45e jour de la saison du marteau 2448
Les étoiles n'étaient plus et la lune, rouge virant au doré, n'était que peu visible. Curieusement, quoiqu'en plein cœur d'été, le vent faible s'avéra assez froid pour percer au travers de la couverture en fourrure dans laquelle était enroulée Azéna. La jeune dragonnière fixa le lever des deux soleils. À ses côtés, son fidèle compagnon, Tyrath, utilisa ses ailes comme pare-vent. Les deux amis étaient assis sur le toit de l'académie d'Archlan depuis la fin de la journée. Ils avaient passé la nuit à discuter du combat contre Serfantor et Shalith, de Turion, de leur destin ainsi que du départ d'Azéna pour l'entièreté de la saison du soleil.
— Tu devrais profiter des derniers moments de la nuit pour dormir, conseilla Tyrath. Tu en auras grandement besoin pour le voyage.
— Je pourrai dormir sur ton dos, répliqua l'aéromancienne avec obstination.
— Nous en avons déjà discuté. Je déteste l'admettre, mais Turion a raison. Je te causerai plus de tort que de bien à Nothar. Où vas-tu cacher un dragon du peuple dans cette ville étroite ?
— Étroite ? Oh, je suppose maintenant que je suis habituée à Atgoren... Et, pour te répondre, je te cacherai dans la forêt...
— Tu sais très bien que les chasseurs de dragons se feront un plaisir de me dépouiller de chacune de mes écailles. Le Sang du Dragon est dangereux et actif en ce moment. Il faut être vigilant.
Azéna croisa les bras et enfouit la base de son visage dans le creux nouvellement formé. Elle savait bien qu'il ne devrait pas venir avec elle, mais il faisait partie d'elle à présent. Il était la personne qui comptait le plus pour elle avec Fayne.
— Nul besoin de cacher ton mécontentement, dit Tyrath avec un petit ricanement. Je sous-entends de ce comportement que tu n'as plus d'arguments et que je gagne.
— Tu vas me manquer, souffla Azéna d'une voix brisée. C'est tout.
Surpris, le drake détourna le regard en direction de sa dragonnière et tenta de croiser le sien, mais celle-ci refusa d'établir la connexion. Il se contenta de pousser sa tête avec son museau en signe de réconfort.
— Tout ira bien, lui assura-t-il avec douceur. On se reverra dans peu de temps.
Azéna retint ses larmes, mais ne s'empêcha pas d'enrouler l'une de ses pattes avant dans sa couverture afin de la cajoler.
— C'est long, une saison au complet, ronchonna-t-elle. Je me sens comme si je ne vais pas te voir pendant des lustres.
— Je sais. Je comprends parfaitement ce sentiment.
✦×✦
Les heures passèrent et la lune disparut, laissant place aux soleils dont les rayons puissants illuminèrent le paysage.
Azéna cacha ses yeux sensibles avec son bras.
— C'est officiellement la saison de l'accouplement ! s'excita Tyrath.
— Pouah ! Quel surnom disgracieux pour la saison du soleil, ronchonna l'adolescente.
— Et comment l'appellerais-tu dans ce cas ?
— Ummm... J'imagine que... la saison de l'amour.
— L'amour... Je me demande si je vais le rencontrer un jour.
— Vous les dragons, vous êtes toujours en train de parler d'accouplement, mais vous ne mentionnez jamais l'amour. C'est très étrange. En êtes-vous capable ? Enfin, de sentir ce sentiment romantique ?
— Je crois sincèrement que oui. Quelques dragons violets en parlaient et en raffolaient apparemment, mais les autres voyaient ce trait comme une faiblesse, comme une dépendance inutile. Peut-être que ce n'est tout simplement pas dans notre culture. Peut-être est-ce dans notre nature. Je ne sais pas.
— Difficile à dire, j'imagine.
Une tache rouge apparue dans le ciel et se dirigeait avec toute évidence vers eux.
Rendar ralentit et décrit un cercle autour des deux amis. Il les examina d'un œil suspicieux. En temps normal, il les aurait envoyés au grand maître afin qu'il les punisse, mais il se contenta de son observation et continua son chemin. Il rugit comme tous les matins mais cette fois, c'était aussi pour annoncer le dernier jour du cycle d'entrainement de cette année-là.
Azéna était maintenant habituée à ce terrible son. Elle suivit Rendar du regard alors qu'il rapetissa graduellement. Elle remarqua que l'imposant dragon rouge n'était plus aussi impressionnant depuis qu'elle avait vu Turion dans toute sa splendeur.
— Tu devrais aller préparer tes bagages, conseilla Tyrath.
Elle hocha la tête, démoralisée par son départ et sa séparation avec son partenaire écaillé.
— Où vas-tu aller ?
— Je ne serai pas bien loin. Je vais dire au revoir à mes amis qui partent avec leur dragonnier.
Azéna fit la moue, croisant les bras et fronçant un sourcil.
— Ne soit pas jalouse, petite chose, ricana Tyrath.
— Tsk, quoi ? Ils sont chanceux de suivre leur dragonnier. C'est tout. Et qu'est-ce que tu veux dire « petite chose » ?
Traînant la couverture avec elle, elle grimpa sur le dos du drake argenté qui ricanait. Elle jeta un coup d'œil en direction du nord. Nothar n'était nulle part en vue, mais elle savait qu'elle était là quelque part au-dessus de l'horizon. Un frisson parcourut son corps. La réaction n'échappa pas à Tyrath qui leva les yeux vers elle pendant un bref instant. Celui-ci ronronna doucement puis il déploya ses ailes et se laissa planer jusqu'à la fenêtre de la chambre de la jeune aéromancienne. Il s'accrocha au rebord et attendit qu'elle entre.
— Je serai bientôt dehors, informa Azéna.
Tyrath hocha la tête et s'envola en direction du Grand Nid, la laissant derrière. La Kindirah ferma la fenêtre pour empêcher l'air frais de pénétrer dans la chambre. Fayne s'étira avec paresse et ouvrit les yeux en bâillant. Elle aperçut son amie qui observait le ciel.
— Qu'est-ce que tu fais debout avant moi ?
— Je n'ai pas dormi, expliqua l'adolescente aux cheveux argentés et au regard d'un bleu azur.
Elle s'assit au bord du lit de Fayne. Cette dernière se déplaça afin de lui permettre un peu plus de confort. Inquiète, elle posa une main sur la jambe de sa chère amie.
— Ça va ? Tu me sembles anxieuse.
Azéna balbutie incompréhensiblement avant de pouvoir d'exprimer avec plus de confiance.
— Tu sais, la famille. Pour moi, ce n'est pas la joie. En plus de laisser Tyrath derrière... Ça me fait chier, bon.
— J'espère tellement que ce sera mieux pour toi. Peut-être qu'ils te respecteront enfin. Tu es une Gardienne d'Aerinda maintenant. Ce n'est pas rien.
— Tu sais très bien que Bayrne n'approuvera pas.
— C'est vraiment dommage. Mes parents sont si fiers de moi.
Elle fixa son regard noisette sur celui d'Azéna.
— Ce sera pareil pour toi. Ils célèbreront avec nous.
La Kindirah n'en doutait pas et elle adorait la famille Litfow. Ils étaient parmi les seuls à la traiter convenablement à Nothar. Elle se sentait comme si elle n'aurait pas survécu sans leur soutien. Elle démontrait toujours sa gratitude d'une façon moins qu'idéal : en volant des fortunés, soit de sa propre famille. Souvent, elle fut prise dans l'acte et fut soumise à des conséquences disciplinaires. Lorsqu'elle réussissait à délivrer l'offrande aux Litfow, ceux-ci la refusaient gentiment. Ils étaient trop bons pour ce monde et ils ne méritaient pas leurs misères.
— J'espère qu'il sera fier de moi, souffla Fayne après un long moment de silence.
Azéna savait de qui elle parlait. La pensée qu'elle allait devoir endurer de les voir se câliner lui donna des nausées. Elle n'avait pas encore digéré l'idée de leur union et elle refusait toujours de le faire. D'ailleurs, un détail important lui vint à l'esprit.
— Fayne, les dragonniers ne peuvent pas...
Elle se sentit trop mal pour compléter sa phrase. Elle était si irritée qu'elle éprouvait de la difficulté à se soucier des répercutions.
— Que fais-tu d'Eldarytzan et Nymia ? souligna la brunette. Il doit bien y avoir une échappatoire à la règle. Il suffit de demander au grand maître.
— Qu'attends-tu pour le lui demander alors ? questionna la rebelle avec rogne.
— Je désire attendre d'être plus respectée par les maîtres avant de déposer une telle requête. En tant qu'apprentie de première année, ce n'est pas sage. Je suis certaine que ce privilège n'est pas donné aisément.
— Bon, ça va.
Elle se dirigea vers sa garde-robe, énervée par, semblait-il, le monde entier. Elle ne voulait plus en entendre parler.
Les deux amies préparèrent leurs bagages en silence puis elles descendirent au rez-de-chaussée en compagnie de Teriondil et Arièlla. Contrairement à son habitude, l'elfe des bois se faisait bavard et était concentré sur le moment présent. C'était Azéna qui ne disait pas un mot ce matin-là. Trop de pensées sombres lui traversaient l'esprit.
— Ça va être bizarre sans vous, avoua Arièlla.
— Tu t'es attachée, taquina Fayne.
— Pas du tout, mais c'est un peu banal pendant les vacances.
— Tes parents doivent te tenir occupée, dit Teriondil. Ils ont du caractère en plus d'être dragonniers.
La Valkirel rigola à ces paroles, puis elle hocha de la tête en roulant les yeux. Elle remarqua ensuite qu'Azéna marchait devant eux et ne leur portait pas attention.
— Azéna, dit-elle en la rattrapant.
— Umm ?
— Je sais pas. Ton énergie est à terre. Tout va bien ?
— Mouais, mentit l'aéromancienne.
La demoiselle musclée ne semblait pas convaincue, mais elle haussa les épaules et abandonna la course.
— Par ici ! appela une voix féminine.
Le groupe d'amis leva le regard et aperçut Fiara. La maîtresse les salua d'un signe de la main puis elle continua de diriger les autres apprentis en direction de l'entrée principale.
— Rendez-vous dehors, je vous prie.
Tous se dépêchèrent à l'exception d'Azéna qui marcha d'une cadence lente et paresseuse. Elle laissa ses compagnons prendre de l'avance.
Éventuellement, elle arriva à destination. Engloutie dans la foule, elle passa devant deux gardes qui tenaient les grandes portes ouvertes. L'un d'eux, un elfe aux cheveux tressés la regarda avec méfiance tandis que son collègue humain lui offrit un sourire comme s'ils la connaissaient. Elle n'y prêta pas attention et continua son chemin.
Terenas donna un dernier discours dans le Grand Hall. Il se répéta maintes fois à propos de la fierté qu'il ressentait face aux apprentis. Ceux du cinquième cycle furent particulièrement célébrés en cause de l'achèvement de leur entrainement. Ils étaient maintenant des dragonniers accomplis. Azéna les enviait, mais cela enflamma sa motivation. Elle promit de se surpasser durant son prochain cycle.
Une fois la célébration terminée vint le temps du retour au bercail. Les apprentis se dirigèrent à l'extérieur pour rencontrer leur escorte, souvent leur famille.
Lorsqu'elle mit les pieds dehors, Azéna fut surprise par l'apparition soudaine de Tyrath. Il battit bruyamment des ailes sans se soucier s'il dérangeait les autres et atterrit.
— Prête pour le grand voyage ?
— Honnêtement... pas vraiment, avoua sa partenaire.
Celle-ci chercha sa famille du regard. Agacée, elle roula ses épaules endolories par le poids de ses multiples sacs, ses armes et ses armures.
Elle se sentit soudainement menacée. Instinctivement, elle tourna la tête vers la droite et leva le regard vers les murs protecteurs de l'académie.
— Qu'est-ce que c'est ?
— De quoi ? répondit Tyrath.
Il suivit le regard de l'adolescente et aperçut une silhouette humanoïde qui était accroupie sur le rebord des remparts. Celle-ci avait tout d'un homme à l'exception d'une paire d'ailes entrouvertes, une paire de cornes frontales arquées vers l'arrière ainsi qu'une longue queue qui dépassait du bas de son dos.
— Ce n'est pas un elfe ni un humain, dit Azéna. Qu'est-ce que c'est ?
— Je ne sais pas, avoua Tyrath, mais ne nous en préoccupons pas tant qu'il ne fait qu'observer. Peut-être est-ce un garde ou un allié de l'académie. J'imagine que grand maître Terenas est au courant de sa présence. Il est fortement possible que ce ne soit qu'une statue aussi. La créature ne semblait pas respirer.
L'archère avait le sentiment bizarre qu'elle était surveillée, comme si cet être était là pour elle en particulier. Par instinct, elle vérifia si l'Œil du Savoir était bel et bien toujours dans son sac à dos. Soulagée que la plume fût toujours là, elle l'empoigna et le garda dans une poche de son manteau à capuchon.
— Je n'en suis pas si sûr, murmura-t-elle avec méfiance.
— Ne t'en fais pas, dit Tyrath en évitant un apprenti court sur pattes qu'il n'avait pas vu approcher.
— Tu grandis.
— Oh, vous ne faites que rapetisser.
— Il va falloir te mesurer lors de la rentrée de l'an prochain.
— Je n'ai pas grandi tant que ça.
Les deux amis poussèrent un rire alors qu'ils traversèrent la muraille extérieure d'Archlan pour se retrouver dans la cour de l'académie où les parents et gardiens attendaient les apprentis. Plusieurs dragons s'y promenaient, soit en marchant ou en volant. Hauts dans le ciel, Rendar et Terenas patrouillaient silencieusement autour de la zone.
— Azéna ! s'écria Fayne. Tu as croisé Umah par hasard ?
— Umah ? Non. Pourquoi ?
— Je voulais lui dire au revoir.
La jolie Litfow disparut aussi rapidement qu'elle était apparue, Buhrik à ses trousses.
— Bizarre, dit le drake au regard violet.
— Très, agréa sa dragonnière. Mais, bon, Fayne est toujours pressée.
— Parce que tu la traînes dans tes retards.
— Ça, c'est son choix.
Tyrath ricana à sa manière, émettant un grognement étrange. Azéna aperçut ses parents adoptifs de l'autre côté de la cour puis tourna la tête. La silhouette suspicieuse avait disparu.
— Ce n'est donc pas une statue.
Tyrath jeta un coup d'œil à son tour et son les traits de son visage s'assombrirent.
— Viens, dit-il en hâtant sa cadence, s'éloignant.
Azéna obéit. Elle remarqua que les muscles de son compagnon étaient tendus. Il se dépêchait et sa respiration avait légèrement accéléré. Manifestement, il était inquiet. Quelque chose le stressait et elle en devina la cause.
— Qu'est-ce que cette créature, Tyrath ?
— Si tu l'as vue aussi, cela signifie que je ne suis pas victime d'illusions. C'est une créature extrêmement rare. Dangereuse, mortelle. Mais, on les croyait éteints, car, ils étaient si peu et, il y a plusieurs années, ils ont tout simplement disparu.
— Qu'est-ce qu'il veut ?
— Je n'en ai aucune idée. Mais, espérons que ça n'ait rien à voir avec nous.
— Et qu'il est un allié.
— Ça aussi.
Il regarda à nouveau là où s'était tenu la créature. Elle n'y était pas alors, il continua son chemin.
— Je n'aime pas ça du tout.
Le duo ne portait pas attention à où ils allaient.
Ainsi, Tyrath faillit heurter un garçon. Celui-ci ignora sa présence et se concentra sur Azéna. Il la sonda avec attention puis s'arrêta sur la plume qui dépassait de sa poche.
— Jolie plume, souffla Sérus.
Tyrath montra légèrement les crocs ce qui fit réagir les deux parents anxieux, mais pas la cible désirée.
— Dit à ton dragon de se tenir tranquille, ma sœur, dit-il avec froideur.
— Il a le droit de grogner après qui il veut, répliqua-t-elle. Ce n'est pas un animal domestique.
— Je croyais qu'ils entraînaient les dragons ici.
— Ils ont autant de droits que nous. Alors, on les traite avec le même respect.
Un sourire prétentieux se dessina sur les lèvres de Sérus. On dirait qu'il faisait exprès pour l'exagérer. Était-ce son désir d'être une merde totale ?
La queue de Tyrath fouetta le sol agressivement.
— N'es-tu pas heureux de revoir ta sœur, mon fils ? questionna Rivatha avec douceur.
Sérus ne répondit pas. Il continua de fixer Tyrath avec défiance.
— Montre un peu de dignité en face du public ! ordonna Bayrne à l'adolescente avec impatience. Tu es de sang noble. Comporte-toi comme je t'ai élevé.
— Quel bel accueil, dit Azéna avec sarcasme. Parlant d'accueil, tu n'es pas venu me chercher quand j'ai fugué ? Curieux. Cela a dû faire paraître la famille comme faible.
Seigneur Kindirah fronça les sourcils et plongea un regard autoritaire dans les yeux de sa fille adoptive.
— J'ai autre chose à faire que de courir après toi. J'ai un royaume à gouverner et à protéger.
Rivatha posa une main sur l'épaule de son époux dans l'espoir d'adoucir son humeur noire.
— En fait, c'est Argent qui t'a trouvé, expliqua-t-elle. Elle a supplié ton père et il l'a envoyé à ta recherche. Ensuite, jusqu'ici après de longues journées de recherche, nous sommes venus aux portes d'Atgoren. Ils nous ont assuré que tu étais en sécurité et bien traité, mais qu'ils ne pouvaient te laisser partir en plein entraînement.
Une série de souvenirs, la plupart joyeux, avec ses frères et sœurs, notamment avec Argent et Gendrel, défilèrent soudainement dans l'esprit d'Azéna. Elle devait avouer qu'elle les manquait énormément et ainsi, elle avait un peu plus hâte de retourner à Nothar.
— Argent a fait ça ? questionna-t-elle d'un ton adouci.
— Elle était morte d'inquiétude, continua Rivatha. Elle a chevauché pendant quelques saisons et a posé des questions à ton sujet à chaque personne qu'elle rencontrait.
— Alors qu'elle avait des devoirs en tant qu'adulte qui requérait son attention à Nothar, critiqua Bayrne avec sècheresse.
— C'est pour cela qu'elle n'est pas venue ? demanda Azéna.
Le seigneur demeura impassible comme s'il s'efforçait de contenir sa frustration tandis que sa femme soupira. Déçue de l'absence de sa grande sœur, leur fille continua en dégustant la rage de son père adoptif.
— Vous ont-ils expliqué ce qu'est d'être un dragonnier ?
— Bien sûr, confirma Rivatha.
Son époux n'en passait pas ravi. Il fixait Azéna, son visage subtilement empourpré.
— Femme ingrate ! explosa-t-il.
L'adolescente resta surprise ; son père l'avait souvent traité d'enfant, mais jamais de femme. Cela faisait du bon sens. Après tout, elle avait atteint la maturité à l'égard des daigorniens. Elle était incertaine de ce qu'elle ressentait par rapport à ce fait. Elle baisa les yeux sous la pression de la confusion.
Bayrne leva le menton de sa fille et leurs regards se croisèrent.
— Écoute-moi bien. J'avais de bonnes intentions en prenant une enfant qui n'est pas de mon sang et en lui donner mon nom. Voilà comment tu me remercies : en crachant sur ce nom et en offrant ta loyauté à un parfait inconnu.
Azéna savait bien qu'il parlait de Terenas. Un sujet de Daigorn, particulièrement une femme, ne pouvait pas renoncer ses services et sa loyauté à son royaume sans le consentement de son seigneur. Une telle action était considérée comme une insulte.
Mais elle n'avait pas eu grand choix dans l'affaire.
— Ne t'en fais pas, mon bon père, dit-elle avec sarcasme. Je garde mon nom de famille et mon héritage. Cependant, les Gardiens d'Aerinda passent avant le royaume. Ma loyauté demeure avec Terenas.
— C'est donc comme les rumeurs murmurent, grogna Bayrne.
— Quelles rumeurs ?
— Ces Gardiens d'Aerinda ne sont pas les honorables êtres qu'ils prétendent. De toute façon... Ce n'est pas important. Ton devoir t'attend à Nothar.
Ces réclamations étaient suspicieuses. Azéna ne savait pas si elle devait les croire ou pas, mais elle penchait sur le deuxième choix. Certes, les Gardiens n'étaient pas parfaits, mais elle se sentait généralement confortable parmi eux.
— Soit patient, mon amour, souffla Rivatha avec douceur. Attends pour un meilleur moment.
— D'accord, d'accord, grommela Bayrne.
— Non, dit Azéna. Je veux savoir. C'est quoi cette histoire de devoir ?
— Pas maintenant ! hurla-t-il sans cacher la moindre miette de sa rage.
Sérus se détendit, mais garda un air agacé. L'aéromancienne devina qu'il en avait assez de son père aussi et cela l'inquiétait grandement, car elle savait qu'il était violent et cruel au fond. Rivatha s'approcha doucement d'elle et la serra dans ses bras.
— J'avais tellement eu peur, dit-elle en sanglotant. Oh, pauvre Fayne. Dis-lui qu'elle n'a rien à craindre de nous. Elle s'est enfuie avec toi par crainte d'être accusée de trahison. C'est compréhensible. Elle est toujours la bienvenue parmi nous. Parlant de Fayne, où est-elle ? Habituellement, elle est toujours avec toi.
Azéna se sentit soudainement à la fois coupable et en sécurité. Elle adorait sa mère adoptive, car celle-ci la traitait comme une personne et non un objet avec un avenir écrit dans le roc. Lorsqu'elle l'a relâcha, elle remarqua qu'elle avait cessé de pleurer.
— Ça va aller, lui assura sa mère. Oh, tu as un peu grandi et... tu as pris du muscle, quelle guerrière. Et... oh ! Tes seins commencent enfin à se montrer. C'est bon signe ça, je m'inquiétais.
L'adolescente sentit ses joues s'empourprer généreusement et détourna le regard. Elle n'avait jamais été à l'aise avec le fait que les gens s'attendaient à ce qu'elle donne naissance un jour.
— Tu as toutes tes affaires ? demanda Bayrne avant même qu'elle ne puisse répliquer à Rivatha. Le chariot nous attend.
— Chariot ?
— Évidemment. Pour toi et ta mère. Moi et Sérus nous allons être à cheval.
Un sourire malicieux se dessina sur le visage d'Azéna. Elle se tourna vers Tyrath qui comprit immédiatement ce qu'elle voulait lui communiquer. Elle s'avérait trop obstinée pour obéir à son père et avait pris la décision d'emmener Tyrath avec elle qu'importent les conséquences. De plus, il pourrait l'aider à causer la pagaille de temps en temps.
— Azéna..., dit Bayrne avec un mélange de panique et d'autorité. Pas de ce dragon à Nothar. Nous n'avons pas le temps de jouer. Tu as atteint l'âge d'adulte et...
Sa voix se perdit dans le derrière de l'esprit d'Azéna qui n'écoutait plus. Elle refusait de partir sans dire au revoir à ses amis alors, elle s'installa la selle sur Tyrath. De plus, elle ne pouvait pas laisser Fayne derrière.
— Que mijotes-tu !? demanda le seigneur avec colère. On part.
— Partez si vous le voulez, calice. Tyrath peut rattraper votre chariot avec aise. En plus, avec vos grandes bannières violet et blanc, vous ne serez pas difficile à trouver.
Le jeune dragon déploya ses ailes dans toute leur splendeur.
— Attends un instant, jeune femme disgracieuse ! ordonna Bayrne. On prend la peine de venir te chercher et c'est ainsi que tu nous remercies ? Avec de la rébellion !?
— À toi de rendre ce jugement, défia Azéna.
— Fais attention à ce que tu demandes.
— Azéna, supplia Rivatha des yeux.
Tyrath s'élança et fendit le ciel à une vitesse fulgurante. Il rugit en passant entre les pattes du gigantesque Rendar. Celui-ci grogna, mécontent et visiblement agacé par le comportement enfantin du drake gris. Il jeta un coup d'œil en direction de son cavalier qui riait avec amusement. Il soupira et une bouffée de fumée sortit de ses naseaux.
Tyrath continua son chemin en s'amusant à éviter les autres dragons en effectuant des manœuvres artistiques en plein vol. À sa droite, Buhrik et Fayne prirent place. Au même instant, Ella et Teriondil firent de même, mais du côté gauche. En dessous, une dragonne aux écailles cramoisies cracha du feu en signe de défiance.
— Une dernière course avant de se séparer, proposa Arièlla en souriant avec malice.
— Avec joie ! s'exclama Tyrath.
— Pourquoi ça ne m'étonne pas ? se lamenta Fayne.
Les trois autres dragons filèrent, laissant Buhrik derrière. Celui-ci sourit et leva les yeux vers sa cavalière.
— Accroche-toi.
Fayne n'eut pas le temps de réagir. Le mâle bleu avait déjà gagné beaucoup de vitesse en battant furieusement des ailes. Elle hurla, se baissa et se cramponna à la selle.
— Tu vas trop vite ! s'écria-t-elle, complètement apeurée.
Elle ferma les yeux, incapable de ménager sa peur.
— Tu dois apprendre à vaincre cette peur des hauteurs, répliqua Buhrik. Elle nous handicape grandement. De plus, je m'amuse un peu.
— Une course ! s'exclama Azéna.
— Nooonnn, pleurnicha la brunette.
— Ouiii ! répliqua Arièlla, prête au défi.
Ils firent le tour de l'académie à quelques reprises.
— C'est encore nous qui avons gagné ! acclama Azéna.
— En effet, agréa Tyrath. Mais, c'est Teriondil et Ella qui possèdent le plus de facilité en maîtrise élémentaire, Arièlla et Harath qui sont les plus redoutables physiquement tandis que Buhrik et Fayne sont ont les plus rapides d'esprit et qui sont les plus sages.
— Chacun possède sa force unique.
— Je vois déjà un potentiel d'équipe ici.
— On verra l'an prochain. Pour l'instant, je crois que tu devrais rattraper un certain chariot.
— Je suis d'accord.
— Prête à partir, Fayne et Buhrik ?
— Alors, ce chenapan vient avec toi, dit Buhrik en parlant de Tyrath avec un petit sourire.
— Oh que oui, répliqua Azéna avec solidarité.
— J'avoue qu'on devrait partir, informa Fayne.
Les dragons se posèrent pour laisser leurs dragonniers se dirent au revoir sur la terre ferme. Arièlla et Azéna se serrèrent la main, le regard pétillant puis, sans avertissement, cette dernière donna une petite poussée à la blonde comme pour lui lancer un défi.
— L'année prochaine, avertit la Valkirel, tu ne vas pas t'en sortir si aisément.
— Je ferai de mon mieux pour te donner une raclée au skotar, répondit Azéna, souriant largement.
Teriondil leur donna un câlin à tous et leur offrit des fleurs du crépuscule, mais ils refusèrent poliment. Comme à son habitude, il ne comprit pas pourquoi ses amis réagissaient si mal à ces fleurs.
— Vous voilà enfin ! s'écria une voix forte, mais usée par l'âge.
Ils se retournèrent tous vers la source de la voix et aperçurent une vieille femme accompagnée par une créature bipède écaillée qui faisait près de la moitié de la hauteur d'un adulte humain.
— Leith ! appela Azéna.
— Et Shirah, continua Fayne.
Celle-ci prit quelques instants pour aller cajoler la troxxe.
— Tu as tellement grandi. Tu seras bientôt prête pour porter un cavalier adulte.
Shirah se mit à ronronner alors que Fayne lui grattait le menton. Azéna, de son côté, prit plaisir à discuter avec la guérisseuse.
— Je voulais tout simplement vous dire au revoir, expliqua Leith en s'appuyant sur son bâton. Faites bien attention à vous. Des gens douteux rôdent dans les parages.
— J'ai remarqué, répondit Azéna en visualisant la silhouette ailée dans son esprit.
— Quelque chose ne va pas ?
— Récemment, j'ai un mauvais pressentiment qui ne cesse de revenir.
— Moi aussi. Alors, sois prudente en retournant à Nothar. Je prévois de te revoir pour ta deuxième année en un morceau.
— Bien sûr. J'ai Fayne et deux dragons avec moi. Je suis assez bien protégée.
Elle se tourna vers la demoiselle en question.
— Ah oui, j'oubliais... Tu n'as rien à craindre. Tu peux rentrer chez toi. Mes parents comprennent ta situation et te pardonnent. Enfin... Mon père te pardonne... Tu sais bien que ma mère s'en fout et qu'elle t'adore.
Le sourire de Fayne lui fit chaud au cœur. Elle était heureuse que tout se soit bien terminé, et ce bien qu'elle ne fût toujours pas d'accord en ce qui concernait les plans d'unir elle et Sérus.
— Ne fais rien d'impulsif, grommela Leith. Vous êtes encore jeunes et avez beaucoup à apprendre.
— Je veillerai sur elle, promit Fayne en faisant un clin d'œil en direction d'Azéna. Elle est parfois idiote, mais ça devrait bien aller.
— Ça va, grogna son amie en la fixant avec défiance. Tsk, je ne suis pas une enfant.
Leith regarda les deux adolescentes avec intérêt. Elle n'avait pas prononcé un mot à ce sujet ce qui réjouissait la concernée.
Les deux amies la saluèrent puis enfourchèrent leur dragon. Ceux-ci ouvrirent leurs ailes et se préparèrent à l'envol.
— Bon voyage et gardez les yeux ouverts, conseilla Arièlla. Et, n'oubliez pas de vous entraîner quotidiennement pour garder votre forme physique et soyez toujours prêtes pour quoi que ce soit !
— Tsk. On dirait une mère, ronchonna Azéna.
— Azéna ne soit pas si grossière alors qu'on part pour si longtemps, gronda Fayne.
À son tour, Teriondil grimpa sur le dos d'Ella et se fabriqua des rênes en herbes entortillées. Il s'inclina brièvement.
— Soyez toujours près de vos sentiments.
— Que vos chasses soient fructueuses et que vos proies se recroquevillent devant votre puissance, souhaita Ella.
La dragonne verte secoua la tête. Les multiples ornements rudimentaires accrochés à ses cornes s'entrechoquèrent, émettant des cliquetis.
Tyrath et Buhrik se regardèrent avec innocence puis s'élevèrent vers le ciel en direction du nord. Ella suivit, mais vira vers le nord-ouest. Les dragonniers se firent signe de la main alors qu'ils disparurent dans le ciel qui s'assombrissait rapidement.
— Pas trop froid ? demanda Buhrik à Fayne ainsi qu'à Azéna.
— Ça ira, répliquèrent-elles.
Lorsqu'ils passèrent devant l'académie d'Isriss, ils furent distraits par un dragonnier a fière allure sur sa monture : une énorme dragonne blanche. Vigoth les salua d'un mouvement gracieux et sourit amicalement. Son regard croisa la plume violette il afficha une expression malicieuse.
Perchée sur le toit d'une tour, Karia roula les yeux alors que Tyrath bomba le torse en tentant de l'impressionner encore une fois. Le jeune dragon gris faillit foncer dans un drapeau qui ondulait dans le vent, l'évitant de justesse. Vigoth ne put s'empêcher de rire. Karia secoua la tête, exaspérée des comportements de Tyrath et de son dragonnier.
— Fais un peu attention, grommela Azéna sur un ton à moitié sérieuse, à moitié amusée.
— Désolé, s'excusa Tyrath. Elle est jolie.
— J'avoue. C'est une belle dragonne, mais elle est bien trop vieille pour toi. En plus, c'est la partenaire d'un grand maître.
Tyrath leva l'index et afficha une expression sage, lui donnant un air qui ressemblait étrangement à Buhrik.
— Un jour, tu verras bien. Il ne faut pas perdre espoir.
— Rêve toujours, dit la rebelle en lui tapotant l'épaule.
— Je savais que tu n'allais pas laisser Tyrath en arrière, dit Fayne.
Un large sourire se dessina sur les lèvres d'Azéna. Alors qu'ils quittèrent la protection d'Atgoren, tous admirèrent le paysage. La nuit commençait à tomber.
— Au moins, continua l'herboriste en contemplant les étoiles, nous n'aurons pas à marcher comme la première fois.
Azéna ne l'écouta pas. Elle était trop occupée à scruter la forêt à côté de laquelle ils passaient.
— Azéna ? appela Fayne.
L'aéromancienne ne réagit pas.
— Tu le sens, toi aussi ? demanda Tyrath.
— Oui, répondit sa dragonnière. Il est là, quelque part. Il nous observe.
Perchée sur une branche branlante, une silhouette humanoïde aux traits reptiliens suivait les deux dragons et leurs dragonnières du regard. Dissimulé dans la pénombre, on ne voyait que ses yeux dorés à la pupille ronde qui scintillaient.
Il resta immobile jusqu'à ce que ses cibles d'intérêts ne soient plus que des points noirs qui disparaissaient au loin. Il agrippa la branche sur laquelle il était installé de ses deux mains. Il entrouvrit la bouche et poussa un petit grognement.
Il se laissa tomber dans le vide. Dans sa chute, il ouvrit les ailes et se laissa planer paresseusement vers le nord en direction de Nothar.
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