconien. Effectivement, il avait bien la reine des rampants dans ses griffes. Cela poussait toute la colonie à suivre, pour lui sauver la vie.
-Ils ont déjà les mains pleines, fit El en parlant des Protecteurs.
Ils se regardèrent. Elle avait compris.
-Tu peux me prêter ta vue ?
-Bien sûr.
Plaquant sa paume sur ses yeux, Éléazar prononça quelques mots, avant de la retirer. Flavia battit des paupières. Ce n'était pas la première fois qu'ils faisaient cela, mais il y avait toujours quelque chose de perturbant dans la manœuvre.
Levant la tête vers le dragon, elle put faire le point sur lui d'un simple effort de volonté. Le démon grossit, jusqu'à ce qu'elle puisse voir sa gueule énorme. Il devait faire la taille de la forteresse de Lev. Mais surtout, entre les griffes de ses pattes avant, elle put voir un énorme scolopendre, qui se tortillait de façon ignoble avec la force du désespoir. La Reine.
-El, j'ai besoin d'une plateforme pour tirer.
-Tes désirs sont mes ordres, ma belle.
D'un claquement de doigts, il fit apparaitre un large disque lumineux sous ses pieds. Flavia s'accrocha à son estomac. Elle détestait ça ! La plateforme, devenue solide, s'éleva d'un coup dans les airs. Posant un genou sur le cercle pour éviter de tomber, elle garda son attention fixée sur le dragon. Elle continuait à monter, ce qui lui permit d'embrasser la situation d'un regard.
Prés d'un kilomètre séparait Éléazar et les troupes des quatre duchés. Et deux cents mètres plus en avant encore, les Protecteurs se battaient comme des forcenés. L'armure argentée de Lev était comme un phare dans la brume des terres désolées. Mais surtout, avec la vision accordée par El, elle pouvait voir son casque tourné vers elle, ses gestes se suspendre. Puis Cara lui donna une tape sur la tête, en lui criant quelque chose. De ne pas perdre sa concentration, sinon il y passerait.
Elle aussi, elle devait se focaliser sur son objectif.
Se redressant sur la plateforme de lumière qui venait de se figer, Flavia remarqua que le dragon l'ignorait ostensiblement. Ces créatures avaient tendance à mépriser les humains. Tant mieux pour elle.
Ignorant les yeux rivés sur elle, ignorant le fait qu'elle trahissait son existence à la face du monde, elle fit réapparaitre son arme dans sa main.
Matérialisée du néant, elle était une extension de son être, une partie d'elle-même. Tout comme les quatre Ducs pouvaient faire jaillir les leurs à leur gré, elle créait la sienne d'une simple pensée. Un instant, sa paume était vide.
L'instant suivant, un arc d'argent se trouvait dans sa main.
Léger comme un souffle, puissant comme un ouragan, l'Arc était l'égal des autres armes de Gentem.
Les yeux rivés sur la reine des scolopendres, Flavia oublia le champ de bataille, oublia la hauteur à laquelle elle se trouvait. Bien campée sur ses jambes, elle banda la corde de son arc. Une flèche apparut sur sa volonté, faite de lumière pure.
Quand elle la décocha, elle fila dans le ciel, si puissante que cela propagea comme une onde de choc tout autour d'elle. Le dragon la perçut, mais trop tard. Le trait lumineux fondit sur lui, pour pulvériser la tête de la reine.
*
En voyant les démons se tortiller en poussant des stridulations aiguës, Lev comprit aussitôt que la reine avait été éliminée. Les créatures rentrèrent dans le sol, creusant des galeries qu'Éléazar aurait du mal à faire disparaitre. Mais pour le moment, ce n'était pas ce qui intéressait le Duc.
Ce qui lui importait, c'était sa femme, debout dans les airs sur une plateforme lumineuse... Avec un dragon de dix tonnes qui fonçait vers elle. Non !
-El ! rugit-il dans son collier.
Partant en courant, son Bouclier à la main, il garda les yeux rivés sur Flavia. Le draconien arrivait à toute vitesse, forme noire dans le ciel violet des terres désolées. Il ouvrait déjà sa gueule. Merde !
-El ! Maintenant !
Un portail s'ouvrit devant lui. Sans une once d'hésitation, Lev le traversa au pas de course... Pour se retrouver en un clin d'œil derrière Flavia, sur la plateforme lumineuse. Et devant la gueule béante du dragon, chargée de flammes.
Il eut tout juste le temps de saisir son épouse, poser un genou à terre et planter son Bouclier devant lui.
Le déluge de feu percuta sa protection. Tête baissée, se rapetissant derrière leur rempart, Lev entendit le bruit atténué du cri de Flavia dans son oreille. Si le brasier n'avait pas rugi autour d'eux, elle lui aurait probablement crevé un tympan.
Mais pour le moment, ce n'était pas important. Luttant contre la force du jet de flammes, Lev ne pouvait que faire confiance à sa femme pour se serrer contre lui, afin de se protéger derrière le Bouclier.
Il pouvait sentir la chaleur au-dessus de sa tête, son casque commencer à chauffer. Son bras gauche était trop prés des flammes, ainsi que son pied droit, mais il ne pouvait rien y faire. Il devait faire une confiance aveugle à son armure pour le protéger.
Tout ce qui lui importait, c'était sa femme.
Quand le jet de feu s'arrêta, ils reprirent une brusque inspiration. L'espace d'un instant, tout l'oxygène autour d'eux avait été consommé par les flammes, manquant leur faire perdre connaissance.
-Flavia, tire-lui dans la gueule.
Déjà le dragon exécutait un demi-tour dans les airs, afin de revenir à la charge. Sans hésiter, son épouse se redressa de derrière le Bouclier, son arc bandé, sa flèche de lumière encochée. Elle expira, lentement. Prêt à intervenir, Lev avait une main dans son dos, afin de l'attirer à lui dès que l'attaque reprendrait.
Il n'en eut pas besoin. À l'instant où le draconien écarta ses larges mâchoires sur un gosier brillant de feu, la flèche partie. La détonation, ainsi que l'onde de choc, surprit Lev. Il ne s'attendait pas à une telle force. Mais le résultat fut que le trait traversa la gueule du démon de part en part.
Poussant un rugissement douloureux, il repartit dans les airs sans les incendier. Parfait ! Le reste de la manœuvre, ils connaissaient. Un portail s'ouvrit haut dans les airs. Il entendit Flavia retenir son souffle, à l'instant où Rainier en tomba.
Pieds en avant, sa Lance à la main, le colosse de Hastam percuta la tête du dragon, avec une telle force qu'ils entendirent le craquement de leur place. Mais aussi le bruit de l'arme qui perforait les écailles, pour se loger dans le crâne de la créature. Ils chutèrent.
Campé sur la tête du draconide, impressionnant dans son armure noire, Rainier ne lâcha pas sa prise. Il s'écrasa au sol avec la créature, qui n'eut pas le temps de tortiller son gigantesque corps pour se dégager. À terre, Véra se trouvait déjà là. Son Épée à deux mains, longue de plus d'un mètre cinquante, elle la planta sous une écaille au niveau du cou du dragon. Ce fut la force de frappe de Cara qui permit de lui découper la tête. Sautant sur le Bouclier de Lev, revenu par un autre portail, elle tournoya dans les airs, avant de percuter l'Épée de Véra de son Marteau.
La tête draconienne roula.
Fin de l'affrontement.
Cara et Véra se laissèrent tomber sur les fesses avec des soupirs de soulagement, tandis que Rainier descendait du dragon d'un bond. Lev, lui, n'eut pas le temps de se retourner que sa femme le rejoignait en courant, Éléazar derrière elle.
-Flavia ! Tout va bien !?
-Oui ! Et toi !?
Il pouvait deviner les cornes de son casque rougies par les flammes. Il en sentait le côté brulant non loin de son crâne. Néanmoins, il hocha la tête. Sa femme, en armure de combat légère, voulut prendre son heaume entre ses mains. Mais la température qui en irradiait la fit soudain s'arrêter.
-Enlève ça tout de suite ! s'écria-t-elle en le saisissant par le bas, afin de le lui enlever de force.
Heureusement, elle avait des gants de cuir sur elle ! Libéré de son casque, Lev poussa un soupir de soulagement. L'air des terres désolées lui parut presque frais. Bien que sa tête soit toujours trop chaude. Éléazar posa un doigt sur son front, réglant aussitôt le problème.
-Bon. Flavia, il va falloir m'expliquer un truc ou deux, déclara-t-il en rouvrant les yeux, pour les poser sur son épouse.
Il était étrange de la voir en tenue de combat. Néanmoins, il fut d'autant plus surpris de voir la panique sur son visage. La transpiration avait collé ses cheveux à son front, tandis que ses cicatrices prenaient un tour blanc sur sa peau rougissante.
-Je... heu...
-Comment se fait-il que tu sois ici ? précisa-t-il d'un ton plus doux. Tu n'avais pas prévu de franchir le portail, n'est-ce pas ?
Elle secoua la tête, comme rassurée que ce soit cette question qu'il pose.
-Non. On m'a poussé.
-QUOI !?
Le rugissement venait de sa sœur ainée. Véra, toujours assise, semblait sur le point de tuer quelqu'un.
-On t'a poussé sur le champ de bataille ? fit Lev.
Flavia hocha la tête. Un nœud se forma dans son estomac. On l'avait poussée ici. Où elle s'était retrouvée aux prises avec un dragon. Où elle avait échappé de justesse à un déluge de flammes.
-Visiblement, cette personne ne devait pas savoir de quoi tu es capable, remarqua Éléazar en se passant une main sur le menton. Sinon, elle aurait tenté autre chose pour te tuer.
Les mots percutèrent Lev de plein fouet.
Oui.
Si elle n'avait pas été capable de se défendre comme elle l'avait fait... La personne qui l'avait poussé était responsable d'une tentative de meurtre. Sur son épouse. Sur sa femme.
Lev la prit dans ses bras, toute sa peur lui tombant dessus d'un seul coup. Flavia lui rendit son étreinte, et nul ne pipa mot un instant. Il savait qu'il la serrait un peu trop fort contre lui, qu'il portait son armure. Mais l'espace d'une minute, il fut incapable de la lâcher.
On avait tenté de tuer sa femme.
Son regard se durcit, tandis qu'il embrassait les cheveux de son épouse. Les Protecteurs le virent. Ils hochèrent la tête, tout en portant leur main à leur cœur. Ils n'avaient pas besoin de mots pour se comprendre.
Qui que soit le responsable, il était mort.
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