34 - Une impulsion, une danse

14e jour de la saison de la naissance 2448

Durant leur séjour en Illustra, les apprentis et leurs dragons durent lutter pour satisfaire leurs besoins de base. Manger, dormir et maintenir son calme s'avérèrent des défis quotidiens.

Les dragons les plus endurants au froid s'occupèrent de chasser pour le groupe. Ils voyagèrent pendant des heures, parfois lors de tempêtes, jusqu'au Canyon Rongé où ils trouvaient des proies pertinentes comme des vouivres, des cerfs et des béliers de montagne.

Maître Ruvior n'était qu'un simple observateur. Il refusait d'apporter son aide et son soutien. D'ailleurs, il était souvent absent. Arièlla avait pris la tête du groupe et avait tenté d'apprendre à ceux qui étaient inexpérimentés comment manier leurs armes.

Les loups géants rôdaient constamment, mais les dragons les obligeaient à tenir leur distance.

À la fin des dix jours, le groupe commença à douter de leur maître.

— Comment rentre-t-on à l'académie s'il ne revient pas ? demanda Katanor.

— Il va revenir, dit Arièlla. Il ne peut pas nous abandonner ainsi. Aie confiance.

— Aie confiance ? C'est difficile quand il nous laisse à constamment notre perte.

— C'est un test de survie. C'est le but. Endurcis-toi si tu veux devenir un Gardien d'Aerinda. Un jour ou l'autre, tu devras combattre. C'est directement lié à notre devoir.

Katanor baissa le regard, frustré.

— Continue à t'entraîner, ordonna Arièlla. Tu commences à t'améliorer.

Elle désigna un arbre écorché par des marques de lame et alla s'asseoir près de Harath. Un grand feu dansait devant elle et ravageait les flocons de neige qui fondèrent sans effort alors qu'ils tombèrent dans le cœur des flammes.

— Tu as plus de patience que moi, dit la dragonne rouge. Il est insolent. Je lui aurais mordu le cou jusqu'à ce qu'il se mette à supplier pour lui rappeler de ma dominance.

Sa dragonnière ne réagit pas. Elle plongea son regard dans le flamboiement qui menaçait de brûler son visage. Azéna remarqua que la blonde avait le potentiel de devenir une grande commandante. Cette dernière avait gardé ses compagnons vivants dans cet endroit désolasse. C'était un exploit à respecter. Elle remarqua aussi que Katanor lançait des regards furieux sur la Valkirel et s'agitait de plus en plus.

Quoi qu'il en soit, elle se remit à la cuisson de la carcasse d'un cerf qui était ligoté à un tronc d'arbre solide qui était suspendu par-dessus un deuxième feu, ce dernier plus modeste.

✦×✦

Le soir venu, Azéna tentait désespérément de noyer le rechignement de ses compagnons en observant la mystérieuse lune violette en compagnie de ses amis et de Tyrath qui agissait comme un chien de garde.

— Mes frères et sœurs, du calme, dit Arièlla en faisant signe des mains que ses intentions étaient pures. Je suis au courant que ceci est la dernière journée de notre voyage de survie. Malheureusement, Maître Ruvior n'a pas encore montré de signes de vie. Il est très possible qu'il...

— Qu'il soit mort ou encore, qu'il nous a abandonnés, coupa Katanor avec véhémence.

— Je dirai plutôt qu'il y a une raison plus raisonnable derrière cette absence, rétorqua la pyromancienne avec autorité.

La dispute continua pendant une longue heure. Plusieurs apprentis inquiets exprimaient leur désir de retourner à l'académie sur le champ, mais Arièlla insistait pour qu'ils attendent. Azéna, Fayne, Teriondil et leurs dragons étaient les seuls à ne pas avoir participé au débat.

— Il va revenir, murmura l'hydromancienne à la chevelure acajou comme si elle tentait de se rassurer elle-même.

Elle jouait avec une fleur qu'elle avait récoltée durant une excursion avec Teriondil, Buhrik et Ella il y a deux jours. Elle avait l'intention d'en faire cadeau à Leith. Apparemment, c'était une fleur assez rare aux propriétés diurétiques ce qui entraîne une augmentation de la sécrétion urinaire. D'ailleurs, ces pétales donnaient à Azéna une impression étrangement de malice comme si elle se préparait à bondir et mordre. Elle ne les aimait pas du tout.

— J'espère que c'est pour bientôt sinon, il va y avoir une émeute, ronchonna-t-elle.

Alors qu'elle entendit la voix sévère d'Arièlla en arrière-plan, elle sourit en se disant qu'elle ressemblait à sa mère.

À cet instant, Reaginn fit enfin une apparition.

— Prêt à retourner à l'académie ? demanda-t-il de sa voix mielleuse qui donnait l'impression qu'il ne se souciait pas de ses actions récentes.

Pour une fois, ce ton iconique qui irritait normalement Azéna lui donna envie de rire. Elle prit plaisir à observer les expressions diverses de ces compagnons.

— Ils ont été pris par surprise, mentionna-t-elle tout bas.

La moitié du groupe fut soulagé tandis que l'autre fut plongée dans le silence de la défiance.

— Bon voilà, rogna Arièlla. Il est là, comme je voulais l'avais assuré.

— Préparez vos affaires, ordonna Reaginn. Vous avez dix minutes. Je m'occupe des feux.

Enfin, ils quittèrent Illustra pour de bon. Azéna se rangea à l'arrière du groupe afin qu'on ne lui accorde aucune attention. Seul Tyrath lui tenait compagnie.

— Tu luttes à porter ton sac à dos ?

Azéna ajusta ce dernier pour la dixième fois depuis les dernières quelques minutes.

— Laisse-moi le porter, suggéra Tyrath.

— Ça va aller, grogna l'aéromancienne sur un ton sec.

— Tu sembles perturbé. Tu veux en parler ?

— Non.

— Ça viendra un jour, dit-il avec enthousiasme, devinant la source de son tourment. Tu verras avec l'entraînement de Lythrana et Nymfrein.

— Je suis tout de même incompétente, répliqua sa partenaire avec colère. Honnêtement, je ne crois pas que je serais de taille contre Serfantor.

— Où sont parties la motivation et l'assurance dont tu faisais preuve sans relâche ?

— Elles sont parties avec mon honneur au début de ce voyage.

— Je n'en suis pas convaincu.

— Comment peux-tu le savoir ? Tu n'es pas dans ma tête.

— Peut-être pas, mais je te connais assez pour faire mes déductions.

— Tu crois ?

— Tu es ma dragonnière et tu ne pourras pas renier ce fait.

— Peut-être que tu as raison. On verra bien.

— Ne t'en fais pas, dit Tyrath en souriant avec malice. Je m'en occupe.

Azéna lui rendit son sourire.

— Allez, monte, continua-t-il.

Elle l'enfourcha et accrocha son sac à dos à la selle du drake, puis elle se détendit et discuta avec lui pour le reste du voyage sans se préoccuper des autres.

✦×✦

Lorsque le groupe passa devant l'Antre des Anciens, Katanor fut le premier à se rendre compte qu'Azéna traînait derrière. Son dragon vert ralentit sa cadence pour laisser Tyrath le rattraper.

— Pourquoi es-tu seule ? questionna l'elfe gris.

— Ce n'est pas de tes affaires, répliqua la rebelle avec colère. Laisse-moi tranquille.

— J'ai entendu dire que tu as laissé ton dragon et tes amis te protéger à plusieurs reprises. Les mensonges ne rapportent pas une très bonne réputation, tu sais.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? Je n'ai pas menti.

— Techniquement parlant, bien sûr que si.

Voyant le regard confus et irrité de son interlocutrice, Katanor soupira.

— Tu parles en grand, mais ce n'est que cela : des paroles en l'air.

— Tu n'étais pas mieux, cracha Azéna avec fougue. Tu te cachais derrière ton dragon comme un lâche.

Il la regarda avec avidité comme s'il espérait la voir devenir folle.

— La différence entre nous deux, c'est que je ne me prends pas pour quelqu'un d'autre.

— Dégage de ma vue avant que je me fâche. Tu m'écœures, calice !

— D'autres belles paroles tirées en l'air. Ton impulsivité te mènera à ta mort un de ces jours.

— Tu penses que tu es mieux avec ton éducation de prince elfe gris dont les valeurs morales ne sont rien d'autre que de la tricherie, de la corruption, de l'égoïsme et de la trahison !

— Tu fais erreur. On appelle ça de la vigilance et de la ruse. C'est ça qui nous garde vivants. Au moins, je comprends les simples principes de la survie. Par exemple : ne provoque pas ceux qui sont plus forts que soit. Ça, s'en ai une basique, mais très important. Comme je t'ai dit, l'impulsivité c'est pour les faibles. Tu es donc une ratée.

Cette fois, Tyrath en avait assez entendu. Il rugit et mordit le bras de Katanor, mais sa monture réagis avec des réflexes aiguisés, reculant juste à temps pour lui éviter la blessure.

— Descends ! ordonna-t-il à sa cavalière. Maintenant !

Celle-ci obéit.

Tyrath montra ses crocs gigantesques et bondit sur le petit dragon vert. Katanor se laissa tomber au sol avant l'impact et fit face à Azéna alors que les deux dragons se mirent à se battre.

— Tu vas le regretter si tu m'attaques, avertit l'archère.

L'elfe gris ne l'écouta pas. Il étira les bras et des plantes à proximité prirent vie. Azéna ne prit pas le risque d'attendre de voir ce qu'il allait se passer. Elle amplifia la vitesse d'une brise et la guida vers le garçon. Le vent coupa aisément au travers des plantes vivantes ce qui lui donna l'avantage du combat.

— Ça suffit ! hurla Reaginn.

Azéna lança une sphère de vent qui coupa Katanor à la joue. Lorsqu'elle s'apprêta à recommencer, son poignet fut agrippé par une main puissante. L'attaque fut déviée et disparut au loin.

Sèvia sépara les deux dragons en les mordant chacun à leur tour à la nuque. Tyrath lutta momentanément, mais il fut le premier à se retirer. Klaal, le dragon de Katanor, endura la douleur et profita de la situation pour tenter d'exhaler une boule d'énergie verte dans le dos de Tyrath, mais Sèvia l'en empêcha en lui donnant un puissant coup de griffe au museau. Sa victime rugit puis recula de quelques pas en se secouant la tête dans tous les sens. La femelle le fixa avec sévérité dans un silence jusqu'à ce qu'il baisse la tête en signe de résignation.

— Voilà un bien honteux exemple de mauvaise conduite entre dragonniers et dragons, dit Reaginn. Les châtiments appropriés, à tous les quatre, seront une fois à l'académie.

Klaal baisa son regard avec épouvante. Des gouttes de sang ruisselaient de sa blessure et tombaient au sol. La terre absorba le liquide lentement, virant encore plus au rouge vif.

— C'est lui qui a commencé ! hurla Katanor en pointant Tyrath d'un doigt accusateur.

— Il n'arrêtait pas de m'insulter après que je lui avais demandé de partir ! jappa Azéna. J'avais de très bonnes raisons de me défendre.

— L'insolence est conduite inacceptable, particulièrement pour un dragonnier, dit Reaginn. Est-ce bien compris, Apprenti Diramin ?

Ce dernier serra les dents et les poings.

— En revanche, l'impulsivité n'est pas bien mieux, continua Reaginn en s'adressant à Azéna cette fois. Apprenez à contrôler vos émotions et cela s'applique aux quatre.

Il retourna en tête du groupe, Sèvia sur ses talons. Manifestement mécontente, celle-ci retroussa ses babines en vacillant son regard une dernière fois sur les jeunots.

— Attendez ! aboya Katanor. Et Klaal, lui ? Il est blessé. Vous ne pouvez pas le laisser comme cela.

— Vous l'êtes tous les deux, commenta Reaginn, ne s'arrêtant pas. Vous allez apprendre de vos erreurs et vous allez vous organisez seuls. Survivez et soyez indépendants. Aussi, il faut bien comprendre que vos actions risquent d'affecter l'autre ce qui peut engendrer des conséquences néfastes.

Azéna remarqua enfin le sillage du combat : une multitude d'égratignures si mineures qu'elles n'avaient même pas fait couler le sang de Katanir. Les yeux plissés et la mâchoire serrée, celui-ci arracha un morceau du tissu de sa manche d'uniforme et s'en servit pour faire un garrot qu'il appliqua au museau sanglant de Klaal.

— Tu ne pourras pas ouvrir la bouche, mais au moins, ça aidera à arrêter l'hémorragie, souffla-t-il doucement.

Son partenaire dilata ses narines et renifla.

— C'est le mieux que je peux faire pour toi, dit le garçon avec tristesse.

En les regardant, Azéna ressentit de la pitié. Il était vrai que le lien entre un dragon et un dragonnier était si puissant que les décisions d'un affectaient souvent l'autre. Il fallait faire très attention.

— Je suis fier de toi même si ce n'était pas nécessairement la meilleure action à prendre, mentionna Tyrath, un pétillement d'adrénaline mourante dans ses yeux.

L'archère évita son regard. C'était lui qui avait perdu son calme et avait commencé la bataille. C'était de sa faute si tout cela c'était produit.

— Je sais, continue-t-il avec honte. C'est moi qui ai mal agis le premier.

— Ça va, grogna la Kindirah. Oublions cet incident et rejoignons le groupe avant qu'on les perde de vue.

En effet, les apprentis étaient tous partis. Ils suivaient Reaginn et Sèvia.

Azéna marcha à côté de Tyrath. C'était étrange, mais malgré le silence qui régna pendant le reste du trajet, elle sentit une forme de compassion grandir en elle alors qu'elle voyait Klaal et Katanor se soutenait l'un l'autre tout au long du chemin.

Malgré cela, elle ressentait encore une rage immense, mais était-elle ciblée vers ces deux-là ou vers autre chose ? Elle n'en était pas certaine.

✦×✦

Une fois à l'académie, Reaginn condamna Azéna et Katanor à six jours en sa compagnie dans le donjon. À la nouvelle, le naturancien resta bouche bée.

— Demain après les cours, expliqua l'adulte.

— Ne t'en fais pas, dit Azéna après qu'il fut hors de vue pour effrayer Katanor. Il va seulement nous torturer ou encore, envoyer l'un de ses satanés spectres contre nous. En plus, nous allons vivre encagés dans une cellule vide.

— Nous n'aurons même pas un lit ? demanda l'elfe gris, horrifié. Comment on fait pour se nourrir et aller au petit coin ?

— Il n'y a absolument rien à faire pour ça à part demander à Reaginn de nous prêter mainforte et il n'accepte pas toujours.

— Tu rigoles ? C'est terrible ça. En plus, pour six jours. Il doit y avoir quelque chose à faire pour éviter ça.

— J'aimerai bien, mais c'est ça la réalité.

Elle laissa Katanor à ses pensées et se dirigea vers le terrain de skotar de l'académie.

— J'aimerai être seule.

Tyrath hésita et, à contrecœur, se dirigea vers le Grand Nid.

L'adolescente monta au sommet des gradins, fixa le terrain et se perdit dans ses songes. Elle en avait plus qu'assez de sa situation courante. Six jours allaient être le plus long séjour qu'elle n'avait jamais eu dans le donjon. Elle était lassée à un point inimaginable d'être coincée dans ce trou. Pour calmer sa frustration, elle frappa le banc de son poing ce qui lui causa plus de douleur que de bien.

Tes émotions sont un véritable tourbillon chaotique, fit remarquer Turion. Que s'est-il passé ?

Contrairement à son habitude, elle ne sursauta pas à son apparition soudaine dans son esprit. Elle était bien trop occupée à songer à tout ce qui venait de se passer dans les dernières heures pour s'en faire.

Tu n'avais qu'à être là ! accusa-t-elle avec férocité.

Umm... Pas la peine de le mentionner. Tes souvenirs s'écoulent avec ferveur telle une rivière attirée par un typhon enragé. Ce n'est pas difficile de les visionner, même avec mes pouvoirs affaiblis.

Azéna enfouit son visage dans ses bras entrecroisés, puis elle se mit à trembler tellement elle résistait à l'envie de laisser ses émotions prendre le contrôle de son corps.

Tu peux pleurer, souffla Turion avec une douceur presque paternelle.

Têtue et obstinée, sa nouvelle dragonnière refusa d'écouter le dragon et serra les dents si fortement qu'elle eut peur de les casser pendant un moment. Une première larme coula de son œil droit.

Si j'étais forte, je ne pleurai pas.

Ce sont les plus forts qui osent pleurer sans gêne, répondit Turion.

Bah, pas moi dans ce cas. Je suis écœurée de Reaginn, du donjon, de Katanor, de Serfantor, du stupide Haut Conseil et de ma réputation de merde que je ne mérite pas d'avoir.

C'est compréhensible. L'adolescence est une période difficile pour vous comme pour les dragons. Mais, il va falloir passer au travers, car il y a bien pire dans la vie que ça.

Qu'est-ce que tu en sais à l'âge que tu as !? jappa-t-elle.

Justement. J'ai passé par là moi aussi même si cela remonte à il y a bien longtemps.

Elle se contenta de fixer le terrain de skotar en réfléchissant à ce qu'il lui avait dit.

Après une bonne heure de réflexion, elle retourna à sa chambre. Elle se laissa tomber dans son lit et ferma les yeux. Fayne posa son livre de côté et regarda son amie avec inquiétude.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Rien, répondit Azéna. Qu'est-ce qui te fait croire ça ?

— Ton expression et le fait que tu vas te coucher si tôt. Aussi, tu es revenue seule.

— Pas besoin de veiller sur moi. Je ne suis pas une enfant. De plus, je vais me coucher parce qu'on a une grosse journée demain. C'est le test majeur d'anatomie draconique à la première période. En plus, il faut que j'aille m'entraîner après les cours avec les jumeaux.

Azéna se tourna face au mur. Elle se doutait bien que Fayne ne la croyait pas.

✦×✦

Le temps était venu pour le test d'anatomie draconique. Azéna n'avait pas étudié et elle ne se rappelait pas de la matière, mais elle ne s'en préoccupa pas, car Turion était là pour la sortir du pétrin. Au début, le wyrm la gronda que c'était sa responsabilité de connaître ce savoir important. Elle joua la carte de la pitié en radotant qu'elle ne pouvait pas étudiant au centre d'une forêt infesté de loups géants affamés.

Trusfèx Nors était le maître qui donnait le cours d'anatomie draconique. C'était un homme dans sa quarantaine qui possédait une chevelure noire parsemée de gris et d'argenté qu'il coiffait de façon assez excentrique, car, il tentait en vain de camoufler sa carence moyennement avancée. Ses grands yeux brun foncé lui donnaient un air amusant, effrayant d'après certaines personnes. Il portait souvent de longues robes de couleur ternes par-dessus une tunique au col montant. Même Fayne, qui était une élève modèle, avait de la difficulté à le prendre au sérieux.

Azéna le fixait avec une touche de curiosité. Cet homme était fou, particulièrement ce jour-là. De son ton surexcité et joyeux, il annonça que le test allait se donner à l'extérieur, soit en pleine nature. La Kindirah remit l'idée farfelue du maître en question. Que planifiait-il ?

Une fois dehors, Trusfèx entraîna les apprentis vers le terrain de skotar, où il leur demanda d'appeler leur dragon et les faire danser en plein vol.

— Est-ce que j'ai bien compris ce qu'il a dit ? demanda Azéna à l'oreille de Fayne. Il veut bien une danse ?

— Ouaip, répondit Fayne avec enthousiasme. Alors, appelle Tyrath et espère qu'il n'ait pas la tête trop enflée par sa dignité masculine.

— Bah, je ne le blâmerai pas non plus, ronchonna l'archère en croisant les bras comme si elle espérait se protéger de la démence du maître. C'est ridicule.

— J'avoue que c'est un peu farfelu, mais ça fait changement. Qui sait ? Peut-être qu'il teste quelque chose d'important.

Azéna roula les yeux et se concentra sur Tyrath. Il n'était pas loin, elle le sentait dans sa chair et dans son être.

Quelques minutes plus tard, le drake gris était assis à côté de sa partenaire. Elle lui expliqua le principe du test. Il refusa immédiatement dans un sifflement indigné.

— Allez ! insista Azéna pour la dixième fois. Je compatis. Tu sais que je comprends ta gêne, mais pour le bien de notre performance et notre réputation, ferme les yeux sur la situation et... danse.

Le dragon argenté poussa un grognement silencieux, secoua sa tête légèrement, puis jeta un coup d'œil en direction de sa partenaire.

— Humph. Qu'est-ce que tu veux dire par « danser » exactement ?

Il aperçut Ella qui était déjà en train d'effectuer sa tâche. La dragonne verte tourbillonnait dans le ciel avec amusement. Azéna suivit ses mouvements du regard et poussa un petit gloussement.

— Pas ces mouvements d'oiseau en chaleur, j'espère ? s'exclama Tyrath avec dégoût.

— Pas besoin de faire comme elle, dit la Kindirah. En fin de compte, fais ce que tu veux pourvu que tu bouges.

— Quel calvaire ! Tu vas me le redevoir ça.

— Mhhhmm, marmonna-t-elle en retenant un rire.

Il s'élança dans le ciel. Elle le fixa avec satisfaction alors que celui-ci exécuta des manœuvres assez complexes en tentant de rivaliser contre Ella. Cette dernière ne prit pas la compétition au sérieux, mais y participa tout de même en s'amusant.

— Bien joué, dit Fayne qui s'approcha d'Azéna.

— Quoi !? sursauta cette dernière.

— Réussir à convaincre Tyrath de danser, ce n'est pas une tâche aisée.

— Merci du compliment, je suppose ?

Fayne donna un petit coup à l'épaule de son amie en signe d'encouragement.

— Pas de problème.

— Comment Buhrik prend la tâche ? questionna Azéna.

— Oh, mieux que Tyrath. Il suit les cours sérieusement, car il est déterminé à recevoir les meilleures notes possibles pour impressionner les maîtres.

— Tyrath est plutôt fier et rebelle. Il reste vrai envers lui-même.

— Un peu comme sa dragonnière, dit la brunette en souriant.

Son amie se raidit, comme par réflexe naturel. Un sentiment immense de fierté et d'appréciation l'envahit. Prise sur le fait, elle tenta de se détendre et sourit bêtement.

— Vous êtes là, dit une voix familière qui provenait de derrière elle.

Encore une fois, Azéna se raidit, mais cette fois, c'était parce qu'on l'avait surprise. Lorsqu'elle se retourna, elle reconnut Teriondil et, sous l'effet d'une vague de rage soudaine, elle se mit à hurler.

— Qu'est-ce qui te prend à m'épier comme ça !?

— T'épier ? questionna le garçon, perplexe. Je ne t'épiais pas du tout. Je suis tout simplement arrivé à vous trouver après une recherche qui était très ardue d'ailleurs.

— Ça va, souffla Fayne en posant la main sur l'épaule d'Azéna. Du calme.

L'archère n'eut pas le temps de s'expliquer, car un rugissement retentit et attira l'attention de tous. Trusfèx allait donner les explications. Teriondil s'approcha du maître pour mieux entendre ce qu'il allait dire, suivi de Fayne qui retira sa main. Azéna l'imita tout simplement.

— Votre dragon ne doit pas s'arrêter, expliqua Trusfèx avec sévérité. Du mouvement, c'est ce qu'il faut. Ne vous inquiétez pas. Leith est ici présente en cas de blessure.

— Pourquoi ils ne doivent pas arrêter de danser ? demanda la rebelle avec légère irritation. Ils dansent déjà depuis un moment les pauvres.

— Je vous nomme une partie du corps et vous me la pointez sur votre compagnon en mouvement. C'est votre test, aussi simple que cela.

— Il est fou ! s'exclama Azéna avec un mélange de désespoir et d'étonnement.

— Oh, arrête un peu, dit l'herboriste. Ce n'est pas si compliqué que ça.

— Pour toi peut-être.

Lorsque ce fut le tour de Fayne, celle-ci n'eut aucune difficulté à passer l'épreuve. Son amie était l'une des dernières de la file et, depuis environ trente minutes, Tyrath effectuait des manœuvres et commençait sérieusement à fatiguer.

— Dépêche-toi ! hurla le drake gris lorsque Trusfèx posa sa première question. Je ne tiendrai plus longtemps.

Azéna demanda l'aide de Turion, mais pointer une partie du corps en mouvement s'avérait beaucoup plus difficile que de l'écrire sur un parchemin. Elle se tuait à comprendre Turion et, à chaque question, il y avait une guerre qui éclatait dans sa tête. En plus, ça lui prenait longtemps avant qu'il se fasse comprendre de Trusfèx. Puis, il y avait Tyrath qui lui mettait de la pression.

Finalement, à la dernière question, elle pointa à l'aveuglette puisque Tyrath n'en pouvait vraiment plus. Il finit par s'écraser dans les gradins vides et sa dragonnière s'en tira avec une note de passage.

— Tyrath ! s'écria-t-elle en montant les gradins à toute allure jusqu'au drake. Ça va ?

Celui-ci était allongé sur le dos, les ailes ouvertes. Il était à bout de souffle.

— Je déteste cet humain ! grogna-t-il. Je vais le rôtir et le bouffer !

Leith s'approcha de lui et étendit une crème à base de plantes sur son aile foulée par la chute.

— Ce n'était pas très intelligent de la part de Trusfèx.

— Et moi, je n'ai eu qu'une note de passage dans tout ça, se lamenta Azéna.

Le drake lui lança un regard noir et elle se rendit compte de son erreur.

— Désolé, s'excusa-t-elle. J'avoue que tu as eu le pire, Tyrath.

Elle s'assit sur l'un des multiples bancs en bois et fixa les autres apprentis avec rogne.

— Fais attention à ce que tu dis, conseilla Leith sur un ton accusateur.

Encore une fois, l'impulsivité avait mené Azéna dans une mauvaise situation. Pour la centième fois en cette saison, la honte lui monta à la tête et elle eut envie de disparaître.

✦×✦

Puisque c'était leur seule chance de se rencontrer avant la retenue d'Azéna, cette dernière, Nymfrein et Lythrana eurent leur première session d'entraînement durant leur pause du dîner. Tyrath fut absent, car il était coincé à l'écurie en raison de son aile, ce qui limitait beaucoup les possibilités d'exercices.

— À la place, décida Lythrana d'une voix forte, on en restera à la théorie pour cette fois.

— Génial, dit son élève avec sarcasme.

Les jumeaux lui expliquèrent les diverses stratégies ainsi que les positions de base pour le combat à dos d'un dragon ainsi qu'à pieds. En revanche, le plus intéressant restait la discussion à propos de Serfantor.

— N'oublie pas que Serfantor est un manipulateur d'ombre et qu'il essayera de t'engouffrer dans un nuage épais qu'il créera pour t'aveugler, souligna Lythrana en la fixant sévèrement dans les yeux. Demanda à Tyrath de créer une bourrasque pour tout balayer.

— Le vent peut surpasser l'ombre, ajouta Nymfrein de sa voix calme et douce.

— C'est bien noté, dit Azéna avec enthousiasme. On se revoit quand ?

— Dans trois jours, ça te dit ? questionna Lythrana.

— Je ne peux pas, rogna la rebelle. J'ai une retenue de six jours avec Ruvior.

— Outch. Tu as un don pour te mettre dans le pétrin, toi. Bon, lorsque tu sortiras de là, on se rencontrera.

— Ça, c'est si je ne suis pas morte.

— Ruvior ne tue pas. Ne t'inquiète pas. En revanche, lorsqu'il s'agit de Vyrius, je m'inquiéterai.

— J'avais déjà cette impression pour être honnête...

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