26 - Survie au cours de survie
41e jour de la saison du sapin 2448
La période des examens avait été douce sur Azéna et ses amis, car ils avaient terminé plus tôt que la plupart des autres groupes. Enfin, c'était le temps pour une longue pause bien méritée.
La Kindirah passa la plupart de son temps avec Tyrath à survoler les environs et à dormir tard. Parfois, Teriondil l'accompagnait dans sa balade aérienne ; les deux amis laissant Fayne au sol. Durant ces sept jours, il but énormément de thé et semblait encore plus lointain, mais ce n'était pas ça qui allait la déranger. Elle le trouvait plutôt amusant, car, il fâchait souvent Fayne en raison de son attention éphémère.
Malgré les distractions, Turion occupait toujours ses pensées.
Après quelques jours de tourmentes, elle s'était enfin confiée à ses deux compagnons. Elle leur raconta tout ce qui s'était passé durant l'examen, plus particulièrement lorsque Turion lui avait parlé. Elle avait encore peur que ce fût un maître, ou encore Murun, qui l'avait mis au test. Si c'était le cas, elle attendait avec angoisse sa punition, mais heureusement, rien ne s'était produit jusqu'à présent.
Fayne, curieuse comme à son habitude, s'était plongée dans les livres en espérant trouver une réponse à ce mystère. Elle et Teriondil affirmaient que ce nom leur était familier, mais ils n'arrivaient pas à trouver sa signification.
Une soirée tranquille, Azéna entra par la fenêtre de sa chambre à dos de Tyrath qui avait volé avec elle toute la journée. Elle eut à peine le temps de lui souhaiter bonne nuit et de s'asseoir sur son lit que la brunette se redressa d'un coup sec.
— J'ai trouvé l'identité de ce fameux Turion ! Je cherchais trop profondément dans les livres avancés alors qu'il était dans notre historique de base.
Elle déposa son manuel d'histoire générale sur la table de nuit.
— Tu l'as trouvé là-dedans ? questionna Azéna avec étonnement. Bah ça alors... Je n'en reviens pas. La réponse était sous notre nez tout ce temps.
— Terenas l'a dit au début de l'année. Turion, ou Turionthraluan est le dragon qui a signé le pacte des dragonniers au nom de tous les vols draconiques.
— Alors, il serait toujours vivant ?
— Impossible. Il était déjà massif durant ces années, ce qui signifie qu'il était à la fin de sa vie. Ça fait quatre-cent quatre-vingt-dix-neuf ans de cela. Non. Pas après tout ce temps.
— Donc, d'après toi, que s'est-il passé durant l'examen ?
— C'était soit une vilaine farce, soit plus probablement, c'était le fruit de ton imagination, sûrement causé par le stresse. Ton subconscient devait se souvenir de ce qu'avait dit Terenas.
— Une farce, ein ? Mon imagination ? Non, non ! C'était bien trop réel.
— Tu as entendu la voix depuis l'examen ?
— Non...
— Bon, bah... Tu es moins stressée aussi. Alors, oublie tout ça. La période des examens est terminée et demain c'est le début du deuxième semestre. Je vais me coucher.
— Pourquoi j'imaginerai que ce vieux crouton de dragon me jase ?
— Je sais pas plus que toi...
Elle s'enveloppa de ses épaisses couvertures en coton et ferma les yeux.
De son côté, Azéna resta assise au bord de son lit, pieds touchant le sol, yeux fixés vers le plafond. Elle se demandait qu'est-ce qui s'était passé durant l'examen. Elle ne croyait pas à l'hypothèse de Fayne même s'il y avait de la vérité dedans. Turion devait être vivant. Si c'était le cas, comment avait-il enduré durant toutes ses années et pourquoi ne s'était-il pas manifesté ? La question la plus intrigante était : pourquoi s'était-il révélé à elle en particulier ? Pourquoi elle ? Qu'avait-elle de si spécial ?
Elle y songea longuement et ne trouva aucune réponse. Il n'y avait pas plus ordinaire qu'elle comme jeune apprentie dragonnière. Peut-être que Tyrath aurait des réponses puisqu'il était un dragon, mais elle ne lui en avait pas parlé, car elle craignait qu'il éprouve de la jalousie à ce propos et que ça devienne un problème. Son angoisse amplifia. Peut-être était-ce une mauvaise chose que Turion l'avait contacté. Les malédictions et l'art noir existaient bien qu'elle ne les avait jamais vus en pratique. Elle se leva et se dirigea en direction du miroir et s'observa minutieusement en tentant de trouver une anomalie ou un changement sur son corps.
Après dix minutes de recherche sans résultat, elle retourna s'asseoir sur son lit et s'accouda contre le rebord de la fenêtre.
Dehors, une fine chute de neige tombait lentement. La pleine lune brillait avec puissance et sa lumière mystérieuse était reflétée sur les millions de petits flocons. Il y avait une mince couche de brume verdâtre due à la teinte de la lune, ce qui réduisait le champ de vision d'Azéna. Elle réussissait à apercevoir les silhouettes des dragons qui appartenaient tous au vol blanc, noir, et quelques-uns au gris. Elle ronchonna, enfouit son visage dans le creux de son bras, ferma les yeux et tenta de chasser toutes ses pensées négatives de son esprit.
Quelques instants plus tard, elle entendit un grognement qui lui paraissait lointain. Croyant que ce n'était que le fruit de son imagination, elle ne réagit pas. Un deuxième retentit. Celui-ci était plus insistant, mais toujours aussi faible. Puis, des crissements aigus l'irritèrent assez pour qu'elle lève les yeux pour identifier la source de ce son. Elle aperçut une tête reptilienne aux multiples piques, dont quelques-uns qui étaient toujours immatures, aux écailles argentées et aux yeux violets qui la fixait au travers de la vitrine de la fenêtre.
— Tyrath, salua-t-elle, se sentent soudainement mal à l'aise.
Le jeune dragon s'excita soudainement et déploya ses ailes avec amusement. Il se mit à fouetter le vide de sa longue queue. Il l'invita à sortir d'un mouvement de tête. Azéna sourit, mais lui fit signe qu'elle ne pouvait pas sortir.
— Il fait trop froid. De plus, le changement de température va réveiller Fayne et la neige va entrer.
Tyrath s'immobilisa et baissa les yeux avec tristesse.
— Désolé, mais je dois aller me coucher, car mes cours recommencent demain, lui expliqua-t-elle.
Son compagnon hocha de la tête et s'envola pour disparaître dans la nuit.
✦×✦
Le lendemain, Azéna se réveilla en raison des grincements que produisait le lit de Fayne lorsqu'elle bougeait. Cette dernière s'était levée et fixait avec intérêt une longue feuille de parchemin.
— Qu'est-ce que c'est ? questionna l'archère d'une voix pâteuse et quasi incompréhensible.
— C'est nos notes finales du semestre précédent et l'autre, c'est notre nouvel horaire, expliqua sa colocataire de chambre avec enthousiasme.
— Quoi !? s'écria son amie avec une soudaine énergie.
Elle s'assit et aperçut deux parchemins sur sa table de nuit. Quelqu'un était venu les portés ce matin ou dans la nuit. Décidément, le personnel de cette académie l'impressionnait toujours autant. Elle prit celle qui l'intéressait le plus, soit ses notes finales. La légende des grades était en ordre croissant.
Il y était inscrit :
De passable à parfait, vous passez le cours.
N — Nulle
D — Désastreux
M — Mauvais
Pa — Passable
B – Bien
E – Excellent
P — Parfait
Notes de Kindirah, Azéna — Cycle 1 — Semestre 1
Bien-être du dragon I — Pa
Introduction à la psychologie draconique — B
Introduction aux éléments — E
Histoire générale — B
Introduction au karsayrethtès — B
Azéna était satisfaite de ses notes bien qu'elle aurait préféré plus d'excellents que de biens. L'important était qu'elle n'avait failli dans aucune matière. Décidément, elle n'était pas faite pour les cours théoriques et ses notes le démontraient.
— Je peux voir tes notes, Fayne ?
La brunette hocha de la tête et elles s'échangèrent leurs feuilles. Lorsque l'archère vit ses notes, son moral tomba.
Notes de Litfow, Fayne — Cycle 1 — Semestre 1
Bien-être du dragon I – P
Introduction à la psychologie draconique — E
Introduction aux éléments — B
Histoire générale — E
Introduction au karsayrethtès — E
Elles s'échangèrent à nouveau leurs feuilles.
— Sainte Aspérule, ronchonna Azéna. Tu m'as battue partout.
— Sauf en introduction aux éléments, répondit Fayne avec tristesse. Cette note est affreuse.
— Tu es folle. Tu devrais être contente, tu t'es mérité un parfait en bien-être du dragon I.
— Mouais... Je suppose.
— Bah, allons voir Teri.
Azéna enfila son uniforme d'apprentie dragonnière, empoigna son horaire, y jeta un coup d'œil, ramassa les accessoires dont elle avait besoin et descendit dans la salle commune. Il y avait énormément de mouvements ce matin-là, car tout le monde se préparait à leurs nouveaux cours. Les demoiselles cherchèrent leur ami du regard et le repérèrent près du foyer en train d'observer sa feuille sur laquelle étaient inscrites ses notes.
Azéna la lui arracha des mains. Teriondil resta impassible malgré l'impolitesse de son amie.
— Azéna, grogna Fayne avec irritation. Tu es un désastre en bonnes manières. Je t'en pris, fais un effort.
La dragonnière grise ignora ses critiques et lut la feuille :
Notes de Murkwan, Teriondil — Cycle 1 — Semestre 1
Bien-être du dragon I – Pa
Introduction à la psychologie draconique — B
Introduction aux éléments — P
Histoire générale — Pa
Introduction au karsayrethtès — E
— Un parfait en introduction aux éléments !
Fayne lui arracha la feuille de parchemin des mains et la passa à Teriondil. Azéna fronça des sourcils et afficha une expression défiante en la fixant. La Litfow la fusilla brièvement du puis détourna son attention sur Teriondil comme si elle attendait une approbation de sa part.
— Ne te fais pas de soucis pour si peu, répondit l'adolescent avec petit sourire.
Azéna roula les yeux, impatiente de passer à un autre sujet de discussion.
— Tyrath m'a dit qu'il y avait des cours de combat, mais je n'en vois pas sur le nouvel horaire.
— Ils ont fait des changements. L'an passé, il y en avait. D'après les maîtres, il y avait trop d'incidents, car les apprentis du premier cycle n'étaient pas assez mûrs pour ces cours. D'ailleurs, quelle classe avez-vous ce matin ?
Déçue de cette révélation, Azéna soupira et fourra son horaire dans la poche de ses pantalons sans se préoccuper du dommage que son action allait provoquer.
— En introduction à l'anatomie draconique, répondit Fayne. C'est enseigné par Maître Nors.
— Des cours théoriques partout, se lamenta Azéna en fixant l'horaire de la brunette. Quel embêtement... J'espérais voir Tyrath plus souvent.
— Pas tous. Le cours de vol te plaira sûrement ainsi que celui de développement de soi et de survie.
Azéna se décida à donner une chance à ces trois cours. Elle sortit son horaire de sa poche et le déplia avec un mouvement sec. La feuille de parchemin faillit déchirer sous la tension.
— Survie, c'est enseigné par Ruvior... Ça va être une joie... De plus, le cours de développement de soi me fait penser à un cours de psychologie. On va probablement tous se mettre en rond et ruminer sur nos problèmes pendant une heure. Voyons... Nikala Sombrelame, je ne l'imaginais pas comme une hippie sentimentale.
— Oh, arrête de juger ! aboya Fayne. On verra bien. Ça va te faire du bien de réfléchir à ce que tu ressens.
— C'est surtout centré sur le développement mental de soi-même, expliqua Teriondil.
— Tu as un exemple ? questionna la brunette avec intérêt.
— Contrôler ta rage ou encore, ne penser à absolument rien. J'ai entendu que la méditation en fait partie aussi. Je suis très enthousiaste pour ce cours.
— Il faut faire ça pour être dragonnier ? demanda l'archère, complètement prise aux dépourvues.
— Absolument, dit l'elfe avec une sérénité rêveuse. Pour devenir bon dans n'importe quel art qui requiert la concentration et l'entraînement physique, c'est important d'avoir un bon contrôle mental.
— Arf... Misère.
— J'avoue. De ton côté, ça va être la grande misère.
— Merci pour l'encouragement, répondit-elle avec sarcasme. C'est vraiment apprécié.
✦×✦
La journée s'écoula rapidement, car le changement de routine était agréable.
Azéna était particulièrement excitée pour le cours de vol qui se donnait dans l'enceinte de l'académie. Elle et Arièlla avaient impressionné Sèrgus Bicornas, le maître de cette classe. Sèrgus, un homme dans la quarantaine aux cheveux épais et grisonnants et au sourire loufoque, était lié avec un dragon gris dénommé Edrihkèj. Ce dernier était de taille moyenne, avait un long museau aux grosses dents qui obstruaient sa gueule, des écailles foncées et des yeux argentés ce qui plaisait beaucoup à la Kindirah.
Elle se sentait dans son élément et s'entendait à merveille avec les deux. Fayne, de son côté, fut anxieuse du début à la fin de la période. Sa phobie des hauteurs l'empêchait de prendre plaisir au cours. Buhrik avait beau tenter de la calmer, mais ça ne marchait pas. Sèrgus n'aidait pas ; il était sévère avec elle.
— Il faut te préparer pour les dangers d'Aerinda et avoir une bonne maîtrise lors du vol, lui expliqua-t-il. C'est une base.
Fayne baissa la tête, honteuse d'elle-même. Buhrik vint à ses côtés.
— Patience, Maître Bicornas, supplia le dragon bleu. Donnez-lui le temps qu'il lui faut. Elle en viendra à bout de sa peur. Je serai là pour l'aider. Il est très difficile de contrôler une phobie.
L'apprentie hydromancienne le fixa avec un regard plein de gratitude.
— Buhrik a raison, vous savez, dit Edrihkèj qui avait observé son cavalier interagir avec les étudiants en silence pour la plupart de la période. Vous devez travailler sur cette patience. La jeune femelle humaine se sentira à l'aise avec le temps, le dévouement et la pratique, que je suis sûr qu'elle possède.
— Merci, Maître Edrihkèj, dit Fayne en s'inclinant.
Sèrgus posa simplement son poids sur une jambe, réfléchit un instant et sourit joyeusement.
— Nous allons travailler avec cela. Tout le monde est différent, oui oui.
Azéna, qui avait observé de loin, était heureuse pour son amie. Elle devait admettre qu'elle s'était inquiétée pour elle.
D'après le trio, la cerise sur le gâteau allait être le cours de survie à la cinquième et dernière période de la journée. Les trois compagnons étaient stressés à l'idée des méthodes d'enseignement de Reaginn. Teriondil avait coulé son cours de survie l'an passé.
— Comment est-il comme enseignant ? le questionna alors qu'ils se dirigeaient vers la salle de classe.
— C'est le genre de maître qui ne se laisse aucunement marcher sur les pieds, expliqua le garçon. Il te pousse à ton potentiel maximum, et ce, par n'importe quel moyen, incluant la manipulation et l'intimidation s'il juge que c'est la meilleure méthode à employer. C'est pour une bonne cause, mais il arrive parfois à un point où il détruit tout simplement l'esprit de son apprenti.
— Est-ce qu'il t'a endommagé ? demanda Fayne, complètement outrée par l'idée.
— Pour être honnête, je n'étais pas à mon meilleur comportement dans cette classe et j'avais des problèmes de concentration alors, il s'en prenait beaucoup à moi.
Azéna s'imagina les horreurs qu'il avait dû endurer pour cet homme acerbe. Elle ne trouvait pas surprenant qu'il eût échoué à ce cours. Un jour, elle allait défigurer Reaginn avec un coup de poing solide et cette pensée lui apporta beaucoup de satisfaction.
— D'après mes expériences dans le donjon avec lui, Teriondil a tout à fait raison. Il te pousse jusqu'à l'épuisement et même plus loin. Le tout jusqu'à ce que tu apprennes de tes erreurs. Mais, à la fin de cette épreuve, je suis devenue amie avec Arièlla alors que je ne l'aurais jamais cru possible avant.
Les yeux de Fayne s'écarquillèrent encore une fois.
— Je savais que tu avais lutté durant cette retenue, mais pas à ce point. Tu ne m'as jamais vraiment raconté les détails...
— Ce n'est pas la peine de t'inquiéter avec ça, répliqua Azéna en s'assurant de soigneusement éviter le regard de la brunette. C'est fini maintenant. Reaginn est une brute, il n'y a rien de plus à savoir.
— N'essaye pas de me protéger, Azéna Kindirah ! aboya la Litfow.
Le trio arriva devant la porte de la classe de survie et prit une grande respiration.
— Allons affronter le maître du donjon ! déclara Azéna.
Elle ouvrit la porte et s'avança. Derrière elle, elle pouvait sentir la fureur de Fayne qui la suivait en silence. Elle espérait que la brunette aurait oublié cette conversation d'ici la fin de la période, mais Reaginn allait servir de rappel constant.
Dans la salle de classe, les apprentis pour la plupart discutaient à haute voix. Leur imprudence étonna Azéna.
— Ça va bien commencer le cours ça, dit-elle avec sarcasme.
— Même si Reaginn n'est pas encore arrivé, dit Fayne, toujours aussi frustré, ce n'est pas une raison de prendre de tels risques.
— On va se faire pendre.
— Par la peau des fesses, termina la brunette sèchement. Et toi, continua-t-elle en s'adressant à son interlocutrice, je ne t'ai pas oubliée.
— Merveilleux, murmura cette dernière pour elle-même.
Ils prirent place à un bureau l'un derrière l'autre et attendirent avec anxiété dans le silence. Fayne jouait avec sa plume avec une légère obsession, Azéna tapait du pied comme un lapin et Teriondil avait les yeux un peu plus gros qu'à son habitude.
Quelques instants plus tard, la porte de la classe s'ouvrit à la volée et un homme au regard sombre équipé d'une armure en tissu épais, en cuir obscur et d'un peu de cotte de mailles usée pénétra dans la salle. Il s'arrêta devant les apprentis qui le fixaient avec abasourdissement. Sa seule présence, son aura intimidante, avait obligé le silence. Étant légèrement musclé, en forme et jeune, Reaginn avait l'allure d'un survivant, de quelqu'un qui avait lutté toute sa vie. Il observa les apprentis de son regard pénétrant et menaçant.
— Je crois qu'on se connaît tous, commença-t-il sur un ton sévère. Dans le cas contraire, je me présente : Maître Ruvior. Personne ne m'appellera autrement sauf si vous êtes dans mon donjon... Dans ce cas uniquement, vous pouvez m'appeler Maître du Donjon Ruvior. Des questions ?
Il fit une pause pour laisser la chance aux apprentis de parler, mais personne ne prononça un mot. Il continua donc sur son ton mielleux qui agaçait tant Azéna :
— Je ne suis pas celui qui donne le cours de survie pour rien. J'ai de l'expérience en la matière et j'ai vu des choses qui vous auraient déchiré l'âme si vous aviez été à ma place. La douleur, personne ne la connaît mieux que moi. C'est pourquoi je vais vous préparer à tout cela afin que vous ne répétiez pas mes erreurs, ce que vous allez probablement commettre de toute façon.
Le maître aux cheveux ébène paraissait se régaler de ces propres prédictions ; il offrit à son auditoire un sourire en coin malicieux que certains n'auraient pas détecté, mais Azéna ne le manqua pas. Cette dernière grinça des dents et s'efforça de ne pas réagir.
— Quelles ont été vos erreurs, Maître Ruvior ? questionna Katanor avec une innocence qui allait bientôt disparaître sous le choc.
— Ce n'est pas de vos affaires, Apprenti Diramin. De plus, je ne vous aurais pas répondu même si je l'aurai voulu, car je crois en la politesse en salle de classe.
L'elfe gris cligna des yeux en le fixant avec confusion.
— J'ai fait quelque chose de mal ?
— On ne parle pas à moins d'avoir la permission Apprenti Diramin, rogna Reaginn avec autorité. C'est un affront sérieux dans certaines situations et vous pourriez vous mériter une place sur un pique pour cela. Je ne crois pas que votre tête idiote désire s'y retrouver.
Katanor déglutit avec difficulté.
Azéna sentit l'aura de l'adulte saillir dans son esprit, comme s'il lui tenait tête à la place. Une goutte de sueur ruissela sur sa tempe droite ; le malaise ne fit qu'empirer.
— Pourtant, continua Reaginn en observant le Diramin avec intérêt, chez les elfes gris, un acte d'impolitesse pourrait vous attirer de sérieux ennuis. N'avez-vous pas appris les règles de survie qui s'applique aux citoyens de la citée sombre de Norkux ? Ou peut-être êtes-vous un peu trop confortable ici ?
— Je suis un Diramin, s'offusqua son interlocuteur après une brève pause. Je n'ai pas besoin de les apprendre ! Je suis descendant du Père des elfes gris et je suis membre de la famille royale de Norkux ! Je suis au-dessus des règlements et des lois !
— Décidément, tu n'as pas encore réalisé les risques de vivre dans cette société malgré ton statut social. Ton grand frère est beaucoup plus... prudent.
Incroyablement, Reaginn paraissait plus serein que jamais, contraire à Katanor dont le visage était devenu un gris écarlate étrange et dont une veine pulsante faisait son apparition sur son cou.
— Qu'est-ce que tu racontes !? aboya-t-il. Personne ne s'attaque aux Diramin.
— Jusqu'à quand cela dura-t-il ? Rien n'est éternel, particulièrement dans la société elfe grise. Souviens-toi bien de cela. De plus, on t'a menti pour te faire croire que ta famille était à l'origine de la montée des elfes gris.
— Quoi ?
— Ton ancêtre n'était pas le Père des elfes gris et encore moins leur premier roi. Tu n'as jamais entendu parler de l'elfe gris à la peau blanche, celui qui a échappé à la malédiction ou la bénédiction, dépendant du point de vue, de Noktow ?
L'adolescent ne dit rien. Il était à court de répliques.
— Pris au piège comme un rat, n'est-ce pas ? demanda Reaginn. Apprends ta leçon et éduque-toi dans les livres qui ne sont pas originaires de Norkux, car toute ressource dans cette ville, qu'elle provienne d'un être vivant ou d'un objet, n'est pas fiable.
Encore une fois, il s'avérait sans pitié, mais il avait soutenu ses arguments et avait gagné. Il n'avait même pas attaqué Azéna et elle se sentait toute petite à côté de lui.
Tous les yeux, pétrifiés par la peur, étaient rivés sur lui. Ce dernier en avait terminé avec Katanor ; c'était l'heure d'inspecter un autre apprenti. Ses lugubres yeux vert sombre vacillèrent sur Fayne.
— Avez-vous essayé de passer votre première année d'entraînement plus d'une fois ? questionna-t-il.
— Non, Maître Ruvior, répondit-elle en baissant les yeux.
— Vous êtes plus vieille que la norme.
— Oui, Maître Ruvior, répliqua-t-elle d'une voix légèrement cassée par la gêne.
Puis, il se retourna vers Teriondil et ses traits facials se durcirent.
— Vous, par contre, avez échoué l'an passé, Teriondil Murkwan. J'espère que vous êtes réveillé et sérieux cette fois sinon sortez de ma salle de classe. Ne me faites pas perdre mon précieux temps.
Teriondil n'osa pas répliquer. Il attendit tout simplement que Reaginn passe à quelqu'un d'autre. Celui-ci continua de balayer la salle du regard et s'arrêta à Arièlla qui était la seule à ne pas paraître intimider.
— Ne vous attendez pas à recevoir des traitements spéciaux, héroïne du skotar.
Il fit pivoter sa tête et posa son regard sur Azéna.
Pendant un long moment, il ne dit rien et ne fit que la fixer avec un mélange d'intrigue et de sévérité. La Kindirah se baissa légèrement dans sa chaise.
— Je ne vais pas tolérer un comportement désagréable ni une attitude rebelle de votre part, Apprentie Kindirah, avertit-il. N'arrivez pas en retard, car vos excuses de noblesse ne marcheront pas avec moi. Vous n'êtes pas plus spéciale qu'un autre.
— Je sais ça, grogna l'archère dans un murmure avant de se rendre compte qu'elle avait été impulsive.
Heureusement, Reaginn ne commenta pas. Elle ressentit un mélange bizarre de rage et de contentement. Ces émotions ne se dissipèrent pas avant que l'adulte ne commence à enseigner. D'un côté, elle détestait qu'on l'ait menacé, mais, d'un autre côté, elle était reconnaissante que, à l'académie d'Archlan, elle n'était plus considérée comme une membre de la noblesse. Chez elle, elle pouvait briser les règles comme elle le désirait sans avoir besoin de se soucier de quoi que ce soit sauf la colère son père et la traitrise de son frère. À l'académie, c'était bien plus amusant de s'enfuir de l'autorité qui se trouvait partout.
— La vie est une jungle et vous n'êtes que ses habitants, souligna Ruvior en croisant les bras. Partout où vous irez, il y aura des traitres, des manipulateurs, des escrocs, des infidèles et des tueurs. Chaque être possède des désirs, des passions et des buts. Certains feront tout en leur pouvoir pour les atteindre. Même vos parents ne sont pas entièrement bons pour la simple raison que personne ne l'est ; certaines personnes sont plus sur le côté blanc de la gamme, tandis que d'autres penchent sur le côté noir, alors que les autres errent dans la zone grise. Nous avons tous nos sombres secrets. C'est à vous d'être prudent, et ce, qu'importe, si vous serez la proie ou le prédateur. Le prédateur est confiant, mais sa nourriture pourrait très bien être empoisonnée. La proie est nerveuse et docile, mais elle peut posséder des armes mortelles.
Les apprentis étaient tous livides sauf Arièlla qui ne paraissait pas impressionner.
Reaginn expliqua le fonctionnement de base des poisons, où les trouver et comment les neutraliser. Ensuite, il parla pendant quinze minutes à propos de manières efficaces pour achever un animal le plus rapidement et le plus humainement possible. Durant l'explication, il jeta plusieurs coups d'œil en direction de Teriondil pour s'assurer qu'il était toujours attentif. Azéna remarqua que son ami faisait l'impossible pour résister à la tentation de plonger dans ses pensées. L'une des veines de son front saillait légèrement tellement il se concentrait. Elle eut l'impression que sa tête allait finir par exploser.
Dans un sens, elle comprenait les raisons derrière les méthodes d'enseignement de Reaginn, mais, d'un autre côté, elles lui donnaient envie de se lever et de lui hurler des injures. Elle tenta de dissimuler son irritation ainsi que son envie d'aider son ami. Les autres ne devaient pas comprendre ni connaître Teriondil comme elle et Fayne. C'est pourquoi, pour eux, ce n'était pas grand-chose, mais Azéna voyait bien plus loin qu'eux.
Finalement, Reaginn remit des documents à chaque apprenti.
— À présent, vous allez me répondre aux questions suivantes. Le tout doit se faire en silence et je veux qu'il soit rempli pour la fin de ce cours. Si vous avez besoin d'aide, référez-vous à votre manuel. L'apprentissage indépendant sera votre meilleur ami. Il est très important dans la vie.
L'expression de Teriondil se détendit. Il n'avait plus besoin de garder ses yeux fixés sur l'adulte. Ce devoir devait représenter une pause pour lui.
Un léger coup de vent traversa la classe. Le Murkwan sursauta tandis que les pages du manuel de Katanor défilèrent pour s'arrêter à une page particulière. L'elfe gris plissa les sourcils et jeta un bref regard de haine en direction du maître du donjon. Ce dernier ne s'en préoccupait plus ; il parla à la classe en général.
— On ne perd pas son temps dans ma classe, dit-il avec froideur.
Quelques minutes plus tard, Azéna leva la main, mais il ne lui accorda aucune attention. Elle se fâcha après quelques tentatives inutiles.
— Puis-je avoir de l'aide !? questionna-t-elle avec impatience. Je ne comprends pas le sens de la question seize.
— Politesse, Apprentie Kindirah, répliqua Reaginn avec neutralité.
Le poison de la rage envahit les pensées de l'adolescente. Elle se leva en frappant ses deux mains sur son bureau.
— Tu n'es pas très poli toi-même ! Politesse pour politesse, câlice !
— Je suis de son avis, osa dire Gragèn qui avait été transparent jusque-là.
Azéna instantanément sut que le garçon roux disait cela uniquement pour se mettre en difficulté avec le maître intolérant de la survie. Cependant, elle espérait que ses plans ne fonctionneraient pas. Elle jeta un regard provocateur à Gragèn, lui faisant savoir qu'elle ne le laisserait pas faire à son gré sans interférer.
— Retenue à tous les deux pour impudence ! déclara Reaginn.
Il reste impassible, comme s'il ne s'était rien produit de grave. Azéna serra les dents dans sa frustration. Au moins, elle pourrait surveiller Gragèn durant leur retenue.
— Quand ?
— Dans deux jours, répondit l'homme aux yeux sombres. Ce soir et demain, je n'ai pas le temps pour vous. Alors, soyez à l'heure, après les cours. Vous savez où puisque vous vous y êtes déjà retrouvés tous les deux, n'est-ce pas ?
Azéna serra ses mains en poings et du se retenir pour ne pas frapper le bureau à nouveau. Elle tremblait de colère. Cet homme avait dépassé les bornes. Il avait été grossier et avait dit des choses privées à propos de tous les apprentis ouvertement dans la classe. Il cherchait constamment à humilier les autres. N'avait-il pas un peu de sens du professionnalisme ou même, de politesse ? Malgré tout, il s'y prenait bien, car personne ne s'était offusqué contre lui sauf elle et Gragèn. C'était comme s'il tournait assez autour du pot pour éviter de fâcher les autres, mais, en même temps, il ne manquait pas à sa grossièreté. Il jouait sur une fine ligne et elle n'allait pas se laisser duper.
À la fin du cours, elle s'empressa de sortir de cette salle de classe infernale à grand pas lourd. Elle sentait qu'elle s'était trouvé une raison de rallumer la flamme de colère en elle qui s'était éteinte depuis son départ de Nothar ; elle avait une dent contre Reaginn pour être insupportable et cruelle et contre Gragèn pour se laisser manipuler par Serfantor.
Teriondil et Fayne la rattrapèrent.
— Ça va ? demanda l'elfe sylvain avec inquiétude.
— Pas le choix, répliqua Azéna avec froideur.
Elle se sentit soudainement comme si on la surveillait. Elle tourna la tête et là, au coin du corridor, elle aperçut Reaginn qui la fixait en souriant malicieusement. Il disparut avec finesse dans l'ombre.
— Quoi ? demanda Fayne qui suivit le regard de son amie. Qu'est-ce qu'il y a ?
— Rien, répondit son amie, soulagée que la brunette n'eût rien vu.
Elle continua son chemin en direction du Hall d'Archlan où un souper digne d'un roi les attendait.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top