29 - Celui qui est tombé
44e jour de la saison du sapin 2448
Sécher un cours était très mal vu à l'académie d'Archlan et Azéna s'en était abstenue jusqu'à ce jour. Dernièrement, tout allait de travers. Reaginn lui donnait du fil à retordre en classe, elle s'était fait accuser de violence physique dans l'académie, elle avait déjà été une fois au donjon et en plus, elle y retournait dans quelques heures, mais ce n'était pas tout. Sa réputation déclinait à vive allure. Elle s'imaginait en train de tomber dans un trou sans fin. Elle avait cru que s'enfuir de la famille Kindirah allait résoudre ses problèmes, mais les malheurs semblaient la suivre partout.
Elle était tellement en colère qu'elle se permit de sécher un cours. Cependant, elle n'osa pas aller visiter Tyrath, car elle commençait à douter de sa sincérité. Était-il véritablement immunisé à la pression de la société ? De son côté, normalement, elle en était plutôt indifférente, mais, lorsque son titre de dragonnière était en jeu, elle ressentait bien plus d'émotions négatives. Mis à part ses valeurs, c'était l'une des seules choses qu'elle tenait à cœur et qui affectait son honneur.
Elle s'était rendue au lac Cristal. À genoux, elle regardait son reflet dans l'eau dont la surface avait été légèrement cristallisée par le froid.
— Je ne comprends pas les dragons, se lamenta-t-elle. Ils ont parfois une mentalité tellement différente de la nôtre.
Pour l'instant, le lac était toujours en mouvement malgré la température qui était maintenant constamment froide. L'eau était d'un bleu aussi clair que celui du ciel. Le reflet d'Azéna ne restait pas en place et les petites ondulations déformaient son visage qu'elle fixa avec indifférence. Miraculeusement, sa longue chevelure était, malgré le vent, toujours peignée à la perfection.
Finalement, elle se lassa de cette image et alla se préparer pour son prochain cours, soit le cours de vol.
La journée s'écoula assez rapidement. Umah avait parvenu à maintenir son calme et Azéna avait oublié ses malheurs jusqu'à ce que le cours de survie débute. À ce moment, elle se souvint qu'elle allait devoir côtoyer Reaginn toute la soirée et peut-être plus longtemps.
Lorsque le temps vint, il l'accompagna jusqu'à l'entrée du donjon qu'il ouvrit avec lassitude.
— Je reviens, informa-t-il. Tu restes là-dedans et tu m'attends sans fouiner, c'est bien clair ?
L'adolescente hocha de la tête. Satisfait, Reaginn tourna les talons, mais arrêta sa marche après le premier pas.
— Maître Arahich est là pour te surveiller, alors comporte-toi avec sagesse, avertit-il avec froideur.
— Attendez un instant, paniqua la rebelle. M-Maître... Maître Ruvior...
Elle se rendit compte que la politesse et la nervosité ne faisaient manifestement pas bon ménage. Elle se sentait complètement idiote, mais elle devait essayer de convaincre Reaginn de ne pas la laisser seule avec ce psychopathe d'elfe.
— Qu'y a-t-il ? questionna l'adulte en haussant un sourcil. Je n'ai pas le temps de jouer.
— Bien sûr, répliqua Azéna en baissant les yeux. Je comprends, mais je ne me sens pas très à l'aise avec Maître Arahich.
— Ah, bon.
Pendant un long moment, il fixa ses petits yeux vert sombre sur elle dans un silence insupportable.
— Apprentie Kindirah, insinuez-vous que mon jugement est incorrect face au confort que vous devriez avoir durant votre séjour dans mon donjon ?
Puis, sans même lui laisser une chance de répliquer, il disparut dans l'ombre du corridor étroit éclairé par quelques torches. La porte en grille métallique se referma lourdement derrière lui, le tout dans un grincement atroce.
L'odeur familière d'humidité et de mort désagréable qui hantait si particulièrement le donjon chatouilla les narines d'Azéna. Se souvenant de l'expérience cauchemardesque de la dernière fois, elle n'osa pas bouger pendant un long moment.
Allons, allons, s'encouragea-t-elle dit-elle, Vyrius ne doit pas être si terrible que ça si Maître Ruvior me laisse seul avec...
Elle demeura inconvaincue. Peut-être devrait-elle attendre Reaginn ici, à l'entrée du donjon. Elle se ferait passer pour une lâche. Peut-être que Vyrius n'était même pas ici. Peut-être était-ce une ruse pour tester son courage. Et si ce n'était pas le cas, est-ce que ce fou lui ferait véritablement du mal ? Terrifiée par son choix, elle descendit lentement dans la pénombre du donjon. Elle arriva au premier croisement et s'assura que personne ne la guettait en tentant de discerner le moindre mouvement dans le noir.
L'elfe des bois est dans la réserve, résonna une voix caverneuse.
Azéna sursauta et pivota sur elle-même à la recherche de l'auteur de cet avertissement. Elle ne vit personne.
Arahich est un elfe des bois, songea-t-elle avec anxiété. Ça veut donc dire que Ruvior avait vraiment dit la vérité. Il est ici.
Soudainement, un visage qui aurait pu être beau s'il n'avait pas été déformé par les cicatrices et une expression sadique émergea des ombres. Les deux pupilles brunes foncées de Vyrius se fixèrent sur la jeune dragonnière et un ricanement retentit au travers du donjon.
— Oh, tu n'es pas seule, n'est-ce pas ? questionna le maître en s'approchant d'elle avec intrigue.
Azéna recula lorsqu'elle aperçut la dague crochue tenue par l'elfe des bois. En plus d'avoir des idées sadiques, il portait une arme. Figée par sa paranoïa, elle fixa la lame et avala difficilement sa salive en tentant de se calmer.
— Oh, dit Vyrius avec un ton surpris forcé. Je vois que mon amie t'apporte un malaise.
Il caressa la dague avec tendresse.
— Elle est gentille, mais je dois avouer qu'elle n'est pas très douce. C'est bien vrai...
Cette fois, l'archère en avait assez entendu. Elle aurait préféré devoir passer une saison au complet avec Reaginn qu'un moment de plus avec Vyrius. L'elfe des bois était légèrement courbé vers l'avant ce qui réduisait sa hauteur déjà impressionnante. Droit, il devait faire deux têtes de plus qu'Azéna. Sa longue chevelure en désordre était aussi sombre que ses yeux et tombait sur ses épaules. Il sentait l'écorce moisie et brûlée. On avait coupé la cime de son oreille gauche et ainsi, elle était carrée au lieu d'en pointe.
Il s'approcha dangereusement.
— Maître Ruvior va revenir bientôt, menaça l'adolescente avec une pointe d'agressivité. Ne t'avise pas à me toucher.
— De biens gros mots pour une si petite fillette, répliqua Vyrius de sa voix venimeuse. Tu dis des mensonges parce que tu ne veux pas de ma présence. Tu es une demoiselle désagréable. C'est pourquoi tu es ici.
Il l'agrippa par le collet de sa main libre et effleura la lame de sa dague sur son bras. Le froid du métal sur la peau lisse de la rebelle envoya un frisson au travers de sa colonne vertébrale, mais heureusement, aucune coupure ne fut affligée.
— Tu as encore fait la mauvaise fille pour te retrouver ici, souffla-t-il dans un ronronnement guttural. Il va bien falloir que quelqu'un te punisse et malheureusement, il n'y a que moi ici alors, la situation m'y oblige.
Défends-toi, résonna encore la voix mystérieuse.
Ces paroles apportèrent une clarté d'esprit à Azéna.
Vyrius pressa la cime de la dague un peu plus fortement contre la peau fragile de sa victime. Celle-ci s'attendait à sentir la première goutte de sang rouler le long de son cou.
On entendit un grincement, puis un bang. L'expression de Vyrius se transforma en crainte. Ce dernier se figea.
— Non, pas maintenant, pleurnicha-t-il. Je n'ai jamais mon tour !
Azéna aperçut un homme encapuchonné du coin de l'œil. Vyrius lâcha prise et partit avec hâte. L'adolescente tomba lourdement au sol et toussa. Le nouveau venu fixa son collègue disparaître à l'angle de la porte de la réserve puis, il posa ses yeux sur elle. Il l'inspecta brièvement, ce qui donna la chance à Azéna de l'examiner en retour.
— Tu n'es pas blessée, conclut-il. C'est bien. Maintenant, viens.
L'aéromancienne se releva, laissa passer le maître du donjon et se mit à le suivre. Elle réalisa qu'ils n'étaient pas seuls. Un deuxième apprenti les suivait d'une cadence saccadée comme s'il éprouvait des moments d'anxiété intermittents. Lorsque le groupe passa devant une torche, elle identifia le nouveau venu aisément en cause de sa tignasse rousse.
Pauvre Gragèn, songea-t-elle avec amertume.
C'est en effet très dommage pour ce petit, répliqua la même voix mystérieuse.
Azéna sursauta et tourna la tête dans tous les sens.
— Quelque chose ne va pas, Apprentie Kindirah ? questionna Reaginn qui s'était arrêté pour l'attendre.
— Un... Une v-voix, balbutie-t-elle avec confusion.
— Celle de Maître Arahich, peut-être ?
— Non. Une autre. Vous ne l'entendez pas ?
— Je n'ai rien entendu, informèrent ses compagnons.
Ils ne peuvent pas m'entendre, informa la voix. Seulement toi en es capable.
Pourquoi ? demanda Azéna. Je ne comprends pas ce qui se passe.
La voix s'était éteinte une fois de plus.
Reaginn s'arrêta devant les cellules et en ouvrit une. Les apprentis y pénétrèrent docilement alors qu'il referma la porte à clé.
— J'ai deux mots à dire à mon collègue, informa Reaginn en affichant un léger sourire d'amusement. Je reviens... très bientôt... et pas de bêtises.
Lorsqu'il tourna les talons, un cliquetis retentit et il disparut.
Azéna s'accota contre le mur froid et humide au fond de la cellule. Elle positionna ses mains derrière sa tête en tentant de former un coussin alors que Gragèn fixait anxieusement le sol. Le comportement pleutre du roux l'énervait, alors elle se mit à penser aux leçons de Nikala sur la méditation.
Dire que ce cours me sera utile. Au moins, je risque moins d'étrangler Gragèn.
Regarde par terre, près de l'entrée, informa la voix.
Encore une fois, Azéna fut prise aux dépourvues et sentit son cœur lui monter aux lèvres. Gragèn la fixa comme si elle était folle.
— Qu'est-ce... ? marmonna-t-elle. Mais, câlice de Saint Aspérule !
À ce point, elle ne savait même plus quoi penser de ce personnage qui s'amusait à s'introduire dans ses pensées privées. Elle se sentait impuissante ; elle ne pouvait rien faire pour l'en empêcher.
— Es-tu nerveuse à ce point ? questionna Gragèn. Pas que je te blâmerai.
— Non, grogna-t-elle, tellement impatiente qu'elle suspectait qu'elle allait bientôt exploser de rage.
— Alors, c'est quoi le problème ?
Elle ignora la question et jeta un coup d'œil en direction de la porte. Quelque chose scintillait sur le sol de l'autre côté du grillage. Sa curiosité piquée, elle s'approcha pour mieux identifier l'objet. Elle tâta et l'agrippa du bout de ses doigts qu'elle étira de tout leur long pour l'atteindre.
— C'est une clé. Une clé... pour...
Elle fixa la serrure avec confusion, se questionnant sur la nature de l'apparition de cette clé. Reaginn était trop vigilant pour qu'il n'ait pas remarqué qu'elle soit tombée. Elle ne savait pas quoi faire entre tenter de s'enfuir et avoir la chance de se faire envoyer en isolation disciplinaire ou rester tranquillement dans sa cellule et attendre sa punition.
— C'est pas vrai ! s'exclama Gragèn en savourant la clé du regard. Il a dû la laisser tomber sans s'en rendre compte. Quelle chance ! Utilise-la ! On sort d'ici !
Il s'élança vers elle, les mains prêtes à empoigner l'objet qui allait lui apporter sa liberté.
— Attends ! ordonna Azéna. Tu n'as même pas réfléchi à la situation, pas vraie ? Nos actions pourraient s'avérer désastreuses.
Elle lui bloqua le passage avec son bras.
— Pourquoi devrais-je ? questionna-t-il. Qu'y a-t-il à analyser sauf pour sortir de cet endroit infesté par la mort ?
— Nous pourrions être envoyés en isolation disciplinaire pour ça, espèce de crétin !
— D'accord, d'accord. Je propose alors qu'on aille jeter un coup d'œil dans la réserve et on revient. Il y a tellement de choses intéressantes là-dedans.
— Tu veux voler ?
— Mais, non. Voyons donc, pour qui tu te prends ? C'est juste par curiosité. On se ferait couper en petites rondelles pour avoir commis un tel crime.
Elle le regarda avec un mélange de méfiance et de confusion. Elle savait sans aucun doute qu'il voulait mettre ses misérables doigts de rat sur quelque chose de précieux.
— C'est drôle, mais j'ai l'étrange pressentiment que tu mens.
— Bah, allez. Tu ne peux pas dénier que tu es curieuse.
Il avait raison. Elle voulait voir si cette plume et ces quatre artéfacts existaient vraiment.
— Attends, grogna-t-elle alors que le roux essaya encore une fois d'agripper la clé qui se balançait entre ses doigts.
Elle tendit l'oreille pour s'assurer que ni Vyrius ni Reaginn n'était dans les parages. Gragèn pouffa d'impatience.
— D'accord ! s'exclama furieusement Azéna. D'accord ! Détends-toi. On sort. Juste pour un bref moment et après, on revient ici. Il faut être prudent dans cette affaire. Je te préviens, je te laisse derrière si tu ne te bouges pas le cul et qu'ils reviennent.
Le duo réussit à se rendre à la réserve sans problème. Vyrius et Reaginn n'étaient pas présents. Le donjon était désert. Gragèn s'avérait insistant et pressé, car, Azéna le devinait bien, il voulait s'emparer de ce que Serfantor désirait obtenir.
Saisis ta chance ! Prends la plume, ordonna la voix.
Gragèn sonda l'endroit du regard. Il n'avait évidemment aucune idée d'où il fallait chercher.
Azéna, en revanche, savait où aller pour dénicher la plume, car la voix mystérieuse lui donnait les instructions dont elle requit. Après avoir traversé maintes allées bordées de meubles à rangement, elle trouva, au fond de la salle, une plume violette en parfait état. Cette dernière flottait gracieusement contre le mur par le bien de la magie. L'adolescente l'effleura doucement du bout de ses doigts et l'observa avec émerveillement. À son touché, l'objet se mit à briller d'un halo mauve pâle.
L'Œil du Savoir, songea-t-elle, soulagée. Alors, c'est toi qui ne cessais de parler par voie télépathique.
Oui, murmura tendrement une voix qui semblait au bord du ronronnement.
Un sentiment étrange envahit Azéna à cet instant, comme si la plume l'avait enveloppée dans un nid douillet et chaleureux. Ce moment de satisfaction eut une courte durée de vie. Gragèn l'avait entendue et avait accouru à elle. Aussitôt il aperçut la plume qui brillait de mille feux alors qu'Azéna l'agrippait doucement, aussitôt il approcha pour l'inspecter de plus près, une lueur cupide dans son regard.
— C'est l'Œil du Savoir ? C'est la plume qui te révèle toutes les réponses et te parle ?
— Je crois que oui, répliqua la rebelle. Enfin, elle me parle. Est-elle enchantée ?
— Je ne sais pas et honnêtement je m'en fous.
Azéna réalisa son erreur ; elle n'aurait pas dû révéler tant d'information. Gragèn agrippa son poignet avant qu'elle ne puisse réagir et le tordit.
Maintenant, elle en était certaine, c'était la plume que Serfantor désirait tant. Pourquoi ? Pour une obsession avec la gloire d'être le plus fructueux apprenti de son année ou encore, de tous les temps ? Ça semblait, aux yeux d'Azéna, une raison médiocre pour tant d'efforts de sa part et pour tant de dommage infligé.
— Donne-la-moi ! s'écria Gragèn avec une furie dont elle ne l'aurait jamais soupçonné d'en être capable.
— Tu devras passer sur mon cadavre avant que je t'obéisse, répliqua-t-elle avec férocité. Je ne laisserai pas Serfantor avoir cette plume. Quoi qu'il veuille faire avec elle, ce n'est pas bon pour personne.
— Au moins, je cesserai de me faire torturer par cette espèce de fou qu'on a comme maître de la survie ! hurla le garçon dans une triste agonie.
Il appliqua plus de force au poignet de sa victime.
— Arrête ! beugla Azéna qui sentit une larme se former au bord de son œil gauche. Gragèn, cesse cette folie !
Cette fois, elle n'avait plus le choix si elle ne voulait pas se retrouver avec un poignet cassé. Elle devait se défendre. Formant un poing fermé de sa main libre, elle frappa son assaillant au visage de toutes ses forces. Ce dernier ne vit pas l'attaque venir puisqu'il était trop concentré sur le poignet de sa victime ainsi que la plume. L'impact le secoua et il fut forcé de lâcher prise. Son nez saignait abondamment.
— Tu m'as cassé le nez, espèce de garce ! s'exclama-t-il avec fureur.
— Oups, répondit Azéna avec une innocence forcée et visiblement sarcastique.
Gragèn poussa un pleurnichement alors qu'on entendit un petit craquement provenant de la blessure alors qu'il fit l'erreur d'appliquer trop de pression. Ignorant sa douleur, il fixa la plume avec une flamme de détermination qui brûlait dans ses yeux. Il serra les dents alors qu'une goutte écarlate coula de sa narine jusqu'à sa lèvre. Il l'essuya sans quitter sa cible du regard.
— Donne-la-moi sinon, j'utiliserais les grands moyens, menaça-t-il.
— Ah oui ? répliqua l'archère en reculant lentement. Je me demande bien ce que tu peux accomplir lorsque tu es sérieux.
Il s'élança, son poing prêt à frapper.
L'air, mentionna la voix. Abuse de ton aéromancie.
Azéna remarqua le courant produit par l'élan de Gragèn et se concentra là-dessus.
— Je ne peux peut-être pas créer ma propre brise, mais je peux manipuler les préexistantes ! s'écria-t-elle, acharnée.
La force du courant d'air fut amplifiée et propulsa Gragèn en direction d'Azéna. Celle-ci roula hors du chemin juste à temps pour laisser son ennemi s'écraser contre le mur. Elle le regarda glisser au sol, évanoui par le choc qu'il reçut à la tête. Les étagères tremblèrent et quelques objets vacillèrent dangereusement. Le cœur de la Kindirah s'arrêta pour un instant. Rien ne tomba. Elle soupira, soulagée.
— Câlice, Gragèn, murmura-t-elle en fixant le sang qui continuait de s'écouler lentement du nez du dragonnier assommé. Franchement, tu fais pitié. Bah, tu as forcé ma main.
Après quelques instants de silence et d'immobilité à écouter pour le moindre bruit de pas, elle rangea la plume dans l'une des poches de son uniforme. Honnêtement, elle ne savait pas trop quoi faire de cette situation embarrassante.
Emporte le garçon dans la cellule et laisse la clé juste en dehors de ta cellule pour laisser croire au maître que vous ne pouviez pas l'atteindre, proposa la voix. Tu n'auras qu'à l'accuser de t'avoir attaqué.
C'est bien ce que je craignais, songea la demoiselle avec dédain. Je vais devoir tirer ce gros idiot derrière moi comme une chienne de traineaux.
Gros ? Il est plutôt bambin pour un humain adulte.
Azéna faillit éclater de rire.
Tu es génial, complimenta-t-elle.
Mmmm, merci pour la flatterie, je suppose, répliqua la voix qui commençait à devenir familière.
Azéna fit ce que la plume lui avait proposé. Lorsqu'elle passa devant l'armurerie, il lui fallut beaucoup de détermination pour ne pas succomber à la tentation d'aller jeter un coup d'œil à toutes ces merveilleuses armes.
Une fois dans la cellule, elle ferma la porte et tira la clé en dehors de la cellule de sorte qu'elle atterrisse assez près de la porte pour paraître comme si Reaginn l'avait tout simplement laissée tomber là. Elle s'écrasa contre le mur pour reprendre son souffle et laissa Gragèn étendu sur le sol.
Trainer un petit homme comme lui t'a donné tout ce mal ? questionna la plume.
La ferme, répliqua Azéna avec légère rage. Il est lourd, merde !
La plume émit un léger rire. La rebelle l'ignora, ferma les yeux et se détendit.
✦×✦
Quelques longs moments plus tard, elle entendit le bruit de bottes lourdes, de cliquetis, puis le bruit sourd d'une porte qui s'ouvre.
— Que s'est-il passé ? demanda Reaginn.
— Il m'a attaqué, accusa Azéna en se relevant. Il a fallu que je me défende.
L'adulte haussa un sourcil et ne semblait pas convaincu. Néanmoins, il ne dit rien à ce propos et s'approcha de Gragèn pour le tapoter de son pied. Le roux ouvrit les yeux et fixa le maître avec horreur.
— Ell-elle, balbutie-t-il.
— Reste tranquille et ne parle pas, interrompit Reaginn avec sévérité.
Il examina le blessé avec attention, particulièrement dans la région nasale puisqu'il y avait du sang sec étendu un peu partout.
— Ton nez a été fracturé, informa-t-il. Je vais t'escorter à l'infirmerie.
Il l'aida à se relever en le tirant sur ses pieds. Ses yeux sombres se posèrent sur Azéna pendant un bref instant. Il semblait sur le point de l'accuser.
— Tu peux partir, décida-t-il. Je vais vous épargner pour cette fois uniquement.
Azéna resta bouche bée face à la décision du maître, mais ne s'en plaignit pas. Normalement, il prenait son rôle à cœur et ne laissait rien lui échapper. Ce qui est encore plus étrange, c'était le fait qu'il ne savait rien à propos de ce qui s'était passé pendant son absence.
Bien joué, complimenta la plume.
Encore loin d'être habituée à sa présence, Azéna sursauta ce qui attira l'attention de Reaginn. Il la regarda avec suspicions, mais n'en fit rien.
— Je viens, je viens, rogna-t-elle. Mais, Maître Ruvior, à propos de Gragèn...
— Je vous conseille, Apprentie Kindirah, d'éviter de participer aux querelles entres apprentis. Vous n'avez surement pas fait une très bonne impression dans un passé très rapproché et encore une fois...
Il baissa les yeux en direction de Gragèn qui grimaçait de douleur à chaque pas.
— Vous savez que je vais devoir reporter cet incident.
— Cette fois, je vous assure qu'il s'est passé quelque chose d'étrange, rétorqua Azéna avec insistance. Il y avait une ombre... puis, Gragèn est devenu agressif sans aucun motif.
Ce dernier hocha tout simplement de la tête, approuvant le mensonge.
— Mmmm bien, souffla l'adulte. C'était peut-être... ce spectre. Quoi qu'il en soit, tenez-vous loin des ennuis. J'en ai assez de vous.
Pareil ici, mon ami, songea l'adolescente en plissant les yeux, irritée.
Elle le suivit hors du donjon.
Au cours de la route, ils rencontrèrent Vyrius qui allait dans la direction opposée. Celui-ci accorda un sourire intéressé à Azéna en passant près d'elle, ce qui la fit frissonner de dégoût. Elle détestait que cet elfe pose les yeux sur elle.
Reaginn et Gragèn se dirigèrent vers l'infirmerie tandis qu'elle profita de cette opportunité pour se dépêcher aux dortoirs avant que son punisseur ne change d'avis.
Explique-moi comment tu fonctionnes, demanda-t-elle à la plume. Qui es-tu ? Es-tu seulement un sortilège ? C'est toi qui me parlais durant mon examen ?
Je suis un dragon et j'ai perdu la vie il y a très longtemps, mais ici n'est pas un endroit pour en discuter, répliqua-t-il. Nous avons besoin d'une certaine intimité.
Azéna resta bouche bée face au fait que la plume n'était pas du tout qu'un simple objet ensorcelé, mais une véritable âme, une créature, un dragon.
Comment est-ce possible ? Qu'est-ce que tu fais dans une plume ?
Sois patiente et les réponses viendront.
L'adolescente ne put s'empêcher de ronchonner à cette réponse. Elle détestait ce genre de réplique ; ça lui rappelait Leith et son père adoptif. Elle allait protester, mais elle se rappela qu'elle discutait avec un dragon et qu'il pourrait possiblement être un wyrm. Un sourire de malaise se dessina sur son visage et elle monta les escaliers en colimaçon qui menaient à la Tour de la Connaissance à grandes enjambées.
Une fois dans sa chambre, elle s'assura qu'elle était bien seule, se défit de son uniforme qui devenait inconfortable après quelques heures et enfila une tenue plus légère. Par-dessus son soutien-gorge, une simple tunique en coton couvrait son torse et ses bras tandis que des culottes de jeune homme trop grandes s'occupaient de ses jambes.
Curieux choix. C'est un habillement de mâle que tu portes, souligna le dragon avec confusion.
Azéna poussa un petit cri lorsqu'elle se rendit compte qu'elle s'était dénudée devant un parfait étranger.
Je m'habille comme je veux, répliqua-t-elle avec entêtement. Et, je ne sais pas si tu peux me voir, mais n'ose pas me regarder quand je me change... Pervers.
Je n'ai aucun intérêt à regarder un humanoïde nu, expliqua son interlocuteur avec assurance. Nous, les dragons, le somme toujours, donc la nudité ne nous excite pas comme vous êtres faibles.
Alors, tu peux me voir... Je me demande bien ce qui vient vous chercher dans ce cas, songea-t-elle en roulant les yeux.
De toute façon, le code vestimentaire de l'académie, tu y as pensé ?
Il faut que je porte l'uniforme durant mes cours, pendant les évènements officiels et lorsque je m'entraîne. Alors, on se calme. Je ne fais aucune de ces choses actuellement.
Toutes mes excuses. Lorsque j'étais vivant, c'était en permanence.
Azéna en conclut alors que ce dragon avait possiblement été lié à quelqu'un dans son passé.
Même quand les apprentis dormaient ? questionna-t-elle en affichant un sourire coquin.
Ne sois pas ridicule, rétorqua le dragon. C'est extrémisme ça.
L'archère réalisa qu'elle s'était comportée grossièrement et ricana nerveusement.
C'était une blague, ne t'inquiète pas. Je suis taquine comme tu as pu le constater. Bon, aux bains publics. Personne ne prend de bains à cette heure si tardive. Enfin, normalement. Nous aurons surement la paix.
Elle émergea de la Tour de la Connaissance et se mit en route vers les douches. Elle avait hâte de savoir à qui elle avait à faire.
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