Chapitre 8 : Un Soupçon de Vérité

En recevant le message, Svenn perdit aussitôt son masque d’indifférence. Il était de nouveau en pause, et Kurt, accompagné de ses sbires, avait décidé de l’humilier verbalement. Silke, elle, semblait sur le point de leur arracher la tête.

Dans aucun cas ils ne comprirent de qui émanait le message. Ces crétins ne croyaient toujours pas qu’il faisait partie des gardiens d'Exil. Alors, quand la porte du gymnase s’ouvrit avec fracas, ils sursautèrent tous, sauf Svenn. Il croisa le regard de Cassandra, d’une froideur implacable. Que ce passait-il ?

-Svenn, prends Silke avec toi, ordonna la nymphe, une épée à la main.

-Moi ? s’étonna la gothique. Mais pourquoi ?

-Chic, l’étrangère va se faire rosser, ricana Kurt.

Cass lui adressa un regard à lui clouer le bec, avant de jeter sa lame à Svenn. Il la rattrapa avec une dextérité née de l’habitude. Cela fit blêmir le vampire, tandis que sa sœur semblait au bord de l’orgasme.

-Silke, suis moi sans faire d’histoire.

-C’est une humaine. Évidemment qu’elle ne fera pas d’histoire.

-Kurt, si tu tiens à une éventuelle descendance, je te conseil de te taire. Vous deux, vous venez avec moi.

Cass tourna les talons, sachant pertinemment qu’ils obéiraient. Au grand étonnement de Svenn, la gothique ne lança aucune pique désagréable. Au contraire, sous sa capuche cloutée, il pouvait voir sa gravité. Qui que soit cette fille, elle avait apparemment l’habitude des situations de crises.

Car à n’en pas douter, s’en était une.

Dans le Hall de la Souffrance, les murs vibraient, les braseros à deux doigts d’incendier toute la structure. La colère d’Alastor était palpable, mais pour une fois, il n'était pas à l'origine de ce déchaînement de pouvoir. Tournant en rond tel un lion en cage, Nergal était vêtu d’un simple pantalon de pyjama, les cheveux en bataille, sa mine traduisant ses envies de meurtre.

Tous les protecteurs d'Exil se trouvaient là. Cass, les deux démons, Stefan, Rebecca, et Svenn entourèrent Silke, qui ne se laissa pas démonter.

-Que se passe-t-il ? lança-t-elle sèchement.

-Il se passe, gronda Nergal, que vous êtes des espionnes envoyées pour nous détruire.

Surprise, Silke repoussa sa capuche.

-Des espionnes ? Vous êtes dingues, ou quoi ?

-Alors explique-moi pourquoi Blanche a disparu. Pourquoi un Cabire a surgit de nulle part, pour l’emporter à l’instant où elle s’apprêtait à me dire quelque chose d’important !?

Silke eut l’impression que le monde vacillait autour d’elle. Elle chancela, même, incitant Svenn à faire un pas en avant. En dépit de regard d'Alastor, il se tint prêt à la soutenir, du moins physiquement. Heureusement. Car Stefan, ce maudit vampire, passa aussitôt à l’attaque.

-Vous avez été envoyé par les démons pour nous annihiler de l’intérieur, cracha-t-il. Les harpies n’étaient qu’une diversion ! L’objectif était de vous laisser ici, de répandre votre fiel et de nous anéantir !

-Vous anéantir ?

-Est-ce vrai, Silke ? demanda le Bourreau, en la toisant de ses yeux de vipère.

-Si c’est vrai ? Si c’est VRAI !? Explosa-t-elle, prenant le loup au dépourvu. Vous ne savez rien de nous, réfugiés d’Exil ! Nous sommes venus ici en quête d’aide, et tout ce que vous trouvez à me dire, alors que Blanche a disparu, c’est que nous voulons vous détruire !? Vous êtes de grands malades narcissiques !

-Alors qu’est-il arrivé à Blanche !? Rugit Nergal.

La jeune femme darda sur lui ses iris noirs, furieuse. Oui, elle reconnaissait cette expression. Il avait vu le Cabire détruire Blanche, avec la facilité du vent sur un château de carte. La première fois, elle aussi avait été choqué. Les Cabires, sortent de squelettes au corps translucide, étaient des esprits de la mort, particulièrement doués pour détruire la vie des lares.

-Elle a été renvoyé dans la maison possédant sa dépouille ! répondit-elle sur le même ton. Les Cabires régulent les déplacements des lares. Mais je ne pensais pas que ça arriverait ici. Elle m’avait dit qu’elle avait trouvé un moyen pour se débarrasser d’eux, mais elle m’a mentit !

-La maison possédant… De quelle maison parles-tu !?

-De celle de Lucifer, sombre crétin !

La nouvelle fit l’effet d’une bombe. Un silence pesant s’installa dans le Hall, tandis que les murs tremblaient de plus en plus, sous la colère de chacun. Silke reprit son souffle, trop en colère pour encore se calmer. Aussi déballa-t-elle tout, accusant Nergal du regard.

-Lucifer a tué Blanche il y a plusieurs siècles de cela. Il l’a fait pour soumettre son âme à une éternité de servitude en sa maison, où il a enterré son cadavre. Elle est rattachée pour l’éternité à ce monstre, car les Cabires ne permettent pas aux lares de s’éloigner trop longtemps de leurs restes.

-Ceci est la preuve d’un complot ! siffla Stefan.

-Un complot ? Tu te prends pour qui, pauvre minable ? Cracha Silke. Nous nous sommes enfuis, Blanche et moi, pour échapper au Déchu.

Elle reporta son attention sur Nergal. Le démon avait les poings serrés, à s’en faire saigner les paumes. Oui, elle connaissait son histoire. L’une des favorites et l’une des détestées de Lucifer, le grand Justicier des Enfers.

-Toi qui as travaillé et as fui Lucifer, tu dois savoir ce qu’elle risque en retournant là-bas. Toi, mieux que quiconque, doit savoir que l’ange déchu ne lance pas ses chiens à la légère.

Ils se dévisagèrent, un long moment. Même Alastor se tint en retrait, apparemment fort intéressé. Silke, elle, serrait les dents. Elle ne pouvait pas craquer maintenant. Pas si tôt, pas alors sans une personne de confiance à ses côtés.

-Et sachez une chose, ajouta-t-elle en se tournant vers Stefan. Si j’avais été envoyé pour vous annihiler, j’aurais d’ors et déjà rasé Exil.

-Pour qui te prends-tu, sbire de Lucifer !? Cracha-t-il.

Ils étaient sur le point de se jeter à la gorge l'un de l'autre, l'ambiance électrique prenant un tour plus dangereux encore. Silke ne ferait jamais le poids contre Stefan. Il était un guerrier depuis des siècles.

-Tu veux me tenter, petit vampire ? Tu veux que je te montre de quoi je suis capable ?

-Suffit ! tonna Nergal. Blanche m’a fait promettre de te protéger, Silke. Je le ferais. Mais sache que si je découvre quoi que ce soit contre vous deux, je te trancherai la gorge.

-Je ne te laisserai pas faire, démon. Parce que sinon, je trahirai tout ce qu’elle a fait pour moi. Or, ses sacrifices méritent d’être honorés.

*

Quelle saison maudite, songea Alastor en mâchouilla un morceau de pomme. Non seulement c’était la guerre, mais en plus, ils avaient un potentiel espion dans les pattes. Il n’y avait vraiment pas de quoi se réjouir. Et voir Nergal dans tous ses états, pour une lare qui plus était, tenait de l’insoutenable. Il avait oublié à quel point ce crétin pouvait être insupportable.

D’ailleurs, le démon tournait encore et encore, tel un dragon en cage. Songeur, Alastor tira son nouveau portable de sa poche. Une bonne nouvelle n'aurait pas été de trop. Ouais… Même Barbatos avait décidé de lui ruiner sa journée. Il serait tout de même temps qu’il trouve un artefact, cet emplumé, qu’ils puissent faire tourner la boutique ! Son banquier avait de plus en plus envie de lui faire sauter la cervelle. Il n'aurait pas été le premier à subir ce sort, d'ailleurs.

-C’est trop dangereux, marmonna Nergal, en passant devant lui pour la quatre cent vingt-quatrième fois.

-De quoi ?

-Tu ne peux pas comprendre.

-Dis tout de suite que je suis stupide.

-Tu es insensible, Alastor ! Tu ne bronches pas, alors qu’une femme est aux prises avec Lucifer !

Ha. Le voilà, le cœur du problème. Le Bourreau haussa les épaules.

-Luci fait du mal à des dizaines de personnes chaque minute. Je ne vois pas pourquoi je m’en ferais pour l’une d'entre elles en particulier.

-Blanche nous a demandé l’asile.

-Blanche est un énorme point d’interrogation. Elle peut être ce qu’elle dit, tout comme l’exact opposé.

-Ne pas savoir si elle veut nous détruire ne veut pas dire que nous devons l’abandonner !

Cette fois-ci, Alastor leva les yeux de son téléphone. Nergal était planté devant lui, livide de rage. Voilà des siècles qu’il ne l’avait plus vu dans cet état. Depuis leur fuite du château du Déchu, en fait. Après quoi il avait disparu pendant des années, le laissant seul dans ses errances pour tenter de survivre. Mmh…

-Nous l’avons déjà fait des dizaines de fois, Nergal. Dis-moi en quoi c’est différent pour cette petite lare.

-Je n’en sais rien !

-Ça me fait une belle jambe, tiens. Tu me fatigues, Nergal. Dégages.

Le double du démon disparut dans une volute de fumée noire, le laissant seul dans le Hall. Avec un peu de chance, il ne croiserait pas Stefan. Le vampire avait encore moins de tact que lui, or, une rencontre avec Nergal, maintenant, risquait bien de finir en un bain de sang. A moins que sa femme n'intervienne à temps. Holly Damon avait un don pour apaiser les tensions. Quel drame de la voir mariée à un crétin d'une telle envergure.

Un bruit de talon le fit se détourner une nouvelle fois de son portable. Il n’arriverait jamais à finir son message, à ce rythme ! Cassandra s’approchait de lui, encore vêtue d’une de ces affolantes mini-jupes, son expression le crucifiant sur place.

-Tu cherches quoi, Al ? Il a très bien le droit de s’inquiéter pour Blanche. C’est une gentille fille.

-Je n’ai jamais dit le contraire, Cass. Mais tu sais où ça nous mène.

La nymphe se frotta les bras, inquiète. Le Bourreau haussa un sourcil surpris. Elle n’était pas du genre à se montrer vulnérable.

-La guerre va nous atteindre, n'est-ce pas ?

-Si je ne m’abuse, c’est déjà fait, nymphette.

*

Il était inutile de dire que Silke n’était pas retournée à l’école de Madame Damon. Dans son état, elle aurait décapsulé le crane de cette maudite Faith, juste pour le plaisir de voir couler son sang. Pour se défouler. Pour faire ce pour quoi elle était le plus douée.

Le massacre.

Tournant en rond dans la maison de Blanche, celle-là même où la lare lui avait affirmé qu’elle ne l’abandonnerait jamais, elle était à deux doigts d’exploser. L’unique chose lui permettant de ne pas le faire, était la promesse faite à son ancienne servante.

Son dernier recours était donc de tourner en rond, avec la fureur d'un nain en manque de bière, prête à bondir sur le premier importun. Svenn l’avait bien compris, aussi restait-il assis dans son coin, à lire un livre en attendant la relève de Nergal. Le démon avait posté une dizaine de ses doubles autour de la maison. Pourquoi Blanche avait-elle demandé, à lui, de la protéger ? Bon sang, elle n’avait besoin de personne ! PERSONNE !

-Tu veux savoir pourquoi Faith me harcèle ?

La voix du loup, toujours concentré sur sa lecture, la fit pivoter d'un bloc. Elle fronça les sourcils, sous son capuchon clouté. Il voulait vraiment qu’elle lui arrache la tête ?

-Elle est persuadé d’être mon âme sœur, fit-il en levant les yeux sur elle.

-Ton… Mais c’est une vampire.

-Oui. C’est ce que je lui ai dit. Néanmoins, cela ne l’arrête pas. Une fois, je l’ai retrouvé jusque dans mon lit. Tu imagines ma réaction.

Elle avait suffisamment vu le comportement du loup pour imaginer la scène. Un cri de femmelette effarouchée, suivit d’une fuite dans les couloirs, laissant la vampire seule entre les draps. A cette pensée, elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire moqueur.

-Pourquoi ne couches-tu pas avec elle ? Quitte à être accusé par son père, autant en profiter, non ?

Le loup ouvrit de grands yeux horrifiés.

-Hé, je n’ai pas l’intention de faire l’amour à tout et n’importe quoi, Silke ! Je suis un lycanthrope avec des principes !

-Tu ne serais pas plutôt fleure bleue ?

-Toi, tu ne l’es certainement pas assez.

Elle haussa les épaules.

-Bah, du sexe, c’est du sexe, soupira-t-elle en se laissant tomber près de lui. C’est toujours la même chose.

Il y eut un silence, durant lequel il l’observa, comme s’il se trouvait face à une énigme. Silke se passa une main tremblante devant le visage, prit une profonde inspiration. Elle n'avait pas envie d’être un monstre de foire, déformé par les critères d’élevage. Pas maintenant.

-Je devrais y aller, murmura-t-elle. Je devrais aller la chercher.

Svenn referma tranquillement son livre.

-Tu l’as très bien dit, Silke : Blanche a tout sacrifié pour te mettre en sécurité. Ce serait la trahir que de risquer ta vie maintenant.

Elle ferma les yeux, la gorge nouée. Il avait raison. Elle était bloquée. Son respect pour Blanche risquait de lui coûter une éternité de torture. Et la lare trouverait cela normal.

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