15 - Lois des éléments

1er jour de la saison de la mort 2447

Après avoir croisé Arièlla et Reaginn ce soir-là, Azéna refusa de retourner à son dortoir en compagnie de la Valkirel. Le sentiment était d'ailleurs réciproque. Elles s'étaient blâmées l'une l'autre pour leur séance disciplinaire au donjon.

— Ça va ruiner ma réputation ! s'était choqué Arièlla. Ma mère va être en colère et on va me regarder d'un air bête durant les séances d'entrainement de skotar.

— Ça t'apprendra ! avait rétorqué Azéna. T'as une attitude de cochon !

— Et toi, tu as un caractère d'hippogriffe, bon !

La rebelle n'avait aucune idée de ce qu'était un hippogriffe et elle était bien trop fière pour le demander à Arièlla. Quoique cette créature était, elle n'en avait jamais vu à Daigorn.

✦×✦

Plus tard en soirée, elle expliqua ce qui s'était passé à Fayne dans leur chambre. Tout le long, celle-ci la fixa avec des yeux écarquillés et la bouche entrouverte.

— Tu ne devrais pas défier un maître comme ça ! Tu sais bien qu'une séance disciplinaire pourrait t'apporter bien du tort.

— Fayne, du calme... Ça ne doit pas être si terrible que ça, répliqua Azéna sur un ton nonchalant. De toute façon, c'est trop tard. Le mal est fait et je dois aller en vacances au donjon.

— Sérieux ? Par Elysia, ne réalises-tu pas qu'une séance disciplinaire ici n'est pas un jeu comme avec les gardes relâchés de tes parents ? C'est dans des moments comme celui-ci que c'est évident que tu as été élevé dans la noblesse. Tu es un peu gâtée.

L'aéromancienne resta bouche bée devant ces paroles franches et douloureuses. Elle oubliait parfois que sa colocataire de chambre avait vécu une vie ardue en raison de son statut social. L'une des devises Litfow était : protèges-toi d'abord si tu veux aider les autres. Ce n'était pas de l'égoïsme, mais plutôt du respect de soi.

Azéna ne partageait pas ce sentiment, mais elle comprenait, car elle avait été témoin des difficultés qu'encaissaient la plupart des roturiers à Nothar. Malgré tout, dans une situation dangereuse où on n'a nullement le temps de réfléchir, elle pensait qu'il fallait foncer directement dans la gueule du loup pour sauver ses amis.

— Eh bien... ermmm... désolée, répliqua-t-elle en haussant les épaules. Je ne sais pas quoi dire en ma défense.

— Ce n'est pas ton sourire innocent qui va te sauver dans deux jours, soupira Fayne.

Elle prit un moment pour caresser son nez sur lequel des taches de rousseur traversaient de ses doigts.

— Maintenant, va te coucher avant que je ne te balance par la fenêtre. Et pas de Teriondil ! Repose-toi.

Cette fois, son ton était beaucoup plus sévère. Franchement intimidée, la Kindirah ne savait pas trop comment réagir.

— T'es vraiment en beau câlisse la...

— Suffit !

Elle désigna le lit désordonné d'Azéna. Cette dernière comprit le message et se glissa sous ses couvertures sans oser protester.

✦×✦

Le jour suivant, le trio se dirigeait vers la classe du cours de psychologie draconique. Presque tout le monde aimait Maître Valkirel, car il était toujours joyeux et plein d'entrain. Cette fois, Azéna avait l'impression que même le charismatique maître n'allait pas être de taille à éradiquer son humeur massacrante.

Au dernier croisement avant d'atteindre la destination, Teriondil souhaita bonne journée à ses amies et se dirigea vers la classe d'histoire en fixant le plafond. L'archère savait qu'il imaginait le ciel, les nuages et peut-être les étoiles. C'était sa formule apaisante. Il lui semblait étrange qu'elle fût plus proche de lui que Fayne l'était, mais que c'était elle qui avait éprouvé une aversion pour lui en premier temps.

— Les gens ne sont pas ce toujours qu'ils semblent, songea-t-elle à haute voix.

— Quoi ? questionna Fayne.

— Ah, rien. Il a de la chance qu'il puisse se calmer si facilement.

Elle entra en classe, Fayne sur ses talons.

— On a tous nos jours meilleurs, répondit l'herboriste. Et ceux qui sont plutôt mauvais.

Elle lui accorda un sourire taquin en s'installant à son pupitre.

— Oh, arrête avec ça, rogna Azéna en s'installant à sa place derrière elle.

Maintenant ignorée, elle ne put s'empêcher de fixer le dos de son amie. En vérité, elle se sentait humiliée en ce qui concernait hier.

— Totalement injuste, bougonna-t-elle pour elle-même dans un murmure.

Elle posa son visage sur la paume ouverte de sa main droite. Durant tout le cours, elle n'écouta pas Eldarytzan, bien trop distraite par la frustration qui bouillait en elle.

Au cœur de ses explications, le maître s'interrompit et plissa les sourcils comme s'il se concentrait. La plume d'Azéna se mit à flotter au-dessus de sa bouteille d'encre. L'adolescente lança un regard noir à Eldarytzan qui sourit faiblement comme s'il espérait alterner son humeur. Ça ne fonctionna nullement. Ainsi, il racla sa gorge, guidant la plume à son emplacement initiale, reposant sur le bois usé du pupitre.

— Tâchez de suivre, Apprentie Kindirah.

Arrête de jouer avec moi, vieil homme, songea Azéna. Ouais, tu es vieux même si tu as un corps jeune béni par ton sang elfique.

Elle réalisa que ses pensées étaient injustement cruelles, comme la morsure empoisonnée d'une vipère. Après tout, Eldarytzan essayait juste de l'aider. Même avec cette réalisation, l'humeur maussade de la Kindirah persistait.

Lors du devoir écrit, elle se calma enfin. Elle réussit à se concentrer sur la lecture qui traitait sur l'accouplement des dragons. Elle imaginait Tyrath en train d'exécuter les danses ridicules expliquées dans le manuel pour impressionner une femelle. Aussi fier et brave soit-il, il réussissait toujours à faire un fou de lui dans la plupart de ce qu'il entreprenait et les danses d'accouplement n'allaient probablement pas faire exception.

Le sourire de l'adolescente s'effaça lorsque des paroles interrompirent ses rêveries.

— Tu as vu comment elle s'est empressée d'aller voir ta mère ? demanda Katanor de sa voix habituelle, soit méprisante et légèrement aiguë.

— Maîtresse Valkirel, corrigea Arièlla avec impatience.

— On sait tous que c'est ta mère. Pas la peine de le nier.

— Ici, on démontre du respect à nos supérieurs.

Il la fixa comme si elle avait dit la pire des folies.

— Vraiment ? Je n'y crois pas. Tu as évidemment plus de prestige que tous apprentis de notre cycle. De plus, tu as des relations proches avec certains maîtres. Tu pourrais obtenir bien plus, j'en suis certain. Pourquoi n'en prends-tu pas pleinement avantage ?

— Apprends ce que signifie la politesse, rogna son interlocutrice. Tu n'es pas digne de mon attention.

Le langage corporel du prince le trahit. Ses lèvres tremblèrent momentanément et sa mâchoire se raidit.

— De toute façon, elle avait l'air vraiment désespérée, commenta-t-il d'une voix moqueuse. Elle s'est fait passer pour une folle. C'était pitoyable et hilarant, tu ne trouves pas ?

La jeune Valkirel ne manqua pas à ses paroles, n'accordant à Katanor que son silence.

Azéna, de son côté ne connaissait pas le même tact. Elle tourna la tête en direction de l'elfe gris et le fusilla du regard. Elle bouillait d'envie de lui déformer la tronche et elle n'allait pas le cacher.

Il tourna la tête en sa direction comme s'il avait ressenti sa furie alors qu'elle naguère ne semblait pas exister pas pour lui. Ses lèvres s'étirèrent en un large sourire goguenard. Il s'en foutait, de tout ! Les poings de la rebelle se refermèrent fermement sur eux-mêmes.

Eldarytzan, qui n'avait pas montré le moindre signe d'intérêt vis-à-vis de ses apprentis depuis un long moment, leva les yeux. Il fronça les sourcils et pointa son index en direction d'Azéna. Les poings de celle-ci s'ouvrirent et se détendirent sans qu'elle ne puisse les empêcher. Puis, ce fut le tour de Katanor. Sa tête se vira vers son pupitre, se rivant sur le parchemin vierge devant lui.

— Votre attention devrait être portée sur votre devoir, déclara l'adulte sur un ton autoritaire.

Katanor pouffa en passant ses bras derrière son cou. Il tentait de se paraître insensible, mais il ne pouvait contrôler ses muscles qui tressaillaient légèrement.

— Ce n'est pas un elfe de lune qui contrôlera le comportement d'un elfe gris, encore moins celui d'un prince.

Eldarytzan entrecroisa ses doigts et le fixa intensément, ses traits se durcirent, accentuant les ombres sur son visage.

— Calmez-vous, Apprenti Diramin, sinon je vous envoie dans une cage à Maître Ruvior qui va se faire un plaisir de vous discipliner. De t'inquiète pas, il te gardera vivant.

À cette promesse, Azéna crut apercevoir un sourire en coin se former sur les lèvres du maître. Elle cligna des yeux et ce n'était plus le cas. Il s'amusait avec Katanor. Décidément, elle l'appréciait de plus en plus.

Psffhh, ça lui apprendra à cet idiot, songea-t-elle.

✦×✦

La fin de la journée approchait et ce fut l'heure de se rendre à la dernière période, soit, au cours de maîtrise élémentaire. Maîtresse Blakar était particulière et faisait un peu peur. Elle passait peu de temps à expliquer et encourageait fortement le côté pratique, ce qui rendait la plupart des apprentis nerveux devant un inconnu qui pouvait devenir dangereux aisément.

En arrivant à destination au deuxième étage, Azéna remarqua qu'il y avait un morceau de parchemin accroché à l'entrée. Fayne s'empressa de le lire.

— Bien sûr. Le cours est donné dehors, encore une fois. J'aurai dû m'en douter.

Elle agrippa le bras d'Azéna et de Teriondil et entama la marche à grandes enjambées.

— Vite, il ne faut pas être en retard.

— Relaxe, voyons donc, lâcha sa colocataire de chambre. On parle de Maîtresse Blakar. Elle est loin d'être sévère.

— Je comprends que les dragons sont nécessaire la plupart du temps, mais bon... elle pourrait nous prévenir un peu plus d'avance. C'est un peu agaçant.

— Meh. Je suis juste contente qu'on passe du temps avec nos dragons dans ce cours, même si on doit aller dehors pour cela.

Les trois amis rebroussèrent leur chemin vers la Tour de la Connaissance, descendirent les escaliers en colimaçon et atteignirent le rez-de-chaussée.

— Ça me stresse les cours à l'extérieur avec Maîtresse Blakar, avoua Fayne.

— Maîtresse Blakar sait ce qu'elle fait, souffla doucement Teriondil. Ça se passe toujours bien. Ais confiance.

— Tu crois vraiment ça ? questionna Azéna.

— Eh bien... Oui, oui. La plupart du temps. Enfin, je crois.

La Litfow poussa un gémissement nerveux.

— Ce n'est pas très rassurant. Tu te souviens de ce qui s'est passé lors de notre première journée dans cette classe ?

Azéna s'en souvenait chaleureusement. Elle était l'une des seuls à avoir trouver la situation amusante.

Fiara avait causé une explosion dans la salle de classe en exécutant sa démonstration de sa pyromancie. Neige fut interrompue, car le mur affecté était attaché à la salle suivante, là où elle donnait son cours. Heureusement, elle avait pu le rebâtir aisément à l'aide de la magie. Elle avait réprimandé sa sœur, lui disant qu'elle n'était aucunement surprise de ce qui s'était produit comme si cela faisait partie de leur routine habituelle.

Le trio mit le pied dehors et peu de temps plus tard, leurs compagnons les rejoignirent. Buhrik traînait derrière alors qu'Ella et Tyrath filaient comme des flèches déchaînées. Ils se faisaient la course. Tyrath, né de la volée grise dont les membres sont tous des maîtres du vol, remporta la victoire.

— Hé ! Moi aussi j'aimerai me baigner dans le ciel ! requêta sa dragonnière en agitant le bras.

Elle attira l'attention du drake au regard améthyste qui fit un virement soudain et se dirigea vers elle. Elle s'accrocha à lui lorsqu'il passa par-là, planant près du sol. Elle s'installa sur son dos tout en évitant les multiples piques qui arboraient le long de sa colonne vertébrale ainsi que sur sa queue. Ce dragon était un véritable porc-épic écaillé.

— On vous rencontre au terrain de skotar ! s'écria la rebelle au reste du groupe.

Tyrath ne manqua pas sa chance de frimer sa technique de vol. Il exécuta plusieurs manœuvres exagérées et termina ce qui semblait comme une chorégraphie. Enfin, il atterrit au centre du terrain de skotar de l'académie en piquant si rapidement vers le sol qu'il glissa dans la terre, la labourant et laissant dans son sillage une trace de griffes de quelques mètres de long. Pour marquer son triomphe, il poussa un rugissement.

Peu de temps après, les autres arrivèrent à pied, car Fayne refusait toujours de monter Buhrik.

— J'ai tout vu, souligna la brunette qui tentait de maintenir une allure sévère malgré son petit sourire.

Azéna le lui rendit et se mit à rigoler en tapotant les flancs de sa puissante monture en tant que compliment.

— Tu ne réussiras pas à conquérir l'affection des femelles comme ça, mon grand.

Tyrath renifla et bomba le torse avec assurance avec une patte soulevé comme s'il tentait de paraître charmeur.

— M'ouais... j'en suis pas convaincue, dit Ella.

— Apprentie Kindirah et Tyrathralent ! jappa une voix qui semblait s'efforcer à être colérique.

Une elfe de lune adulte s'arrêta devant les coupables. Elle posa les mains sur ses hanches, probablement pour accentuer sa sévérité. Le visage joueur de Fiara Blakar était encadré d'une rivière de longs cheveux lisses d'un blanc pur. Ses yeux gris, normalement amicaux, semblaient forcés au contraire.

— Vous vous pensez drôle peut-être ?

Azéna fut distraite par son élégante robe rouge vif dont la couleur lui piquait aux yeux. Elle n'avait rien à dire pour sa défense et le regard insistant de la maîtresse n'aidait pas.

En fin de compte, elle opta pour garder le silence.

— Évidemment, vous ne pouvez pas arranger ce chef-d'œuvre, grogna Fiara.

Les coupables grimacèrent, se préparant à recevoir de la discipline verbale. Tyrath paraissait plus inquiet pour sa dragonnière que pour lui.

— Des racailles, feula un dragon rouge un peu moins massif que Rendar.

Il s'approcha de Fiara et lui donna une tape amicale à l'épaule de son museau.

— Fais-les travailler un peu. Ils le méritent, ces enfants turbulents.

Surprise, sa partenaire lui accorda qu'un bref regard et soupira.

— Oh, ne soit pas si dur, Nigith. Ils sont plus âgés que tu prétends le croire et tu le sais bien.

Elle fusilla le duo de diablotins du regard.

— Tristement, le feu est destructif et non réparateur, tout comme le vent. Il va nous falloir l'aide d'un géomancien.

Teriondil s'avança et s'inclina respectueusement devant elle et Nigith.

— Si je peux me le permettre, je pourrais tenter de réparer les dommages commis.

Fiara haussa les sourcils, semblant perplexe. Azéna, de son côté, ne comprenait pas non plus comment il allait effectuer cette tâche. Il n'était pas un géomancien, mais bien un naturancien.

— Que veux-tu dire, petit ? demanda Nigith qui observait le Murkwan avec intérêt.

Ce dernier se vira vers le sol labouré qui commença sous peu à se déplacer par lui-même, flottant et se réordonnant. Fiara et Fayne poussèrent simultanément un cri d'exclamation.

— C'est pas vrai ! dit l'archère, étonnée.

L'elfe lunaire mit un moment à retrouver la voix.

— Apprenti Murkwan, vous pouvez contrôler votre mana ! Et ce, avec prouesse. C'est excellent !

— Sainte Aspérule, tu es un mage ! s'exclama Azéna en fixant son ami avec des yeux ronds. Plus je pense que je te connais, plus tu deviens mystérieux. Ciboire ! C'est fou !

— Votre langage, Apprentie Kindirah.

— Désolée.

Elle afficha un sourire des plus radieux dans l'espoir de se faire pardonner. Ça fonctionna, Fiara détacha son regard d'elle en pinçant les lèvres d'un air peu impressionné.

Fayne observait la scène, plus particulièrement Teriondil, un peu plus à l'écart que ses compagnons, les joues légèrement rosées.

Lorsqu'il compléta sa tâche, il perdit son équilibre en tremblant légèrement. Alarmée, Ella poussa un grognement et accouru vers lui. Juste à temps, elle plaça son museau derrière lui, atténuant ainsi sa chute. Il murmura quelques mots qu'Azéna ne comprit pas, sa manière de parler plus mélodique qu'avant. C'était probablement de l'elfique. Dans tout les cas, la dragonne verte se mit à ronronner.

Fiara sourit devant l'accomplissement de son apprenti.

— C'était magistral. Mais, il vous faudra vous reposer à présent. Pas la peine de vous efforcer pour cette leçon. Observez tout simplement. L'utilisation de la magie vous a épuisé rapidement, ce qui est normal pour un débutant.

— Merci, Maîtresse Blakar, répondit Teriondil en affichant un faible sourire.

Ella l'aida à marcher jusqu'à la première rangée de bancs d'un des gradins. Elle se contenta de s'asseoir à côté de lui en surveillant minutieusement les environs comme un chien de garde.

— Toujours en état d'alerte celle-là, dit Azéna en secouant la tête. Elle a besoin de se détendre. Il n'y a rien à craindre ici.

— Tu ne sais jamais, s'exprima sagement Buhrik. La vie, c'est un cheminement saupoudré de hauts et de bas.

— T'es juste victime d'un peu de paranoïa. Fais-moi confiance, Nothar était bien pire. C'était normal des cadavres d'infortunés qui jonchaient les ruelles. En comparaison, ici c'est un paradis.

Elle était bien trop excitée par ce qu'elle venait de découvrir à propos de Teriondil pour se préoccupée de quoi que ce soit d'autre. Elle l'imaginait déjà, arborant une robe de mage de teinte neutre avec des fleurs sur ses épaulettes, entrain de faire léviter une montagne à lui seul.

Quelque chose de pointu vint la toucher sur le dos et elle réalisa que Buhrik lui parlait encore. Elle cligna des yeux, confuse.

— Tu m'écoutes ? questionna-t-il, légèrement offusqué. Arf... Laisse tomber. La durée d'attention de ces jeunes n'est plus ce qu'elle était autrefois.

Fayne ria un bon coup, une expression divine illuminait son visage. Elle semblait rayonner à ce moment-là, heureuse de la vie.

— Tu es mignon quand ton côté grognon se pointe.

— Petite agace, répliqua le drake bleu, joueur.

Il se frotta le museau sur le sommet de sa tête.

Fiara se dirigea plus au centre du terrain de skotar et leva les bras, tentant d'attirer l'attention de ses subordonnés.

— Allez, tout le monde, placez-vous autour de moi.

Dragons et dragonniers s'exécutèrent. Fayne, embarrassée en cause du chahut d'Azéna et de Tyrath, se plaça derrière la maîtresse pour éviter son regard.

— T'es ridicule, lui dit son amie d'enfance avec complètement franchise. Allez, viens.

— N-non !

Elle se fit traînée directement en face de Fiara par Azéna. Elle ne manqua pas à tenter de se libérer, mais elle n'en avait pas le désire et se laissa faire, les joues encore empourprées et les yeux écarquillés.

— Nous allons faire une petite révision et apprendre un nouveau concept avant de passer à l'exercice pratique ! déclara Fiara avec enthousiasme. Alors, qui peut me dire l'élément de son dragon ?

Roulant les yeux comme si elle faisait face à la question la plus idiote au monde, Azéna leva la main.

— Vas-y, Apprentie Kindirah, encouragea l'elfe lunaire adulte.

— Le vent.

— Correcte. Il existe huit sous-espèces de dragons, catégoriser plus communément par vols draconiques. Cela détermine l'élément auquel ils ont un lien naturel. Par exemple, chaque dragon gris contrôle l'élément du vent. Les rouges, comme Nigith, contrôlent le feu, les bleus contrôlent l'eau, les verts contrôlent nature, les bruns contrôlent la terre, les noirs contrôlent l'ombre et les blancs contrôlent la lumière. Mais, il nous en manque une sous-espèce. Quelqu'un peut-il me dire de laquelle il s'agit ?

Arièlla leva la main et attendit que l'adulte lui accorde la permission de parler.

— Vous aviez fait mention d'un vol draconique légendaire la dernière fois. Le vol violet si je ne me trompe pas.

— Précisément ! s'excita Fiara de sa voix qui était devenue aiguë tellement elle était allumée par le sujet. Les dragons violets manipulent le « vhrenghar ». C'est un mot dans la langue ancienne qui n'a pas de traduction, mais on la surnomme tout simplement l'élément de la vie.

— Mais, il n'y a aucun dragon violet, dit Renora en haussant un sourcil. J'en ais pas vu un seul ! Personne en a vu !

— Nous non plus, malheureusement. On dit qu'ils se terrent dans leurs cavernes aussi profondes qu'elles sont sombres et refusent de revenir à la surface tandis que d'autres disent qu'ils ont tous été tués.

— Pourquoi ? demanda Fayne, intriguée par ce mystère.

— Peut-être qu'ils veulent juste un peu de sainte paix, suggéra Azéna, en haussant nonchalamment les épaules.

— Demandez à votre maître d'histoire, dit Fiara, mais je doute qu'il le sache. Quoi qu'il en soit, maintenant que vous êtes au courant des types d'éléments qui existent, passons à leurs forces et faiblesses.

Ses minces lèvres s'étirèrent en un sourire espiègle. Quelques-uns des apprentis jetèrent des coups d'œil un peu partout comme s'il s'attendait à ce qu'un danger quelconque se jette sur eux.

— Voici un simple exemple : l'eau et le feu, continua la maîtresse.

Elle fit signe à Fayne de se placer à côté d'elle. La jeune herboriste hoqueta de surprise et obéit, Buhrik sur ses talons.

— Hier, je vous ai brièvement montré comment contrôler une petite quantité de l'élément que vous fournit votre partenaire draconique. Fayne, je te demanderais de me lancer une boule d'eau.

La Litfow déglutit difficilement et baissa la tête, observant ses mains comme si elle tentait de se concentrer à la tâche tout en ignorant les regards intrigués des autres.

— Ne t'inquiète pas, la rassura l'adulte. Si ça m'atteint, ce n'est que de l'eau. Ça ne va pas me tuer, loin de là.

Fayne ouvrit ses mains et les plaça l'une à côté de l'autre comme si elle tenait un ballon invisible.

— Qu'est-ce que vous croyez qui va arriver lorsque mon attaque élémentaire et celle de Fayne se heurteront ? demanda Fiara.

Certains levèrent la main, mais elle ne laissa personne répondre. À la place, elle fit signe à Fayne de passer à l'offense. L'herboriste déglutit et lança un regard à Buhrik qui ouvrit sa gueule et une sphère bleutée se forma entre ses crocs. Lorsque le processus fut complet, il baissa le regard, la laissant tomber entre les mains de sa partenaire.

Fiara et Nigith firent pareil mais dans leur cas, une boule de feu en naquit. Ils ne lâchèrent pas leurs apprentis du regard.

Fayne, tremblant subtilement, lança la sphère transparente et Fiara fit de même avec la sienne. Les deux projectiles se heurtèrent, formant un nuage de vapeur à l'impact qui mit un moment à se dissiper.

Sa robe mouillée, Fiara se tenait le ventre, une grimace tordant doucement son visage. Elle se redressa et soupira longuement, semblant heureuse.

— Vous allez bien, Maîtresse Blakar !? s'affola Fayne, le regard empli d'effroi comme si elle venait de commettre une atrocité.

— Bien joué, complimenta l'elfe lunaire adulte. Ça m'a coupé le souffle pendant une seconde, mais c'était ce qui était censé se produire.

— Oh, sainte Aspérule... J'avais eu peur.

— Tu comprends ce qui s'est passé ?

— La boule de feu a été détruite par l'eau et transformée en vapeur inoffensive.

— Et la boule d'eau ?

— Elle est passée au travers de la boule de feu.

Plusieurs apprentis clignèrent des yeux avec confusion.

— C'est pourtant simple, rogna Arièlla avec impatience. Pensez-y un peu. L'eau éteint le feu. Donc, l'eau est puissante contre le feu. Je ne connais que le feu et un peu l'eau, mais j'imagine que c'est le cas pour les autres éléments.

— Précisément, Apprentie Valkirel, dit Fiara en arborant souriant qui lui donnait un air de gamine joueuse. Certains sont neutres. Dans ces cas-là, c'est la loi du plus fort, tout simplement. Dans de rares cas, comme avec le vent et la terre, les deux éléments sont immunisés l'un contre l'autre.

— Que voulez-vous dire, Maîtresse Blakar ? demanda Azéna, intéressée par l'information donnée à propos de son élément.

— Ils ne sont pas affectés l'un par l'autre en termes de dommages. Une bourrasque ne changera pas l'état d'une roche et vice versa, mis à part peut-être son emplacement. Maintenant, prenez-vous un morceau de parchemin et notez les résultats de vos expériences. L'exercice d'aujourd'hui consiste à explorer vos éléments en l'utilisant contre celui des autres.

— On note quoi pour l'élément de la vie ?

— Nous n'avons aucun animancien ici présent donc, écrivez inconnu pour cet élément et ce sera suffisant.

Elle alla s'asseoir sur les gradins pour tenir compagnie à Teriondil en même temps de surveiller les apprentis.

Après ses premières tentatives, la jeune Kindirah dut gronder Tyrath, car il éprouvait de la difficulté à se retenir d'exhaler du vent trop puissant pour ce qui était nécessaire. Elle se pensait incapable d'accepter la défaite, mais son partenaire était bien pire. Même dans la victoire, il désirait dominer ses opposants.

— Arrête un peu, grogna Azéna, les bras croisés. On va blesser les autres si on ne fait pas attention. Je comprends tout à fait d'où viennent tes sentiments. Fais-moi confiance, je suis compétitive aussi mais ce n'est pas le moment pour ça. Désenfle ta grosse tête ardente et concentre-toi à la fin. Il faut compléter cet exercice avant que le temps ne s'écoule.

Tyrath renifla agressivement, mais finit par concéder.

— Fayne ! jappa l'archère en la salua de la main. Voyons voir ce qui se passe quand le vent et l'eau se frappent !

Les deux amies se défièrent, opposant leurs éléments l'un contre l'autre. Fayne avait fermé les yeux de peur qu'elle ne se fasse encore repousser par son adversaire, mais à sa grande surprise, rien ne se produit.

— C'est neutre, souffla Azéna, ébahie et un peu déçue. Les deux éléments se sont détruits.

Elles écrivirent leur résultat, chacune fixant son parchemin à la recherche des éléments contre lesquels elles n'avaient pas testé le leur. Sur celle d'Azéna, il y était inscrit :

VENT CONTRE

Ombre : Fort ; le balaye hors du chemin

Lumière : Neutre

Vie : Inconnu

Nature : Puissant ; trop coupant pour la fragilité des feuilles

Terre : Immuniser ; l'ignore tout simplement

Vent : Neutre

Eau : Neutre

Feu :

— Je peux voir ? demanda Fayne avec curiosité.

Elles s'échangèrent leurs notes. En voyant les résultats de Fayne, Azéna constata que le vent n'avait aucune faiblesse réelle jusqu'à présent contrairement à l'eau.

EAU CONTRE

Terre : Puissant ; rends la terre molle

Ombre : Neutre

Nature : Faible ; accrois les racines et feuilles

Lumière : Neutre

Vie : Inconnu

Eau : Neutre

Feu : Puissant ; éteins les flammes

Vent : Neutre

— Une chance que je suis familière avec ta main d'écriture, taquina Fayne, pouffant de rire. Je comprendrais rien sinon.

— Pfft, tu te fais battre par Teri, par des plantes, rétorqua Azéna, un peu revancharde. Moi, j'ai aucune faiblesse.

À cette remarque, la Litfow lui lança un regard noir, peu impressionnée. Elle paraissait trop confiante ; ce n'était pas une bonne chose.

— Attends un peu. Tu n'as pas testé le vent contre le feu. Ah, et voilà Arièlla qui est une pyromancienne. Quelle belle coïncidence, tu ne trouves pas ?

Son regard noisette se posa sur la jeune demi-elfe à la crinière blonde cendrée coiffée en tresse. Azéna grimaça et lui fit signe de cesser de parler.

— En effet, c'est parfait. Il me faut un aéromancien, agréa Arièlla qui s'approchait d'elles comme un prédateur qui avait flairée un défi.

Elle se tenait bien droit et se mouvait avec encore plus d'assurance que sa nouvelle adversaire. En combat rapproché, c'était clair qu'elle aurait dominée, étant plus grande, bâtit plus solidement et ainsi, plus lourde. Cela ne servit qu'a irritée Azéna davantage.

— Je ne perdrai pas, car le vent n'a aucune faiblesse ! tonna-t-elle, les poings tendus.

— Aucun élément n'est parfait, prévient calmement la pyromancienne. Aucun.

Elle posa une main sur la poitrine cramoisie de sa partenaire draconique. La dragonne cligna des yeux, sa respiration ralentissant.

Tyrath montra les crocs, acérés et démesurés, de la bave s'écoulant d'eux. Sa mâchoire écailleuse trembla dans un grognement silencieux.

Buhrik et Fayne s'écartèrent avec hâte, mais ils restèrent à une distance raisonnable able afin d'assister au spectacle. La tension croissante attira plusieurs curieux. Même Fiara s'était levée tout en restant près des gradins.

— Contrôlez vos ardeurs, ordonna Arièlla avec arrogance en guise d'Azéna et Tyrath. Vous savez, on doit avoir la même puissance dans nos attaques pour que les résultats du test soient valides.

Azéna résista à l'irrésistible envie de lui balancer son poing en pleine figure. Elle pouvait sentir les yeux inquiets de Fayne derrière elle, mais elle refusait de se sentir coupable.

— Nous n'aurons même pas besoin de le faire, répliqua-t-elle avec férocité. Tu vas te faire torcher quand même.

Peu de temps plus tard, elles préparèrent leurs attaques élémentaires. Malgré les avertissements, elles ne pouvaient s'empêcher de se dominer l'une l'autre. Les sphères s'amplifièrent dangereusement, vacillant avec instabilité.

Maîtresse Blakar s'approcha, de l'inquiétude imprégnant sont beau visage.

— Vos attaques sont trop puissantes. Cessez immédiatement ! Le vent et le feu...

L'ignorant, les deux adolescentes lancèrent leur attaque élémentaire. Au moment de l'impact, les flammes dévorèrent le jet de vent, provoquant une petite explosion et repoussant le cercle d'apprentis. Elles continuèrent leur trajectoire, se dirigeant vers Azéna comme des loups voraces.

Au dernier instant, Tyrath se plaça devant sa dragonnière et déploya son aile afin de s'en servir comme bouclier. Sa tactique de défense fonctionna, lui sauvant la vie. Heureusement, les écailles draconiques étaient robustes et il encaissa le dommage, mais pas sans conséquences. Une masse rouge et orange engloutie son aile en dansant cruellement, s'incrustant entre les écailles, creusant sa voie à la peau.

Tyrath se recroquevilla sur lui-même et en peu de temps, il ne put se retenir plus longtemps et hurla en agonie.

— De l'eau, Buhrik ! ordonna Fayne en panique.

Le dragon bleu ouvrit la gueule et un jet d'eau se rua sur les loups de feu. Il n'arrêta pour rien, même pas Tyrath qui se débattait en remuant frénétiquement. Maîtrisant son art, il étouffa la dernière flamme en peu de temps.

Entretemps, Fiara arriva en courant.

— Écartez-vous ! ordonna-t-elle avec sévérité.

Elle s'empressa de vérifier si tout le monde allait bien. Ensuite, elle s'arrêta devant Tyrath et observa soigneusement son aile brûlée. Le drake prit du recul et se lamenta lorsqu'elle le toucha doucement.

À cet instant, Azéna sentit le monde autour d'elle basculer en arrière-plan. Elle se blâmait pour ce que Tyrath avait dû endurer pour lui sauver la peau. Elle eut un nœud au cœur et retint une larme.

— Oh, là là ! s'exclama Fiara. Cette blessure nécessite l'attention immédiate d'un guérisseur.

Fronçant les sourcils, elle se retourna vers Arièlla et Azéna.

— Vous saviez que cet exercice est dangereux, grogna-t-elle. Pourquoi avez-vous utilisé une si grande force alors que vous ne saviez même pas les effets que ces deux éléments allaient produire en contact ? Le vent et le feu sont la combinaison la plus dangereuse qui soit. Le feu se nourrit de vent et amplifie à son contact, causant ainsi des dommages importants et parfois même des explosions comme vous avez pu le constater.

Elle fit une pause et pinça les lèvres en tentant de se calmer.

— Tout le monde reste ici et que je ne vois personne utiliser son pouvoir élémentaire sinon vous aurez de sérieux ennuis. Je vais porter ce dragon à l'écurie, là où il recevra des soins appropriés.

Elle siffla et Nigith se posa à côté d'elle.

— Peux-tu s'il te plait informer Leith de la situation ? Ceci est sa tâche prioritaire.

Nigith renifla en secouant la tête, clairement inconfortable avec cela. Par conséquent, il se soumit à son vouloir et s'envola en direction de l'académie pendant qu'elle escorta Tyrath à l'écurie. Azéna les suivit, mais elle fut repoussée.

— Reste avec les autres, grogna Fiara avec impatience.

La rebelle se figea et regarda Tyrath rapetisser au loin. Elle avait complètement oublié ce que lui avait dit Fayne dans la forêt Rousse à propos du vent et du feu et pour cela, elle se maudissait. L'ignorance n'excusait pas non plus la conduite d'Arièlla, car elle avait grandi avec les dragons.

— Garce, tu savais à propos des risques ! accusa-t-elle en fixant la pyromancienne avec une telle rage que son visage était devenu écarlate. Tu as fait exprès !

Arièlla, le visage sombre, demeura impassible.

— Peut-être. Je t'avais avertie que chaque élément avait une faiblesse. Prends ça comme une leçon d'humilité.

— Ce n'est pas un jeu ! jappa Azéna avec insistance. Tyrath aurai pu en mourir, calice !

— Ne dramatise pas. De plus, tu devrais suivre ton propre conseil.

L'aéromancienne resta brièvement bouche bée alors que la vérité s'installa. C'était sa faute. Frustrée, elle serra les dents, hurlant des jurons en frappant sur un arbre jusqu'à ce que Teriondil et Fayne l'arrêtent. Ses jointures en furent maculées de sang.


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