Chapitre 18 : Un Jogging en Enfer

En arrivant à la Plaine de la Lave, Blanche et Nergal étaient toujours fâchés. Il lui en voulait de pas lui avoir avoué la vérité plus tôt, elle lui en voulait pour son étroitesse d’esprit. Résultat : Alastor les avait séparé comme deux gosses, gardant Nergal avec lui et refilant Blanche aux Ferguson.

Purée. Dans un sauvetage, elle n’avait vraiment pas besoin d’avoir l’esprit encombré par une dispute !

Surtout qu’en contre-bas, le chaos régnait en maître.

Les armées de Satan et de Belzébuth s'affrontaient, inondant le sol des Enfers du sang de leurs soldats. Des bruits de métal contre le métal, des hurlements d’agonies, de cris de guerre et de victoire retentissaient dans toute la Plaine, réveillant l'instinct de guerrier des compagnons de Blanche.

-Vous voyez la tente, là-bas ? cria-t-elle, pour couvrir le vacarme de la bataille. La blanche. C’est celle de Lucifer.

-Je m’en serais douté, grommela Nergal.

-Tu m’en vois ravie.

-Du calme, les enfants, intervint Alastor. Bon, nous nous en tenons au plan, d’accord ? Hell, je te rappel que le but du jeu, aujourd’hui, n’est pas de tuer Lucifer mais de récupérer Silke. Dès que c’est fait, nous retournons sur le champ en Exil. Je me suis bien fait comprendre ?

La belle Ferguson hocha la tête, grave. En dépit de toute sa colère sous-jacente, elle comprenait parfaitement que la vie d’une jeune fille était en jeu. Elle ne prendrait jamais le risque de mettre cette mission de sauvetage en péril.

-Sa tente fait la taille d’une petite maison. Le premier qui trouve Silke prévient les autres, c’est bien compris ? Celui qui agira en solo se fera botter l'arrière-train une fois à la maison.

Le Bourreau considéra ses maigres troupes, puis hocha du chef, satisfait. Il attrapa son heaume de cuir, garnit de deux cornes de boucs sur le front. Avec son armure articulée, il était impressionnant. Plus encore lorsqu’il fit apparaître sa hache à double tranchant.

-Bien. Allons montrer au Déchu ce qu’il en coûte, de toucher à un membre d’Exil !

En dix minutes, ils avaient atteint la lisière du campement de Lucifer. Par chance, les affrontements contre Satan monopolisaient l’attention des soldats vers l’avant. Aussi les rares gardes furent-ils exécutés sans problème.

Malheureusement, les choses se corsèrent dès l’approche de la tente du Déchu. Du fait de la présence d’une Némésis entre ces tentures, la sécurité avait été renforcé par des soldats d’élite.

-Alerte ! rugirent-ils, dès qu’ils les aperçurent.

Ce fut le début du carnage. Des dizaines de soldats apparurent de toute part, les cernant de leur nombre. Blanche poussa un juron étouffé, fort peu rassurée. Jusqu’à ce qu’Alastor, Nergal et les Fergusons ricanent doucement.

-Rendez-vous, au nom du Roi des Mouches !

-Hé, les gars ? fit Al, un grand sourire carnassier aux lèvres. Vous savez à qui vous parlez ?

-A des rebelles de Satan ! Sus à l’ennemi !

-En plus ils nous insultent !

Pris en étaux, ils se retrouvèrent à se battre sur tous les fronts. Assailli de toutes parts, ils n’auraient jamais pu tenir. Fergus et Hell auraient dû se transformer, mais ils avaient été clairs : s’ils le faisaient, ils risquaient de tuer Silke au passage. Alors, les choses auraient dû s’envenimer.

Mais Nergal avait tout prévu. Ses doubles jaillirent de derrière leurs ennemis, forts d’au moins une trentaine. Blanche aurait écarquillé les yeux de surprise, si elle n’avait pas dû plonger de côté pour éviter la lame d’un démon à tête de lézard.

-Pas touche ! rugit Cassandra.

Sa lame trancha net la gorge de l’attaquant, et elle releva Blanche sans ménagement. La lare gargouilla un remerciement, déçu par elle-même. Du temps de son vivant, elle n’aurait pas eu besoin d’aide. Fichue déchéance.

-Il y a une percée ! beugla Fergus. Svenn, tu es le plus près !

Le jeune loup ne se perdit pas en commentaires inutiles. Il fonça dans la brèche, tailladant au passage les démons. Puis la muraille d’élite se referma, les bloquant de nouveau dans leurs étaux. Bon sang ! songea Blanche. Ils ne pouvaient pas laisser Svenn seul ! Ils ne savaient même pas qui se trouvait à l’intérieur de la tente !

-Vous croyez vraiment que nous ne nous étions pas préparés à votre arrivée, misérables cloportes ?

Blanche poussa un hurlement en apercevant Moloch, dans le dos de Cassandra. La nymphe se retourna à son cri, mais il était trop tard. Le démon levait déjà son épée, prêt à lui ôter la vie. Prise dans son élan, la lare plongea en avant… Et percuta Moloch de plein fouet.

Ils roulèrent au sol, dans un concert de jurons furieux. Blanche reçut des coups, pourtant, elle ne lâcha pas prise. Pas avant d’avoir réussi son tour. Quand elle y parvint, le Prince du Pays des Larmes se redressa d’un bond, piqué par la douleur. Affalée sur le sol, elle le vit se tenir la poitrine, avant de pousser un cri. Son armure se resserrait autour de ses cotes, dans un crissement effroyable, lui broyant les os, blessant ses chairs et le compressant violemment.

Elle ne prit pas le temps d’assister à son agonie. Remise sur pied d’un bond, elle se découvrit de l’autre côté des soldats d’élites, toujours massés sur les soldats d’Exil. Au milieu de tout ça, elle croisa le regard de Nergal. De l’un des Nergals, au corps à corps avec tous ces démons.

-Vas-y ! rugit-il.

*

Cette tente est un maudit labyrinthe ! songea Svenn. Avec toutes ces tentures blanches, il n’avait aucun repère. Pas étonnant, qu’il n’y ait aucun garde, ici. Personne ne pouvait trouver sa route !

L’épée au poing, il avisa les alentours. Bon. Ce n’était pas le moment de faire dans la dentelle. Il se tourna droit vers le cœur du dédale, et d’un geste assuré, se mit à trancher le tissu. Avec un peu de chance, en allant tout droit, il atteindrait son objectif.

Il avait franchi quatre couloirs quand il aperçut une sorte de porte. La lumière mettait en valeur son cadre, signe que quelqu’un se trouvait là. Le cœur battant, il raffermit sa prise sur le pommeau de son épée. Par tous les dieux, faites que Silke soit là. Il ne supporterait pas de la laisser entre les mains de ce monstre !

Silencieux, il se plaqua contre le mur de toile, écarta le tissu de l’entrée… Et oublia de respirer. De toute les choses qu’il s’était préparé à voir, il ne s’était pas attendu à cela.

Lucifer, ce ne pouvait être que lui, était nu, la peau couverte de sueur. Près de lui gisait des chaînes aux menottes ouvertes, tachées de sang. A genoux, il jouait des hanches dans un concert de halètements, accompagnés de ceux de Silke. Les jambes nouées autour de sa taille, la jeune femme avait les joues rougies de plaisir, ses yeux mi-clos embués par des larmes.

L’esprit de Svenn s’embrouilla. Il resta comme bloqué, tandis qu’il croisait le regard de Silke. Elle parut se figer, une expression d’horreur se peignant sur ses traits. Au moment où Lucifer poussa un râle de jouissance, il remarqua l'arme dans la main de la Némésis. Submergé par le plaisir, le Déchu ne vit pas le coup venir. La dague s’enfonça profondément sous ses cotes, le prenant au dépourvu.

Silke le repoussa d’un coup sec, se redressa pour courir vers Svenn… Mais trébucha. Une de ses chevilles était toujours enchaînée, l’empêchant de sortir du lit. Horrifiée, elle se tourna vers le jeune loup, la bouche ouverte sur une supplique informulée.

Arraché brusquement de sa torpeur, il réagit enfin.

Se précipitant à l’intérieur, il eut tout juste le temps de rejoindre Silke. Fou de rage, Lucifer donna un violent coup de griffes à la jeune fille, dont écopa Svenn en s’interposant. Une douleur cuisante irradia dans son torse, ce qui ne l’empêcha pas de riposter. Son coup de pied percuta le ventre du Déchu, brisant au passage la poignée de la dague de verre. Ce dernier poussa un hurlement de rage en se dressant de toute sa hauteur, deux ailes d’un noir de jais apparaissant dans son dos. Le jeune loup regarda la mort en face, sans céder un pouce de terrain. Épée à la main, il s’apprêtait à plonger en avant…

… Quand Blanche surgit de nulle part. Elle détourna l’attention de tout le monde. Laissant à Lucifer le temps de reprendre. D’une puissante poussée d’aile, il décolla du sol, le ventre maculé de sang. Dans un rugissement animal, il perfora le plafond de la tente, libérant les lieux de sa présence.

-Tout va bien !? s’écria la lare en se précipitant vers eux.

-Non, balbutia Silke. Svenn vient de se faire griffer par Lucifer.

Entièrement nue, tremblante, la Némésis posa une main hésitante sur l’omoplate de Svenn. Ce dernier fronça les sourcils, encore secoué. Purée. Il avait survécu à Lucifer… Quoique… En croisant l’expression horrifiée de Blanche, il n’en fut plus aussi certain.

*

Nergal fut le premier à voir l'ascension de Lucifer dans les cieux, nimbé d’une fureur presque palpable. Svenn et Blanche étaient arrivés à temps. Sinon, l’ange déchu aurait brandi leur tête à bout de bras, en un ignoble trophée. Pour autant, cela n'augurait rien de bon.

-Alastor !

-Va chercher les gosses et Blanche ! On s’occupe de la retraite !

Parfait. S’ils pouvaient ne pas affronter Lucifer, ils avaient une chance de tous en réchapper. Son double le plus proche de la tente tourna les talons, pour s’y enfoncer. Il ne lui fallut pas longtemps remonter le chemin tracé au travers des tentures. Au bout de ce tunnel, il découvrit l’antre temporaire de Lucifer. Ce monstre aimait toujours autant le luxe, même en campagne militaire.

Mais ce qui le révolta le plus fut la vision de Silke, nue, une cheville entravée, à genoux près de Svenn. Inconscient, le loup arborait des plaies purulentes sur le torse. Blanche le nettoyait rapidement, les sourcils froncés par l’inquiétude.

-Nergal, murmura-t-elle. Il a été griffé par Lucifer.

Oh non… Cela expliquait l’état de ses blessures. Le Déchu, entre autres vices, se plaisait à plonger ses ongles dans un poison spécial. Juste pour être certain de se défendre, en toutes circonstances.

-Nous devons le ramener au plus vite.

Il passa un bras sous les genoux de Svenn, l’autre autour de ses épaules. Il pesait son poids, le bougre ! Pourtant, le démon le souleva sans problème, l'adrénaline courant à flot dans ses veines. Pendant ce temps, Blanche anima les chaînes de Silke. Elles s’ouvrirent d’elle-même, permettant à la Némésis de se couvrir d’un drap.

-Lucifer va certainement revenir, fit-elle. Nous allons devoir être rapide.

A l’extérieur, les autres étaient déjà prêts à partir.

-On se replie ! rugit Alastor.

Couverts par le Bourreau et les Ferguson, ils se mirent à courir, le plus vite possible. A un moment donné, Fergus intervint, pour prendre Silke en poids. Affaiblit, la jeune fille ne parvenait plus à suivre le rythme.

-Problème ! S'exclama Cassandra. Nous avons la moitié de l’armée à nos trousses !

-Ils ont laissé le gros des soldats de Satan à Rika ! cria Blanche. Ils vont nous rattraper !

-Alastor ! Prends la petite !

Silke passa dans d’autres bras. Déjà, ils avaient atteint la pente, menant à l’une des portes ouverte sur le plan terrestre. Étant trop nombreux, ils n’avaient d’autre choix que de passer par là. Ce qui, en l’occurrence, posait problème : ils avaient encore beaucoup de terrain à couvrir. Le chef des Ferguson s’arrêta soudain, faisant face aux soldats ivres de rage.

-Fergus ! cria Blanche. Tu ne peux pas les arrêter seul !

-Si, il le peut, rétorqua Hell en attrapant sa sœur par la main. Fais-lui confiance.

Ils arrivèrent en haut de la pente, quand un tremblement de terre les fit tous trébucher. Surpris, Nergal se retourna, pour découvrir avec stupeur de quoi il en retournait. Blanche planta ses ongles dans son épaule, trop médusée pour être toujours en colère.

Un dragon de plusieurs tonnes se tenait entre eux et l’armée de démons. D’un rouge flamboyant, il avait déployé ses immenses ailes, son rugissement raisonnant tel un coup de tonnerre.

-C’est ça, ton frère !? s’exclama le démon en se tournant vers Blanche.

Un dragon. Le chef du Clan des Ferguson était un fichu dragon ! Pas étonnant, qu’il ne frémisse pas face à une armée de démons ! Il se mit à cracher des flammes, causant des ravages dans les rangs de Lucifer. Au-dessus du brasier, une silhouette fendit les airs.

-Ce n’est pas le moment de s’extasier ! rugit Alastor. Lucifer arrive !

-La porte ! Foncez vers la porte, les filles !

Ils y étaient presque. Même s’ils n’étaient pas en sécurité de l’autre côté, au moins le monde des humains offrait-il moins de possibilité de meurtres de masse. Poussant un juron bien sentit, il entendit les battements d’ailes de Lucifer. Ils n’auraient pas le temps.

Bien décidé à sauver les autres, Nergal se dédoubla une nouvelle fois, laissant l’un de ses doubles courir avec Svenn dans les bras. Le deuxième pivota pour faire face à la menace. Quand il croisa le regard du Déchu, il ne put retenir un grondement de haine.

Il était temps de régler ses comptes.

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