31 - La fouille
44e jour de la saison du sapin 2448
Le crépuscule venu, Azéna expliqua à Tyrath ce qui s'était passé depuis ce matin-là. Ce dernier avait réagi avec colère et s'était défoulé en soufflant des bourrasques un peu partout comme s'il avait perdu la raison.
— Je ne peux pas le croire ! rugit-il. Cette plume... Ce dragon est un supplice, une obstruction à notre relation ! Ne le vois-tu donc pas ?
— S'il te plaît, souffla Azéna, cesse ces idioties. De toute façon, on ne peut rien pour cela.
— Brûlons-la ! s'écria-t-il avec enthousiasme rageux.
— Tyrath... Franchement... Sois raisonnable...
— Non ! Il m'offusque. Il... il... Je ne veux pas !
Il baissa sa grosse tête comme un chien piteux qui avait mal agit. Sa partenaire lui caressa le museau doucement.
— Tu es jaloux, dit-elle avec bienveillance. Tu as peur de me perdre. C'est très compréhensible. Mais, Turion a le pressentiment que quelque chose de terrible va bientôt se passer et moi aussi. Tu as bien vu lorsque nous étions en chemin pour l'académie que le Sang du Dragon est à nouveau actif. C'est un sinistre présage. Il faut se tenir ensemble, toi, moi et Turion, termina-t-elle en désignant l'Œil du Savoir qu'elle tenait dans sa main.
Tyrath retroussa sa lèvre supérieure et montra les crocs. Il se mit à grogner silencieusement tout en fixant la plume qui contenait l'âme de Turion. Azéna remit cette dernière dans une poche intérieure de ses culottes amples qui n'étaient tenues en place que par sa ceinture de cuir ébène.
— Arrête et réfléchit un peu ! rogna-t-elle en croisant ses bras derrière sa tête comme elle avait l'habitude de faire quand elle se sentait mal à l'aise. Il va falloir qu'on fasse équipe avec lui si on souhaite prospérer.
Manifestement incrédule, Tyrath souffla de l'air de ses narines et s'assit lourdement. Sans lâcher la poche dans laquelle se trouvait l'Œil du Savoir des yeux, il réfléchit pendant un long moment.
— Je suppose que tu..., commença-t-il en s'adressant à Turion.
Il s'interrompit. Azéna lui fit les gros yeux afin de s'assurer qu'il allait faire preuve de politesse vis-à-vis du wyrm.
— ... vous avez raison, corrigea Tyrath avec dégoût. Hmph...
— Merci, répliqua la rebelle. Tiens. Pour ton effort, tête de mule.
Elle s'approcha de lui pour lui gratter le menton affectueusement. Tyrath ferma les yeux, sourit bêtement et se mit à ronronner. Il ne pouvait jamais résister aux caresses. Il était un véritable chaton dans le corps d'un lion.
Après un moment, Azéna arrêta sa séance de grattage et son interlocuteur ouvrit les yeux. Les traits faciaux de ce dernier s'assombrirent soudainement.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
— Comment te sentirais-tu si je mourais ? demanda-t-elle avec amertume.
Tyrath baissa les yeux et réfléchit à la situation fictive. Il siffla entre chaque inspiration. Son visage se crispa et il se mit à se lamenter et à grogner simultanément. On dirait qu'il avait à la fois peur et qu'il était sur le point de s'emporter.
Finalement, il leva les yeux et sur un ton froid, il répondit :
— Je sens la colère et l'amertume ronger mon cœur.
— Je suis désolé, dit Azéna en lui effleurant le bout du museau. Parfois ma curiosité dépasse les bornes.
Il hocha de la tête, semblant s'être calmé.
– Je comprends. Cette expérience t'a effrayé.
L'adolescente n'avait pas osé le demander à Turion de peur de le blesser émotionnellement. Elle se demandait ce qu'un dragon ressentait à la suite de la mort de son dragonnier. Du peu qu'elle avait vécu, ça semblait horrible.
Tyrath renifla et évita les yeux de sa compagnonne.
— Tu es vivante et c'est tout ce qui compte. Tu devrais aller dormir avant qu'on ne te surprenne ici et que tu te retrouves au donjon une fois de plus.
— À ça, je réponds non merci. Plus de donjon pour moi.
Le visage de Tyrath s'égaya.
— Tu affirmes ça et moi, je suis ici à espérer. Tu attires les ennuis et ça m'inquiète.
— Relaxe, mon grand, répliqua la demoiselle à l'expression hautaine. J'en suis consciente et regarde où je suis.
Elle lui accorda un clin d'œil et se dirigea vers l'académie d'une cadence presque dansante.
✦×✦
Le jour suivant se déroula comme prévu.
Turion avait aidé Azéna avec ses devoirs et personne ne remarqua le changement, car son ancienne plume était aussi violette. En plus, Serfantor n'avait rien tenté pour le moment. Elle savait qu'il allait se montrer le bout du nez un jour ou l'autre. Du peu qu'elle connaissait de lui, il n'allait sûrement pas se laisser abattre si aisément.
Au dîner, Terenas annonça que les apprentis de premier et de deuxième cycle allaient subir une fouille durant l'après-midi.
— Quoi !? questionna Azéna la bouche pleine de riz. Une fouille pour quoi ?
— T'es perdue aujourd'hui, dit Fayne qui paraissait dégoûtée de son amie. Ça fait trois fois qu'on nous avertit de cela. Ils cherchent une plume violette qui appartient à l'académie. Apparemment, elle a été volée hier. La plupart ont une bonne idée de quoi il s'agit.
Azéna avala avec difficulté puis elle afficha un sourire innocent.
— Tu veux dire la plume dont tous les apprentis parlent ? L'Œil du Savoir ?
La demoiselle à la chevelure acajou leva un sourcil suspicieux.
— Possible que ce soit elle, répliqua-t-elle sur un ton nonchalant. Elle a été volée alors que tu étais en retenue et tu n'as rien vu ? Mmm, comme c'est curieux.
— Je n'ai rien vu, rogna son amie en s'efforçant de paraître neutre et calme. Alors, pourquoi ça me dérangerait ?
Fayne eut un petit sourire en coin comme si elle n'était pas convaincue du tout. Malgré cela, elle semblait jouer le jeu :
— Tu es idiote, grogna-t-elle. D'après moi, Gragèn est le coupable. Il l'a sûrement volé devant tes yeux aveugles. Ça doit être Serfantor qui l'a en ce moment. Si ce n'est pas le cas...
À ces paroles, Azéna avala son morceau de porc tout rond et s'étouffa. Sa compagnonne la fixa avec un mélange d'intrigue et d'inquiétude.
— Ça va ?
La rebelle prit une gorgée d'eau pour faire descendre la viande et soupira avec soulagement.
– Oui, oui. Je vais bien.
— Vous êtes toutes les deux troublées aujourd'hui, dit Teriondil. Un peu de thé...
— Pas maintenant ! jappa la brunette. Nous devons aller nous préparer pour le prochain cours.
— Ah bon ? Déjà ?
Ils se levèrent de table.
— Attendez ! Je n'ai pas fini de manger, se plaignit Azéna, un morceau de porc rôti aux lèvres.
— Tu manges trop de toute façon, accusa Fayne en se croisant les bras. Laisse le porc et viens.
— Ça ne me pas fait engraisser pour autant, répondit son amie en avalant.
— Tu es une véritable barbare. Regarde-toi un peu.
Inconsciente que son uniforme était taché de sauce, Azéna la fixa, perplexe.
— Elle n'a pas tort, dit Teriondil en pointant le dégât.
— C'est ça, ronchonna l'archère. Prends sa part.
Elle se mit à marcher en tentant tant bien que mal d'essuyer son uniforme. Se plaignant que Fayne était énervante tout bas et préoccupée par sa tâche, elle ne remarqua pas qu'elle avait légèrement changé de cap et se dirigeait tout droit dans une chaise inoccupée.
Son tibia droit heurta le bois solide et elle se retrouva le visage au sol, les jambes en l'air et son corps par-dessus la chaise basculante. Elle poussa un gémissement de douleur. Aussi rapidement qu'elle le put, elle se releva en espérant que personne ne l'avait vu trébucher.
Fayne et Teriondil jetèrent un coup d'œil derrière eux et aperçurent leur amie qui tentait de les rattraper en traînant sa jambe droite. Sa grimace trahissait ses efforts pour paraître dure.
— Qu'est-ce que tu as fait, cette fois ? demanda la Litfow.
— Je ne regardais pas où j'allais, pleurnicha Azéna, gênée par ce qui venait de se produire. Et... enfin...
— Tu as trébuché sur la chaise.
— Non, mais non, mentit la Kindirah en plaçant maladroitement la chaise où elle était originalement. Tu vois ? Tout va bien.
— Bien sûr, dit Fayne, manifestement pas impressionnée.
— Bon d'accord, souffla son interlocutrice en sentant son sang monter à ses joues. C'est possible que je sois tombée...
— Tu es la personne la plus invraisemblable, maladroite et imprévisible que je connaisse.
Azéna haussa les épaules et ne put que sourire innocemment à cette vérité qu'elle ne pouvait dénier.
— Ne t'en fais pas. Je vais devenir une grande et puissante dragonnière.
— Je n'ai jamais douté, dit Fayne avec sarcasme puis, elle donna affectueusement à son interlocutrice une chiquenaude au front.
✦×✦
En classe d'anatomie, Azéna n'écouta pas les explications de Maître Bicornas. Elle était bien trop occupée à réfléchir à une façon de ne pas se faire prendre pendant la fouille.
Depuis le dîner, Azéna et ses amis avaient été suivis ce qui avait empêché la rebelle d'aller récupérer sa vieille plume dans sa chambre. Au début, elle croyait que ce n'était que depuis l'après-midi, mais Fayne lui assura qu'ils avaient été surveillés toute la journée.
Ce que je peux être bête, songea l'archère, anxieuse. Qu'est-ce que je vais faire, maintenant ? Ils savent pour la plume... à propos de Turion.
Je dois à mon grand désagrément te prévenir que je n'ai pas assez de force pour dissimuler mes pouvoirs, résonna Turion dans sa tête, le ton de voix empli d'inquiétude.
C'était la première fois qu'elle l'entendait prononcer un mot de toute la journée. Elle commençait à le trouver bien inutile, ce dragon aux pouvoirs immenses, mais qui n'était pas capable d'en utiliser la moitié. Cependant, elle savait qu'elle aurait besoin de ses sages conseils, probablement de ses habiletés et, de plus, elle ne pouvait pas renier leur lien. Ce dernier n'était pas aussi puissant que ce qu'elle chérissait avec Tyrath, mais il grandissait lentement en elle. Elle devait admettre que le vieux wyrm était charmant à sa manière.
Elle réfléchit durant la période entière, mais aucune solution à part en parler à Fayne et Teriondil ne lui venait à l'esprit et elle ne pouvait pas y recourir sans briser son entente avec Turion. Elle se sentait coincée et elle détestait ce sentiment.
La période se termina aussi rapidement qu'elle commença.
C'était bien la première fois que ça arrivait dans le cours d'anatomie et Azéna n'en était pas ravie. Elle avait besoin de plus de temps, mais le sablier était presque vide. La fouille était dans quelques minutes et elle devait s'y rendre. Elle laissa Fayne rejoindre Teriondil et s'excusa avant de s'éclipser en marmonnant qu'elle devait aller à la salle de bain. C'était un mensonge bien sûr. Elle avait l'intention d'échapper à la fouille par le moyen le plus direct, mais le plus risqué. Elle n'allait pas assister au cours de Reaginn, et ce, même si elle devait se payer des vacances au donjon. Il fallait fuir. Elle devait courir, loin, très loin.
Dans son impulsivité, elle tourna un coin avec imprudence et heurta un individu vêtu d'une tenue sombre.
— On s'est perdue, mademoiselle Kindirah ? demanda une voix douce et mielleuse.
Les oreilles de l'adolescente bourdonnèrent à ce ton de voix. Elle leva les yeux et aperçut un jeune humain adulte à la chevelure ébène attachée en queue-de-cheval.
— Ruvior, couina-t-elle avec horreur.
Instinctivement, elle recula avec maladresse puis elle se figea sur place en fixant l'homme qui paraissait concerné par sa réaction.
— Ça va ? questionna-t-il en haussant un sourcil interrogateur. On dirait que vous préparez un mauvais coup.
— M-mais, pas du tout, M-Maître Ruvior, balbutie-t-elle avec angoisse.
— Alors, pourquoi allez-vous dans le sens inverse de ma salle de classe ?
— J'ai oublié... Heu... Mon pot d'encre. Oui, c'est ça.
— Mensonges. Je la vois qui dépasse de votre sac.
Un moment s'écoula dans le silence.
Reaginn paraissait à moitié calme, à moitié fâché et il fixait durement l'adolescente, comme s'il attendait qu'elle lui avoue la vérité. Mais, celle-ci ne dit rien et résista à l'envie de partir en courant. Elle voulait échapper à son regard intimidant et sinistre. Elle s'attendait au pire et ne pouvait plus rien faire pour l'éviter. Sa punition reposait entre les mains de Reaginn Ruvior, le maître le plus disciplinaire de tout l'établissement.
— Venez avec moi, dit-il en se mettant en route vers sa salle de classe.
— Qu'allez-vous me faire ? osa demander Azéna en le suivant.
— Vous verrez bien lorsque votre temps sera écoulé.
Les manières mystérieuses et les réponses énigmatiques de cet homme menaçaient de la rendre folle. Elle voulait qu'on lui explique ce qui se passait, tout de suite. Mais elle n'était plus au château de ses parents adoptifs. Elle ne pouvait plus se permettre d'être autoritaire, surtout en présence de Reaginn.
Celui-ci la guida jusqu'à sa salle de classe puis il s'arrêta avant d'entrer.
— Bonne chance à la fouille, souffla-t-il sur un ton autant doux qu'intimidant.
Puis, il ouvrit la porte pour laisser Azéna entrer. La dragonnière sentit son cœur flancher momentanément et elle s'avança à contrecœur.
Elle se demandait si Reaginn était au courant pour son dérobement de l'Œil du Savoir. Il agissait vraiment étrangement avec elle. Elle espérait que Turion se permettrait une remarque ou un conseil, mais le wyrm ne prononça pas un mot.
Durant toutes les explications et les indications de Reaginn, elle faillit perdre son calme à multiples reprises sous la pression du stress que lui affligeait la fouille.
Une fois qu'il eût terminé, il invita ses apprentis à le suivre jusqu'à la salle des duels où les attendaient les trois sages ainsi que Terenas.
— Faites comme je vous ai expliqué, ordonna-t-il alors qu'il se plaçait à côté des autres adultes.
C'est à ce moment qu'Azéna réalisa qu'elle ne savait pas ce qu'il fallait qu'elle fasse. Elle n'avait pas écouté un seul mot de ce qu'il avait dit Reaginn en salle de classe. Une goutte de sueur glissa le long de son front.
Fayne le remarqua.
— Rohh, toi ! dit-elle en roulant les yeux. Allez, place-toi à côté de moi.
Elle était accotée contre le mur du fond et faisait face aux maîtres.
— Qu'est-ce que qu'il faut faire ? demanda Azéna en obéissant à sa meilleure amie.
— Sors tout simplement ta plume et attends qu'ils t'appellent.
Un à la fois, chaque apprenti se retrouva face aux sages et leur plume fut examiné soigneusement à l'aide de tests magiques, le tout supervisé par Terenas.
Ce fut le tour de Fayne puis vint celui d'Azéna.
Lorsqu'elle s'avança vers les adultes, elle marcha le plus lentement possible en tentant d'éloigner le moment présent de son châtiment. Qu'allait-elle faire ? Elle n'en savait absolument rien. Turion refusait de lui donner le moindre signe de vie et elle ne comprenait pas pourquoi. Elle s'arrêta devant Murun.
Allez, Turion, aide moi ! supplia-t-elle.
Aucune réponse. Elle se mordilla la lèvre inférieure.
Maudit dragon ! Calice de merde ! Je suis aussi bonne que morte !
Murun la fixa de ses doux yeux bruns et lui sourit amicalement. Il tenta de la rassurer, mais elle savait que c'était la fin pour elle et que rien ne pourrait la sauver. La seule chose qui l'empêcha de s'enfuir fut sa persévérance d'acier qu'elle devait à son rude entraînement qu'elle avait enduré tout au long de sa vie en présence de son grand frère cruel et de son père froid. Elle refusait d'abandonner et de se laisser marcher dessus.
— Donne-moi ta plume, demanda gentiment son supérieur.
Elle lui présenta sa plume à contrecœur. Les yeux de Wirus et Saphia s'écarquillèrent avec intérêt lorsqu'ils aperçurent la couleur de la plume. Murun prit soigneusement l'objet et l'examina pendant un moment. Il la fit léviter et tourner à l'aide de sa magie. La lévitation était un tour simple pour un utilisateur de mana, mais fascinait tout de même Azéna.
Murun hocha de la tête en signe d'approbation et la plume flotta jusqu'à Saphia pour s'immobiliser au-dessus de sa paume gauche. La jeune femme aux yeux d'un bleu fit passer à la plume une série de tests magiques que l'adolescente ne comprenait pas. La plume virevoltait sur elle-même, se calmait puis recommençait à s'agiter.
Après un moment, ce fut le tour de Wirus. Le plus déterminé des trois, il garda la plume bien plus longtemps que son frère et sa sœur en sa possession. Pour s'assurer qu'elle n'était pas enchantée, il vida des substances qu'il avait préparées sur l'objet, mais fut déçu du manque de réaction. Rien d'anormal ne se produit.
Azéna fixa le tout avec intrigue. Elle ne comprenait pas pourquoi tous les tests des sages ne révélaient rien. Peut-être que Turion sut se camoufler en fin de compte. Elle regrettait amèrement ses pensées de tout à l'heure.
Après quelques minutes, Wirus n'eut pas le choix d'accepter la défaite.
— La plume semble normale, déclara-t-il sur un ton froid en fixant la rebelle avec suspicion. Tu peux partir, Apprentie Kindirah.
Il remit la plume à sa propriétaire avec une lenteur étrange comme s'il souhaitait que quelque chose se produise lors du contact entre l'objet et sa propriétaire. Cette dernière la remit dans son sac avec délicatesse et retourna à côté de Fayne sur le mur du fond.
À la fin de la session, personne ne fut accusé d'avoir volé, ce qui n'était pas surprenant aux yeux d'Azéna, car elle savait que la sienne était celle recherchée.
En chemin vers le Hall d'Archlan pour aller souper, le trio fut dépassé par Reaginn qui était si pressé qu'il heurta Azéna. Cette dernière s'attendait à ce qu'il s'excuse, mais le maître ne ralentit pas et ne lui accorda aucun signe d'intérêt.
— Quel effronté ! grogna-t-elle lorsqu'il fut assez éloigné pour ne pas l'entendre.
— C'est Ruvior, soupira Teriondil. Il est juste comme ça de nature. Il ne faut pas s'emporter avec lui sinon, on n'en finirait plus.
– J'ai remarqué. Je me demande pourquoi il est pressé comme ça.
— Laisse-le faire, conseilla Fayne. Viens manger et oublie-le.
Durant le festin, Azéna tenta de communiquer avec Turion à nouveau. Cette fois, le dragon répondit avec de la fatigue imprégnée dans sa voix.
Que s'est-il passé ? Je sens un déséquilibre en toi.
C'est moi qui allais te poser cette question, rogna l'archère.
Umm... Je ne m'en souviens pas. Il y a un trou noir dans mes souvenirs.
Azéna ne put s'empêcher de rouler les yeux à cette réplique. Elle mordit sauvagement dans une aile de poulet pour se défouler.
Aurais-tu performé un sortilège quelconque pour te protéger contre les tests des sages ?
Je ne crois pas. Je n'ai pas assez de pouvoirs pour ça. Pas contre trois grands mages. Ça aurait été futile dans ma condition.
— Azéna, appela doucement une voix familière.
L'aéromancienne perdit toute sa concentration et retourna vers son interlocuteur. Assis à côté d'elle, se trouvait Gragèn qui la fixait timidement. Il semblait de bonne humeur, contrairement à son habitude.
— Écoute, continua-t-il avec hésitation, je voulais te remercier pour Serfantor.
— Il t'a laissé tranquille ? demanda la Kindirah en faisant semblant qu'elle n'avait rien vu ni entendu hier.
– Oui. Il n'a plus besoin de mes services...
— Si on peut appeler ça des « services ».
Elle émit un petit grognement alors qu'elle planta sa fourchette dans la poitrine de poulet qui reposait au centre de son assiette.
— Oui, bon, répondit le rouquin. Je voulais juste te dire un conseil : fais attention à toi.
— Pourquoi ? questionna-t-elle avec suspicion.
Il jeta un coup d'œil rapide en direction du sac de son interlocutrice, suggérant qu'il parlait de l'Œil du Savoir. Ensuite, il se leva et partit en la laissant à ses réflexions.
Elle n'avait plus besoin de jouer la comédie, car elle savait déjà que Serfantor n'en avait pas terminé avec elle. Cependant, elle craignait jusqu'à où l'elfe gris allait aller pour mettre la main sur Turion. Elle fixa Gragèn s'éloigner jusqu'à qu'on lui donne un coup de coude amical. À sa gauche, Fayne semblait concernée.
— Pourquoi il est venu te voir ?
— Serfantor a tout simplement cessé de l'intimider, répondit innocemment son amie.
Elle évita le regard de Fayne en recommençant à piger dans son assiette de viandes et de hors-d'œuvre.
— Alors... il a eu ce qu'il désirait, devinèrent ses compagnons simultanément. C'est donc pour ça qu'il y a eu la fouille.
— Possible, souffla Azéna.
Elle se mit à jouer avec sa nourriture en espérant que ses deux amis cesseraient de lui poser des questions.
— Qu'est-ce que tu nous caches ? questionna Fayne avec autorité.
— Rien du tout, répliqua Azéna avec nervosité.
— Tu es très mauvaise à cacher tes sentiments.
Frustrée, l'archère serra les dents et s'efforça de sourire.
— Tu peux nous dire, murmura la brunette avec beaucoup plus de douceur. On ne va pas te dénoncer ou te faire du mal, tu sais. Nous sommes ici pour t'aider comme tout bon ami ferait.
Ne leur dis pas, ordonna Turion.
Azéna faillit sursauter. Elle réfléchit à la question. Fayne était son amie depuis toujours et jamais elle n'avait trahi sa confiance. Teriondil semblait honorable et juste, mais elle doutait quand même, car elle ne le connaissait pas depuis longtemps. Elle détestait mentir et se cacher. Elle était une personne de vérité, d'honneur, de manifestation et de loyauté. Elle jeta un coup d'œil à son sac qui était à côté de ses pieds.
— D'accord, mais ne dites rien.
— C'est toi, supposa impulsivement Fayne. Tu as...
Azéna plaqua sa main sur la bouche de son amie. Teriondil, lui, resta parfaitement calme et serein, comme à son habitude, mais la rebelle savait qu'il devait réfléchir à ces nouvelles informations.
— Sois discrète avec ça, chuchota-t-elle à la Litfow. Ce n'est pas une blague. Serfantor est après moi.
Elle retira sa main et s'assit normalement.
Désolé, Turion
Ce n'est rien, répliqua le dragon. Je comprends ton besoin de te confier à quelqu'un de proche. Mais j'aurai préféré autrement. Ne le refais pas.
L'attention d'Azéna fut alors attirée vers Fayne, car celle-ci s'était brusquement levée de table pour courir après quelqu'un.
— Depuis quand a-t-elle de genre d'audace ?
L'herboriste s'arrêta derrière un jeune elfe des bois. Azéna reconnut ses larges épaules, son uniforme modifié et ses cheveux vert forêt. C'était Umah. Méfiante, elle plissa les yeux et observa la scène.
— Laisse-la faire, mon amie, dit Teriondil. Elle veut tout simplement l'aider.
Azéna ne l'écouta pas. Elle garda son regard fixé sur Fayne et Umah. D'ici, elle pouvait entendre leurs paroles si elle se concentrait.
— Ça va bien ? demanda la Litfow.
Umah tourna la tête vers elle.
— Je t'ai déjà dit auparavant que je ne voulais pas d'aide, dit-il avec impatience et froideur.
— On a toujours besoin de quelqu'un en qui on peut avoir confiance.
— J'ai Yuzia et c'est plus qu'assez. Maintenant, laisse-moi tranquille avant que la dernière goute de ma patience ne s'écoule.
Cette fois, Fayne persista. Elle continua d'essayer de trouver de bonnes raisons pour qu'il accepte son aide. Azéna se méfiait grandement de lui, car elle savait qu'il pouvait être violent lorsqu'il perdait son sang-froid. Mais, le plus intrigant était le comportement de Fayne envers lui. Elle voulait à tout prix l'aider alors qu'il ne voulait que se débarrasser d'elle.
— Pourquoi ? se demanda l'archère.
— Fayne a un grand cœur, dit Teriondil. Elle est intelligente et elle est une bonne personne, mais parfois, elle peut être naïve et imprudente.
— Ça, tu l'as dit, répliqua Azéna, se souvenant du jour où Shirah s'était blessée et que Fayne avait risqué sa main et sa réputation pour la soigner.
Umah faisait maintenant face à son interlocutrice. Azéna put voir son expression faciale. Il était en colère, ses plis creusés par l'impatience.
Azéna se leva soudainement, prête à agir.
Les yeux du garçon s'assombrirent jusqu'à qu'ils devinrent deux trous complètement noirs.
— Ça suffit ! déclara l'aéromancienne. Je m'en mêle.
Elle se précipita en direction de son amie.
— Tu vas te faire expulser si tu te bats avec quelqu'un ! hurla Teriondil.
Son amie en resta indifférente. Elle ne voulait pas qu'il arrive quelque chose à Fayne. Elle s'arrêta à côté d'elle et braqua son regard sévère en direction d'Umah.
— Bats les pattes ! jappa-t-elle.
Umah poussa un grognement.
— Dégage de mon chemin ! tonna-t-il. Ceci est votre dernière chance !
Les autres apprentis se tournèrent tous pour voir ce qui se passait. Fayne fut intimidée par tous ces regards curieux, mais Azéna et Umah les ignorèrent, fixés l'un sur l'autre.
— Tu vas la laisser tranquille ! ordonna Azéna avec sévérité.
— C'est elle qui vient me déranger ! rétorqua Umah. Elle n'avait qu'à ne pas se fourrer le nez dans mes affaires !
Il crispa ses poings et serra les dents comme s'il essayait de contenir sa rage. C'est alors que ses ongles s'allongèrent et devinrent aussi acérés que celles d'une bête. Du sang coula de ses mains, car celles-ci avaient percé ses paumes.
— Allez-vous-en, suggéra-t-il en tentant de paraître amical, mais sa voix était devenue grave et imposante.
— Pas avant que tu présentes tes excuses à Fayne, calice de sale barbare ! cracha la Kindirah sans se soucier des changements physiques de l'elfe.
— Azéna, s'il te plaît, plaida Fayne, légèrement panique. Ne commence pas...
Cette fois, Umah perdit patience. Ses doigts craquèrent sous la pression. Il attaqua.
Azéna n'eut pas le temps de penser à se défendre qu'elle fut sauvagement coupé au visage par les ongles d'Umah qui étaient maintenant des griffes. Elle ne sentit aucune douleur, seulement le sentiment de liquide chaud qui coula le long de sa joue blessée. Du sang... Mais, elle n'avait pas le temps de réfléchir à cela. Umah se préparait déjà à une seconde agression. Cette fois, elle l'évita de justesse. Elle remercia silencieusement son agilité supérieure.
Fayne écarquilla les yeux, figée par le choc. Teriondil se rua vers eux en hurlant quelque chose, mais Azéna en plein combat, ne compris qu'un seul mot : chaman. Elle se retint de ne pas frapper son assaillant, car elle ne voulait pas se faire envoyer en isolation disciplinaire. Elle se concentra plutôt sur l'esquive.
Plus elle réussissait, plus Umah s'énervait et redoublait ses efforts.
Éventuellement, il agrippa Azéna par l'épaule et transperça son uniforme de cuir de ses griffes jusque dans sa chair. Cette fois, elle sentit la douleur aiguisée se rependre au travers de son bras droit. Du sang coulait abondamment le long du membre.
— Tu va la laisser tranquille, tabarnack d'animal ! rugit-elle.
Sonnée, elle tenta de se dégager, mais ça ne fit qu'empirer la blessure. Umah ouvrit la bouche pour révéler des canines de taille démesurée.
Alors qu'il fut sur le point de mordre le cou de sa victime, quelque chose l'arrêta. Il figea sur place et fut soulevé par une force invisible.
Libérée, Azéna s'écroula au sol et tenta de mettre de la pression sur son épaule pour stopper l'hémorragie.
Ne t'endors pas, ordonna Turion. Reste éveillée !
Sa partenaire ne l'écouta pas. Elle était si fatiguée et trop faible pour se concentrer sur quoi que ce soit. Elle aperçut une forme argentée, mais sa vision était trop floue pour déterminer de quoi il s'agissait. Son affliction eut raison d'elle et un gouffre sans fin prit possession de son esprit.
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