16 - Les conseils de Leith

2e jour de la saison de la mort 2447

Dû à l'incident pendant le cours de maîtrise élémentaire, Arièlla et Azéna s'étaient mérité une extension à leur séance disciplinaire avec Reaginn en raison de leur immaturité et leur imprudence. Depuis, l'humeur massacrante d'Azéna persistait. Ça lui avait pris une énorme quantité de contrôle de soi pour se retenir de ne pas perdre son sang-froid face à la décision du Haut Conseil.

Ce soir-là, elle ne dormit presque pas. Elle s'en voulait trop pour Tyrath. Elle était si anxieuse que les muscles tendus de ses jambes lui causaient de la douleur sourde. Pour la centième fois, elle roula sur le côté en espérant trouver une position assez confortable pour s'endormir.

Elle leva la tête en direction de la fenêtre. Elle localisa la lune qui était presqu'entièrement fondue dans la noirceur du ciel et ne songea à rien d'autre pour un moment. D'après la position de l'astre, il lui restait quelques heures de sommeil. Énervée, elle ignora l'horloge même si celle-ci aurait pu lui fournir de l'information plus précise.

Elle avait besoin de se calmer alors, elle décida d'aller voir si Teriondil traînait dans la salle commune.

Sur la pointe de ses pieds, elle tenta d'enfiler des pantalons sans réveiller Fayne. Le plancher craqua sous son poids lorsqu'elle leva une jambe. Elle grimaça, incertaine d'elle-même et renonça. Tant pis, elle allait rester en chemise sans soutien-gorge et en petites culottes... enroulée dans une couverture.

Comme prévu, elle trouva son ami assis près du foyer sur le tapis avec une grosse théière et un petit verre, tous deux remplis de liquide chaud, à ses côtés. Il fredonnait un air fantaisiste qu'il semblait improviser à mesure en caressant tendrement une fleur aux pétales roses tenue en place par magie dans sa chevelure. Le rythme était aussi charmant qu'apaisant, tout comme la voix du chanteur d'ailleurs.

Azéna se surprit à l'apprécier et ainsi, elle s'appuya contre le cadre de l'entrée et absorba les paroles elfiques même si elle ne les comprenait pas. Il ne la remarqua pas, les yeux clos comme s'il était en transe. Son humeur l'infecta et elle ne put s'empêcher d'oublier ses soucis.

Au bout d'un moment, des visions d'une forêt enchanteresse aux immenses arbres et à la flore prospère s'incrusta dans son esprit. Elle ne la reconnaissait pas et sur le coup, elle fut choquée. Elle secoua la tête et revint à la réalité. Des fourmillements coururent le long de sa peau sensible. Le tout semblait surréel, comme si ça n'aurait pas dû arriver.

— Qu'est-ce que... ?

Incertaine de comment réagir, elle s'installa tout simplement à la droite de la théière. Elle attendit un long moment avant que Teriondil la remarque.

— Oh ! s'exclama-t-il. Jirnah !

— Ein ? lâcha Azéna en clignant des yeux.

— Ein ? Oh, désolé ! J'oublie parfois que je ne suis pas chez nous et que l'elfique n'est pas très utilisé ici. « Jirnah » est une forme de salutation qui sous-entend que tu as beaucoup de sentiments pour ton interlocuteur.

Sur le moment, l'archère sentit son sang qui lui monta au visage, se regroupant principalement dans les joues. Elle devait être aussi rouge qu'une cerise. Elle s'enroula le bas de la tête dans sa couverture.

— Qu'est-ce que tu veux dire par « sentiments » ?

Elle avait honnêtement peur de la réponse, mais elle devait savoir pour mettre la situation au clair.

— Bah, répliqua Teriondil en se grattant le menton sur lequel commençait à pousser une barbe juvénile vert menthe. Bah...

Il sirota son thé, se tourna plus confortablement vers elle et prit sa main dans la sienne.

Ça y est, songea Azéna, sa tête au complet chauffée par la gêne. Fayne va me tuer quand elle va savoir que Teri a le béguin pour moi. Ce n'est pas bon ça. Bon, d'accord. Elle le trouve mignon, mais elle a dit qu'elle ne voulait pas de lui comme amoureux... Je vais peut-être survivre...

Teriondil semblait songeur, comme s'il était perdu dans un autre monde. Il gardait le silence depuis un long moment.

— Mais accouche ! aboya son amie, incapable de supporter le suspens plus longtemps.

L'elfe ouvrit soudainement grand les yeux. On dirait qu'il venait de se réveiller.

— Des sentiments positifs, quoi ? Dans le genre, tu es une très bonne amie ou encore, une compagnonne digne de respect, ou encore, une amoureuse, ou encore...

Azéna n'en revenait pas ; c'était super vague ce dialecte. Elle ne pouvait plus l'entendre.

— Qu'est-ce que vous pouvez être bizarres, interrompit-elle en référant au peuple des elfes des bois. Arf, mais ça ne m'aide pas ça ! Teri, que veux-tu dire exactement ?

Son cœur battait la chamade et une goutte de sueur roula sur son front. En plus, il mit encore une éternité à répondre.

— Oh, si, si. Je veux dire, une bonne amie bien sûr. Cependant, tu es un peu imprudente.

Il libéra sa main, prépara une deuxième tasse de thé et la lui présenta avec un sourire radieux.

— Thé ? Il est succulent. J'ai ajouté du miel et un peu de...

Roulant ses yeux, Azéna lui prit la tasse des mains d'un mouvement sec et ronchonna.

— Ça va. Tu as failli me causer une crise cardiaque.

Teriondil plissa les sourcils, semblant se concentrer.

— Je ne comprends pas l'origine de la crise cardiaque.

Azéna l'ignora et prit une longue gorgée de thé. Le liquide était chaud et apaisant, mais il y avait un petit arrière-goût amer qu'elle n'aimait pas tant que ça. Elle se prépara à encaisser le choc gustatif une seconde fois.

— Bah, tu l'aimes bien le thé, dit Teriondil, surpris. Je ne pensais pas que tu allais tomber en amour avec comme ça. Tu devrais ralentir un peu... Ça pourrait t'assommer sur le coup.

— M'assommer ? Oui ! Parfait !

Elle se pinça le nez et avala tout le reste d'un coup. L'elfe la fixa avec la bouche entrouverte et les traits étirés.

— C'est... pas bon ça, murmura-t-il dans sa barbe.

Peu de temps plus tard, Azéna sentit son anxiété et sa capacité mentale diminués. Tous ses soucis se dissipèrent de son esprit. Elle sentit un léger picotement à l'extrémité de ses doigts. La chaleur émanant du foyer semblait lui caresser tendrement le visage.

— La vie est trop belle, souffla-t-elle, un sourire en coin au visage.

— Ahh, c'est excellent ça, approuva Teriondil. La vie est belle, tu as bien raison.

Ils gloussèrent comme des enfants.

Soudainement, Azéna ressentit une présence derrière elle. Elle leva la tête vers le plafond et aperçut de magnifiques yeux noisette qui la fixaient. Leur propriétaire pencha la tête sur le côté, le visage durcit. Quelques taches de rousseurs courraient le long de ses joues rebondies. Ses bras étaient croisés et elle paraissait mécontente.

— Oh, jirnah, dit la rebelle en la saluant.

Elle et Teriondil s'éclatèrent de rire. L'herboriste les prit par la main et les guida chacun vers leur chambre respective. Teriondil ne rouspéta pas. Il s'écroula dans son lit et se mit à ronfler. Azéna, de son côté, ne pouvait pas prendre Fayne au sérieux. Elle trouvait la situation marrante. Elle marchait de travers et se déplaçait d'une manière bancale et avec peu de concentration.

— Vous êtes pires que des gamins, rouspéta la brunette. Allez, va te coucher. Tu as une grosse journée demain.

— Oui, maman Fayne.

Elle s'assit sur le bord de son lit puis elle se tourna vers son amie avec les yeux pleins d'espoir.

— Câlins ?

— Mais, par la bonne Aspérule, qu'est-ce que Teriondil a fait de toi ? demanda Fayne, suspicieuse.

— Rien du tout. On mérite des câlins.

— Rmmh... T'agis vraiment étrangement, mais bon... ça va.

Elle l'enlaça pour un instant et s'installa dans son propre lit.

— Maintenant, tu vas dormir, ordonna-t-elle en pointant l'oreiller d'Azéna du doigt. Et, je ne plaisante pas. Imagine les conséquences qu'on subirait si un maître se pointerait.

— Tu t'inquiètes pour rien. Voyons donc voir ! On fais rien d'mal.

Le reste de la nuit, elle dormit paisiblement, sans se soucier que le lendemain allait s'avérer à être l'une des pires journées de sa vie.

✦×✦

Le jour suivant, durant la pause du dîner, le trio étudiait à la table des apprentis de premier cycle dans le Hall d'Archlan. Fiara s'y promenait en observant les murailles dépeignant l'histoire des Gardiens d'Aerinda. De temps à autre, elle souriait de façon machiavélique et animait les images par le biais de son contrôle du mana, ajoutant temporairement de l'humour aux scènes macabres.

— Ils ne devraient jamais mettre Fiara en charge de la sécurité, commenta Fayne. Je comprends... chacun son tour... mais... bon... Son attention n'est pas au bon endroit.

Elle détourna son regard sur son livre, pinçant les lèvres comme quand elle se sentait peu impressionné par quelque chose. De son côté, Azéna n'avait cessée de râler à propos d'Arièlla.

— Parfois, elle agit convenablement tandis que le reste du temps, c'est une tête enflée colérique !

— Ce comportement me fait penser à quelqu'un que je connais bien, commenta la brunette qui essayait de se concentrer sur sa lecture.

— À qui donc ?

Ses deux amis ne dirent pas un mot. Teriondil ignora le tout, préférant s'attarder à ses songes. Fayne, haussa un sourcil et soupira.

Un long moment s'écoula et enfin, l'archère réalisa qu'elle agissait comme Arièlla sur cet aspect.

— Au moins, je fais preuve de plus de dignité qu'elle. Et puis, on est déjà assez chanceux que Maîtresse Blakar n'est pas fait exploser le terrain ! aboya-t-elle sans se soucier de son entourage.

Heureusement, Fiara ne réagit pas. Elle ne devait pas avoir entendu, trop absorber par son propre amusement.

Fayne rétorqua en lui lançant un regard menaçant.

— Oui, ein? À la place, on a eu droit à un beau spectacle, gracieuseté de toi et Tyrath. En parlant de lui, tu devrais aller le visiter avant ta séance disciplinaire. Seules les divinités savent si tu vas t'en sortir indemne.

Azéna n'osa pas répondre à cette vérité. Elle ne n'avait pas vu Tyrath depuis l'incident.

Elle utilisa le reste de son heure de dîner à l'écurie. C'était la seule occasion qu'elle avait avant de devoir se rendre à la Tour Mère pour sa séance disciplinaire. Elle connaissait la localisation de l'écurie par cœur puisqu'elle visitait Shirah assez régulièrement. Souvent, elle lui emportait des gâteries de la cuisine.

L'écurie se situait près de la mer, était construite de bois rond et réussissait à accommoder près de vingt dragons adultes. Il n'était pas aussi imposant que les académies, mais il figurait parmi les plus grands bâtiments d'Atgoren. Une tête draconique avait été méticuleusement sculpté dans le matériel à l'entrée.

Un visage familier y travaillait. Leith était soit là ou à l'infirmerie. Elle s'occupait de nourrir, de surveiller et d'assurer un séjour confortable pour les pensionnaires qui étaient souvent des dragons malades ou blessés, des animaux domestiques ou encore des montures en besoin d'un refuge.

— Leith ! s'exclama l'adolescente en accourant vers elle. Comment vont les choses !?

Dans son élan, elle ouvrit grand les bras et l'enlaça en ricanant comme une enfant, le regard brillant d'admiration. La vieille femme la câlina pour un bref moment.

— Épuisant, honnêtement. Je ne suis plus si jeune. Ça, je le sens.

Le long tablier poussiéreux qu'elle portait suggérait qu'elle faisait le ménage, ce qui ne ferait vraiment pas de tort à cet endroit négligé. Elle n'avait jamais le temps de le faire. De sa main gauche, elle tenait son fidèle bâton décoré de plumes exotiques. De l'autre, un balai de crin. Ses muscles bien entretenus scintillaient sous sa sueur.

— Ils devraient t'accorder un assistant, quand-même, grommela Azéna. Tu en fais beaucoup trop. Dire qu'ils t'ont arrachée ta retraite...

— Je m'en sors, affirma son interlocutrice, un sourire bienveillant aux lèvres. Tu es venue visiter Shirah ?

La Kindirah ne manqua pas à remarquer la lueur affligée dans son regard étiré par la fatigue. De plus, elle trouvait cela étrange qu'elle évitait un sujet si important pour elle. Quelque chose devait l'encourager à cette voie et ça n'annonçait probablement rien de bon.

— Pas cette fois. En fait...

— Oh ! s'exclama Leith, semblant étonnée de ses propres dires. Tyrath, bien sûr. Où avais-je la tête ? Il va bien. C'est un véritable boute-en-train, laisse-moi te dire. Énergétique, ce jeunot. On a besoin de plus d'âmes comme lui. Allez, viens.

— Ça ne m'étonne pas de lui, répondit Azéna, une expression amusée au visage.

Leith l'entraîna au fond de l'écurie où elle gardait les malades et les blessés isolés du reste.

— Je me suis bien occupée de lui, tu vas voir. Son aile brûlée guérit bien à date.

— Il va s'en remettre, pas vrai ? demanda Azéna alors qu'elles s'arrêtèrent devant un enclos gigantesque.

Un grognement guttural retentit de l'autre côté de la petite porte en bois mince. Au début, la rebelle croyait qu'il s'agissait d'une bête enragée, mais elle se rendit vite compte que ce n'était pas le cas lorsqu'un ronflement sonore brisa le bref silence.

— Certes, confirma la guérisseuse. Je connais bien la médecine draconique. Ne t'en fais pas. De plus, j'ai été dans tes souliers maintes fois.

Son expression faciale se transforma soudainement, ses traits accentués. Elle semblait choquée. Mais Azéna l'était encore plus.

— Un instant... Dans mes souliers ? Tu n'es pas...

Leith soupira, baissa les yeux honteusement pour enfin rencontrer les siens.

— Je suis...

Elle hésita longuement avant de continuer puis, d'une voix étranglée, comme si ce qu'elle disait la troublait, elle parla :

— Enfin, j'étais une dragonnière.

Tout s'expliquait à présent. Azéna n'avait jamais compris comment elle avait pu calmer Tyrath et faire en sorte qu'il lui fasse confiance si aisément. Ce n'était pas tout non plus : ses connaissances, ce physique robuste et cette habileté à soigner des dragons. Elle lui avait caché tout ça, mais Azéna ne ressentit aucune colère en elle. Au contraire, elle en était plutôt soulagée. Elle se sentait plus proche, plus connectée à elle.

— Comme tu le sais, je suis l'ancienne guérisseuse de l'académie, expliqua Leith en s'avançant à côté de l'adolescente. J'ai encaissé les cinq années d'entraînement comme tu vas le faire. Et pour cela, je te considère une consœur dragonnière. Ce n'est pas aisé, au contraire. C'est rigoureux.

— Encore plus que maintenant ?

— La première année est la plus indulgente. Détrompe-toi. J'ai travaillé sans relâche pour obtenir la réputation que j'ai aujourd'hui. Mon moral a failli s'affaisser quelques fois.

— C'est donc pour ça que Terenas voulait tant que tu reviennes, venta l'adolescente. T'es une championne, la meilleure !

— Je suppose que j'ai laissé une marque derrière moi, répliqua la dame avec autant de fierté qu'avec langueur.

Elle sourit et poussa la porte de l'enclos qui s'ouvrit doucement. Derrière dormait paisiblement un jeune dragon argenté aux ailes fermées sur lui-même sur une montagne de couvertures qui formait un lit douillet.

— Il est vraiment choyé, rigola Azéna entre des petits rires. On dirait un chat sur son trône.

Tyrath eut un tic nerveux à la patte avant. Il semblait plongé profondément dans ses rêves. Un filet de bave pendait entre deux canines exposées.

— J'ai abandonné ce poste pendant bien longtemps, remémora Leith sur un ton douce-amère.

Elle s'approcha du drake pour examiner son aile brûlée qui paraissait beaucoup mieux. L'inflammation était réduite, la peau était pâle et non rougeâtre, mais les écailles n'avaient pas repoussé. On voyait clairement la forme de cône ou le feu l'avait ravagé.

— En réalité, lorsque je suis arrivée à Nothar, je voulais tout simplement vivre le restant de mes jours dans la tranquillité et la paix, raconta Leith. Ça aurait été une belle retraite quoique...

Ses paroles se perdirent dans le silence comme si elle n'avait pas dit tout ce qui pesait sur son cœur. Azéna la fixa alors qu'elle appliqua une crème gluante kaki sur la brûlure de Tyrath. Lorsqu'elle eut terminé d'étendre le tout, elle s'essuya les mains sur son tablier, ferma le petit flacon remplie de cette même crème, la glissa dans sa poche et se retourna vers son invitée.

— Il va bien aller, mais il ne serait pas sage de le réveiller. Son aile doit guérir, et ce chenapan est difficile à convaincre de rester tranquille.

Elle rebroussa son chemin jusqu'à l'entrée de l'écurie, Azéna sur ses talons.

— Alors, pourquoi es-tu revenue ? demanda la Kindirah.

Leith s'immobilisa, comme si elle avait été prise dans un état de vulnérabilité. Elle ne se retourna pas.

— Je me suis rendu compte que je m'étais trompée sur ma décision. La vie de retraité, ça n'existe pas chez les dragonniers.

Enfin, elle croisa son regard du sien, semblant parfaitement correcte. Elle lui fit un clin d'œil et sourit en coin.

— Maintenant, retourne à l'académie. Les cours recommencent bientôt. Tu ne désires pas attirer la colère des maîtres.

Elle donna une poussée amicale sur l'arrière-train d'Azéna avec son bâton.

— Ça, je le sais trop bien, ronchonna l'adolescente.

Elle hésita avant de saluer Leith. Elle se demandait si elle était au courant pour sa séance disciplinaire. Elle lui en aurait bien parlé, mais elle la honte la rongeait.

Durant sa marche de retour, un détail important la frappa. Leith avait bien précisé qu'elle avait été une dragonnière dans le passé. Comment avait-elle perdu son partenaire ? Et à quelle volée draconique appartenait-il ? Leith était âgée ; ça sautait aux yeux. Toute son expérience et son histoire étaient des trésors qu'Azéna aimerait chérir, mais il fallait qu'elle le partage avec elle. Leith l'avait appelée sa consœur dragonnière donc, elle était confiante qu'un jour, elle le ferait. L'honneur et la fierté lui monta à la tête. Elle s'élança vers les portes principales de sa nouvelle maison, profitant de ce bonheur qui, elle le savait, n'était qu'éphémère.

✦×✦

L'amusement se termina lors de la fin de la cinquième période. En sortant de la salle de classe de Maîtresse Blakar qui avait décidé d'en rester à la théorie pour quelques jours, la réalité vint lui mordre les entrailles. Un trou noir lui dévora l'esprit et l'incertitude l'envahit. Déjà, elle pouvait sentir son cœur commencer à se débattre, sachant que l'inconnu dont elle devait faire face n'annonçait rien de décent.

— Ça ira bien, rassura Fayne en posant sa main sur son épaule en guise d'encouragement. Reaginn est dur, mais il est quand-même en charge de notre cheminement.

Azéna força un sourire et vira le regard sur Teriondil qui gardait le silence et un air inquiet. Elle présuma qu'il n'avait rien de bon à dire au sujet des séance disciplinaires. Ainsi, rien ne l'apaisa.

— Je ne suis pas nerveuse du tout, mentit-elle. Je crois que Reaginn joue la comédie. Il n'est pas si dur à cuire que ça.

Teriondil lança un petit « mhmm », mais rien de plus. Il ne paraissait pas d'accord avec elle.

— Ne lui manque pas de respect, rouspéta Fayne. Ça va juste empirer la situation, tu sais.

Oui, maman Fayne, soupira Azéna.

— Arrête de jouer l'idiote et promets-le-moi.

— Booon, c'est promis.

Lorsqu'ils furent assez isolés d'autrui, elle leur partagea une idée :

— Je pourrais vérifier ce qui rends ce Donjon si infâme, quoique tentant.

— Qu'est-ce que tu veux dire !? questionna l'herboriste qui parut saisi d'effroi soudain.

— Sainte Aspérule, on dirait que tu as aperçu un esprit ! s'exclama Azéna. Ton visage est tout pâle.

— Cesse de jouer l'idiote ! répéta sèchement Fayne qui reprit ses couleurs. Réponds à ma question !

— Ça va, ça va. Ce que je voulais insinuer était tout ce drame avec Gragèn et Serfantor, tu sais... On pourrait en...

— Oh, que non ! coupa Fayne sur un ton colérique. Tu es déjà dans les beau-draps et en plus, tu planifies d'attirer la colère du prédateur. Bien pensé, vraiment !

— Mais non, rétorqua Azéna obstinément. Tu surestimes Reaginn et ces rumeurs en rapport avec le Donjon.

— Reste tranquille et ne fait rien d'impulsif, je t'en supplie.

Azéna se tourna vers Teriondil en espérant recevoir de l'appui.

— Je suis d'accord avec maman Fayne, répliqua-t-il en haussant les mains comme s'il requêtait la paix entre eux. On tient à toi, tu sais.

La rebelle se résigna à leurs supplices, mais en dedans d'elle, sa curiosité n'avait pas diminué d'une miette. Elle désirait dénicher ce qui se cachait dans ce donjon pour aider Gragèn à s'échapper des griffes cruelles de Serfantor.

Je ne t'ai pas oublié, songea-t-elle. Je sais comment on se sent face à l'intimidation.

✦×✦

Lorsqu'elle arriva à l'entrée ouest de la Tour Mère, Azéna aperçut Arièlla qui était accotée sur le mur de pierre et qui fixait anxieusement la porte en bois renforcé d'un contour en fer. La blonde musclée sursauta lorsqu'elle se rendit compte qu'elle n'était plus seule. Son regard se transforma rapidement en expression de dédain. Elle fixa sa nouvelle compagnonne comme si elle n'était qu'un déchet à se dessaisir.

— Tu sais que c'est ta faute si nous sommes ici.

Azéna aurait bien aimé lui enfoncer son poing à la figure. Elle n'osa pas lui répondre de peur qu'elle perdre son sang-froid. Elle se contenta de la fixer avec rage. Elle détestait se sentir vulnérable et abaissée.

Arièlla ne lui laissa pas la chance de retrouver son équilibre mental.

— Tu te croyais vraiment meilleure que moi quand nous nous sommes croisées après la période d'essai pour les équipes de skotar, n'est-ce pas ?

Ses yeux azurés étincelaient d'assurance. Elle continua son attaque verbale, déterminée de couper profondément.

— Détrompe-toi, car je suis avantagée et plus puissante que n'importe quel apprenti du premier cycle.

Le côté droit de sa lèvre supérieure s'éleva avec exagération, comme si elle espérait offusquer son interlocutrice. Cette dernière refusa de lui accorder ce bonheur et s'efforça à ne pas réagir. Et pourtant, elle désirait entendre le reste afin de découvrir ce que ses parents lui avaient enseigné durant son enfance.

— Qu'attends-tu pour me le prouver ? défia-t-elle finalement avec une nouvelle assurance dans son ton de voix.

— Ça t'amuserait hein ? Dommage que...

Elle s'interrompit alors que la poignée de la porte menant à la Tour Mère fut tournée par quelqu'un de l'intérieur. Elle lança un regard arrogant à Azéna avant d'éliminer toute trace d'émotion sur son visage.

Elle me défit à qui survivra la séance disciplinaire.

À cette réalisation, elle se sentit terrifiée à l'idée qu'elle n'en était qu'au début de sa formation. Elle était véritablement faible et ignorante à comparer à Arièlla.

Lorsque la porte s'ouvrit, elle blêmit. Déjà pâle naturellement, sa peau lui donnait maintenant une allure maladive. Sa rivale le remarqua, laissa échapper un ricanement, mais se corrigea avant que la figure encapuchonnée ne se glisse en dehors de la Tour Mère. Celle-ci s'arrêta devant les deux jeunes filles et d'un œil sévère, fondant dans la noirceur, elle les sonda minutieusement.

Après avoir terminé son inspection, Reaginn croisa les bras et leva la tête de sorte que la lumière pénètre sous son capuchon, révélant son sombre visage. Azéna remarqua qu'il arborait une expression encore plus cruelle et froide qu'à son habitude. C'était comme s'il s'était revêtu de sa peau de prédateur comme Fayne l'avait si bien décrit. La panique commençait à s'attaquer au moral fragile d'Azéna. Physiquement, elle resta impassible hormis la sueur qui commençait à s'accumuler sur son front. Elle avait le pressentiment que le maître du donjon perçait au travers de son masque.

— Vous avez le droit d'avoir peur, murmura Reaginn dans un murmure étrangement obnubilant. Après tout, c'est votre première visite dans mes quartiers.

À ces mots, la Kindirah croisa brièvement le regard d'Arièlla qui paraissait calme mis à part de ses jambes qui tremblaient légèrement. Cela la rassura un peu.

— L'effroi est naturel lorsqu'on affronte l'inconnu, continua l'adulte de sa voix mielleuse.

Il tourna les talons. Sa vieille cape noire suivit son mouvement brusque en dansant dans le vide. Il lança un dernier coup d'œil derrière lui.

— Mais, il vous faudra corriger cette faiblesse, n'est-ce pas ?

Ses lèvres s'étirèrent en un sourire mauvais. Il entra dans la Tour Mère et fit signe aux deux adolescentes de le suivre.

Arièlla fut la première à s'exécuter, semblant vouloir prouver son courage. Lorsqu'elle passa devant Azéna, elle parla silencieusement. On put lire sur ses lèvres : « T'es une froussarde ; tu ne vas pas survivre trois secondes dans ce donjon ». L'archère serra les dents et ordonna à ses jambes de suivre. Malgré la répulsion acharnée qu'elle ressentait, elle avança. Reaginn ferma doucement la porte derrière elles. Contrairement à ses invitées, il semblait trop calme dans cette situation tendue. C'était probablement devenu fastidieux pour lui. Ça et la possibilité du contraire faisaient tous deux peurs.

À quel point cette séance disciplinaire allait-elle être punitive ?

— Venez par ici, mesdemoiselles, ordonna le maître avec une certaine nonchalance et froideur. Ne traînez pas derrière.

Azéna s'attendait à voir un spectacle grandiose, un peu comme le Hall d'Archlan. Après tout, elle était dans la Tour Mère, l'endroit le plus sécurisé de l'académie et le repère des maîtres. Au lieu, elle fut accueillie par une scène lugubre qui lui rappelait la prison de Nothar. L'air était soudainement lourd et inconfortable. On aurait dit qu'elle n'était plus dans le même bâtiment.

Oh, merde. Dans quel bordel me suis-je fourrée? Fayne avait peut-être raison... Et je me suis amusée à la déniée comme une conne.

Ils descendirent un escalier en colimaçon éclairé par des torches, celles-ci normales contrairement à celles trouvées dans le reste de l'académie. Azéna sentit l'anxiété monter en elle à chacun de ses pas. Afin de se calmer, elle tenta de visualiser quelque chose de plaisant.

Ses rêveries furent promptement interrompues par un tapage soudain. Arièlla, n'ayant pas vu une petite roche à temps, l'avait poussé avec son pied en mouvement et celle-ci c'était cognée contre le mur de pierre. Elle sursauta, mais se ressaisit, affichant une expression de confiance sûrement faussée.

Azéna s'attendit à une réaction colérique de la part du maître du Donjon, mais il resta impassible. Il continua sa descente jusqu'à une grille métallique sombre qui barrait entièrement le passage. De plus, elle était dépourvue d'une poignée. La jeune Kindirah fut tentée par sa curiosité. Elle mit de côté le désir pour de la prudence, et se tortilla dans tous les sens en tentant d'apercevoir à distance ce qu'il fabriquait. Il semblait chercher dans sa poche pour quelque chose.

Arièlla s'en rendit compte et rougit de colère.

— Cesse tes singeries. Immédiatement ! ordonna-t-elle sèchement dans un murmure.

Elle empoigna fermement sa compagnonne par le bras et appliqua de la force pour l'immobiliser.

— Tu vas nous faire tuer, dit-elle en serrant les dents, stressée.

Azéna se débâtit et malgré ses efforts, elle fut aisément repoussée contre un mur et faillit heurter une torche. Le physique puissant de la Valkirel n'était pas juste pour se venter.

Merde... merde ! Je devrais faire quoi ?

Dans un grincement sourd, la grille s'ouvrit en pivotant vers l'intérieur du tunnel, révélant un passage engouffré par la noirceur. Reaginn posa son regard sur les deux jeunes filles. Arièlla se raidit, relâchant Azéna qui faillit perdre ses moyens lorsqu'elle regagna sa liberté de mouvements.

Le maître du Donjon les invita encore une fois à le suivre d'un signe de la main. Cette fois, Azéna obéit sur-le-champ et fut suivie la cadence de sa consœur de séance disciplinaire. Les trois plongèrent dans l'obscurité totale. Une odeur nauséabonde de putréfaction et de vieux sang vint leur chatouiller les narines alors que Reaginn allumaient les torches qui longeaient les murs en passant.

Azéna sentit son cœur lui monter aux lèvres. Elle ne fut même pas dérangée par un rat qui passait à côté de son pied. Ce fut une bourrasque qui la surprit. Elle plaqua une main contre sa bouche, l'empêchant de hurler. Un bruit sourd résonna au travers du tunnel. Derrière le groupe, la grille s'était refermée. La rebelle comprit que Reaginn en était l'initiateur. Après tout, il était un aéromancien comme elle. Elle grogna silencieusement, maudissant tout.

Une fois de temps en temps, une goutte d'eau tombait du plafond rocailleux. Le sol était inégal et désagréable à marcher dessus.

À un croisement, Reaginn suivit le couloir à sa gauche. Le groupe déboucha dans une énorme salle. Azéna constata avec ébahissement qu'elle se trouvait dans une sorte de réserve. Plusieurs étagères sur lesquelles reposaient divers objets se dressaient majestueusement en rangées désorganisées. En traversant la pièce, l'archère porta attention à ce qui s'y cachait. Sur chaque étagère se trouvait une étiquette identifiant ce qui y était rangé. Il y avait tant de catégories. Alchimie et herbes, livres et grimoires, ingrédients divers, métaux, nourriture, équipement de survie, d'équitation et de protection, prophéties, accessoires de divination, totems, archives et encore plus.

C'était tous des objets qui semblaient banals à ses yeux sauf pour ceux de divination. Elle savait qu'on pouvait tirer les gens au tarot, mais elle trouvait l'idée de prophéties autant ridicule que la religion.

Peu de temps plus tard, son attention fut attirée ailleurs, car Reaginn venait de changer de cap. Devant elle, au fond de la réserve, se trouvait une porte entrouverte qui menait à une plus petite salle qu'Arièlla et Reaginn ignorèrent en passant devant. Elle les suivit, mais ne put s'empêcher de s'arrêter pour jeter un coup d'œil dans la mince entrouverture. Elle y aperçu des armures et armes de toutes les sortes. C'était l'armurerie. Hypnotisée par ses découvertes, elle observa les chefs d'œuvres de guerre du mieux qu'elle le put sans toucher à la porte.

Son œil fut attiré par un arc majestueux qui était accroché au mur. L'arme à jet était immense et avait été entretenue avec soin. Elle dégageait une impression de royauté et de puissance. Des symboles elfiques avaient été taillés dans son bois pâle. Azéna aurait tant aimé posséder une telle arme. Mais, que faisait cette beauté abandonnée dans ce donjon lugubre ?

À sa gauche, une longue épée dépourvue de manche et de pommeau reposait. La lame possédait une forme anormale ; elle était légèrement courbée. Mais, le plus impressionnant était sa taille colossale, demandant une force significante pour la manier.

Il y avait tant de choses à voir, mais quelques précieux moments s'étaient écoulés. Soudainement anxieuse, Azéna vérifia où les autres étaient. Reaginn se trouvait devant une autre porte et l'ouvrait doucement. Arièlla était collée à son derrière comme si elle craignait sa colère si elle tardait trop.

Prise aux dépourvues, la Kindirah n'avait plus la force de continuer. Elle avait envie de se rouler en boule et de fermer les yeux. Elle ne voulait pas y aller.

— Mais, ressaisis-toi ! s'ordonna-t-elle dans un murmure.

Elle fronça les sourcils, prit son courage à deux mains et fonça en direction de ses compagnons en tentant d'être subtile malgré ses pas accélérés. Elle avait la bizarre d'impression que Reaginn était au courant de tout. Celui-ci entra dans la nouvelle pièce et attendit avec patience que les deux adolescentes firent de même.

— Alors, commença-t-il avec pointe d'amusement dans sa voix, on s'amuse bien à scruter l'armurerie au travers de l'entrouverture ?

Les demoiselles tressaillirent à ses paroles. Arièlla écarquilla les yeux avec confusion. N'avait-il donc pas vérifié ? Pourtant, il savait.

Azéna remarqua que sa rivale lui avait lancé un regard accusateur qui ne durera pas plus d'un instant. Un profond malaise l'envahit. Elle se sentait comme une idiote, encore une fois. Elle avait été fouinée. C'était plus fort qu'elle.

— Mais, faites comme chez vous, continua le jeune adulte avec une douceur horrifiante. Regardez aux alentours.

Jouait-il simplement avec elles ? Était-ce qu'un test ?

À l'intérieur, la salle était faiblement éclairée par quelques torches et un chandelier dont les branches ressemblaient à des mains griffues qui tenaient des chandelles. Cette visite était évidemment planifiée.

C'est ce que la salle contenait qui glaça le sang d'Azéna. Un peu partout, des instruments de tortures reposaient, très évidemment utilisés dans le passé. Ils étaient vieux, usés et parfois, tâchés de sang ou de rouille. Il y avait des fourchettes géantes, des guillotines, des haches, des cages, des ciseaux et d'autres objets qui semblaient tout autant dangereux que cruels.

Après avoir retenu une envie soudainement de vomir, la jeune Kindirah trembla de tout son âme, incapable de le cacher.

— T-tu... Vous ne pouvez pas ! Ce n'est pas possible ! Je n'y crois pas ! Ce n'est pas que les maîtres voudraient !

Reaginn poussa un petit rire frustré.

— Ce n'est sûrement pas vous qui décidiez ce qui peut être fait ou non, n'est-ce pas, Apprentie Kindirah ? Vous oubliez que vous n'êtes plus dans le palais de vos chers parents. Il n'y a pas de serviteurs, ni de soldats, ni Papa ou Maman pour vous sauver de votre punition.

Dans l'ombre de son capuchon, on pouvait apercevoir le coin de sa bouche s'étirer encore une fois en un sourire mauvais. Azéna sentit autant d'anxiété que de colère émerger en elle. Ses yeux s'écarquillèrent et sa pupille se dilata. Elle se sentit comme une proie forcée dans un coin, complètement vulnérable. Ainsi, elle ne songea pas aux conséquences de ses actions et hurla sa furie :

— En plus, vous prenez plaisir à nous voir souffrir ! Sale pervers !

Arièlla parut scandalisée par ses propos, semblant dans tous ses états elle aussi. Elle ne savait probablement à quoi s'attendre aussi, mais la possibilité du pire était véritablement terrifiant.

— Détrompez-vous, ma Dame de Daigorn, dit Reaginn avec sarcasme sachant que ce titre de lui appartenait plus. Vous ne me connaissez nullement.

Le silence pesait alors qu'il posa son regard sur un coin de la pièce dissimulé par l'absence de luminosité. Son expression sévère s'accentua ; il ne jouait plus.

— Certains prennent réellement plaisir à infliger de la souffrance. D'autres font semblant, que ce soit par choix ou non.

Il demeura calme, ne lâchant pas le coin sombre du regard.

— Pars ! ordonna-t-il sèchement.

De l'ombre émergea un homme encapuchonné au dos courbé. Celui-ci émit un ricanement sinistre, se dirigea vers la sortie et disparut, encore une fois, fondant dans l'obscurité. Azéna n'eut pas l'opportunité de le discerner, mais elle avait déjà établi son idée sur son identité : Vyrius Arahich.

Reaginn s'accouda contre l'instrument le plus large de la salle de torture, le chevalet. Il baissa lentement son capuchon pour ainsi révéler son jeune visage triangulaire à la mâchoire prononcé. Ses petits yeux perçants étaient malaisants. D'une certaine façon, il était séduisant, si on aimait cette allure mystérieuse.

— Ça vous dit de jouer à un jeu ? proposa-t-il.

Son regard passa d'Azéna à Arièlla et vice versa en attendant que l'une d'elles lui répond.

Un long moment s'écoula.

Seule la respiration légère du maître du Donjon brisait le lourd silence qui pesait sur la conscience de la Kindirah.

— Eh bien, vous n'avez pas le choix puisque c'est moi le maître ici, affirma finalement Reaginn. Je vais vous partager le fonctionnement de ce jeu. Je ne me répète pas donc écoutez attentivement.

Les adolescentes hochèrent de la tête, leurs yeux écarquillés

— C'est simple, continua-t-il. Trouvez la solution au problème et vous serez libéré de votre châtiment ainsi que de mon emprise.

— C-c'est tout ce que vous nous donner ? grogna Azéna, hésitante.

Reaginn s'approcha des punies d'un pas lent, s'arrêtant devant elles. Il fixait attentivement derrière elles, là où la porte se trouvait. C'est comme s'il les avait oubliées.

Azéna remarqua qu'il portait une tunique en cuir sombre. Il était assez près d'elle et distrait pour qu'elle puisse se permettre de le scruter. Il était équipé des épaulières du même matériel desquelles jaillissaient de petits piquants en fer. Un kriss et un poignard à la lame ondulée pendaient de sa ceinture. Comme à son habitude, sa chevelure était coiffée en queue de cheval pour dégager son visage.

— Quel est le problème, Maître ? osa demander Arièlla, les traits creusés et les sourcils froncés.

Un peu plus et il passait pour une statue. Sa respiration était si lente et il ne clignait même pas.

— Bonne question, Apprentie Valkirel, dit-il en fermant la porte à clé puis, en empoignant le manche de son kriss. C'est regrettable, mais vous allez devoir y penser par vous-même...

Il souleva l'arme et recula de quelques pas.

— ... en vous battant contre moi, continua-t-il. Ce sera un échange : votre sécurité contre la réponse au problème.

L'esprit d'Azéna était assailli de tant d'émotions différentes qu'elle s'affola. Le chaos total dans son esprit ne se pouvait plus.

— Vous voulez dire que vous allez essayer de nous poignarder tout ce temps si nous ne trouvons pas la réponse ?!

— Pourquoi pas ? questionna Reaginn, mouvant en cercle autour d'elles. Ça vous donnera une avance d'expérience en combat sur vos compagnons de classe.

Azéna sentit sa patience s'écouler. Le maître ne faisait aucun sens. Il devait avoir perdu la raison. Connaissant sa lenteur avec ce genre de devinette, il allait falloir s'échapper ou espérer qu'Arièlla performe mieux si elle ne voulait pas terminer sa séance disciplinaire en brochette.

— Commençons ! annonça l'adulte en s'élançant vers l'avant.

Arièlla se mit en position défensive de combat. Azéna, de son côté, avait presque envie de défier le maître en lui hurlant après. La pyromancienne évita une attaque aux côtes qui l'aurait coupée profondément si elle avait atteint sa cible. Déstabilisé, c'est à ce moment qu'Azéna réalisait que Reaginn ne plaisantait pas. Paniquée, elle sonda brièvement la salle à la recherche d'une arme quelconque et aperçut une étoile du matin rongé par le temps qui avait été accrochée au mur. L'arme paraissait lourde, trop lourde.

Sa distraction lui couta. Un coup violent au ventre lui coupa le souffle. La douleur la secoua ; elle tomba à genoux et se recroquevilla. Étouffant une grimace, refusant de montrer une faiblesse, elle leva les yeux, haletante, et fixa Reaginn qui paraissait si grand du sol.

— Il va falloir travailler plus fort que ça si vous voulez sortir d'ici lucide d'esprit, grogna-il en s'adressant aux deux.

Arièlla empoigna une épée courte à double tranchant et s'attaqua à lui. Azéna en profita pour vérifier son ventre. À son grand soulagement, ce dernier n'avait pas été coupé ; Reaginn n'avait pas utilisé d'arme lorsqu'il l'avait frappé. Levant la tête vers lui et Arièlla, elle tenta de comprendre ce qui se passait. Tout allait si vite, trop vite. Reaginn était un excellent combattant et Arièlla était bénie par l'agilité de son héritage elfique. Malgré son avantage de vitesse, la demi-elfe ne pouvait rien faire d'autre que se défendre, mais, le fait qu'elle encaissait était impressionnant. Elle tenait bon et endurait.

Bien qu'elle jouisse d'un physique athlétique, la blonde démontra bientôt des signes de fatigue. Pour maintenir sa performance, son corps se tendait un peu plus. Éventuellement, elle perdu son équilibre pour éviter que son bras ne se fasse couper.

Il fallait faire vite si elles ne voulaient pas se retrouver à l'infirmerie ensanglantées ou pire, en lambeaux.

Azéna réussit à passer derrière Reaginn alors que celui-ci confrontait toujours la Valkirel. Malheureusement pour elle, il était vigilant. Il para l'épée d'Arièlla avec son kriss d'une main et de l'autre, il empoigna Azéna par le collet et la projeta de toutes ses forces dans la direction opposée. L'archère ferma les yeux et enroula sa tête de ses bras de sorte à la protéger. L'impact brutal contre la pierre faillit l'assommer. Elle resta assise, accotée contre le mur, trop étourdie pour réagir.

Arièlla, de son côté, était d'une prouesse impressionnante en maniement de l'épée. Malgré tout, elle n'était pas de taille contre l'agile et rusé Reaginn. Celui-ci la forçait à reculer constamment. Coup après coup, elle perdait du terrain. Éventuellement, elle fut repoussée sur le chevalet qui attendait pour sa prochaine victime avec avidité. Lorsqu'elle se rendit compte sur quoi elle était tombée, un cri d'angoisse s'échappa de sa bouche. Elle retrouva son sang-froid comme si c'était seconde nature et tenta de repousser son assaillant avec des coups de pied puissants tout en tenant son épée sur son long l'utiliser comme bouclier.

Azéna profita de la situation pour récupérer de son étourdissement et aller chercher l'énorme étoile du matin. Elle réussit avec difficulté à soulever l'arme. Reaginn entendit le bruit de grincement du métal contre la pierre et porta son attention vers elle. Avec une rapidité fulgurante, il repoussa Arièlla et frappa, désarmant Azéna. Il ramassa l'étoile du matin avec un effort moyen et la lança de l'autre côté de la pièce.

Les deux apprenties dragonnières se battirent contre leur assaillant, mais celui-ci était trop expérimenté pour leurs tactiques basiques. Elles ne réussirent pas à le mettre au désavantage.

Elles devinrent si épuisées que leur vision s'embrouilla. Dans leur confusion, elles se mirent à s'attaquer entre elles, se poussant, se donnant des coups de pied et des coups de poing. La nervosité et la panique leur arrachèrent toutes pensées logiques. Elles participaient à une danse dominée maladroite par l'instinct animale.

— Portez attention, idiotes ! aboya Reaginn sur un ton cruel.

Sans tarder, les deux dragonnières, Azéna la première, défaillirent sous le poids de l'épuisement. Elles étaient étendues au sol et ne portaient même pas attention à leurs blessures qui se composaient de plusieurs écorchures, de petites coupures et d'hématomes.

Azéna s'était relevée. Elle tremblait de tous ses membres tel un animal malade au bord de l'évanouissement. Haletant, elle n'y voyait plus grand-chose. Sa vision était brouillée et sa peau était tellement parsemée de sueur qu'elle scintillait.

— Vous êtes d'augustes combattantes, complimenta Reaginn. Mais, je suis m'impatiente. Je désire compléter notre échange.

— Crache le morceau à la fin, vielle chauve-souris ! hurla Azéna de sa voix cassante. De plus, comment veux-tu qu'on y réfléchisse quand on se fait attaquer par un déchaîner !

— C'est une leçon que vous devez apprendre par vous-même.

— Une leçon de boucherie, oui.

— Dommage. Vous n'êtes que déception. Vous ne méritez même que je vous donne un indice. Alors, je vais devoir prendre les grands moyens pour vous apprendre.

— Nous apprendre quoi ? Tabarnack ! aboya-t-elle, désespérée.

Pas de réponse. Elle était nulle en combat et Arièlla ne pouvait plus se défendre.

— Merde ! jura-t-elle à nouveau.


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