23 - Fondations primordiales

36e jour de la saison de la lune 2448

Ce matin-là, une bourrasque frappa la vitrine de la fenêtre. Dans la modeste chambre, Azéna grommela dans son sommeil. Elle n'était plus certaine de ce qui se passait. Un moment passé, elle était à la Corne Blanche et s'était enfin procuré une pinte de bière en ayant manipulé un idiot ivre. Et là, le son aigu d'un grattement lui donnait un sale mal de tête.

— Fait froid, se plaignit-elle en bâillant, les yeux larmoyants.

Elle allongea son bras vers le sol et tâta à l'aveuglette. Enfin, elle trouva une couverture qui était tombée en bas de son lit. Elle s'enroula dedans et retourna à son rêve.

Une deuxième bourrasque se déchaîna contre la vitre. Quelque chose griffait avec insistance le rebord de la fenêtre.

— Fais-le taire, se lamenta Fayne qui somnolait aussi.

— De quoi tu parles ? marmonna sa colocataire, ses paroles étouffées par son visage enfoui dans son oreiller. Rah, j'veux juste ma bière, tabarouette.

Son amie ne lui répondit pas ; elle s'était rendormie.

Un tapage infernal s'en suivit. Azéna l'ignora, ne désirant que dormir pour retourner dans ses rêves pour se souler. Elle n'avait pas oublié les paroles de l'ancien barman de la Corne Blanche :

— Tu sais pourquoi les gens boivent tant ? Pour oublier, pour un peu de sainte paix, moi y compris. Ce que j'en ai assez de ce tabarnack de trou sale...

Et elle désirait ces choses depuis les premières mémoires de sa vie.

— Nooon, grogna-t-elle alors que quelque chose de rugueux et de mouillé lui lécha le derrière de la tête.

La crinière ébouriffée, elle se tourna sur le dos. Devant elle se trouvaient deux immenses yeux violets à la pupille dilatée. Elle reconnut Tyrath qui poussa un ronron amusé et lécha le son visage.

— Bon matin à toi aussi.

Elle s'essuya le visage afin de se débarrasser de la bave gluante qui y était collée et se leva, énervé qu'elle n'avait pas pu terminer sa pinte même si elle n'était pas réelle.

— Beurk. Non, mais, tu agis comme un mélange d'un chien et un chat. C'est vraiment étrange.

Tyrath pencha la tête de côté comme s'il était incertain de ce qu'elle lui racontait.

— Ne t'inquiète pas, continua-t-elle en tentant d'améliorer son humeur. Tu es parfait ! D'ailleurs, qu'est-ce que tu fais dans notre chambre ? Comment...? La fenêtre était fermée...

C'est alors qu'elle remarqua que la fenêtre en question avait été ouverte de force et endommagée par des griffes, que le miroir de la commode avait été fracassé et qu'un dragon était dans sa petite chambre à peine capable de l'accueillir convenablement.

— Oh, par l'Aspérule Blanche ! Fayne, ne regarde surtout pas !

C'était trop tard. La brunette, les bras croisés et le nez retroussé, fixait Tyrath avec colère. Le drake baissa la tête, suppliant Azéna du regard pour du soutien.

— Reste calme, dit l'archère en souriant jaune. Il ne comprend pas la valeur des propriétés et de plus, il est trop mignon. Tu ne peux quand-même pas le gronder.

Tyrath posa ses grosses pattes sur son lit qui grinça sous le poids excessif et frôla son museau avec amour et énergie sur son visage. Il remua la queue qui heurta Fayne au ventre. Cette dernière perdue momentanément le souffle et toussa à plusieurs reprises.

Azéna et Tyrath tournèrent leur attention vers elle et grimacèrent. Le jeune dragon se recroquevilla de honte.

— Désolé. Je ne voulais pas te faire mal, dit-il en prononçant ses mots lentement.

Il n'était pas encore à l'aise avec l'aerindien, mais il s'améliorait lentement. Il s'installa près de la fenêtre et attendit en silence qu'Azéna se prépare pour ses cours.

— C-c'est bon, hoqueta Fayne. Je te pardonne, mais fais attention la prochaine fois. Apprends à contrôler ta force. C'est douloureux.

— B-bien sûr...

Une fois habillé pour l'hiver, Azéna se mit à installer la selle sur lui. Oubliant ses méfaits, il se mit à gigoter tellement il était enthousiaste d'aller voler avec elle. Le sol tremblait sous ses mouvements.

— Calme-toi, rigola sa partenaire avec un petit sourire en coin. Tu vas énerver toute la paroisse.

Elle était toujours en rogne, mais son humeur était mieux. Voir Tyrath si insouciant l'aidait à oublier les siens.

À l'horizon, le premier soleil était en train de se lever, mais il faisait encore sombre. Soupirant misérablement, car elle savait qu'elle avait eu à peine la moitié d'une nuit de sommeil, elle lui fit signe de sortir. Dehors, sur la toiture, elle se hissa sur son dos à l'aide d'un de ses piquants et s'installa sur la selle en cuir épais.

Elle se vira vers Fayne qui était en train d'enfiler son haut d'uniforme avec misère, se cramponnant le ventre exposé.

— On se voit bientôt, dit la rebelle, sentant la cime de ses oreilles s'échauffer et une timidité s'emparée d'elle.

Sa colocataire de chambre la salua d'une main en tentant de sourire aussi sincèrement qu'elle le pouvait en endurant sa douleur.

Azéna fut distraite par une silhouette titanesque qui se mouva dans le coin de sa vision. Rendar se posait au sommet de la Tour Mère. Le cou du géant rouge était plus large que le torse de l'adolescente. Il posa son regard perçant sur eux et secoua la tête en signe d'irritation. Il poussa un rugissement bestial digne de sa dominance. Azéna serra les dents et se boucha les oreilles, craignant que ses tympans étaient sur le point d'exploser.

— Je déteste ça ! Merde ! C'est quoi cette puissance insensée !?

— On s'habitue, dit Tyrath qui fixait le dragon cramoisi avec méfiance. Tu sais, Rendar est un wyrm. Il y en que très peu à Atgoren.

Un humanoïde sauta hors de la fenêtre de la Tour Mère, s'agrippa à la toiture au-dessus de lui et s'accrocha à la patte de Rendar qui prit aussitôt son essor.

— C'est aussi majestueux qu'apeurant, commenta Azéna en observant la scène se dérouler.

Elle ressentit l'envie bouillonnante de leur montrer à quel point elle et Tyrath étaient des maîtres du ciel. Clairement, il était du même avis. Il se mit à battre sauvagement des ailes en tentant de rattraper les deux adultes.

— Ça serait super, mais je ne peux pas, soupira Azéna. Si j'arrive en retard, Maîtresse Blakar va me pendre par la peau des pieds.

Le drake ria de bon cœur à cette image et vira soudainement avec une maîtrise impeccable de sa technique.

— On peut quand-même se permettre un peu de plaisir, dit l'archère en affichant un sourire malicieux.

— Je t'écoute.

— Un arrivé grandiose sur ton dos !

— J'adore, dit Tyrath en approuvant d'un grognement joueur.

Ils localisèrent la salle de classe en question, qui se trouvait au premier étage, et le jeune dragon s'accrocha à la fenêtre en laissant ses ailes déployées pour maintenir son équilibre. Les apprentis déjà présents posèrent leurs regards sur eux. Fiara, peu impressionnée, vint ouvrit la fenêtre et laissa Azéna entra alors que Tyrath partit en rugissant le plus bruyamment qu'il pouvait.

— Tout pour te faire remarquer. Est-il vraiment nécessaire de venir en volant, surtout que nous sommes au premier étage?

— Un peu d'amusement ne fait de mal à personne, non ?

À l'exception de Fayne et quelques autres, les apprentis rigolèrent, semblant apprécier l'attitude joueuse de la rebelle. Fiara grimaça, tordu face à cette question. Enfin, elle soupira et lui fit signe d'aller s'asseoir à son pupitre.

— Silence ! ordonna-t-elle en se plaçant devant les adolescents. Puisqu'Apprentie Kindirah désire tant de l'attention, nous allons célébrer son arrivée spectaculaire avec une longue leçon ennuyante et pour m'assurer que vous êtes attentifs, vous m'en ferez un rapport écrit pour demain.

La plupart des apprentis clamèrent leur déception et fixèrent Azéna avec un regard noir. Celle-ci leur retournèrent la faveur d'un geste grossier.

— De la vraie merde !

— Azéna ! jappa l'adulte dont le corps fut momentanément couvert de flammes. Ne continue pas ces singeries !

La Kindirah se laissa tomber dans sa chaise et grommela.

✦×✦

Plus tard en journée, Azéna se rendait à son cours d'histoire avec hâte, car Eldarytzan leur avait promis du contenu excitant. De plus, elle désirait éviter de parler de ce qui s'était passé durant le cours de Fiara.

Derrière elle, Fayne suivait l'habituel rythme lent de Teriondil.

— Attends-nous, demanda-t-elle. Relaxe pour une fois de ta vie.

— Tu peux accélérer ? Juste un peu, ein Teri ? requête la Kindirah alors qu'elle s'arrêta au bout du corridor éclairé par des torches nourris par la magie.

— Ce n'est pas nécessaire, répliqua Teriondil.

Il avança les bras croisés derrière sa tête et le regard fixé au plafond. Il n'y avait aucun signe de motivation présent dans son langage corporel.

— Nous sommes en avance, continua-t-il. Arrivée dans cinq minutes ou dans huit minutes, quelle sera la différence ? Eldarytzan commence son cours à une heure précise. Tu sais, le stresse va finir par te ronger de l'intérieur. Ralentir est important.

Azéna laissa tomber lourdement les bras comme s'ils étaient encombrés d'objets lourds. Soupirant devant la défaite, elle attendit avec impatience pour ses compagnons qui discutaient ensemble.

— Vous êtes lent, se plaignit-elle lorsqu'ils la rattrapèrent enfin.

— Et tu peux être aussi invivable que ton dragon, rétorqua Fayne.

Les deux demoiselles pouffèrent de rire, sachant que l'insulte n'était pas sérieuse. Teriondil sembla soudainement retourné à la réalité et les fixa avec confusion.

— Il s'est passé quelque chose ?

— Rien d'alarmant, dit Azéna en lui donnant une petite tape amicale sur l'épaule. N'inquiète pas ta cervelle, Teri.

Katanor, accompagné de deux autres apprentis passèrent par là. L'un d'eux, un garçon, humain et plus âgé, pointa l'elfe sylvain et ricana malicieusement.

— Rêveur ! Toujours dans ton premier cycle, ein ? Faible, inutile !

Teriondil l'ignora tandis que Fayne, visiblement énervée, pinça les lèvres. Azéna avait une sale envie de le cogner, mais elle savait mieux. Elle serra ses mains en poings et continua son chemin.

Enfin, ils arrivèrent à destination.

À l'intérieur, Eldarytzan ainsi que quelques apprentis traînaient entre les rangées de pupitres. Azéna fut la première installée à sa place.

— Par l'Aspérule, je ne t'ai jamais vu si enthousiaste pour un cours théorique, remarqua Fayne qui était derrière elle.

— Ben, j'aimerai en savoir plus sur les Gardiens d'Aerinda ou tout simplement à propos des dragonniers en général. J'aime pas qu'ils nous cachent des choses.

— On verra bien. Je crois que tu t'inquiètes pour rien. Il y a toujours des aspects cachés aux subordonnés. C'est naturel.

— Ne fais pas trop confiance à ceux en pouvoir. Il y a de la corruption partout, spécialement parmi leurs rangs. J'ai été élevé par ces maudits t...

— Je suis au courant, Zé. Vivre dans le doute n'est pas vivre non plus. Rien n'est blanc ou noir.

Au fond d'elle, Azéna le savait bien. Elle désirait tant pouvoir faire confiance comme Fayne le pouvait, mais c'était difficile.

Elle désirait répliquer, mais elle était plus intéressée à Eldarytzan qui se plaça devant les apprentis. Elle se tourna vers lui, s'installa de façon désinvolte dans son siège et croisa les bras.

— Bonjour à vous tous, salua l'adulte sur un ton enjoué habituel. Aujourd'hui, comme promis, je vais vous partager des légendes bien réelles !

Tous les regards se braquèrent sur lui. Il paraissait émoustillé par ses propres dires, ne cessant de caresser sa barbe qui luttait à pousser. Il s'éclaircit la gorge et continua.

— Alors la première... On ne sait pas d'où ils viennent ni leur âge mais un jour, deux entités s'agitèrent depuis le Berceau des Âmes alors vide. Savez-vous ce que c'est ?

La plupart des apprentis réagirent négativement, mais une pognée semblait comprendre de quoi il parlait.

— Le Berceau des Âmes, c'est tout simplement là où ceux qui sont tombés vont. C'est une dimension parallèle au nôtre, un reflet dévié du nôtre. C'est aussi les racines d'Aerinda, tandis que notre dimension est un peu comme l'arbre. Là, l'énergie spirituelle est bien plus impétueuse.

Les apprentis se lancèrent des regards inquiets ou intrigués. Azéna roula ses yeux, incapable de le prendre au sérieux. D'après elle, ce n'était que des mensonges comme la religion. Il n'y avait rien après la mort. Eldarytzan paraissait bien fier de lui avec son large sourire.

— Donc, après leur éveil, les entités redécouvrirent leurs pouvoirs et ainsi, les possibilités se multipliaient et leurs âmes solitaires se transformèrent lentement en un corps physique. Maintenant capables de passer d'une dimension à l'autre, ils explorèrent les terres dépourvues de vie. Opposés en tout, mais singuliers en un aspect : le désir de la création, les deux êtres suprêmes firent équipe pour atteindre leur but.

Azéna se noyait déjà dans l'ennui et l'agacement. Elle avait espéré pour des informations pertinentes. Pas de ces sottises. Fayne semblait captivée, son regard pétillant d'espoir et d'intrigue.

Eldarytzan se mit à faire des aller-retour, sa longue cape bleue traînant derrière lui.

— Ils nommèrent ce monde à deux dimensions Aerinda. C'était la parfaite toile à peinturer, la parfaite statue à sculpter, le parfait livre à écrire. Lorsque viendrait le temps aux êtres vivants de redonner leur énergie physique aux landes, ils traverseraient au Berceau où leur âme pourrait se reposer paisiblement.

Azéna leva une jambe et l'accota contre le pupitre. Elle était tordue dans sa chaise, observant l'elfe lunaire pour un signe de faiblesse, mais il transpirait la confiance. Franchement, ça l'énervait. Elle savait qu'il racontait n'importe quoi, mais s'en rendait-il même compte ?

Il dessina deux sphères au tableau : une solide et l'autre au centre vide. Puis, il continua son récit comme si de rien n'était.

— Le premier créateur, Noktow, dessina une lune, tissa les ombres, créa la chaleur des flammes, souffla le vent au travers des cieux et invoqua la mort. Son amoureuse, Elysia, prit en charge les tâches opposées, soit d'offrir la lumière de son âme en formant deux soleils, de façonner la terre ferme, d'écouler les torrents d'eau, de faire pousser les plantes et de donner la vie.

Là, Azéna reconnaissait les éléments et sentit son sang bouillir dans ses veines. Ces pouvoirs appartenaient aux dragons, pas à de fausses divinités. En réponse, elle frappa son pupitre du pied et grogna, ignorant Fayne qui lui faisait de gros yeux.

Eldarytzan ne semblait pas s'en préoccuper.

— Cette période, l'an zéro, fut nommée « Nus'orsa » qui se traduit à « l'ère du début » en aerindien. Malgré leurs exploits, les deux divinités avaient l'impression qu'il manquait quelque chose. Craintifs, ils réalisèrent qu'ils devaient créer des entités puissantes pour les aider à la protection d'Aerinda. C'est ainsi que naquirent les dragons en tant que premiers habitants.

« Les créatures ailées se divisèrent naturellement comme si leur subconscient savait leur but. De là furent créés les huit vols draconiques. Chacun fut assigné des tâches spécifiques reliées à leur élément. Mais, tous possèdent un devoir en commun : celui de garder Aerinda intacte et de s'assurer que les éléments, ainsi que la vie et la mort respectent un équilibre délicat. Cela se produit au fil des sept années suivantes durant une période dénommée « Nus'rator » ou « l'ère des gardiens » en aerindien.

« Par la suite, ce fut au tour des autres races, incluant les elfes, les trolls, les humains parmi tant d'autres. De toutes les créations de Noktow et Elysia, ils étaient les plus enclins aux conflits. Plusieurs ères s'écoulèrent au travers de ces évènements. Des guerres éclatèrent et, au fur et à mesure que le temps passait, plusieurs royaumes furent fondés tandis que d'autres s'écroulèrent. Bien du chaos façonna le monde comme nous le connaissons.

Eldarytzan sourit à moitié, semblant incertain de ses propres sentiments.

— Des questions ?

Azéna eut l'envie de lui en lancer quelques-unes, mais elle désirait juste passer à autre chose donc elle s'en abstint. Après un moment, il reprit le cours de son récit.

— Les landes d'Aerinda furent victimes d'instabilité constante, car les peuples humanoïdes étaient incapables de s'entendre sur quoi que ce soit. Les temps de paix ne dureraient jamais bien longtemps. Ainsi, la vie n'était rien d'autre qu'un jeu de guerre. Et nous arrivons enfin à la partie intéressante pour nous les dragonniers. Alors, écoutez bien.

Enfin, Azéna se sentit soulagée et avait un peu d'espoir. Elle se redressa et donna toute son attention à l'adulte.

— Comme vous le savez sûrement, la plupart des royaumes sont gouvernés par le Haut-Roi. Le sixième Haut-Roi, Johrien Sombrelame, régnait pendant longtemps dans les souffrances de la guerre. Graduellement, il sentit son autorité diminuer, son influence s'évaporer. Les royaumes se disputaient, rien n'allait et même les dragons finirent par se déchainer, car leurs territoires se faisaient envahir ou déranger. Johrien était un dirigeant aussi bienveillant que têtu. Contre les conseils de sa cour, il quitta la protection de son château en compagnie de ses plus fidèles compagnons et amoureux : Archlan, son garde du corps et escorte personnelle, ainsi que Talia'na, une archimage originaire de Nëowalds. Les deux étaient considérés comme les plus talentueux dans leur domaine.

— Alors qu'est-ce qu'ils peuvent faire pour arranger une telle calamité rien qu'à eux trois ? questionna Jessa qui s'amusait avec sa radieuse chevelure dorée.

— Le pacte, bien évidemment, rogna Arièlla, offusquée par son ignorance. C'est pourtant évident.

— Arièlla, un peu de respect pour ta camarade, gronda Eldarytzan.

Arièlla, la mine draconienne, n'accorda pas plus d'attention à Jessa ni à son père. Son silence en disait long.

— Pardon, couina la petite humaine blonde.

— Nulle excuse n'est nécessaire, lui assura le Valkirel aîné. Bon, continuons.

Il se retroussa les manches et se remit à patrouiller.

— Johrien comprenait qu'Aerinda en entier était affecté par les dégâts. Il se présenta devant le plus notoire des dragons de son temps, Turion du clan Thraluan, pas en tant que Haut-Roi, mais en tant qu'Aerindien. Il avait laissé sa couronne derrière et mérita l'attention du grand wyrm. Ensemble, ils tentèrent de trouver une solution, mais c'était difficile. Des dragons et humanoïdes, seuls les membres du vol draconique violet désiraient coopérer.

« Pendant les négociations, quelque chose d'énigmatique se produit. Un lien aussi profond que primordial se forgea entre Archlan et une dragonne brune dénommée Schareilatra. En premier temps, Schareilatra rejeta cette nouvelle réalité, dégoutée qu'un humanoïde puisse maîtriser la géomancie ainsi que gagner son affection contre son gré. Malgré tout, s'imaginer sans Archlan lui apportait un chagrin déchirant. Ainsi, elle finit par accepter son nouveau partenaire de vie.

« Peu de temps après, l'occurrence mystérieuse se répéta à multiples reprises. C'était comme si Aerinda désirait que les dragons et humanoïdes s'entraident. Cela prit des efforts et de la patience de tous les côtés, mais éventuellement, un pacte fut conclu et les Gardiens d'Aerinda virent leur premier jour. La paix s'installa tranquillement sous la surveillance des dragonniers qui furent guidés par Archlan et Schareilatra.

« Après plusieurs centaines d'années de services, le jeune frère d'Archlan, Isriss ainsi que son partenaire Gariakralent, un dragon gris, se rebellèrent contre les siens et causèrent une guerre civile au cœur d'Atgoren. Ils accusaient les Gardiens d'Aerinda de corruption, qu'ils n'étaient pas réellement neutres. On raconte qu'ils étaient paranoïaques et assoiffés de pouvoir. S'en tirant les vainqueurs, Isriss et Gariak créèrent leur propre académie et coupèrent les liens avec la cour du Haut-Roi. Johrien, Talia'na, Archlan et Schareilatra tentèrent d'arranger les choses. Seule survivante, Talia'na s'isola avec un cœur brisé et ne fut plus revue.

— Et quoi, on vit tout simplement avec l'académie d'Isriss !? s'étonna Katanor qui se leva d'un bond. Pourquoi ? Ce sont des fous ! Des traitres !

Azéna se surprit à éprouver les mêmes sentiments que lui.

— Ils ne sont pas ce qu'ils étaient dans le passé, souligna le maître. Songes-y bien. Préférais-tu qu'ils soient nos ennemis ou nos alliés ?

Le jeune elfe gris ouvrit la bouche si grand qu'une mouche aurait pu s'y poser.

— Ben... Ben...

— Voilà, grogna Arièlla. Maintenant, assieds-toi, espèce d'idiot, et laisse les adultes prendre les décisions.

— Arièlla, soupira Eldarytzan, semblant tordu entre la discipline et l'approbation. Enfin, bref... retournons à nos moutons. Quand la prochaine ère sera-t-elle nommée ? Je n'en ai pas la moindre idée. Normalement, c'est une divinité qui le déclare et cela n'arrive que très rarement, car il faut qu'un événement ait un impact assez grand sur Aerinda.

— Alors, Noktow et Elysia ont fait des apparitions dans le passé ? questionna Katanor, les yeux écarquillés.

— C'est ce qu'on prétend. J'imagine qu'il faut être privilégié pour ça, car ils ne se montrent pas le bout du nez souvent.

— Évidemment ! C'est Noktow, Père des Ombres ! J'en doute, mais l'avez-vous rencontré, Maître Valkirel ?

— Non. Je ne connais personne qui a reçu cet honneur.

Il s'assit sur son bureau d'un bond souple et agrippa une coupe en argent engravée de vagues. Sa main libre s'ouvrit au-dessus puis de l'eau apparut au centre de l'objet. Satisfait, il prit une gorgée avant de commencer son nouveau récit.

— Alors, laissez-moi vous raconter l'histoire d'un curieux personnage. Personne ne le connaît assez pour dire qui il est ni comment il a été engendré. Il est tout simplement le fruit d'un autre miracle. Vous ne le savez peut-être pas, mais Aerinda est un monde où la magie et les éléments font de grandes choses, qu'elles soient terribles ou miraculeuses. Une fois de temps à autre, on reportait des crimes commis par un humanoïde aux yeux dorés à la pupille verticale, aux griffes et crocs acérés et aux ailes de chauve-souris. On le surnomme Shushorou, Monstre Écaillé en aerindien. Il n'a aucun intérêt à suivre les lois, faisant de lui un être chaotique.

Azéna se sentit étrangement attirée à cet individu. Elle se demandait d'où il venait, quel était son passé et comment il vivait. Elle aurait même envie de courir le risque et de le rencontrer. Il lui paraissait intéressant et possiblement de bonne compagnie tant qu'il ne tentait pas de lui faire du mal...

— Il évite les regards et traîne dans les ombres. Connut du public en tant que filou, on le traite de monstre en raison de son apparence... unique. Il y a environ trois-cents ans, une faction dénommée « le Sang du Dragon » fit surface. Elle avait pour but d'anéantir la population de dragons à tout prix. Comme vous pouvez vous l'imaginer, pour des raisons professionnelles et personnelles, ils attirèrent la colère des Gardiens d'Aerinda. Plusieurs années à la suite du début de cette guerre, celle-ci faisait toujours rage et affectait Aerinda dans sa totalité.

« À la grande surprise de tous, Shushorou se présenta devant Archlan et Schareilatra pour leur offrir son aide dans cette guerre. En premier temps, le duo était douteux, avec raison. Allant contre les conseils de ses Sages, il finit par accepter, car il désirait tenter d'établir une bonne relation avec lui ce qui s'avérait être un défi. Shushorou prenait tout le monde pour des collègues de travail et rien de plus. Généralement froid, il faisait ce qu'il devait et n'échangeait jamais de plaisanteries ou de banalités. De surcroit, il évitait les dragons quand il le pouvait et ainsi, aucun ne se lia à lui. Il était présent lors de la rébellion d'Isriss et n'en fit rien. Il partit et personne n'entendit parler de lui depuis ce malheureux jour. Beaucoup pense qu'il n'est plus sur cette dimension. S'il a survécu à tout, il serait mort de vieillesse. Le contraire serait miraculeux. Aucune race humanoïde ne rivalise avec la longévité des elfes.

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