Chapitre 4 : Rencontre avec un Troll

Silke n’avait aucune envie d’aller en cours. Oh, pas par rébellion, ou quel que soit les attitudes typiques des gens de son âge. Plutôt parce que cette bande de cinglés avait traîné Blanche jusqu’à leur Hall de la Souffrance, pour lui tirer les vers du nez. Et qu’en dépit de sa promesse, elle bouillait d'envie d’y aller, de régler le problème à sa façon.

Alors, pourquoi se trouvait-elle là, devant une dizaine de jeunes de l’Invisible, qui la lorgnaient comme un quartier de jambon? Elle avait la réponse : Blanche avait tout sacrifié pour elle. Elle mettait sa vie, son âme en jeu, pour la sortir de l’enfer.

Elle allait donc rester là, à suivre l’école, image même de la bonne élève –gothique-.

-Voici Silke, la présenta Svenn, sa gorge guérit par l’elfe psychopathe. Elle est arrivée hier.

Un vampire sortit des rangs, grand, blond, avec suffisamment de muscles pour disparaître derrière. De visage, il ressemblait énormément à Stefan, celui qui avait collé une raclée au loup cette nuit. Au moins son fils. Ça ce confirma très vite.

-Tu te laisses présenter par ce minable ? Oh, Silke, il va falloir que tu apprennes les bonnes manières, ma belle.

-Kurt... murmura une elfe.

-Ici, il n’est rien. Il n’a même plus de parents, alors que je suis membre de l’une des plus grandes familles d’Exil. Si tu as besoin de quelque chose, adresse-toi à moi.

Silke avisa l’assistance. Tous attendaient sa réaction, ne se gênant pas pour la détailler de la tête aux pieds. Le vampire paressait particulièrement satisfait, tandis que Svenn allait s’asseoir dans son coin, nullement affecté par sa diatribe. Oui. Elle allait venir à l’école.

-Je connais les bonnes manières, Kurt. Je vais t’énoncer l’une d’elle : quand on ressemble à un troll des montagnes, on a l’obligeance de ne pas en être fière.

Sur quoi elle se laissa tomber aux cotés du loup, les bras croisés. Le vampire eut un air si furieux qu’elle crut le voir exploser sur place. Il l’aurait d’ailleurs fait si, en cet instant, une belle femme n'avait pas fait son apparition. Sacrée ressemblance aussi. Au moins sa mère. Ah oui. Holly Damon, elle s’était présentée dans la maison d’accueil.

-Bonjour, jeunes gens, chantonna-t-elle, ses longs cheveux blonds battant son dos. Aujourd’hui, nous allons discuter de la politique elfique envers les nymphes. Prenez vos cahiers.

-Un cahier ?

-Attend, je t’en ai pris un.

Les autres élèves s’installèrent devant leurs petites tables, sans se gêner pour les épier. Svenn tira de son sac une espèce de livre vierge, accompagné d’un stylo, qu’il posa devant elle. En découvrant ce qu’on voulait lui faire faire, le sang de Silke parut se figer dans ses veines.

-Je dois écrire ? glapit-elle, sans oser toucher les deux objets.

Le loup haussa un sourcil.

-Hé bien… Oui.

Ça, elle ne l’avait pas vu venir. Holly commença son cours, son beau sourire illuminant l’espace. Il ne s’agissait pas réellement d’une salle de classe, en vérité. Plutôt un coin de gymnase, emménagé avec vue directe sur les tapis d’entraînement. On comprenait rapidement les priorités d’Exil, face à ce type d’organisation. D’ailleurs, Silke aurait préféré se trouver dans l’autre partie, plutôt que tétanisée sur sa chaise.

-Il y a un problème ? chuchota Svenn.

-Mademoiselle Silke ? s’enquit Holly, pointant par là toute l’attention sur elle. Que ce passe-t-il ?

Bah, pourquoi se cacher…

-Je ne sais pas écrire.

Silence… Puis Kurt le Troll en profita pour se venger.

-Et tu viens d’où, pour être aussi inculte ? railla-t-il.

-C’est vrai, ça, fit un démon du feu. D’ailleurs, à quelle espèce appartiens-tu ?

Plusieurs autres posèrent la question. Le loup, lui, fronçait les sourcils, attendant la réponse. Silke poussa un profond soupir. Elle allait passer dans la catégorie « paria », avant même d’avoir cogné ces faces de coincés.

-Je ne sais pas ce que je suis.

*

-Ça ne sert à rien de lui beugler dessus ! rugit Nergal, nez à nez avec Alastor.

-Ça me soulage, c’est déjà ça ! répondit ce dernier sur le même ton.

-Ha ouais !? Et moi, ça m’énerve ! Tu sais que je deviens violent, quand on me coupe en pleine érection !

Blanche, assise en tailleur sur le parquet du Hall de la Souffrance, observait les deux démons avec un grand intérêt. Oh, pas seulement parce qu’il était instructif de voir deux dominants se bouffer le nez. En dépit de son costume d’humain, il était clair que le Bourreau des Enfers était toujours aussi redoutable. Quant à Nergal… Elle ne put s’empêcher de se mordiller la lèvre inférieure. Sa paume la brûlait encore du contact de sa verge, ses halètements passionnés enchantaient toujours ses oreilles. A n’en pas douter, il devait être un amant exceptionnel.

-Vous ne deviez pas m’interroger ? lança-t-elle.

Les deux démons se tournèrent vers elle, vibrant d’une envie de meurtre. Heu…

-Justement, parlons-en ! rugit Alastor. Pourquoi des harpies sont-elles venues jusqu’ici, pour toi et Silke !?

-Et comment une lare peut-elle avoir de telles capacités de combats !? Vous êtes censé être inaptes à toute forme de violence !

Elle s’accorda quelque secondes, afin de les laisser reprendre leur souffle.

-Je vous l’ai dit : Silke était un sacrifice au Roi des Démons, que j’ai volé sous le nez de ses gardes. Quant au reste… Je suis morte guerrière, Nergal. On ne perd pas tout dans son assassinat.

Apparemment, ces réponses n'étaient pas suffisantes. Ils l’auraient probablement encore cuisiné, si le portable d’Alastor n’avait pas rugit dans sa poche. Il le tira avec un juron furieux, avant de répondre d’un grognement de mauvais aloi.

Nergal se passa une main sur le visage, à la recherche de son self-control. Il l’avait perdu depuis un bon moment déjà. Depuis, il cherchait à comprendre pourquoi il s’était jeté sur Blanche de cette façon. Ce n’était pas comme s’il était frustré sexuellement. Alors pourquoi c’était-il retrouvé dans cette situation ?

Il considéra la lare. Cette dernière ne se gêna pas pour en faire autant, l’air énigmatique. Face à son inspection en règle, couplé à la vue de son petit corps encore vivant de ses caresses, il eut toutes les peines du monde à ne pas la renverser sur le sol. Pourtant, elle n’était pas exceptionnellement belle. Jolie, mais Cassandra était plus sexy.

-Ça vient d’où ? demanda-t-elle en tapotant sa propre joue.

Le démon porta la main aux griffures, qui le défiguraient depuis tant d’années. Il ne les avait toujours pas oublié. Les siècles n’avaient pas apaisé sa souffrance, sa fureur à l’idée de rester marqué à vie de la main de son ennemi. Un ennemi bel et bien vivant.

-Lucifer, répondit-il, laconique. Il n’a pas apprécié ma démission.

C’était un euphémisme. La bataille, pour sortir du Château du Déchu, avait été mémorable. Sans l’aide d’Alastor, il n’était pas dit qu’il s’en serait sorti. Il sentait encore l’odeur du sang et de la mort, accompagné de la fureur du Justicier. Lucifer était un monstre, doté comme tous ceux de son espèce d’une redoutable puissance.

-Il n’a jamais été réputé pour sa compréhension, sourit Blanche. Tu as eu de la chance d’y échapper.

-Tu l’as déjà vu combattre ?

Il ne pouvait qu’en être étonné. Les lares étaient réputés pour être doux et soumis. Il n'y en avait jamais sur les champs de bataille. Mais d’un autre côté, il n’en avait jamais vu une capable de tuer des harpies sans sourciller.

-A vrai dire, il m’a tué.

-Quoi ?

-QUOI !? rugit Alastor au même moment, en broyant par inadvertance son téléphone portable.

Son pic de rage fit trembler tout le Hall de la Souffrance, allant jusqu’à faire rugir les flammes du brasero. Nergal se positionna devant Blanche, sourcils froncés. Si le sol ne s’était pas encore ouvert sous leurs pieds, c’était uniquement parce que l’endroit était prévu pour contenir la force du démon. Alastor piquait régulièrement des colères destructrices, mais il n’en avait plus connut des pareilles depuis longtemps. Que c’était-il donc dit au téléphone ?

Il n’eut pas à attendre longtemps pour le savoir.

-Phil a été retrouvé décapité, gronda sourdement le Bourreau.

-Mince…

L’espion avait été envoyé découvrir la raison des perturbations constatées depuis Exil. Le marché fonctionnait moins bien, rendant les comptes du village fragiles. A vrai dire, l’agitation d’Alastor de ces derniers jours disait clairement que les coffres étaient vides. En réaction, ils avaient cherché à savoir ce qui agitait l’Invisible.

-Ce n’est pas le pire. On l’a retrouvé avec des griffures similaires aux tiennes, Nergal.

Il croisa les yeux de vipères de son ami.

-Ce message t’est clairement adressé.

Impossible. Lucifer avait renoncé depuis longtemps à s’en prendre à Exil. Ils lui avaient infligés de violentes défaites, alors qu’ils ne comptaient dans leurs rangs que les deux démons, Cassandra et Barbatos. Alors pourquoi faire preuve d’une telle violence, maintenant, au moment où leurs effectifs étaient d’une centaine? Cela n’avait aucun sens.

-Attendez… fit Blanche, une note moqueuse au fond de la voix. Vous n’êtes pas au courant ?

Les regards se braquèrent de nouveau sur elle, ne lui faisant ni chaud ni froid. Bien au contraire, elle eut un sourire railleur, qui mit les nerfs de Nergal à vifs.

-De quoi, Blanche ?

-Je suis juste surprise…

-Ça s’appelle Exil, ma belle ! hurla presque Alastor. Nous sommes à l’écart de tout, alors accouche !

-C’est la guerre.

Nergal haussa les sourcils. Il y avait toujours une guerre, dans l’Invisible. Elles ne faisaient pas pour autant fluctuer les ventes d’artefacts. Qu’est-ce qui changeait, dans ce cas ?

-Entre qui et qui ? demanda le Bourreau, soupçonneux.

-Belzébuth a pris la place de Satan sur le trône des Enfers. La guerre civile déchire les démons.

*

Barbatos haïssait trois choses en ce monde : son prénom, celui qui l’en avait affublé, et rater ses missions. Pour les deux premiers, il ne pouvait plus faire grand-chose, puisqu’il avait été banni des cieux. Les anges étaient de sales susceptibles.

Alors, quand un ange déchu s’apercevait que son artefact, guetté depuis des semaines, n'était plus là, ça déménageait.

-Barbatos, mon amour, tu ne reviens pas au lit ?

L’ange se tourna vers son amante d’une nuit, déjà suffisamment séduite pour l’affubler d’un « mon amour » totalement creux. Oh, elle était belle. De longs cheveux roux, lui arrivant jusqu’à mi-cuisses, des yeux bleus… Tout ce que l’on cherchait chez une fée. Chez la Dame du Lac, notamment, gardienne d’Excalibur. Or, Barbatos avait pris son pied, mais ça ne compensait aucunement une perte de temps pareille.

Dans le cocon de la caverne sous le lac de la fée, il exécrait l’air humide. Ce qui, désormais, il pouvait laisser transparaître. Il lui avait fallu une semaine pour localiser le lac de Viviane, plus deux de plus pour la draguer au moment d’une de ses escapades terrestres !

-Tu peux me dire où se trouve Excalibur ? demanda-t-il sèchement.

-Quoi ? De quoi parles-tu ?

La dame paraissait particulièrement vexée. Ha, oui. Il était venu pour elle, sa beauté, son intelligence, et blablabi, et blablabla.

-Je ne plaisante pas ! rugit-il. Le temps presse ! Où as-tu caché Excalibur !?

-Ne hausse pas le ton contre la Dame du Lac ! Je pourrais t’exterminer d’un claquement de doigt !

Barbatos roula des yeux exaspérés. Juste en se réveillant de leur partie de sexe, il avait appris la nouvelle guerre entre Satan et le Roi des Mouches. Ainsi que la mort de Phil, un bon petit gars. Aussi n’était-il pas d’humeur à jouer dans la finesse.

-Je suis un ange, pauvre cloche ! Or, le déchu que je suis n’hésitera pas à t’écorcher vive pour te faire avouer !

Elle pâlit en reculant d’un pas. Finalement, elle se détourna, pour foncer à l’endroit où elle avait supposément caché l’épée. Non mais elle le prenait pour un crétin! Ha, non… Elle poussa un cri de rage en découvrant l’emplacement vide, sur une magnifique colonne de marbre gris.

-Qui !? Toi ! Sale traître ! beugla-t-elle.

-Ouais, ouais, c’est ça, fit-il en lui passant devant.

Il venait de repérer un mot. Tout en écoutant la fée vitupérer d’une oreille, il déplia le petit papier plié en quatre. Il sentait vaguement une accumulation d’énergie dans son dos, annonciatrice d’une grosse colère.

« J’ai besoin de cette lame pour ouvrir la panse de Lucifer. Signé : Hell Ferguson ».

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