39 - Un thé et une porte

26e jour de la saison du marteau 2448

Le stress était tombé. Azéna pouvait enfin respirer à son aise. Le temps s'était écoulé si rapidement qu'elle n'avait pas remarqué le léger changement de teinte dans le ciel qui annonçait la venue de la nuit.

— Tu es une fonceuse, complimenta Serfantor.

— Qu'en sais-tu ? répliqua la Kindirah avec agressivité. Honnêtement, je m'en fous. J'ai des choses plus importantes qui me préoccupent.

Elle se dirigea vers Tyrath d'un pas pressé. Le dragon l'accueillit en frôlant son museau contre son visage tel un félin.

— Comment se porte-t-il ? demanda-t-elle à Fayne.

L'herboriste appliquait la même crème que Leith utilisait sur les plaies du drake.

— D'après moi, il n'a rien de grave, dit-elle avec un petit sourire. Il devrait tout de même se reposer. Cependant, Shalith est dans un piteux état. Elle a besoin des soins de Leith. C'est bien au-dessus de mon savoir.

Tyrath ignora sa condition et s'attarda à d'autres inquiétudes.

— Ça va, Zé ? Tu ne sembles pas heureuse d'avoir prouvé ta supériorité.

Il se redressa et gonfla sa poitrine, tout fier. Sa dragonnière ne semblait pas autant enthousiaste que lui. Elle se sentait siphonnée de son énergie.

— Contrairement à certains, ricana Fayne en zieutant Arièlla.

Cette dernière était aussi excitée qu'un paysan à qui on avait offert un sac de pièces d'or tandis que les autres souriaient tout simplement.

Lythrana, rayonnante, attendait que son élève réclame son prix. Mais, Azéna ne réagit pas et fixa le vide.

Pendant ce temps, Fayne avait approché Harath en lui demandant de chauffer la lame de son bâton à blanc. Puis, elle revint à Tyrath.

— Tu as cinq secondes pour te préparer à ce que je cautérise tes plaies avec ça, avertit-elle en pointant la lame qui rougeoyait.

— Ah non, se lamenta le drake. Je vais guérir, ne t'en fais pas. De toute façon, nous devons célébrer ! Regarde-moi...

Il s'interrompit avec un glapissement plaintif. Fayne avait posé la lame sur son cou qui cessa enfin de saigner.

— Tu es cruelle, ronchonna-t-il en se laissant faire à contrecœur.

L'herboriste examina son travail et, satisfaite, elle passa à la plaie suivante : celle sur son épaule. Encore une fois, le drake se lamenta.

— Tu aurais pu mourir, spécialement de la morsure sur ton cou, monsieur ! gronda-t-elle avec sécheresse. Tu es chanceux que Shalith a des petites canines. Si elle avait été du vol gris comme toi, elle aurait probablement atteint une artère et là, tu aurais saigné au bout de sa vie, car je n'aurais pas pu te soigner avec l'équipement rudimentaire et l'expérience limitée que j'ai.

Sans hésiter et sans avertissement, elle s'attaqua à la deuxième épaule avec une expression faciale presque amusée, un peu comme si elle voulait faire souffrir son patient.

— Noon ! hurla Tyrath au travers d'un hurlement de douleur. Cesse, par pitié ! Je me rends !

— Ne laisse jamais ton cou exposé à l'ennemi comme ça, rogna l'adolescente en le pointant sévèrement du doigt.

Déconcentrée par tout le chahut de ses amis, Azéna ne se rendit pas compte que Serfantor était derrière elle. Tyrath grogna silencieusement à cette approche.

— Je peux te parler ? demanda l'elfe gris.

La rebelle sursauta légèrement.

— Oui ?

— Ta performance était impressionnante et je dois avouer que tu as du potentiel. Il est tout simplement enfoui sous cette carapace dont je ne connais pas la raison d'existence.

— De quelle carapace parles-tu ? demanda-t-elle en croisant les bras avec irritabilité.

Il sourit, manifestement amusé par les mots de l'aéromancienne.

— Présente-toi à l'épreuve d'essai de skotar l'an prochain. On verra si tu seras de taille pour devenir une Sombrelame.

— Réponds à ma question ! hurla son interlocutrice.

Il l'ignora, demeurant impassible.

— Shalith a besoin des soins d'un guérisseur, informa Fayne en guise de l'umbrancien. Tu devrais aller voir Leith avec elle. Ces blessures sont trop sévères pour moi.

Celui-ci se dirigea vers la dragonne noire, n'accordant plus d'intérêt à quoique soit d'autre.

— Partons, Shalith, dit-il avec une douceur surprenante.

Il lui offrit une caresse au museau et attendit qu'elle se lève.

— Merci de ton aide, Fayne, dit-il à l'herboriste.

Lui et Shalith partirent en marchant en direction de l'écurie en laissant des traces de sang ici et là dans leur sillage.

— Es-tu toujours blessé ? demanda Azéna à Tyrath.

— Je t'ai dit que je vais bien, lui rappela-t-il. Tu sembles préoccupée, distraite.

— Je vais bien.

— Mmm...

Les autres apprentis et dragons s'approchèrent à leur tour. Arièlla donna une tape amicale sur l'épaule de la victorieuse.

— Belle performance ! Tu y as presque laissé ta peau.

Elle recula et laissa la place à Lythrana qui soutenait la plume sur ses deux paumes ouvertes.

— Voici l'Œil du Savoir, dit-elle en la remettant à Azéna. Elle est à toi.

La Kindirah sentit une vague de soulagement traverser son corps. Elle avait sincèrement eu peur de perdre Turion.

Je suis là, souffla le dragon violet sur un ton rassurant. Je t'ai regardé et je suis fier de toi. Tu as fait le bon choix.

Azéna ne répondit pas. Elle se sentait plus puissante, mais aussi plus indigne de ce pouvoir. Elle avait presque perdu le contrôle d'elle-même, de ses émotions. Était-ce le poison dont Turion parlait ? La colère... elle lui avait toujours été susceptible. Personne ne semblait s'en rendre compte sauf lui. Elle avait failli enlever une vie. Elle ne s'était jamais rendue si loin et ça lui faisait peur.

— Hé ! Qu'est-ce que Serfantor t'a dit ? questionna Lythrana.

L'archère la fixa dans les yeux, brièvement imprégnée de confusion.

— Il m'a tout simplement conseillé d'aller à l'épreuve d'essai de skotar de l'an prochain.

— C'est rare qu'il complimente. Prends-le bien, alors.

Azéna baissa le regard.

— Tu serais probablement extrêmement douée, continua Lythrana avec un sourire au coin des lèvres. Toi et Tyrath ensemble.

La Kindirah ne réagit pas. Sa tête la faisait affreusement souffrir. Elle était épuisée mentalement et physiquement. Fayne l'agrippa par le bras et la guida vers Tyrath.

— Allez, va prendre du repos. Les examens finaux approchent en fin de saison du marteau.

— Ça nous donne une demi-saison, dit Azéna. J'ai amplement de temps pour me reposer. Allons plutôt nous chercher du bon chocolat chaud et allons relaxer devant le foyer dans la salle commune.

Teriondil passa ses bras autour d'elles.

— Excellente idée, approuva-t-il avec un grand sourire innocent. Je serai reconnaissante pour un bon thé.

— Pourquoi bois-tu toujours ce thé ? questionna Fayne.

— Il y a un ingrédient spécial dedans et le goût est raffiné.

— Quel est cet ingrédient spécial ?

— De simples fleurs du crépuscule égrenées. Rien de grandiose.

— Ils n'offrent pas ça à l'académie, se choqua Arièlla, prise aux dépourvues par cette révélation. Où te le procures-tu ?

— J'emporte ma propre réserve de chez mes parents.

Ils le regardèrent tous avec des yeux écarquillés et avec raison. Azéna avait entendu parler de ces fameuses fleurs du crépuscule. C'était illégal en Daigorn, car, apparemment, ça alternait l'état mental des gens et ils n'étaient plus eux-mêmes. On racontait que c'était dangereux et illicite.

— Quoi ? demanda Teriondil. Vous n'avez pas ça chez vous ?

— Si tu fais affaire avec le marché de l'Anguille Sifflante, oui, informa Fayne avec une expression qui en disait long sur son opinion de la chose.

— Le marché des filous ? Tu ne veux pas dire le marché noir, pas vrai ?

Il semblait sincèrement surpris par toutes ces informations.

— Tu dois voir des trucs pas corrects, dit Arièlla, encore sous le choc.

— Voir ? Je ne vois pas. Je ressens.

— Tu... ressens ?

Ella qui avait observé la scène depuis le début en silence, roula les yeux et pouffa de rire.

— C'est bien comme vous les elfes des bois. N'essaie pas de le comprendre, Arièlla.

✦×✦

45e jour de la saison du marteau 2447

— Nous allons être en retard pour l'examen !

— Quoi ?

Azéna ressentit une secousse assez violente pour interrompre son sommeil.

— Nous n'avons pas le temps, Azéna ! supplia la même personne, celle-ci féminine.

La jeune Kindirah se leva enfin. Elle s'attendait à se retrouver face à face avec la colère de Fayne comme presque tout matin. À la place, un gigantesque dragon violet se trouvait devant elle. Il la fixait avec un mélange bizarre de sagesse et de rage. Ses ailes étaient déployées dans toute leur splendeur comme s'il tentait de l'intimider. Incertaine de comment réagir, elle déglutit, les yeux écarquillés.

— Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qui se passe ?

Le majestueux wyrm lui transperça l'âme de son regard. Il grogna dans un souffle chaud. Ses dents étaient vieilles et sales, mais toujours solides et tranchantes. Son haleine était insupportable, mais Azéna refusait de détourner la tête par respect, car un tel âge signifiait qu'il était puissant et important. Provoquer son impatience aurait été une erreur des plus stupides.

— Turion ? devina-t-elle.

Le dragon renifla, analysant les odeurs autour d'eux. On dirait qu'il cherchait quelque chose.

Azéna fit quelques pas en arrière. Était-ce vraiment Turion ? Il paraissait en piteux état et si vieux, contrairement à ce qu'elle avait aperçu durant ses souvenirs.

— Turion, qu'est-ce qui se passe ? Où sommes-nous ?

Soudainement, il tourna la tête. Au loin, quelques silhouettes se détachèrent du fond d'encre. Quelques-unes étaient humanoïdes tandis que le reste était draconique. Elles demeurèrent là, immobiles et flottants comme des esprits. Qui étaient-ils ? Était-ce la demoiselle qui avait appelé Azéna plus tôt ?

L'adolescente remarqua alors que les yeux du wyrm étaient anormalement pâles comme s'il était en transe.

Il les ferma lentement.

— Trouve qui tu es, gronda sa puissante voix. Suis ton cœur, tes valeurs ainsi que tes désirs les plus profonds et sincères.

— Pourquoi me dis-tu cela ? demanda-t-elle, maintenant légèrement alarmée.

— Je peux voir loin dans ton âme. Plus creux que tu ne le pourras sans temps et travail. Mais, ce que je vois est très important.

— Dis-moi ce que tu vois.

— Il te faudra le trouver par toi-même.

Son entourage devint flou. On n'y voyait plus que des mélanges de teintes qui ne faisaient aucun sens. La tache violette qu'était Turion disparut, engouffrée par les autres couleurs. La scène n'était maintenant plus qu'un tourbillon chaotique.

— Turion ! appela Azéna.

Elle le chercha du regard. Elle tourna en rond dans le labyrinthe de couleurs.

Après un moment de tourmente, elle sentit une présence à proximité. Derrière elle. Elle tourna les talons puis un nuage violet la frappa en plein fouet comme si elle venait d'entrer en elle. Son corps devint soudainement frêle. Elle ne put lutter contre une telle puissance alors, elle tomba dans un gouffre sans fin.

Elle ouvrit les yeux et se retrouva dans sa chambre sur son lit. Les couvertures avaient toutes été tirées au sol. Fayne la fixait avec inquiétude depuis la porte entrouverte, ce qui suggéra qu'elle était sur le point de partir.

— Ça va ? demanda-t-elle.

— Je crois, répliqua Azéna en se levant. Où vas-tu ?

— C'est notre examen final. Je te suggère de te dépêcher. J'ai essayé de te réveiller. Je suis désolée. Tu agissais étrangement. Je ne sais pas quelle sorte de rêve tu avais, mais c'était différent. Dépêche-toi. Je ne peux pas t'attendre.

C'était donc elle qui l'avait appelé plus tôt. Cela soulagea la rebelle qui avait cru qu'elle perdait la raison.

— Attends ! Où dois-je me rendre ?

— La Chambre des Duels.

Sur ce, elle disparut en hâte derrière la porte, son bâton à double lame en main et son uniforme d'apprenti dragonnier comme habit.

Azéna prit un bon moment à réaliser ce qui se passait. Était-ce véritablement un rêve ? Elle n'en était pas certaine. Ce dont elle était certaine était ce que Turion avait dit était important et qu'elle était en retard à son examen. Elle se prépara et se dépêcha à la chambre des duels.

À la porte gigantesque, Nymia Valkirel, revêtue de son armure lourde, l'accueillit avec un regard sévère. Sa longue chevelure blonde cendrée cascadait le long d'une cape cramoisie. Si elle avait été armée, elle aurait été prête pour une guerre, semblait-il.

Légèrement intimidée, Azéna garda la tête haute et les épaules droites en prétendant ne pas l'être.

— Vous êtes en retard, Apprentie Kindirah, dit-elle machinalement.

— Je sais. Pardon.

Aucune parole de plus ne fut échangée.

La gardienne ouvrit la porte avec lenteur ce qui donna l'impression à Azéna de voir le monde au ralenti. Cette dernière jugea bon de ne pas tester sa patience et entra avec hâte.

À l'intérieur, une dizaine d'apprentis faisaient la queue. Ils attendaient leur tour pour approcher le grand maître qui se trouvait devant eux. Fayne, Teriondil et Arièlla n'étaient pas présents. Ils devaient déjà avoir complété leur test.

— Par ici, murmura une voix sinistre.

Azéna sursauta. Elle dut lutter contre ses réflexes pour ne pas frapper l'homme qui lui avait parlé.

— Reaginn.

Le maître du donjon fronça les sourcils avec mécontentement.

— Maître Ruvior, se corrigea l'archère.

— Nous sommes nerveuses à ce que je vois.

Azéna ne répondit pas. Elle savait qu'il avait raison.

— Tu n'étais pas présente lorsque j'ai expliqué la procédure et tu me ferais perdre du temps précieux si je me répète, ajouta-t-il. Alors, il va falloir remédier à cela.

Il sourit légèrement, tel un chasseur satisfait de son intimidation sur une proie.

— Par ici.

Il l'entraîna au début de la ligne, coupant devant les autres, et lui avisa de rester en place avec un simple regard autoritaire. Il détourna son attention vers Terenas qui semblait beaucoup plus serein que lui.

— Une retardataire.

— Je vois, répliqua le grand maître avec neutralité. Un retard peut s'avérer grave, parfois mortel.

— Apparemment, Apprentie Kindirah n'y comprend toujours rien à ce principe de base. Je suggère donc...

Terenas leva la main pour l'interrompre. Ensuite, il fit une pause afin d'observer Azéna avant de poursuivre.

— Je t'assigne la porte de la mort afin que tu comprennes que parfois une erreur banale peut t'amener à la fin de ta vie.

Il pointa une porte en bois sombre, endommagée par le feu et au contour recouvert de crânes. Une dizaine d'autres, tous différentes, avaient été posées devant le mur du fond et celle d'Azéna se trouvait en plein centre. Elles portaient toutes un thème unique.

— Les retardataires n'ont pas le luxe du choix, dit Reaginn d'un air irritable. Qu'une seule autre personne a choisi cette porte. Sois heureuse et considère-toi comme particulière comme tu sembles si obstiné à vouloir le démontrer.

Azéna aurait voulu le cogner, mais elle se contenta de le foudroyer du regard en serrant les poings. Bien évidemment, il ignora sa réaction.

— Alors, vas-y. C'est toi la prochaine.

Elle serra la mâchoire. Elle était autant en colère après lui qu'elle-même. Elle s'avança, la tête haute et de la rogne au cœur. Elle allait tous leur montrer qu'elle pouvait surpasser ce test sans difficulté.

Simultanément, la frêle Naëshirie fit son apparition de derrière la porte aux allures sinistres. Elle paraissait en bon état physiquement, quoiqu'un peu ébranlée mentalement. Elle souriait, semblant satisfaite de sa performance.

Ça ne peut pas être si pire que ça, songea la Kindirah qui laissa sa confiance dominer sa crainte.

Elles se croisèrent. Azéna ne lui accorda pas d'attention, fixée sur son objectif, défiant la porte du regard.

— B-bon succès, souffla la demoiselle au regard d'un vert céladon.

— Tsk ! T'en fais pas pour moi.

Elle passa ses mains derrière sa tête dans une tentative de paraitre confiante. Elle refusait de donner satisfaction à Reaginn. Naëshirie lui sourit et chemina jusqu'à la sortie.

La porte de la mort dégageait une aura étrangement familière, mais aussi froide. Anxieuse, Azéna entra, luttant contre son instinct qui lui ordonnait de rebrousser le chemin.

La porte grinça puis claqua derrière elle. Il était impossible de reculer à présent.

Une odeur humide envahit ses sens ce qui la fit grimacer. Elle identifia un corridor étroit, des torches qui n'éclairaient presque pas et une cellule au fond du couloir.

Une voix sinistre résonna comme si elle était dans une caverne.

— Approche si tu veux sortir d'ici.

Sortir. Oui. Azéna tourna les talons et tenta d'ouvrir la porte, mais elle était verrouillée. La voix ricana.

— Chercherais-tu pour la clef par hasard ?

Azéna tourna la tête et dans la cellule, elle y aperçut un coffre. Sans savoir pourquoi, elle savait qu'il n'était pas verrouillé et que la clef s'y trouvait. Elle déglutit, rassembla son courage et courut jusqu'à la cellule, poussa la porte entrouverte, ouvrit le coffre et y ramassa une vieille clef en bronze.

C'était trop facile. Quelque chose n'allait pas.

Alors qu'elle toucha l'objet, un vent glacial balaya l'endroit sinistre et la lumière diminua instantanément. Elle s'immobilisa et regarda dans tous les sens, mais il n'y avait rien. Son cœur commença à battre plus intensément.

Des spectres, informa Turion. Utilise ton élément pour te défendre.

Sur le coup, Azéna fut soulagée qu'elle eût pensé à emporter la plume de Turion avec elle.

De toute façon, je n'ai même pas d'arme. Sainte Aspérule, qu'est-ce que je ferais sans toi ?

Grâce à Arièlla, elle savait comment vaincre un spectre. Ce n'était pas un problème. Elle prit une grande respiration comme lui avait enseigné Nikala.

— Bien sûr, ronchonna-t-elle faiblement. C'est la porte de Reaginn. Tout fait du sens. Il fallait que ça tombe sur moi.

Puisqu'elle ne pouvait pas créer de vent, elle chercha pour un courant d'air, mais il n'y en avait aucun. Cet endroit était complètement renfermé.

Essai la fenêtre, conseilla Turion.

Azéna leva les yeux et aperçut ce qui était bel et bien une fenêtre. Celle-ci était endommagée et ancienne ce qui lui permit de la casser avec aise.

Dehors, le vent était déchaîné. Son souffle fit danser la chevelure argentée d'Azéna à son rythme. Un drapeau déchiré ondoya sous la pression des brises puis il fut emporté au loin. Quelque chose n'était pas logique. Cette fenêtre n'était pas présente lorsqu'elle avait examiné la salle plus tôt. Prise aux dépourvues, elle décida de demander conseil à Turion :

Pourquoi n'ai-je pas vu cette fenêtre avant ?

Parce qu'elle n'existait pas. Cet endroit est enchanté.

Pourquoi ça ne m'étonne pas ? grogna-t-elle avec sarcasme. Bien sûr... Tabarnack, Reaginn !

Concentre-toi à la tâche.

L'adolescente roula les yeux et obéit.

L'endroit était maintenant beaucoup mieux éclairé grâce aux rayons des soleils qui perçaient au travers de la fenêtre brisée. Azéna aperçut deux spectres qui approchaient doucement en lévitant dans toute leur monstruosité spectaculaire. Ils étaient aussi dégoûtants que le premier qu'elle avait rencontré. Maintenant qu'elle avait plus d'expérience en contrôle du vent, elle se sentait de taille à leur faire face.

— Facile. Ça commence à être vieux cette ruse, Reaginn ! s'exclama-t-elle comme si elle s'attendait qu'il l'entendrait.

Le spectre de gauche disparue sous ses yeux, mais elle ne se laissa pas distraire. Elle emmagasina du vent dans la paume de sa main et forma une sphère qu'elle lança. Son énergie baissa drastiquement comme si on le lui avait siphonné. Ses pensées devinrent incohérentes. Il manquait des passages et des souvenirs. Rien ne se connectait. Un frisson parcourut son corps puis elle réussit à se concentrer. Elle écouta son instinct et elle fit volte-face pour se retrouver face à face avec le deuxième spectre.

— Comment !?

Elle tomba à genoux. Ses forces la quittaient. Têtue, elle se concentra du mieux qu'elle le put et forma une sphère de vent virevoltante qui secoua sa chevelure. Lorsqu'elle eut accompli sa tâche, elle soutint son corps à l'aide de sa main libre pour ne pas tomber. Accroupie, elle grogna et se donna une poussée afin de se relever. Elle attaqua. La sphère bleu-gris atteignit sa cible en plein visage. Le spectre disparu en hurlant. Azéna tomba à nouveau sur ses genoux et la fenêtre disparue. L'obscurité triompha alors que toutes les sources de lumière se dissipèrent à l'exception des faibles flammes des torches.

— Tu oses défier la puissance de Sparrhien ! tonna une voix glaciale.

Il est différent... Cours ! hurla Turion avec panique. Ne négocie pas. Sors !

Azéna obéit. Elle concentra tous ses efforts afin de bouger son corps endolori. Alors qu'elle ouvrit la porte, les torches s'éteignirent et un gigantesque spectre qui brillait d'un halo vert apparut dans le corridor. Les mains du mort-vivant cherchaient à l'empoigner, mais elle sortit à temps et claqua la porte derrière elle.

Elle s'écrasa immédiatement au sol, sa respiration labourée et lourde. Une paire de bottes en cuir sombre envahit son champ de vision. Elle leva le regard et aperçut Reaginn qui la toisait, ses bras croisés. Il la fixait d'un air sévère.

— Tu as la clef squelettique ?

— La... quoi ?

Il pointa l'objet qu'elle tenait comme si sa vie en dépendait. C'était la vielle clef en bronze. Elle avait été faite à partir d'os tellement sales qu'ils avaient une teinte brune. Azéna ne put retenir une grimace de dégoût et la rendit à son propriétaire.

— Tu as passé ton examen, dit Reaginn. Retourne te coucher. Tu en as visiblement besoin. Demain, tu repars chez toi pour la pause de l'été. Profite de ta famille parce qu'une fois que tu es une dragonnière accomplie, tu n'auras plus ce luxe.

Azéna était sous le choc, incapable de complètement comprendre les paroles de Reaginn. Retourner chez ses parents était pour elle presque un cauchemar. Elle se leva et repensa à cet horrible spectre géant.

— Veuillez me suivre, continua l'adulte en guidant son interlocutrice jusqu'à la sortie.

— Qui est Sparrhien ?

Le maître s'arrêta brusquement. Son expression faciale se transforma, passant de neutre à fasciner.

— Comme ça, tu as provoqué la colère du Seigneur des spectres. Je me demandais ce qui se passait là-dedans. Ça semblait... turbulent.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'ai-je fait ?

— Je ne m'attendais pas à ce que tu te débarrasses des deux spectres, seulement que tu les évites. L'un d'entre eux était le fils de Sparrhien. C'est sûrement celui que tu as blessé.

Il paraissait tellement calme à propos de la situation qu'Azéna en fut encore plus choquée. Son irritable voix mielleuse causa quelque chose dans son esprit à craquer. Elle était sur le point de perdre son sang-froid.

— Pourquoi l'avoir mis contre moi au risque que j'attire la colère du Seigneur des spectres !? aboya-t-elle

— J'aurai cru que tu aurais tout simplement couru à la porte. Prends l'exemple de Naëshirie. Elle a totalement gardé son calme. Ne saute pas à des actions drastiques sans réfléchir.

— Bon, je fais quoi avec tout cela, ein ? rogna-t-elle en tapant du poids avec impatience.

— Je vais apaiser Sparrhien. Ne t'inquiète pas.

Puis, il se dirigea vers la porte ténébreuse et y entra, laissant Azéna à ses pensées turbulentes. Celle-ci prit une grande inspiration et expira lentement dans l'espoir de contrôler sa rage imminente. Tout ce qui importait c'était qu'elle avait enfin termina sa première année d'entraînement. Elle était prête pour la deuxième, mais pas pour le retour au bercail.

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