27 - Le feu vorace qu'est la rage
41e jour de la saison du sapin 2448
Le soir venu, après le couvre-feu, Azéna attendait Fayne dans la salle commune près du foyer au chaud. Enroulée dans une couverture de laine, elle observait les autres apprentis silencieusement. L'un d'eux avait toujours attiré sa curiosité. Il avait quelque chose en lui qui la rendait un peu mal à l'aise, mais elle n'arrivait pas a comprendre pourquoi.
Umah faisait ses devoirs d'anatomie dans un coin sombre installé à une petite table. Il semblait à la fois énervé et calme. Son humeur semblait souvent vaciller, ainsi il n'arrivait pas à se concentrer.
La salle commune était sereine si on ignorait les craquements du feu dansant du foyer. L'elfe baissa la tête. Une mèche rebelle dérangeait son champ de vision. Sa chevelure avait poussé rapidement. Cette dernière avait descendu au bas de ses oreilles si elle avait été tombante, mais presque toutes les mèches refusaient de s'aplatir, ce qui donnait à son porteur une allure farouche. La main sur son cœur, il semblait vérifier qu'il était bien vivant. Après un instant, il laissa tomber sa main sur la table dans un mouvement lent. On aurait dit qu'il venait de mourir. Son sang pulsait toujours ses veines, mais son esprit n'était pas présent.
Il ne remarqua pas la présence de Fayne qui était entrée dans la salle commune. Son attention était perdue dans le vide et ses yeux étaient clos. Ce n'est que plusieurs secondes plus tard qu'une brise légère dérangea sa transe. Lorsqu'il ouvrit ses yeux gris profond, il aperçut la demoiselle devant lui. Celle-ci semblait nerveuse, mais s'efforçait de sourire bêtement. Ses yeux noisette émettaient de la chaleur et de la douceur malgré sa situation délicate. Ce n'était pas cela qui allait le charmer. Il lui lança un regard impatient et retourna à son travail.
Acceptant sa défaite, Fayne recula de quelques pas et croisa ses doigts ensemble en fixant le sol.
Umah s'était entouré de sa coquille invisible une fois de plus et ignorait tout ce qui était à l'extérieur. Son comportement irritait Azéna. Fayne essayait tout simplement de se montrer amicale. La Kindirah savait qu'elle était assez perspicace pour remarquer qu'il n'était pas heureux ainsi, elle essayait d'interagir avec lui de temps en temps. Azéna soupçonnait qu'elle le trouvait de son goût car elle aimait déjà l'allure des elfes des bois en général et était souvent attirée par les garçons avec des problèmes de comportement. Elle essayait toujours de les guérir d'une façon ou d'une autre.
— Viens, Fayne, dit sa colocataire de chambre en tentant de dissimuler son impatience. Allons dormir. Tu as besoin de ton repos.
Elle traîna sa couverture avec elle et guida son amie vers leur chambre. Elle s'assura qu'elle la suivait avant de s'arrêter au début de l'escalier. Lorsqu'elle jeta un coup d'œil en direction d'Umah, les oreilles de ce dernier frémirent légèrement comme s'il était aux aguets. Il leva les yeux et aperçut une courte dragonnière au visage sévère encadré d'une chevelure d'argent qui l'observait. Il la dévisagea à son tour pendant un instant avant de parler :
— As-tu été élevé dans la société elfique ? questionna-t-il avec neutralité.
— Non, répondit-elle sèchement. Essayes-tu de m'insulter ?
Il demeura impassible.
— Alors, tes parents étaient-ils des elfes ?
— N...
Azéna s'interrompit, car elle n'avait aucune idée de qui étaient ses parents. Répondre négativement à cette question aurait été un mensonge.
— Je ne sais pas, reprit-elle avec un peu moins d'assurance.
— J'assume que tu as été abandonnée par tes parents, en conclut Umah avec une mine sombre.
— Et alors ? Je suis certaine que je suis humaine, tout simplement.
— Pourquoi une telle affirmation ? Parce ce que les autres te l'ont dit ?
Azéna ouvrit la bouche. Elle ne pouvait nier ce qu'Umah avait dit, car c'était la vérité. Personne ne connaissait l'identité de ses parents donc, personne ne pouvait confirmer ses origines.
— Ne crois pas ce qu'on te dit, conseilla son interlocuteur. Vérifie par toi-même.
— On n'est jamais mieux servi que par soi-même, cita la rebelle.
— On s'entend là-dessus.
Il retourna à son travail et laissa Azéna à son sort. Celle-ci repensa aux vérités qui venaient de lui frapper en plein visage. Elle y avait déjà songé à multiples reprises, particulièrement lorsque son frère Sérus lui avait révélé qu'elle était adoptée pour la tourmenter alors qu'elle n'avait que sept ans. Les paroles de Bayrne résonnaient dans son crâne alors qu'elle se souvint de ce qu'il lui avait répondu lorsqu'elle avait demandé une confirmation des affirmations de Sérus.
— Tu es ma fille et personne d'autre ne saura que tu es adoptée, avait-il ordonné avec fermeté. Ne t'inquiète pas. Je vais glisser un mot à ce propos à Sérus. Aussi, n'oublie pas, personne ne doit savoir.
— Pourquoi ? avait demandé la fillette d'une voix suraiguë.
— Ne questionne pas. Fais seulement ce qu'on te dit. Ça vaudra mieux pour toi.
Elle avait insisté, mais il ne lui répondit pas. Lorsqu'elle avait demandé à sa mère, cette dernière lui assura que c'était pour son bien qu'elle n'en sache pas plus. Par la suite, cette dernière l'avait implorée de ne pas en parler à personne et que c'était pour sa sécurité. Azéna n'avait pas brisé sa promesse, sauf quand il s'agissait de Fayne en qui elle avait pleinement confiance. Cette situation lui avait apporté bien des nuits d'insomnies à se demander qui elle était et pourquoi elle ne pouvait pas savoir.
Depuis son départ de Nothar, elle se sentait enfin libre. Libre de faire et dire ce qu'elle voulait. Elle était en contrôle de sa vie. C'est pourquoi elle révélerait son véritable héritage à qui elle désirerait.
Mais, cet Umah, c'était la première fois qu'il adressait la parole à un apprenti. Elle se demandait si elle devait en être méfiante, heureuse ou honorée. Elle monta au dortoir et alla se coucher, car demain, elle aurait besoin de toute son énergie pour prouver ses habilités dans le cours de vol.
✦×✦
Le lendemain, à la troisième période, fut le cours de vol. Tous les apprentis ainsi que leurs dragons étaient en ligne devant Maître Bicornas et Maître Edrihkèj. Azéna avait toujours été très intéressée par les autres aéromanciens. C'était comme un instinct familial, un désir de vouloir apprendre d'eux et de connaître leur relation vis-à-vis de leur dragon et de leur élément. Puisque les dragons gris avaient tendance à se lier à des gens à tendance rebelle ou indiscipliné et qui valorisent leur liberté, elle se demandait si Sèrgus Bicornas pouvait agir comme elle de temps à autres.
D'ailleurs, il se tenait directement devant elle. Il était moyennement costaud, grand, avait un visage anguleux, une barbe d'un jour et portait une armure légère en cuir, un arc long foncé et une longue cape à capuchon qui ressemblait vaguement à celle de Reaginn. Sa chevelure brune en bataille grisonnait et ses yeux brun pâle étaient striés de doré.
— Comme vous le savez peut-être tous, commença-t-il, chaque dragonnier joue un rôle spécifique dans une guerre comme dans la vie de tous les jours. Ceux qui deviendront des maîtres en vol pourront se battre de n'importe où sur leur dragon et seront les plus rapides et agiles dans les airs. C'est très important pour tenir l'ennemi occupé lorsqu'on a besoin d'une distraction. Ces dragonniers pourront éviter toutes les attaques aériennes et traverseront de longues distances en peu de temps.
« Pour ceux qui souhaitent plonger dans la spécialité de géographie et de survie avancée, l'année prochaine requiert ces habiletés et je serai celui qui vous fera explorer un des aspects de ce chemin particulier. Si vous vous demandez, la spécialité en géographie et survie vous donnera accès à devenir un assassin — je suppose que vous savez ce qu'ils sont — ou un rôdeur, qui est essentiellement un éclaireur, un traqueur et un espion.
Il fixa son regard sur Azéna alors qu'il prit une brève pause. On dirait qu'il essayait de la convaincre subtilement qu'elle devrait prendre cette voie.
— Pour ceux qui désirent devenir joueurs de skotar, je vous conseille de ne pas prendre du retard dans ce cours. Mais, assez de bavardage. Qui se sent confiant pour une première balade en plein air ?
Environ la moitié du groupe, incluant Azéna, Umah, Teriondil et Arièlla, leva la main. Le teint de Fayne pâlit immédiatement. Buhrik lui donna un petit coup de museau amical sur l'épaule pour la réconforter, mais cela n'eut que très peu d'effet.
— Eh bien, dommage pour ceux qui ne se sentent pas prêts, car vous avez appris les bases hier, rappela Sèrgus en souriant diaboliquement. Vous allez prendre votre premier envol. Enfin, premier envol dans ce cours, rectifia-t-il avec une lueur joueuse qui brilla dans ses yeux. Montez vos dragons.
— Ouais, câlice ! s'exclama Azéna avec un enthousiasme désirable.
Les apprentis s'exécutèrent. Certains n'eurent aucune difficulté et se sentirent à l'aise sur le dos de leur compagnon tandis que d'autres tremblèrent tellement ils étaient effrayés.
Fayne fut la dernière à s'installer sur la selle de son partenaire. Elle se déplaçait lentement et prudemment, comme si chaque mouvement pouvait lui coûter la vie.
— Tout ira bien, lui assura Buhrik. Je t'aiderai.
Au bord de la panique, l'herboriste ferma les yeux et prit de grandes respirations.
— Je t'en prie, décolle avec douceur.
— Ne me compare pas à ces fous, répliqua le mâle bleu en désignant Azéna et Tyrath du regard. Je tiens à ta sécurité et à ton confort.
— Je sais, lui sourit faiblement sa cavalière.
Et l'un de ses pires cauchemars débuta :
— Prêts ? demanda Sèrgus.
Les apprentis s'accrochèrent aux rênes de leur monture.
Azéna, pour taquiner Fayne, s'accota contre l'énorme piquant qui saillait du dos de Tyrath juste derrière la selle. Son amie fronça les sourcils et la fusilla du regard puis se concentra vers l'avant. La Kindirah rit de bon cœur.
— Hoé ! Assis-toi convenablement ! lui ordonna Sèrgus.
Azéna fit la moue et se redressa. Ce Sèrgus avait un accent étrange ; elle se demandait d'où il pouvait bien venir.
Une fois satisfait de tous les apprentis qu'il inspecta un à un, ce dernier leva le bras.
— Dragons, ouvrez les ailes. Apprentis, accrochez-vous bien !
Il prit une brève pause.
— Volez ! termina-t-il en baisant le bras.
Fayne sentit les muscles de Buhrik se détendre puis se contracter. Elle serra sa poigne aux rênes alors qu'il déploya ses ailes.
— Prête ? questionna-t-il avec tendresse.
— Ce n'est pas comme si j'ai le choix, répondit sa dragonnière avec nervosité.
Buhrik s'élança dans le ciel à une vitesse qu'Azéna considérait comme lente et que Fayne trouvait bien trop brusque à son goût. Alors qu'ils s'élevaient doucement, l'archère entendit Sèrgus qui hurlait :
— Hoé, hoé ! Non ! Je me répète, non ! Recommence, monsieur !
— Ça va, encourageait Maître Edrihkèj qui semblait donner des conseils à un jeune dragon. Juste, assure-toi de donner des coups d'aile puissants pour le décollage. Les humanoïdes paraissent petits, mais ils ont un impact. C'est un ajustement à prendre en considération ; tu t'y habitueras.
Azéna jeta un coup d'œil sous elle et aperçut Jessa Bane, une jolie humaine à la longue chevelure blonde, aux yeux bleus et au visage en forme de cœur qui était installé sur Kujah, sa petite dragonne blanche, à qui Edrihkèj donnait des conseils.
De son côté, Fayne hurla et s'accrocha à la selle comme si sa vie en dépendait. Dans son mouvement, elle tira sur les rênes et Buhrik tourna brusquement à la droite. Il poussa un glapissement et faillit perdre contrôle de ses mouvements.
— Soit conscientes des rênes, avertit-il sur un ton moyennement doux, masquant partiellement sa légère panique.
Fayne n'écoutait plus et ne regardait plus ce qui se passait. Elle s'était enfoui le visage dans ses bras qui étreignait le pommeau élevé de la selle. Pendant ce temps, Buhrik se stabilisa et plana lentement au-dessus du terrain.
— Ça va ? questionna-t-il avec inquiétude.
Azéna qui avait observé la scène avec Tyrath d'au-dessus secoua la tête.
— On devrait peut-être leur donner un conseil ou deux, se décida-t-elle.
Tyrath ricana et se positionna à côté de Buhrik qui s'efforçait de ne pas faire de mouvement brusque.
— Ah, bonjour, jeune Tyrath.
Azéna se pencha sur le côté et fit signe de la main pour attirer l'attention de Fayne qui paraissait sur le bord de vomir.
— Hé, Fayne !
Elle attendit que son amie la regarde avant de continuer :
— Prends de grandes respirations, conseilla-t-elle en tentant de paraître de plus calme et confiante possible.
La brunette lui obéit et sa respiration ralentit après quelques essais.
— Voilà qui est bien, encouragea Azéna, un sourire bienveillant aux lèvres. Maintenant, essaye de sentir le battement du cœur de Buhrik.
— Comment dans une pareille situation ? demanda Fayne dont la respiration devint un peu plus saccadée.
L'aéromancienne eut une idée, mais elle se rendit vite compte que Fayne n'allait jamais bouger ses mains de leur lieu de sureté alors, elle opta pour les jambes.
— Serre les cuisses contre les flancs de Buhrik et concentre-toi pour bien ressentir sa respiration, son battement de cœur, son sang, sa chaleur, mais plus important encore, son mouvement.
Fayne hésita, mais obéit. Elle ferma les yeux et après un instant, elle sourit faiblement.
— Je crois que je comprends ce que tu veux dire. C'est inexplicable, mais c'est comme si je peux prévoir ce qu'il anticipe et ce qu'il désire faire. Je crois que je peux ressentir ce qu'il sent.
Buhrik, les yeux attentifs, parut satisfait. Il hocha de la tête en signe de remerciement.
— Ce n'est rien, murmura Azéna qui ne put retenir un gloussement content.
— Il est temps d'atterrir ! annonça Sèrgus en haussant le ton de la voix pour que chacun l'entende bien.
Fayne ne dit pas un mot. Lorsqu'elle sentit Buhrik se poser, elle s'empressa de retourner sur la terre ferme. Dans ses mouvements brusques, elle faillit trébucher. Buhrik l'a soutint à l'aide de sa queue. Il l'observa alors qu'elle tentait de se rétablir du choc. Son tremblement ralenti un peu.
— Alors, vous avez aimé votre expérience ? demanda Sèrgus.
— Pas du tout, souffla la Litfow.
La plupart des dragonniers furent heureux de leur balade aérienne.
— Bien, bien, dit Sèrgus. La répétition est la clé lorsqu'on veut se sentir à l'aise. Maintenant, j'ai vu que quelques-uns d'entre vous ont déjà atteint ce niveau. Qui voudrait se proposer pour tenter de faire une petite démonstration pour les autres ?
Sur le coup, Azéna n'eut pas trop envie. Elle se sentait un peu paresseuse. C'est que lorsqu'Arièlla s'avança, son visage dépourvu de crainte, acceptant le défi, qu'elle sentit ses veines s'enflammer avec un sentiment de rivalité. Elle fit un pas en avant, incertaine de quoi elle se mêlait, mais elle s'en foutait à présent.
Sèrgus les invita à performer individuellement. Par la suite, il demanda à un apprenti du groupe de faire apparaître quelques nuages d'ombre et se chargea de créer deux petites tornades immobiles, le tout utilisé comme obstacles.
Arièlla et Harath furent les premières à faire le parcours. La dragonne cramoisie décolla et fit le tour du terrain en effectuant de multiples cascades impressionnantes avant de se poser à côté de Tyrath qui, comme à son habitude, se sentit menacé par la rivalité. Il grogna et bomba le torse.
— Faites de votre mieux ! s'exclama Sèrgus. Montrez-moi de quoi vous êtes capables !
— Oh, mais nous allons vous le montrer, répliqua Tyrath en affichant une expression malicieuse.
Sèrgus ricana joyeusement puis il observa la scène d'un air intrigué.
Azéna était aussi impatiente que son partenaire de jouer à ce petit jeu. Elle savait qu'il était beaucoup plus rapide et agile que la partenaire d'Arièlla. Il était né pour ce genre de performance.
Elle fixa les tornades avec intensité et s'imagina un parcours précis. Les nuages d'ombre étaient une nuisance, rien de plus. Par conséquent, les tornades étaient ce qu'il fallait à tout prix éviter sinon ils allaient les attirer vers eux et ce serait la fin.
— Allez-y, alors ! ordonna Sèrgus en souriant.
Les autres apprentis clamèrent, encourageant les participants à foncer.
Azéna poussa un faible « tss », peut-être pour se convaincre de sa propre bravoure. Elle était incertaine de ses propres sentiments, mais elle désirait la gloire.
— Un peu de compétitions n'a jamais fait de tort, ronchonna-t-elle faiblement.
— Exact ! s'exclama Tyrath.
Le jeune dragon gris prit son essor et, dès le début, évita un premier nuage d'ombre. Les courants d'air passaient entre ses multiples piquants, ce qui aidait énormément à la pénétration et à l'amélioration du contrôle de navigation. Sa cavalière tenait fermement les rênes et sondait les environs pour n'importe quel signe de danger tandis qu'il se chargeait de la manœuvre aérienne.
La première tornade se présenta devant eux, mais de chaque côté se trouvait un énorme nuage d'ombre. Pour éviter le tout, il fallait passer en dessous d'un nuage.
Azéna guida Tyrath vers le bon chemin avec les rênes et tenta de voir ce qui se trouvait derrière, mais l'épaisse brume noire embrouilla sa vision. Lorsque le drake se trouvait directement sous la brume, il aperçut une tornade de taille moyenne qui était camouflée par le nuage. Sa camarade tira les rênes vers la gauche et il battit furieusement des ailes pour se dégager du vent violent.
Après maints efforts, il demeurait toujours immobile. C'était déjà bien qu'il fut assez fort pour maintenir sa position, mais pour combien de temps allait-il tenir ? Son cœur battait farouchement et ses muscles étaient tendus.
— N'arrête pas ! encouragea Azéna avec détermination. Tiens bon ! Rien qu'un autre moment !
Paume face à sa cible, elle se concentra sur la tornade, le vent, ses moindres particules et tenta d'invoquer un sentiment de paix en elle.
— Soit sereine, murmura-t-elle à la tornade comme une prière. Calme ton âme puissante.
À sa grande surprise, la tornade s'affaiblie un peu, juste assez pour que cela permette à Tyrath de s'échapper.
— J'ai réussi ! s'écria l'adolescente en tenant les rênes de sa main libre tandis que l'autre maintenait encore la force de la tornade.
Les apprentis poussèrent des cris d'exclamations tandis que Sèrgus fixait fièrement le duo en croisant ses bras.
— Allez ! encouragea Azéna. On a surement perdu du temps et de la performance en se laissant engouffrer par ce piège. Il va falloir se surpasser pour la suite.
— Je trouve que tu mérites un peu de crédit pour ta performance surprenante, loua Tyrath, mais tu as raison. Il faut toujours donner son maximum.
Le drake se laissa planer pendant quelques secondes pour se laisser le temps de récupérer un peu d'énergie et fila vers les prochains obstacles qu'il évita avec grâce et aise. Il effectua quelques pirouettes et démontra à quel point son vol draconique avait été conçu pour le vol rapide et flexible.
Vers la fin du trajet, Azéna s'amusait tellement que sa concentration vacilla et elle finit par lâcher les rênes. Lorsque Tyrath fit une rotation de cent quatre-vingts degrés sur lui-même, elle tomba. Il poussa un rugissement d'effroi alors qu'il se rendit compte de ce qui se passait. Il colla ses ailes sur son corps pour amplifier sa vitesse et piqua vers le bas.
À quelques mètres du sol, il attrapa Azéna avec ses mains. Cette dernière prit quelques secondes pour se remettre du choc et grimpa sur le dos de son compagnon. Tyrath, à nouveau dans une position verticale, évita une dernière tornade que Sèrgus créa à l'improviste. Il se posa lourdement au sol à côté du maître en labourant la terre dans son sillage.
— Belle performance malgré les erreurs commises, complimenta Sèrgus. Vous avez déjà un bon sens de communication et de travail d'équipe. C'est bien. Et, je dois souligner qu'Apprentie Kindirah possède une maîtrise solide de son élément considérant qu'elle en est au premier cycle de son entraînement. Prenez son exemple en note.
— Maître Bicornas, je ne comprends pas ce qui s'est passé, confia Azéna. Je n'ai pas assez de force pour atteindre un tel contrôle sur une si puissante tornade, surtout sans l'aide de Tyrath.
— Ma jeune dragonnière grise, Aerinda dans son ensemble est vivante. La terre, le vent, le ciel, ils possèdent une âme, quoique bien différente de la nôtre. Parfois, lorsqu'on leur accorde notre respect et qu'on partage avec eux, ils nous répondent.
L'adulte lui accorda un clin d'œil et lui ébouriffa la chevelure. Edrihkèj lança un regard curieux en direction de Tyrath qui s'efforçait à ce que son essoufflement ne paraisse pas.
— C'était très bien jeunot, complimenta le dragon gris adulte.
Tyrath baissa la tête en signe de remerciement puis se redressa en bombant le torse.
— Vous avez bien vu nos volontaires, assuma Sèrgus. Mais avez-vous remarqué ce qu'ils faisaient ? Le dragon s'occupe des actes physiques et ne pense à rien d'autre tandis que le cavalier prend en charge les décisions et guette pour du danger. Le travail d'équipe est important en tout temps. C'est un partenariat, quoi ?
Au fond du groupe, Umah et Yuzia, sa dragonne brune, ignoraient ses paroles sages.
— C'était à toi de suivre les mouvements des rênes, murmura l'elfe sylvain avec irritation.
— On aurait été trop proche de l'arbre si on avait fait comme tu voulais, répliqua calmement Yuzia.
— Et alors ?
— Mon aile aurait été égratignée par les branches et aurait possiblement déchiré, répliqua la dragonne qui commençait à perdre patience.
— Bah ! C'est qu'un arbre à la fin. Évite les branches.
— Ce n'est pas aussi facile que tu le crois, dit-elle après un bref soupir. Que tu peux être entêté !
— Pour qui tu te prends ? aboya le garçon.
— S'il te plait, Umah...
— Non ! rugit-il.
Son ton de voix montait dangereusement et, à présent, Sèrgus ainsi que les autres les observaient en silence. Umah se rendit compte qu'il était le centre de l'attention et son visage se tordit de colère. Il fixait intensément Sèrgus. Yuzia s'en rendit compte et posa une patte entre son dragonnier et le maître.
— Calme-toi, ordonna-t-elle fermement.
Umah l'ignora. Elle fronça les sourcils et grogna avec insistance.
— Umah.
Il serra les poings.
— Ferme ta gueule ! hurla-t-il.
Elle le fixa, les yeux écarquillés avec étonnement. Offusquée, elle secoua la tête et s'envola en fouettant l'air de sa queue.
— Voilà un exemple d'une situation fâcheuse entre dragon et dragonnier. Cela ne doit surtout pas se produire en combat ou lorsqu'une vie est en péril, avertit Sèrgus.
Umah respirait avec férocité. Il cligna lentement comme s'il tentait de se concentrer à quelque chose. Azéna crut voir un changement subtil de teinte dans ses yeux.
— Regarde les yeux d'Umah, murmura-t-elle à Tyrath.
— Qu'est-ce qu'il y a ? répliqua le drake.
— On dirait... Ce n'est plus la même personne. De plus, on aurait dit que le gris de ses yeux est un peu plus foncé.
Tyrath l'observa avec plus d'attention.
— Tu as raison. Est-ce une particularité des elfes des bois ?
— Je ne sais pas, mais il a un regard de meurtrier. Je n'aime pas ça.
Umah empoigna son sac à dos et partit en trombe.
Sèrgus ne l'arrêta pas, mais il le regarda jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une silhouette à l'horizon.
— Allez, filez ! La leçon se termine pour aujourd'hui.
✦×✦
Le jour suivant, l'humeur d'Umah ne s'améliora pas. Le simple fait qu'une fille discute avec une autre l'irrita. Malgré ses efforts pour contenir ses actions, Azéna avait remarqué et le surveillait de près. Son humeur noire l'inquiétait.
Au cours de vol, Umah fixa Sèrgus avec froideur en tout temps sauf lorsqu'il volait avec Yuzia. Les autres apprentis se tenaient loin de lui par peur de ses réactions imprévisibles.
En après-midi, entre le cours d'anatomie et de survie, qu'Azéna entendit une argumentation entre un garçon et une fille dans le corridor. Cachée dans le recoin du corridor précédent, elle aperçut Umah qui faisait face à deux apprenties de premier cycle : Renora et Naëshirie.
Les poings de l'elfe des bois étaient crispés et ses muscles étaient tendus, comme s'il se préparait à attaquer. Renora se tenait devant sa camarade et était visiblement prête à la défendre et en combattant s'il fallait. La détermination dans son visage était inébranlable.
— Laisse-nous tranquilles ! ordonna-t-elle avec défiance avec une sècheresse vicieuse. Sinon...
— Vous êtes deux idiotes ! interrompit Umah avec rage. Sinon, quoi ? Tu crois vraiment que tu peux me vaincre ? Toi, une petite humaine sans cervelle...
— Pourquoi je ne pourrais pas ? Parce que tu es un garçon ? Ouais, je l'ai dit. Tu es un garçon et certainement pas un homme avec cette attitude désastreuse. Tu n'es qu'un enfant avec un physique démesuré, voilà tout !
Azéna ne savait pas ce qui s'était passé, mais si ça continuait ainsi, Umah allait perdre le contrôle de ses actions. Elle était incertaine de ce qu'elle devrait faire, mais elle devait agir. Devrait-elle aller chercher un maître ou ne pas prendre ce risque ? Si elle intervenait, Umah risquait d'éclater dans une frénésie et là, elle serait punie pour s'être impliquée dans un combat.
Les paroles colériques venant des deux parties ne cessèrent pas.
Au final, Umah s'élança en direction de Renora qui ne broncha pas. Il tenta de la frapper, mais elle se protégea avec son bras.
Azéna mit trop de temps dans son incertitude. Elle cessa de réfléchir et courut en direction d'Umah. Elle agrippa les poignets du garçon pour handicaper ses mouvements.
— Calme-toi, Umah ! Sinon tu vas blesser quelqu'un et te faire envoyer en isolation disciplinaire !
— Arrêtez tout simplement ! s'écria Naëshirie. C'est de la folie ! C'est idiot se battre pour si peu !
— Non ! rugit Umah. Elle mérite d'être punie pour son insolence.
Il commençait à perdre le contrôle à nouveau. C'était étrange. Azéna sentait les muscles de l'elfe des bois gonflés lentement.
— Retrouve ton sang-froid avant qu'un maître arrive ! ordonna-t-elle.
Elle s'efforça de ne pas défaillir, mais ses bras ne résisteraient plus longtemps à la force supérieure de l'elfe des bois.
Des pas retentirent dans le corridor.
Azéna, prise de panique à l'idée que ce soit un membre du personnel, lâcha prise des poignets d'Umah. Celui-ci profita de sa distraction, fit volte-face et la poussa. Elle fut projetée au sol comme une poupée de chiffon.
— Tu vas voir ce qui arrive à ceux qui se mettent au travers du chemin d'un chaman, menaça le garçon.
Son ton de voix avait changé ; il était plus profond.
Lorsqu'Azéna leva le regard, elle remarqua que les yeux d'Umah étaient beaucoup plus foncés qu'à la normale. Elle ne savait pas grand-chose à propos des chamans, mais selon le folklore qu'elle avait entendu en Nothar, un chaman était un protecteur paisible de la faune qui possédait le don de la communication avec l'au-delà.
Elle n'avait pas le temps de penser à tout cela. Ce changement dans ses yeux n'était manifestement pas bon présage. Elle se leva d'un bond et, avec agilité, elle évita le coup de poing d'Umah puis agrippa fermement son bras musclé.
— Cesse ces absurdités, supplia-t-elle tout en maintenant une attitude forte.
Elle bloqua un deuxième coup de poing avec la paume de sa main libre. L'impact la secoua et elle ressentit une douleur aiguë tout le long de son bras. Alors qu'elle tenta de reprendre contrôle de ses émotions, elle aperçut son adversaire qui s'était fait projeter loin d'elle.
— Toujours là où l'ennui réside, souffla une voix sévère.
Reaginn tenait fermement l'elfe des bois de ses bras afin de l'empêcher de se défendre et de s'enfuir. Sa victime se débattit en vain ; le maître de survie avait une poigne de fer sur lui. Il poussa un rugissement qui ressemblait plus à celui d'une bête que d'un humanoïde.
— I-Il fallait qu-que je l'empêche, balbutie Azéna avant de retrouver un peu de calme. Il allait les attaquer !
Renora la fixa avec colère.
— J'aurais très bien pu me défendre.
— Peu importe, informa Reaginn. Vos actions seront reportées au grand maître et il en décidera les conséquences.
L'expression faciale d'Umah s'adoucit enfin. Ses muscles se détendirent et le fond de ses yeux retrouvèrent leur gris pâle habituel.
Reaginn le relâcha d'un coup sec. Il paraissait inassouvi, les traits de son visage durs. Umah, les yeux maintenant écarquillés, le fixa momentanément, sonda ses environs et enfin, il partit à grands pas en marmonnant de façon incompréhensible.
Reaginn l'ignora et posa son attention sur les trois filles.
— N'oubliez pas que vous avez un cours avec moi d'ici peu de temps. Tâchez d'y être malgré cet évènement agaçant.
✦×✦
Le soir venu, Azéna raconta tout ce qui s'était passé à Fayne et Teriondil alors qu'ils étaient installés dans les gradins du terrain de skotar de l'académie d'Archlan.
— Peut-être si on essai de l'aider sans tenter de le comprendre, proposa l'herboriste. Tout simplement, proposez notre aide.
— N'y pense même pas, répliqua Azéna avec sévérité. Il est fou. Il devrait apprendre à maîtriser sa rage.
— Mais, il doit être incompris. Ça doit être frustrant.
— Je m'en fous ! Je vais peut-être me faire expulser à cause de lui ! Ne pense même pas à aller lui parler !
Elle réalisa qu'elle avait perdu le contrôle de son ton de voix. Elle serra la mâchoire et vacilla son regard ailleurs.
Fayne soupira faiblement comme si elle ne voulait pas déranger.
— Mais...
— Fais attention à toi et ne t'approche pas de lui.
— Que fait-on du plan ?
Le trio avait planifié de tenter, encore une fois, de devenir ami avec Umah. Teriondil avait été choisis pour l'approcher puisqu'il était nonchalant et apaisant.
— On annule tout, décida Azéna. Je ne risquerais pas ta sécurité.
Elle n'avait jamais été aussi sérieuse. Normalement, c'était elle qui ne faisait que répéter que la vie était un risque constant qu'il fallait prendre. Cette fois, elle éprouvait de la crainte. Elle avait toujours plus de difficulté quand ça venait au bien-être de Fayne.
— La manière dont ses yeux changent, marmonna Teriondil, c'est étrange.
— Très. Je n'ai jamais rien vu de pareil.
— C'est probablement lié à son humeur. Malheureusement... je suis d'accord avec Azéna. Fayne, je te conseille de te tenir loin de lui. Pour le moment au moins.
La Litfow baissa le regard, ses yeux à la fois tristes et reconnaissants.
✦×✦
Azéna passa le reste de la soirée à observer les dragons de la fenêtre de la chambre commune. Elle était familière avec ce sentiment de rage incontrôlable. C'était comme un feu vorace qui ne désirait que tout ravager dans son chemin jusqu'à ce qu'il devienne trop épuisé pour continuer. Il était difficile de la calmer. Elle l'avait vécu trop de fois durant sa jeunesse. D'ailleurs, depuis qu'elle était à l'académie, ces sentiments s'étaient atténués, quoique parfois présents.
Elle ne voulait pas de ça près de ses amis, particulièrement de Fayne, se sentant coupable pour les ennuis qu'elle lui avait subir dans le passé. Les Litfow avaient été plus une famille que la sienne et elle leur devaient tant.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top