36 - Le Festival du Miracle
22e jour de la saison de la naissance 2448
Ce matin-là, Azéna eut le luxe de se prélasser au lit aussi longtemps qu'elle le désirait puisque c'était un jour férié en raison du festival. D'après le maire d'Atgoren, il n'y avait rien de plus important que de célébrer Noktow et Elysia. Cet homme jovial n'était pas un dragonnier, mais il agissait comme s'il en était un. Son dévouement à son peuple incluant les dragons résidants était solide. Onni était son prénom. La jeune dragonnière ne l'avait jamais rencontré en personne, mais d'après l'histoire d'Atgoren, sa famille avait participé à la fondation de celle-ci.
Lorsque les deux soleils étaient bien haut dans le ciel clair, le sommeil de l'archère fut interrompu par des acclamations heureuses. Elle ouvrit un œil paresseux et aperçut Fayne qui était accotée au bord de la fenêtre ouverte. Celle-ci portait une tenue décontractée, soit une chemise blanche et une jupe bleu foncé qui cascadait jusqu'à ses chevilles. Elle avait l'allure de la fille d'un modeste marchand et ça lui allait très bien. Comme toujours, elle ne se séparait jamais de son pendentif et avait opté pour se coiffer les cheveux en une tresse. Elle était déjà préparée à la journée.
— Tu devrais voir ça, dit-elle alors qu'elle se rendit compte que son amie était éveillée. Les citoyens et les dragons travaillent avec ardeur à la préparation du festival.
Azéna s'étira, enfila des sous-vêtements et des pantalons noirs et alla y jeter un coup d'œil. À son arrivée, Fayne émit un petit rire en l'observant.
— Quoi ? questionna la Kindirah, soudainement gênée.
— Oh rien, répondit sa colocataire de chambre. Tu es beaucoup plus à l'aise avec moi, c'est tout.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Regarde toi. Tu es à moitié nue et auparavant, tu ne pouvais même pas te changer sans être complètement dissimulée sous tes couvertures.
— Bah, je profite de la chaleur des rayons des soleils, ronchonna Azéna qui savait très bien qu'elle avait raison. Ils sont enfin assez puissants pour que je sois à l'aise ainsi. Il était temps. J'étais écœurée de l'hiver.
— Si tu le dis. D'ailleurs, tu as perdu du poids. Tu es déjà une structure légère. Assure-toi de bien t'alimenter, d'accord ?
Craignant qu'elle perdait ses culottes sans le savoir, l'aéromancienne serra sa ceinture au prochain trou et se concentra sur la scène à l'extérieur pour éviter cette conversation. En effet, à cette hauteur, on pouvait distinguer des humanoïdes et des dragons qui s'acharnaient à la décoration de la cité. Si loin, ils paraissaient miniatures. Ils travaillent en harmonie ce qui n'était pas surprenant, car la culture ici était différente de celle de Nothar. Cela apportait de la joie dans le cœur d'Azéna.
— C'est tellement paisible, souffla-t-elle.
Fayne acquiesça et pointa du doigt en direction de deux dragons qui survolaient la rue principale en laissant tomber des pétales de fleurs mauve et violette dans leur sillage.
— Trop bien !
— Ça va être amusant ! déclara Azéna.
Un coup de vent froid la fit frissonner.
— Finalement, c'est peut-être encore un peu trop froid pour cet habit révélateur, avoua-t-elle.
Elle enfila une tunique à manches longues et rabattit le capuchon sur sa tête en laissant des mèches de sa chevelure argentée dépasser. Elle s'observa dans la glace et remarqua que son torse était en effet plus sculpté, ayant moins de gras pour dissimuler les muscles. Elle se dit que Fayne avait raison et qu'elle devrait prendre un peu de poids.
— Je vais m'assurer de dévorer mes multiples repas ce soir, promit-elle à son amie.
— De multiples repas ? répliqua la brunette avec suspicion. Ne te rends pas malade quand même.
— Mais non, mais non, lui assura Azéna en faisant signe de la main qu'elle rejetait ses paroles. Ce défi n'est rien d'inquiétant.
La Litfow roula les yeux et se mit à l'examiner avec attention, plus particulièrement sa chevelure.
— J'y crois pas, tes cheveux sont encore en parfaite condition. Je ne comprends pas... Pourtant, tu dors dans les positions les plus étranges...
L'archère détecta une menace cachée entre les lignes des paroles de son amie. Cette dernière cherchait à la coiffer pour lui donner une allure plus féminine.
— Je sais où tu veux en venir et c'est non, répliqua la rebelle en croisant les bras. Je sais bien qu'aujourd'hui il y a une occasion spéciale, mais je préférais garder ma coupe naturelle.
— C'est comme tu veux. Tu es jolie comme tu es.
Azéna grommela en tentant de dissimuler qu'elle fût embarrassée par le compliment. Elle tourna le regard, évitant le sourire chaleureux de sa compagnonne.
✦×✦
En raison du festival, le souper traditionnel fut remplacé par un encas léger qui était principalement composé de petits fruits, de légumes crus et de pain. Les apprentis comme le personnel attendaient pour que Terenas fasse son discours pour en suite de joindre aux autres pour le Festival du Miracle.
Assise avec ses amis, Azéna se délectait des baies qu'elle trempait dans une sauce aux fraises.
— Bon, je t'avais bien dit que ce n'était pas si mauvais que ce que tu prétendais, rouspéta Fayne.
La bouche pleine, la Kindirah répliqua dans un marmonnement incompréhensible. Elle avala avec difficulté et se reprit :
— Je tiens ma parole alors, tu vois, je mange.
— Je vois ça. Ralenti sinon, tu vas t'étouffer.
Azéna se prépara à riposter, mais un éclat dans le coin de sa vision attira son attention.
S'avançant vers eux, Arièlla faisait fière allure.
Elle était originaire d'Atgoren donc, c'était naturel qu'elle participe au festival à fond. Exactement comme la plupart des citoyens, elle portait une robe aux manches larges de couleur mauve et avec un dragon aux écailles violet foncé. Ce dernier était entouré de sphères. Chacune d'entre elles représentait un des éléments. Le tout était brodé sur l'arrière de la robe. Ses cheveux avaient soigneusement été peignés de sorte que le côté droit longeait son cuir chevelu, épinglé vers l'arrière. De surcroît, contrairement à son habitude, elle portait du maquillage, quoique minime. Il n'y avait que du crayon noir pour démarquer ses yeux ce qui lui donnait une allure à la fois féroce et féminine. Bien sûr, ce changement radical fit tourner plusieurs têtes alors que la blonde passait entre les tables des apprentis du premier et du deuxième cycle.
— Woah ! Ari ! s'exclama Azéna. Tu portes ce festival près de ton cœur.
Arièlla prit place à côté d'elle et lui lança un regard peu impressionné.
— Et toi, tu fais très garçon manqué comme à ton habitude, dit-elle d'un ton lassé.
Intriguée par la robe, Azéna se leva et se positionna derrière la pyromancienne pour examiner le dragon sur son dos.
— C'est vraiment génial ce concept ! s'émerveilla-t-elle bruyamment. Il faut que tu me présentes à ton couturier. Il ou elle pourrait me fabriquer une cape épique et...
Soudainement, une douleur aiguë à sa joue vint lui arracha un glapissement. Les yeux larmoyants, elle se laissa emporter par une force qui la tirait à son siège. Une fois assise, elle se frotta la joue frénétiquement et remarqua Fayne qui était debout à côté d'elle.
— Mais, c'était quoi ce...
— Cesse de te comporter comme une gamine ! lui ordonna sèchement la brunette. Baisse le ton. Terenas va bientôt débuter son discours. Tu fais preuve d'impolitesse.
— Merci, Fayne, dit Arièlla alors que celle-ci empoigna un morceau de céleri qu'elle trempa dans la sauce à l'ail.
Azéna grommela et retourna à ses baies. Elle était à court de mots à dire.
Éventuellement, Terenas termina son encas et se leva de table en demandant le silence. Il portait la même robe festive qu'Arièlla, sauf qu'elle était légèrement plus masculin et plus lousse.
— Le maire Onni nous a avisés que le Festival du Miracle sera entamé à précisément six heures ce soir ce qui est sous peu. Ainsi, vous avez le choix entre rester dans l'académie à faire comme bon vous semble ou à vous rendre au centre-ville pour les festivités. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le festival, voici une brève explication de cette tradition.
« Je suis certain que vous connaissez au moins l'un des huit festivals saisonniers. Sinon, je vais vous expliquer. À chaque milieu de saison, soit les jours du vingt-deux et du vingt-trois, l'énergie spirituelle de celle-ci atteint son apogée. C'est pourquoi la couleur de la lune luit avec ardeur durant ces nuits et aussi cela explique pourquoi l'élément correspondant à cette saison atteint une puissance anormale durant ces quarante-huit heures. Une cité spécifique est chargée d'organiser l'un des festivals.
« Atgoren est responsable du Festival du Miracle. Ce festival représente l'élément de la vie qui appartient aux dragons dieux, soit les dragons du vol draconique violet. D'où provient cet élément mystérieux quoique si puissant ? Des divinités. C'est là le plus grand cadeau de Noktow et Elysia qu'un être peut recevoir tout en demeurant mortel.
« Nous fêtons cet élément, ces dragons majestueux ainsi que les deux divinités majeures pendant le Festival du Miracle ! Soyez fier que notre merveilleuse cité soit l'hôte de cette fête, car c'est le plus important d'entre eux ! À présent, allez vous amuser.
Il hésita pendant un bref instant, puis il leva la main pour attirer l'attention de son audience pour une deuxième fois.
— J'allais oublier, continua-t-il en souriant joyeusement. Le couvre-feu n'est pas en place ce soir. Cependant, je vous rappelle que quitter la ville est toujours déconseillée et qu'il y aura des gardes qui patrouillera les murs et les entrées.
Aussitôt qu'il fit signe à son audience de disposer, Azéna se dirigea vers l'entrée principale de l'académie. Derrière elle, Vorshiènn suivit de Renora qui le tirait par la cape dans la direction opposée, s'approchaient de Fayne, de Teriondil et d'Arièlla.
— Hé ! Dépêchez-vous ! jappa la rebelle.
Aucun d'entre eux ne lui prêta la moindre attention.
Arièlla s'était arrêtée pour écouter Vorshiènn. Plus le jeune homme parlait, plus le visage de la blonde se crispait. Soudainement, elle lui donna un coup de poing au ventre et il tomba à genoux en tentant de retrouver son souffle.
Intriguée, Azéna s'approcha de la scène.
— Féroce. Qu'est-ce qu'il voulait ?
— Un rencard, répliqua la Valkirel en continuant son chemin, imperturbable par ce qui est arrivé.
— Qu'est-ce qu'un rencard si ton partenaire perd sa liberté en chemin ? se demanda Teriondil sur un ton rêveur.
— Ce n'est même pas ça. Vorshiènn est un idiot sans honneur qui ne peut même pas tenir sa parole.
— Il a juré sur le pacte des dragonniers, siffla Fayne.
— Exactement, agréa Arièlla. Pas de rencard, pas d'amourette, pas d'enfants.
— Tu sais, nous n'avons aussi pas le droit de nous blesser les uns les autres, remarqua Azéna.
— Oh, ne t'en fais pas. Techniquement, il était entrain de briser sa promesse donc, j'avais le droit de le traiter comme un moins que rien.
L'archère cligna des yeux plusieurs fois pour s'assurer qu'elle avait bien compris la réplique de son amie.
— Tu es une amazone ! acclama-t-elle.
Elle devint soudainement sérieuse à la venue d'une pensée contrariante.
— Hé, Ari, qu'en est-il de tes parents ? Ils sont... Enfin, je veux dire...
— Je ne pourrai pas te répondre, dit la blonde avec une touche de tristesse.
— Pourquoi ?
— Parce que personne n'a éclairci ce dilemme pour moi.
Azéna avait le pressentiment que Fayne allait la gronder pour son manque de tact. À sa grande joie, celle-ci la laissa tranquille.
Le groupe suivit le flux d'apprentis qui traversèrent l'enceinte de l'académie. Plusieurs dragons affluèrent à leur dragonnier, incluant Tyrath qui vint saluer sa partenaire en reniflant affectueusement sa chevelure.
— Tu as passé une bonne journée ? rigola celle-ci en lui grattant le dessous du museau.
— Mmm, mouais, répliqua-t-il mollement. C'était bien décontracté aujourd'hui. J'ai passé la journée avec ma mère adoptive. Nous avons chassé le daim.
— Ça a bien été alors ?
— Elle affirme que j'ai encore besoin de beaucoup de pratique et que je suis trop impatient. Je dois faire moins de bruit, détendre mes muscles et ma respiration. C'est difficile, car le frisson de la chasse est accablant.
— C'est normal, répondit Ella qui s'était posée à côté de Teriondil. Tu es un prédateur, pas un mouton. Cet instinct est en toi pour une raison très valide, tu dois t'en servir. Observe bien ton environnement et utilise-le à ton avantage.
— Pourvu que tu songes à une stratégie avant de frapper, conseilla Buhrik.
Celui-ci salua Fayne en présentant son front devant elle. L'herboriste serra sa longue tête écaillée de ses deux bras.
Un instant plus tard, un coup de vent puissant fit danser la chevelure du groupe. Harath ne faisait preuve d'aucune douceur dans tout ce qu'elle faisait. Elle feula en direction d'un dragonneau qui était passé entre ses pattes et qui s'élança au cœur de la foule. Elle n'avait décidément aucune patiente aussi.
— Au festival ! s'exclama Azéna en pointant vers le centre-ville où la foule se dirigeait.
Les chemins étaient illuminés par des centaines de lanternes mauves ou violettes en papier qui étaient accrochées sur des cordes qui les longeaient.
La nuit tombante, la seule autre source de lumière était la pleine lune qui luisait entourée d'étoiles. Le centre-ville était animé de gens qui attendaient l'ouverture officielle du festival en discutant et en se réjouissant des brochettes de viandes et de légumes, du poisson frit saupoudré d'épices fraîches ou encore des friandises colorées. Beaucoup d'entre eux portaient une robe similaire à celle d'Arièlla et de Terenas.
Quelques dragons avec les écailles peinturées de symboles étranges se pavanaient en essayant d'attirer l'attention sur eux. Il y avait des boutiques et des tables un peu partout où des marchands qui vendaient soit de la nourriture ou des bibelots correspondants au thème du festival étaient occupés à faire affaire avec des clients potentiels.
— C'est impressionnant, s'émerveilla Azéna, impressionnée par les résultats des efforts du maire, des citoyens et des dragons qui avaient participé à la préparation du festival. Je n'ai jamais rien vu de pareil. Je comprends pourquoi le Festival du Miracle est le plus populaire et le plus reconnu.
Il y avait tant de gens que c'était difficile de se faufiler pour se rendre à un endroit spécifique et la demoiselle avait déniché un kiosque qui vendait de fines nouilles immergées dans une soupe en compagnie de tranches de porc, de gousses d'ail, de champignons shiitakés et du sommet vert de cébettes. Elle ne pouvait résister à l'arôme suave de ce délice.
— Tu crois que...
Elle était si gênée par ses propres pensées que sa voix s'éteint prématurément. Elle devait avouer qu'elle avait un appétit de loup et qu'elle espérait mettre ses pattes sur ces plats attrayants.
— Si. C'est gratuit, confirma Arièlla. L'un des objectifs de ce festival est que les participants soient le plus détendus possible. Alors, il n'est pas question de monnaie sauf pour les souvenirs.
— C'est trop génial. Tu en veux, dis ?
— Non, ça va.
— Bah, tant pis pour toi !
Elle réussit à se rendre au kiosque et commanda une dizaine de bols dont trois pour elle, cinq pour Tyrath, un pour Fayne et un pour Teriondil.
— C'est bon de te voir si enthousiaste, ria doucement la Litfow en acceptant le bol.
Après l'ouverture de la cérémonie, le groupe d'amis alla s'installer près d'un arbre solitaire qui était entouré de décorations festives. Installé dos contre la patte de Tyrath, Azéna se mit à dévorer son troisième bol de nouilles quand une petite créature volante et lumineuse atterrit sur son nez, interrompant sa première bouchée.
— Une luciole ! s'exclama Teriondil soudainement pétillant d'énergie. C'est peut-être un signe envoyé par la petite Valka. Elle adore les créatures mignonnes. Elle est probablement satisfaite du festival, car il célèbre Elysia, sa personne préférée au monde.
Azéna n'en était pas convaincue, mais elle appréciait néanmoins la beauté de l'insecte et sourit largement. À cette motion, la luciole s'envola et s'éleva en tournoyant dans la nuit pour éventuellement disparaître dans les étoiles.
Joyeux Festival du miracle, Turion, songea-t-elle en fixant la lune violette.
À toi aussi, répliqua Turion de sa voix à la fois réconfortante et fière.
Comment tu te sens ?
Tellement bien. Je me sens comme si je suis un être entier.
Tu es un être entier, même sans corps physique.
Elle aperçut une multitude de lucioles qui se dispersèrent aux alentours d'elle et son groupe. Certaines d'entre elles semblaient attirées par la luminosité des lanternes en papier. Elle commença à manger son ramen et prit tout simplement plaisir à l'instant présent.
Un peu plus tard, alors qu'elle discutait avec ces compagnons autour d'un petit feu qu'avaient préparé Harath et Tyrath, elle fut distraite par deux individus qu'elle n'avait pas eu la chance de voir depuis quelques saisons.
Grand maître Vigoth et la belle forgeronne Melanh'tash Vlèkhamnan se promenaient ensemble, suivis de Nymia et d'Eldarytzan. Ils semblaient tous heureux, même un peu trop.
Suspicieuse, Azéna les examina attentivement et remarqua une bouteille dans la main droite de Mel. Cette dernière sirota le liquide alors que Vigoth lui accorda un regard un peu trop intense à son goût.
— Mais arrête un peu, ronchonna-t-elle d'une voix instable. Tu ne vois pas que je veux tout simplement...
Elle s'arrêta soudainement à la vue du kiosque d'un boulanger qui offrait des baguettes de pain encore tièdes aux passants. Hypnotisée par l'arôme délicieux, elle s'y dirigea d'une cadence saccadée d'ivrogne. Elle n'aperçut pas Vigoth qui avait tenté de lui offrir une petite fleur aux pétales blanche qu'il avait cueillie d'un buisson à proximité alors qu'elle ne lui portait pas attention. Celui-ci haussa les épaules nonchalamment en signe d'abandon et la suivit.
De leur côté, Nymia et Eldarytzan ne se préoccupaient pas trop des sottises de leurs compagnons et discutaient en se baladant main dans la main. D'ailleurs, ils portaient une robe festive presque identique à celle de leur fille ainsi qu'une lourde cape pour les garder au chaud durant ce temps frisquet. Azéna trouvait cet habit étrange sur eux, car elle était habituée à leur professionnalisme à l'académie.
— Hé ! Tes parents, mentionna-t-elle à Arièlla. Ils semblent rayonner le bonheur.
— Tant mieux, répliqua la blonde en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule en direction de ses parents. Ils avaient besoin de se détendre. La tension à la maison est insupportable.
Son interlocutrice faillit lancer une blague concernant leur sexualité pour rendre Arièlla inconfortable, mais elle fut vite interrompue.
Un gamin turbulent fila près d'Eldarytzan et Nymia en hurlant :
— Il est presque neuf heures ! Il est presque temps ! Venez contempler le beau Ranzier et la gracieuse Astra dans leur coopération pour réaliser une danse très spéciale en cette soirée !
Il continua de répéter son annonce alors qu'il se faufilait entre les gens.
— Ummm, marmonna Azéna avec intérêt. Une danse ?
— Il faut que vous voyiez ça, affirma la Valkirel avec passion. Ranzier et Astra délivrent une merveille visuelle chaque année. C'est le point culminant du festival. Il faut faire vite pour avoir un bon emplacement.
Elle guida le groupe d'amis jusqu'au cœur du centre-ville où il y avait déjà une bonne foule qui s'installait tranquillement en cercle autour d'un grand espace vide. Les dragons se perchèrent au sommet d'un petit bâtiment à proximité qui servait d'hôtel pour les voyageurs.
Pendant ce temps, Azéna et Arièlla se frayèrent un chemin jusqu'au premier rang suivi de Fayne et Teriondil qui s'excusaient pour la grossièreté de leurs amies.
— Vous êtes agressives et impolies, se lamenta l'hydromanciènne qui détestait déranger autrui.
— Tu veux voir ce spectacle sans avoir une grosse tête dans ton champ de vision ou non ? questionna la Kindirah en croisant les bras et en tapant du pied.
— Je... En faite... Bah...
— Exactement. Il n'y a que Teri qui est grand comme une perche. Ma foi, il n'arrête pas de grandir aussi.
— Peut-être que c'est juste toi qui es courte et qui ne grandis pas, taquina Arièlla.
— Nous les gens petits, nous devons nous battre pour voir une bonne vue, grogna Azéna. Parlant de spectacle, la danse débute, je crois. Regardez !
Deux dragons, un mâle aux écailles cinabre et une femelle aux écailles azurées se rejoignirent au centre du cercle que formaient les spectateurs. Ces derniers se turent immédiatement à leur venue.
— Je vous présente nos deux vedettes ! annonça le maire avec une évidente fierté. Voici Ranzier, l'éclair enflammé ! Il est si rapide qu'il arrive à donner du fils à retordre aux dragons gris, les maîtres du ciel, durant une course aérienne ! Il est une véritable prouesse de son vol !
Comme l'avait décrit le gamin, Ranzier possédait une allure distinguée, ses traits vifs et perçants. Il n'était pas très costaud pour un dragon rouge. En fait, il ressemblait plutôt à un jeune dragon gris ; svelte, agile et grand. Lorsque le maire fit une pause, il accorda un sourire coquin à la foule ce qui rappela Azéna de Tyrath lorsqu'il s'apprêtait à faire un mauvais tour.
— Et voici notre chère Astra, l'étoile Polaire d'Atgoren ! continua Onni. Ce surnom lui provient de ses écailles si brillantes qu'on peut la méconnaître pour l'une des étoiles dans le ciel de la nuit !
En effet, la dragonne dénommée Astra était d'exquise beauté. Ses écailles avaient été soignées à la perfection et luisaient dans l'ombre. Celle-ci était encore plus délicate que son partenaire de danse comme la plupart des dragons bleus. Son corps était presque entièrement plat, dépourvu de cornes et de piquants. Si c'était ça l'équivalent d'une dame élégante chez les dragons, Ranzier devait être l'équivalent d'un seigneur galant. Contrairement à lui, elle attendit patiemment que le maire continue son discours et ne réagit pas aux louages qui lui avaient été offerts.
Pendant une quinzaine de minutes, la paire dansa dans une chorégraphie durant laquelle ils volaient sous les étoiles en effectuant des pirouettes qui s'entrecroisaient à une vitesse fulgurante. Souvent, la brillance de leurs écailles semblait se fusionner pour créer une nuance mauve.
Arièlla expliqua à ses compagnons qu'auparavant, c'était un dragon de la volée violette qui exécutait cette danse culturelle, mais qu'à présent, en raison de leur absence, il se contentait de créer un effet hallucinogène avec l'aide d'un dragon bleu et d'un dragon rouge. Tout l'auditoire en était fasciné.
Aussi étrange que cela soit, Azéna fut distraite par le dernier événement qui la surprit : Buhrik qui faisait signe de la tête à Harath comme s'il désirait qu'elle le suive quelque part. En premier lieu, la dragonne refusa, mais le regard illuminé du mâle finit par la convaincre.
— Qu'est-ce qu'ils font ? questionna l'archère tout haut.
C'est alors que Teriondil, Arièlla et Fayne tournèrent aussi le regard.
Buhrik et Harath prirent leur envol d'un puissant coup d'aile et entamèrent l'imitation de la danse d'Astra et de Ranzier. Sur le coup, Azéna se sentit anxieuse à cette idée, craintive que le duo original s'offusque. Apparemment, beaucoup d'autres gens partageaient ses émotions, car ils poussèrent un soupir étonné.
Astra et Ranzier firent une pause pour observer le nouveau duo qui, pour un premier essai, exécutaient la chorégraphie avec splendeur. Cependant, Harath était un peu trop costaude et lente et elle et Buhrik ne réussirent pas à créer l'effet de nuance mauve désiré. Tout de même, ils semblaient heureux et s'amusaient bien.
En fin de compte, Astra et Ranzier continuèrent leur routine sans broncher, semblant accepter la situation.
Azéna jeta un coup d'œil en direction d'Arièlla qui fixait sa partenaire avec des yeux ronds, mais remplis de fierté.
— Dis Ari, commença-t-elle en sentant son sang lui monter aux joues, tu crois qu'ils sont plus qu'amis ? Enfin, qu'il y a quelque chose de sexuel entre eux ?
Elle imagina des dragonneaux à moitié bleu à moitié rouge sur le coup et se demanda à quoi les progénitures ressembleraient quand les parents sont de différents vols.
— Tu es ridicule, rétorqua Arièlla avec un sourire mesquin. Regarde bien leurs mouvements ; ils sont doux, affectueux et coopératifs.
— Bah exactement ! jappa l'archère, perplexe. Ce n'est pas ça qui se passe entre deux amoureux ?
— Pas dans le monde des dragons. Enfin, pas lorsqu'il est temps de faire la cour. En réalité, c'est le contraire. Le mâle comme la femelle vont tenter de dominer l'autre dans une danse très agressive et compétitive. Si les deux sont satisfaits de la performance de l'autre, alors... bah, devine le reste.
Azéna n'osa pas commenter là-dessus, car sa première pensée fut que cela aurait pu être exhilarant. S'imaginant dans une pareille situation avec quelqu'un d'autre, elle rougit et détourna momentanément les yeux de ses amis.
— Ça semble monstrueux, murmura Fayne.
— Ça l'est. Quoique, dans un sens, c'est étrangement artistique aussi, ajouta Arièlla.
L'aéromancienne sentit soudainement ses nouilles lui monter à la gorge.
— Tu as vu deux dragons se... se... Enfin... Tu as été témoin de... de...
La blonde cendrée s'éclata de rire, ne laissant pas la chance à son amie de terminer sa phrase.
— Mais non, voyons ! Je sais quand me retirer quand même. Regarder deux dragons se faire la cour est déjà assez apeurant comme c'est là, même pour moi. C'est brutal, je te l'assure.
Le groupe se prélassa jusqu'à la fin du festival qui se termina à l'aube.
Durant ce temps, Azéna et Tyrath s'étaient mis au défi d'attraper une luciole dans le jardin central d'Atgoren. Après maintes tentatives, la Kindirah fut victorieuse et entreprit de taquiner son partenaire de chasse qui fit la moue.
Ensuite, elle tenta de voler une bouteille de vin à Vigoth alors que celui-ci faisait un fou de lui à tenter d'impressionner une Melanh'tash très ivre. Malheureusement pour elle, Karia lui prit la main dans le sac à la deuxième bouteille. Par conséquent, elle ne l'avait pas vu prendre la première.
Cette unique bouteille en fut assez pour émécher sa nouvelle propriétaire ainsi qu'Arièlla qui se la partagèrent. Les deux bagarreuses finir la soirée en échangeant quelques coups maladroits. Malgré son état d'esprit dégradé, la Valkirel avait vaincu son adversaire sans trop de difficulté. Afin de déclarer victoire, elle posa un pied sur le torse de sa victime qui grogna à l'impact.
— Tu me casses le cul, câline, ronchonna cette dernière qui était étendue sur l'herbe humide, trop fatiguée pour continuer. Je veux juste gagner pour une fois !
Arièlla tira sa langue et rigola de bon cœur. Malgré sa misérable défaite, Azéna se sentait heureuse. Elle laissa la blonde prendre plaisir à l'humilier un peu.
Quand elle fut libérée, elle croisa les bras derrière sa tête. Légèrement plus à l'aise, elle observa les constellations dans le ciel et chercha celle du chien à laquelle elle s'identifiait en ce moment. Elle sourit largement.
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