14 - L'épreuve de sélection
1er jour de la saison de la mort 2447
Un rugissement à en glacer le sang fut répercuté dans tous les recoins du vaste fort qu'était l'académie d'Archlan. Il n'y avait qu'Azéna qui ne s'était jamais habituée à ce bruit infernal qui, chaque matin, détruisait ses rêves et lui donnait l'impression que ses tympans éclataient sous le choc.
— Ciboire de câlisse de merde ! vociféra-t-elle, ses yeux brûlant de fatigue. Ce dragon. Je le hais. Vraiment. Beaucoup. Si ça continue, un jour, je vais me réveiller et mes oreilles vont être sanglantes.
Elle plaça l'oreiller sur sa tête en pressa afin d'atténuer le son strident. Encore une fois, elle s'était réveillée d'humeur grincheuse. Elle s'énervait elle-même. Elle se sentait comme si ses yeux étaient comme de vieux sacs de patates pourrissantes.
— C'est une méthode efficace pour réveiller les paresseux, ricana Fayne. Tu as passé la nuit debout avec Teriondil, pas vrai ?
L'archère savait que par « paresseux », sa colocataire de chambre faisait allusion à elle. C'était d'ailleurs elle qui se tuait à la faire se lever presque tous les matins. Fayne bondit hors de son lit et s'assied devant la glace pour se brosser les cheveux.
— Très drôle, dit Azéna avec sarcasme. Et... pour répondre à ta question... Je n'ai pas passé la nuit avec lui.
Elle s'efforça de rire, mais le résultat n'était pas très convaincant. En réalité, elle avait été incapable de trouver le sommeil en cause d'Arièlla et du skotar. À environ minuit, elle s'était levée pour aller voir si son ami elfe était dans la salle commune. Comme elle le soupçonnait, il y était en train de siroter son thé en observant les dragons près de la fenêtre. Résultat : elle était retournée au lit seulement qu'au petit matin.
Elle s'étira comme un chat. Fayne la regardait comme si elle était devenue folle.
— Qu'est-ce que tu fais ?
La Kindirah couina, surprise par la question, puis elle sursauta, se redressant simultanément. Elle avait complètement oublié que sa colocataire n'avait pas été présente avec elle et Teriondil durant la nuit. Elle se gratta derrière de la tête et avec un large sourire innocent, elle tenta de s'expliquer.
— Tu vois... Fayne... Enfin... C'est Teriondil qui en avait parlé hier soir. Il dit que c'est une pratique commune chez les elfes des bois. Ils en apprennent beaucoup des animaux et de la nature. Ils tentent de connecter avec eux... ouais...
L'herboriste cligna des yeux, semblant incertaine.
— Par l'Aspérule Blanche, soit tu t'exprimes mal, soit c'est eux qui sont étranges.
C'était là la parfaite opportunité pour une vengeance pour le commentaire de ce matin-là. Voilà qui donna à Azéna une bouffée d'énergie. Elle se racla la gorge.
— Mais ils sont si charmants, pas vraaiiii ?
Elle se leva d'un bond et lui donna un petit coup de coude.
— Qu'est-ce que tu sous-entends par-là ? questionna Fayne.
Elle feignit l'innocence, mais pendant un instant, son corps la trahit. Ses doigts tremblèrent.
— Oh, je sais que tu lui trouves un petit quelque chose d'attirant, expliqua l'archère en enfilant son uniforme d'apprentie. Je ne suis pas si sotte que ça, tu sais. J'ai remarqué.
Elle entendit la brunette hoqueter. Elle l'imagina rougir d'embarras alors qu'elle tirait sur le col de son tabard en tentant de faire passer sa tête au travers.
— Et devine quoi ? continua-t-elle sans réserve. Tu réagis de la même façon avec l'autre elfe des bois qui passe son temps à la fenêtre. Tu sais, le costaud aux cheveux verts et hérissés. Je sais pas son prénom... peut-être que tu le sais.
Sa tête émergea du tissu en coton et elle put confirmer ses soupçons. Fayne évitait son regard, son visage empourpré. Cette dernière avait bel et bien un petit faible pour les elfes des bois.
— J-Je suis fiancée à ton frère ! balbutie-t-elle.
— Je garderais ton secret, rigola Azéna en enfilant ses culottes et sa cape, un sourire mesquin aux lèvres. Et tu sais mieux. Après tout, tu as prêté serment aux Gardiens d'Aerinda.
L'herboriste plissa les yeux et fixa son amie qui, suspicieusement, s'était mise à se brosser les cheveux en tournant la tête.
— Tu t'es remis anormalement rapidement du fait que Rendar t'ait fait chier. C'est plutôt inhabituel, la Litfow taquina ouvertement.
— Ah, tu sais, aujourd'hui je vais enfin avoir l'occasion de voir du skotar en action. Tu vas venir avec moi, pas vrai ? Pas vrai ?
— Bien sûr. Et... Ne dis PAS à Teriondil. Je l'admets, il est mignon, mais rien de plus.
— C'est promis, ricana la rebelle.
— Et toi ? Il doit bien un garçon qui a attiré ton attention. Il y a tellement de choix.
— Mmmm... nah, pas vraiment.
— Tu en mets du temps à avoir un béguin.
Azéna se demanda à quel âge Fayne avait eu son premier béguin. Elle ne serait pas surprise si c'était tôt.
— Ouais... changeons de sujet, grogna-t-elle, lassée. C'est pas mon préféré.
— Quand il s'agit de toi.
Son amie lui lança un regard noir.
— D'accord, d'accord, dit la brunette aux cheveux ondulés. Alors, on y va ?
Elles se rendirent à leur classe de karsayrethrès en compagnie de l'elfe sylvain en question. Toute la journée, Azéna ne cessa de songer à sécher les cours pour s'occuper avec quelque chose de plus amusant. Elle n'arrivait pas à se concentrer. Elle ne faisait que penser au skotar.
— Qui va à l'épreuve de sélection des équipes de skotar ce soir ? demanda Eldarytzan lors du cours d'histoire générale.
La moitié des apprentis levèrent la main tandis que les autres furent pris de confusion. L'élégant maître rayonnait, investi dans le sport que son épouse préférait décrire comme de l'entrainement.
— Débutons avec la balle enchantée. Celle-ci détecte l'élément maîtrisé par son porteur et change son apparence en conséquence. Pour marquer un but, il suffit de la tirer de sorte qu'elle passe dans l'un des trois hexagones flottants de l'équipe opposée. En plus de cela, il faut que la balle et l'hexagone partagent le même élément ce qui encourage de la stratégie. Parfois, aucun membre d'une équipe ne possédera l'élément requis et il devra attendre pour marquer un but. Les hexagones alternent leur élément toutes les trente secondes. La raison derrière ces règles est de soutenir l'esprit d'équipe, la patience et l'humilité, des qualités que chaque dragonnier devrait posséder.
« Quelqu'un de compétitif oublie souvent que ses alliés sont là pour aider. Si les circonstances ne te permettent pas de marquer un but, tu dois attendre et soutenir celui qui possède cette qualité. La victoire est accordée à une équipe et non à une personne singulière et c'est le même principe avec une armée qui va à la guerre ou lors d'une mission. En ce qui concerne une équipe de skotar, elle est formée de trois attaquants qui foncent, deux défendeurs qui protègent et d'un gardien qui reste près des hexagones pour empêcher des buts.
— Comment fonctionnent les tournois ? demanda Azéna.
— Excellente question, continua Eldarytzan. Il y a un temps limite de trente minutes. Les conditions pour une victoire sont lorsque ce temps s'écoule ou lorsqu'une équipe possède trente points. Marquer un but dans l'hexagone du bas rapporte un point, celui du milieu, trois et le plus haut, cinq. Il existe huit équipes. Celles de l'Académie d'Archlan sont: Sombrelame, Coeurdoré, Vifargent et Criecarlate. Celles de l'Académie d'Isriss sont: Fergriffe, Lunerebelle, Glacebrise et Mauvedestin.
« En ce qui concerne les tournois, le quart de finale consiste de trois parties pour chaque équipe, la demi-finale ainsi que la finale en consistent de deux. Chaque partie accorde un point au perdant et deux au gagnant. En revanche, si l'équipe gagnante atteint sa victoire avec une performance spectaculaire, elle peut se mériter trois points. Elle se verra obtenir le trophée de skotar de l'année et si elle a obtenu plus de quinze points, elle recevra son prix avec honneur.
« C'est rarement atteint, mais un grand exploit distingué du Grand Maître lui-même.
Azéna sentit son corps entier s'échauffé à l'idée. Qu'est-ce que Terenas lui offrirait si elle y arrivait ? Une arme? Une armure ? Un titre spécial ? Une place parmi les Gardiens d'Aerinda exaltés ? Elle ne put s'empêcher de sourire et de lever la tête haute, bouillante de détermination.
— Est-ce que vous étiez un joueur ? Err... Maître, bien sûr, se corrigea-t-elle.
L'adulte prit une gorgée d'eau et continua.
— J'étais gardien de l'équipe de Coeurdoré. C'était une expérience digne et je vous encourage d'y participer. Le temps s'écoule devant nos yeux sans qu'on ne s'en rende compte. Un conseil, profitez-en car chacun de nous avons une espérance de vie différente, qu'elle soit déterminée par la vieillesse ou par une mort soudaine.
À ces mots, Azéna réalisa qu'elle allait vieillir et laisser Tyrath dans la jeunesse. Elle se tortilla dans son siège et tenta de se changer les idées, mais, sa curiosité prit le dessus.
— Excusez-moi, dit-elle en levant brièvement la main. Quel âge, physiquement, aurait votre dragonne si elle avait été humaine ?
Eldarytzan y songea pendant un instant en passant ses doigts dans sa longue chevelure tressée.
— Environs vingt-cinq ans, un peu comme moi. Mais n'oubliez pas que les dragons vieillissent encore plus lentement que les elfes.
L'archère baissa les yeux alors qu'un sentiment d'amertume naquit au profond de son âme. Elle s'imagina la scène : son meilleur ami avec lequel elle passera sa vie allait être présent à ses funérailles alors qu'il allait encore être à l'aube de sa vie. Son regard tomba sur Arièlla. Elle était une demi-elfe donc, elle n'allait pas vieillir aussi rapidement. Tout de même, elle allait être jeune lorsque sa mère, humaine, allait tomber, rongée par le temps. Ces visions lui nouèrent douloureusement l'estomac.
✦×✦
Il était enfin temps.
Comme à son habitude, Azéna arriva en retard. Grimpant dans les gradins grouillants d'apprentis, de quelques membres du personnel ainsi que de dragonniers accomplis, elle aperçut Fayne et Teriondil qui étaient assieds dans la rangée la plus élevée. Elle s'installa à côté de la brunette.
Celle-ci lui lança un regard inquiet.
— Où étais-tu ?
— Maîtresse Blakar a refusé de me laisser partir tant que je ne répondais pas à ses questions, grogna la rebelle avec impatience.
— Fiara ou Neige ? questionna Teriondil.
— À bien y penser, je n'en sais rien. Elles sont identiques.
— Quels cours donne-t-elle ?
— Maîtrise élémentaire et karsayrethrès.
— Ah, donc Fiara. Un truc : Neige porte fréquemment une robe bleue tandis que sa sœur, une rouge.
— Umm... C'était définitivement Fiara dans ce cas.
— La ferme ! rugit une jeune fille qui était assise directement devant eux. Il y a des gens qui sont venus ici pour voir l'épreuve de sélection.
Renora Shenir lança un regard furieux en direction du trio. Azéna reconnut ses féroces yeux bleus ainsi que sa chevelure rousse foncée qui lui rappelait des flammes qui se faisaient lécher par de l'ombre. L'adolescente offusquée se retourna après un moment lorsqu'elle se rendit compte que personne n'allait lui répondre. Son compagnon, Vorshiènn, à sa droite, ne semblait pas s'en soucier. Il était hypnotisé par les quatre demoiselles en face de lui, son regard dominé par la fougue. Renora le remarqua et lui donna une claque derrière la tête.
— Sainte Coupe Dorée, t'es vraiment casse-pieds quand tu veux ! se plaignit le jeune homme. En plus, tu abimes ma majestueuse tignasse !
Les yeux globuleux d'inquiétude, il se dépêcha à se peigner la chevelure, ébène et qui cascadait jusqu'à ses oreilles, de ses longs doigts. Sa campagne semblait hésiter entre le rire et la colère.
— Mais franchement ! renâcla-t-elle.
Azéna se demandait bien ce qu'une fille comme elle pouvait bien foutre avec un idiot comme lui. Elle savait qu'ils étaient originaires du royaume d'Elthen donc probablement des amis de longue date. Ça devait être la seule raison.
— Tu es un dragonnier maintenant, tu sais, affirma Renora. Merde, tu es peut-être grand et fort pour ton âge, mais t'as une cervelle de moineau. Qu'est-ce qu'un valeureux dragon comme Räel peut bien te trouver ? Franchement, j'y crois pas !
Azéna se plaqua une main sur la bouche, s'empêchant de rigoler. Fayne leva un sourcil suspicieux et lui fit signe de ne pas s'en mêler.
— C'est ce que mon père m'a appris à faire, se plaignit Vorshiènn.
Il commença à imiter la voix de son progéniteur.
— Fils, tu devras choisir ta femme avec soin si tu désires une descendance forte.
— Eh bien, il t'a envoyé ici et tu es maintenant un Gardien alors, voilà ton héritage. Par la grâce d'Elysia, tu es désespérant.
L'aéromancienne détourna son attention de leur conversation. Elle entendait les divagations contrariées du jeune homme en arrière-plan de la cacophonie de bruits qui submergeait ses sens.
Après un moment, la foule clama en chœur. Les trois amis accordèrent leur attention au terrain sur lequel se trouvait une vingtaine d'apprentis en uniforme de skotar, dont une était Arièlla, ainsi que leurs dragons à leurs côtés revêtus d'une armure légère. Ils attendaient patiemment pour un signal.
Dans un premier temps, Azéna ne comprit pas pourquoi les spectateurs s'étaient excités. Enfin, elle aperçut la fameuse entraîneuse des équipes de l'académie : Gardienne Nymia Valkirel. Ses longs cheveux blonds ondulés dansaient admirablement dans les brises. Elle s'arrêta devant les candidats puis elle les sonda de ses yeux noisette en amende. Les mains sur les hanches, elle se tenait droite, pleine de confiance et d'une énergie vivace. Quoiqu'elle fût courte, elle était dotée d'un physique athlétique et d'une musculature digne d'une lionne
La Kindirah l'imagina dans le rôle d'attaquante dans sa jeunesse et comment elle devait être redoutable dans sa performance. Elle se surprit à l'admirer et sur le coup, sentit sa gêne lui chauffer les joues. Elle souffla un juron et racla sa gorge, retrouvant son sang-froid.
Pendant un bon moment, elle fut sereine, mais ça ne dura pas.
— Merde, ça doit être plus qu'énervant de traîner ces énormes seins au cœur de l'action.
Elle ne comprenait pas d'où ça sortait, mais au moins, elle trouvait que ça avait du bon sens.
Fayne secoua la tête en signe de déception. Elle porta son attention sur Teriondil à la recherche d'appui, mais l'elfe resta impassible, comme s'il ne l'avait pas remarqué. Il fixait sa théière dans laquelle mijotait un liquide autant suspicieux qu'intriguant.
Nymia se mit à observer les candidats avec beaucoup d'attention et de précaution. Chaque détail était manifestement important à ses yeux.
— Elle est en train de les analyser ! s'excita Azéna. C'est la première étape : l'inspection !
Le partenaire ailé de la blonde musclée était massif, mais pas autant que Rendar. Il avait des yeux gris et un énorme pique qui saillait de chaque coude. Il portait un regard aussi sévère et sérieux que sa dragonnière. Ses écailles cramoisies luisaient comme des gemmes sous les rayons des soleils jumeaux. Il leva fièrement la tête décorée de multiples cornes qui ressemblaient à une couronne.
Les dragons du trio arrivèrent enfin et se perchèrent au bois des gradins au-dessus des spectateurs. Buhrik s'empressa de vérifier ce qui se passait autour de lui, captivé par chaque changement tandis que Tyrath et Ella furent plus intéressés par leur dragonnier. Le dragon bleu semblait incapable de se concentrer sur un évènement en particulier ; il devait tous les voir.
L'inspection se termina. Nymia prit sa décision. Elle renvoya deux recrues. Ils partirent la tête bien basse. C'était impossible de savoir exactement le résonnement de ces choix d'où Azéna se situait.
— Pourquoi pas ces deux-là ?
— Elle cherche pour une flamme en eux, expliqua Teriondil.
— Comment fait-elle pour détecter ça ? rogna l'archère. Elle ne peut pas lire dans les pensées des gens.
— Ça se lit dans l'âme. Trouve-le dans les profondeurs. Tu le sentiras.
Comme d'habitude, Azéna ne comprenait rien au charabia spirituel de son ami. Elle laissa échapper un grommellement interrogatif, mais ne répliqua pas.
Nymia se positionna en face de l'apprenti qui se trouvait au centre de la ligne des recrues qui demeuraient.
— Ceux qui désirent joindre l'équipe des Coeurdoré, allez à ma droite, Sombrelame à ma gauche, Vifargent devant moi et Criecarlate derrière moi.
Du côté gauche, Serfantor attendait ses nouveaux coéquipiers potentiels en compagnie de son drake noir. Arièlla se dirigea du côté opposé et lui lança un regard défiant, ses prunelles accentuées par la même lueur que celles de sa mère. Les quatre camps finirent par avoir un nombre équilibré de recrues, quoi qu'il en eût quelques-uns de moins pour l'équipe de Vifargent.
— Divisez vos attaquants, vos défenseurs et vos gardiens ! ordonna Nymia.
Les recrues s'exécutèrent, obéissants à la lettre.
Nymia demeura sévère, ses lèvres doucement pincées. Elle n'accorda aucune attention supplémentaire à sa fille. Cela ne semblait pas affecter Arièlla qui se tenait droite, un sourire en coin démasquant ses émotions.
— Organisez vos équipes, continua l'entraîneuse. On fera une partie jusqu'à ce que tout le monde ait joué au moins une fois. Ce sera Coeurdoré contre Sombrelame pour la première ronde. Ensuite, ce sera au tour de Vifargent et de Criecarlate. Capitaines, assurez-vous de prendre note de la performance de vos coéquipiers.
Arièlla fut immédiatement sélectionnée pour la première ronde. Son capitaine ne lui avait poser aucune question, contrairement aux autres qui la fixaient d'un mauvais œil. Azéna réagit de façon similaire, exaspérée par le favoritisme qui se manifestait.
Au signal de Nymia, les deux équipes ainsi que leurs dragons se placèrent à leur endroit respectif. Serfantor et le capitaine de Coeurdoré se serrèrent la main puis rejoignirent leurs coéquipiers. De chaque côté du terrain, trois attaquants étaient placés devant deux défenseurs qui protégeaient l'unique gardien de l'équipe. Serfantor était un attaquant tandis que l'autre capitaine était un défenseur.
Nymia vint se placer au centre et déposa son sifflet entre ses lèvres, prête à l'utiliser. Terenas se leva des gradins et effectua quelques mouvements brusques, mais rythmiques des bras.
Un instant plus tard, les uniformes des joueurs se transformèrent. Les teintes de l'académie ; soit le brun écorce et le bleu gris pâle, n'étaient plus. À présent, ceux des Coeurdoré étaient doré et bleu ardoise tandis que ceux des Sombrelame étaient violet et argenté. Même les logos d'équipe et les noms de famille apparaissaient sur l'uniforme, le tout accompagné d'un numéro pour désigner le joueur. Arièlla portait fièrement le sien en fixant le cœur doré qui reposait sur son épaule droite. Serfantor, de son côté, possédait une épée sinistre sur son épaule gauche.
Après avoir reçu le signal de Terenas, Nymia acquiesça, serrant le sifflet entre ses lèvres, accordant la permission aux joueurs de se préparer à leur envol.
Un moment passa alors que tous, même les spectateurs, semblaient avoir cessés de respirer. La suspense était insupportable.
Enfin, le son strident du sifflet raisonna au travers du stade en plein air. Les dragons des joueurs s'empressèrent de s'envoler. Simultanément, Nymia lança la balle élémentaire entre les attaquants avides de chaque équipe.
Serfantor fut le premier à mettre la main dessus. La balle brilla d'un éclat noir avant de se transformer en masse d'ombre solide. Ne perdant pas de temps, son partenaire ailé se dirigea à pleine vitesse vers l'hexagone le plus haut de l'équipe de Coeurdoré.
Il évita les attaques élémentaires de l'équipe opposée avec aise, incluant celles d'Arièlla.
— Poursuis-le ! beugla-t-elle en le pointant du doigt.
Sa partenaire, une jeune dragonne rouge, lui fournit une flamme ardente et se précipita vers le capitaine, ses ailes translucides battant furieusement.
— Frappe-le ! Vite !
Elle s'épuisait aisément, sa masse musculaire développée l'alourdissait trop. Elle faisait plus bagarreuse qu'athlète. Ainsi, elle gagna du terrain, mais ça n'allait pas durer.
La Valkirel manipula la flamme de ses mains, la fit virevoltée et enfin, elle la lança. Serfantor poussa un glapissement, sa main tout juste lécher par le feu. Il lâcha prise de la balle élémentaire qui tomba dans les bras d'un attaquant de Coeurdoré qui attendait sous lui.
Au même instant, Arièlla et sa partenaire ralentirent leur allure, reprenant leur souffle. Déterminée, elles plongèrent dans l'action peu de temps plus tard.
— C'est brutal ! s'exclama Fayne avec horreur.
— Tu veux dire excitant, répliqua Azéna. Mon cœur pompe tellement follement pour eux !
— Bien sûr... Par Elysia, je dois admettre qu'Arièlla fait déjà preuve d'une performance exemplaire.
— On connait ses origines. Ce n'est pas si étonnant que ça.
— Allez, démontre un peu de tolérance à son égard. Entraînée par ses parents ou non, elle fait preuve de discipline et de cran.
— Ouais, ouais...
Elle sentit ses mains formées des poings par pure instinct. Elle serra les dents et les traits de son visage s'assombrirent. Elle était jalouse. Elle avait passé son enfance à jouer de mauvais tours avec ses frères et à observer sa grande sœur s'exercer à l'épée malgré le désagrément de leur père. Puisqu'elle se mettait le nez là où il ne fallait pas, bien souvent elle se trouvait mêlée dans des situations échauffées. Pour cela, Argent avait refusée de la former en maniement de l'épée.
À trois reprises, Arièlla empêcha les joueurs de Sombrelame de pénétrer en territoire de son équipe. Un sourire arrogant accroché à son visage, elle rencontra le regard d'Azéna lorsqu'elle passa près d'elle. L'aéromancienne se sentit comme un chat au poil hérissé.
Comme si rien ne s'était passé, la blonde retrouva son expression sévère et pointa en direction de l'une des attaquantes de Sombrelame qui était sur le point de tirer la balle élémentaire à un coéquipier.
— Fait attention, Lythrana ! s'écria Serfantor, un semblant d'irritation dans son timbre.
Son avertissement distraie la dénommée Lythrana qui sursauta et détourna le regard. Prenant avantage de la situation, la dragonne d'Arièlla chargea la tête première, visant les côtes de son adversaire ailé. Lythrana fut secouée par l'impact et perdit prise de la balle élémentaire enflammée. Les deux dragons rouges s'affrontèrent, feulèrent et tentèrent de se griffer.
— Arrête ! hurla Lythrana.
Sa monture réagit instinctivement. Elle vira en frappant son adversaire à la mâchoire de sa longue queue serpentine et s'éloigna. Avant qu'elle ne puisse entamer une poursuite, sa dragonnière posa une main sur sa tête, l'encourageant à se calmer.
— La balle élémentaire est entre les mains de d'autres joueurs, dit Arièlla. Ce n'est pas le moment de prouver ta dominance, Harath.
Harath poussa un rugissement bestial, ses yeux veinés par la rage. Serfantor passa derrière elle, l'observant avec attention.
— Lythrana ! Dépêche-toi ! Tu as encore le temps !
Il pointa en direction des hexagones de l'équipe opposé, toujours engouffrés par des flammes vicieuses.
— Je sais ! jappa-t-elle, sa mâchoire raidit par le stress.
Elle vola la balle élémentaire d'un joueur de Coeurdoré sous le nez d'Arièlla dont la respiration accéléra de colère. Malgré tout, la Valkirel empêcha Harath de réagir en tirant sur ses rênes.
— Pourquoi pas !? rogna la dragonne. Oh... Je vois.
Lythrana gardait un œil sur elle et sa cavalière, questionnant leur décision. Elle se ressaisie lorsque son partenaire l'appela. Elle se rendit vite compte que les défenseurs de Coeurdoré approchaient de chaque côté.
— Nous sommes trop lents... Zurof, nous n'y arriverons pas.
Le dragon défendeur de gauche s'accrocha à la hanche de Zurof grâce à ses griffes acérées. La peau sensible avait été protégée par la barrière d'écailles durcies.
— Merde, murmura Lythrana qui cherchait pour une opportunité pour s'enfuir.
— Ici, Lyth ! appela le troisième attaquant de Sombrelame qui était positionné à quelques mètres du gardien de Coeurdoré.
Sa coéquipière lui lança la balle élémentaire. Lorsqu'il l'attrapa, la balle fut submergée par un vortex de vent. Comme un papillon de nuit attiré à une source de lumière, les deux défenseurs draconiques de Coeurdoré s'élancèrent vers lui, laissant Lythrana derrière.
— Non ! s'écria leur capitaine. Bandes d'idiots, l'hexagone est toujours enflammé ! Surveillez la pyromancienne !
Mais, c'était trop tard. Le dragonnier gris rendit la balle à Lythrana. Zurof n'hésita pas et se précipita vers le but. Les deux défenseurs heurtèrent l'ancien porteur et les trois dragons s'écroulèrent au sol dans un fracas de rugissements et de feulements. Choqués, les spectateurs poussèrent un cri d'exclamation.
Un sourire de triomphe étira les lèvres de Lythrana alors que Zurof déjoua le gardien et qu'elle lança la balle. Celle-ci suivit sa trajectoire, passant au centre de l'hexagone du bas sur lequel des vignes commençaient à croître en spirale autour du fer. Le but fut accepté et d'énormes flammes submergèrent l'hexagone avant de disparaître en fumée pour laisser place au nouvel élément dominant : la nature.
— Un point pour Sombrelame ! aboya l'annonceur qui se trouvait dans l'une des quatre tours qui entouraient le terrain. Le but a été accompli par Lythrana Undrèm et son partenaire Zurof ! Quel spectacle éblouissant !
Le sifflet de Nymia retentit.
— Il est temps pour la rotation de joueurs ! s'écria-t-elle.
La partenaire de Serfantor passa à côté de Zurof et son cavalier en profita pour brièvement serrer la main de sa coéquipière en signe de félicitations.
Mis à part les capitaines, la plupart des joueurs furent remplacés par le reste des recrues qui attendaient leur tour pour faire leurs preuves.
— Reste, Arièlla, requêta son capitaine. Je désire t'évaluer davantage.
La demoiselle musclée leva un sourcil et se releva du banc, Harath près derrière. Elle en profita pour river un œil instigateur en direction de Lythrana qui l'ignora.
Une fois les équipes en position, Nymia souffla à nouveau dans son sifflet pour marquer la continuation de la partie.
Arièlla, furieuse que Sombrelame fût en avantage numérique sur son équipe, tira sur les rênes d'Harath. Celle-ci descendue en piqué vers Zurof. Elle baissa la tête et à l'impact, elle cassa quelques écailles du mâle qui se débattit pour repousser son assaillante.
— Un peu de contrôle, espèces de folles ! rugit Lythrana.
— C'est ce qu'on fait ! répliqua sèchement Arièlla. Où es ta flamme ? Je te croyais une pyromancienne, toi aussi !
— Espèce de... morveuse arrogante !
Elles se firent la tête, brandissant leurs armes, pendant que leurs dragons tentaient de s'intimider l'un l'autre.
L'un des défenseurs de Sombrelame s'approcha d'eux. Son dragon blanc cracha un jet de lumière intense dans leur direction. Les deux dragons rouges se séparèrent juste à temps pour éviter l'attaque élémentaire.
Le nouveau venu ressemblait énormément à Lythrana, mais en version masculine. Contrairement à elle, il possédait un langage corporel noble tel un chevalier.
— Cesse de te mettre en danger ! Tu n'as aucune raison d'être agressive, particulièrement dans un jeu.
Lythrana fusilla Arièlla du regard alors que Harath s'éloignait. Elle prit soin d'éviter les yeux dépareillés de son interlocuteur qui étaient comme les siens : celui de gauche étant bleu, tandis que l'autre, vert. C'était là un signe de croisement de races ce qui était déplu de plusieurs cultures.
— Habitue-toi à ça car...
— Bougez ! s'écria Serfantor qui passait par là.
— ... le skotar, c'est intense ! termina la demoiselle. Il faut que tu sois dur pour gagner.
Arièlla et Harath poursuivirent Lythrana et Zurof avec ferveur. La Valkirel s'assura de porter son sourire le plus fier lorsqu'elle passa près de là où Azéna était installée.
— Maudit qu'elle fait exprès, grogna la rebelle. Je vais lui montrer un de ces jours à cette sang-mêlé que je peux faire mieux qu'elle.
— Paix, paix, lui conseilla Teriondil. Tu as besoin de l'énergie positive pour te faire luire.
— Ce jeu est un véritable tournoi de brutes, commenta Fayne qui fixait deux dragons en train de se foncer l'un dans l'autre dans l'espoir de pousser leur adversaire contre les murs invisibles de protection qui se trouvaient devant les gradins.
— La compétition est extrême et c'est ce qui rend les choses intéressantes ! s'excita Azéna.
— Si tu le dis.
Arièlla et Harath accordèrent cinq points à leur équipe en comptant un but dans l'hexagone du haut. Elles passèrent devant Azéna en hurlant leur triomphe.
— Quelle vache, grogna la Kindirah en se croisant les bras et en se baissant dans son siège, les jambes écartées mollement.
— Et pourquoi est-ce que Harath ne mérite pas ce titre ? questionna Buhrik, toujours perché à proximité.
— Ne remets pas en cause ma logique, jappa Azéna, bien consciente de ses pensées injustes.
— Elles vont se remporter une place dans l'équipe de Coeurdoré, ça s'est assuré, s'exprima Fayne en applaudissant.
Son amie poussa un grognement, incapable d'agréer avec elle.
— Soit contente pour elle, encouragea l'hydromancienne de sa voix douce, même si ce n'est rien qu'un peu. Je sais que ce n'est pas facile, considérant son attitude qui laisse à désirer. Mais souviens-toi, le soutien en engendre plus.
— Pfff...
✦×✦
Lorsque le temps s'écoula, le pointage des deux équipes était à vingt-trois. La partie fut donc déclarée nulle. Environ la moitié des buts avaient été comptés par Arièlla, Lythrana et les capitaines. La coopération de Serfantor et de Lythrana était solide. C'était évident qu'ils possédaient un historique ensemble.
Serfantor se dépêcha en direction de Nymia afin de protester sa décision.
— D'habitude, il y a une période d'extension lorsque ça arrive.
— Apprenti Diramin, choisissez les joueurs de Sombrelame, ordonna-t-elle sans jamais croiser son regard.
Continuant sa marche, elle sortit un parchemin de la poche de son manteau et elle l'ouvrit.
— Mais ! protesta l'elfe gris. Attendez un instant !
Nymia s'arrêta soudainement.
— Voulez-vous que je choisisse pour vous, Diramin ? questionna-t-elle avec une soudaine impatience.
Elle le fixa droit dans les yeux en attendant sa réponse, mais lorsqu'elle se rendit à l'évidence que celui-ci allait garder le silence, elle continua son chemin. Avec frustration, Serfantor tourna les talons et rejoignit les joueurs potentiels de Sombrelame.
— Elle n'a rien voulu entendre ! déclara-t-il à Lythrana.
— On aurait pu gagner, se lamenta cette dernière.
— De toute façon, ce n'était que l'épreuve d'essai. Ce n'est pas la peine de s'en faire.
— Le Serfantor dont je me souviens faisait preuve de plus de passion.
Le capitaine skotar semblait soudainement épuisé, comme si son énergie lui avait été siphonné. Sa peau semblait encore plus pâle qu'elle ne l'était habituellement.
— Allons, allons, dit Nymfrein qui avait écouté la conversation depuis le début. Capitaine Serfantor a fait ce qu'il a pu. De plus, il a raison. On fera mieux durant le tournoi.
— Vous êtes impossibles, grogna Lythrana.
— Tu t'énerves trop facilement, ma sœur. Garde ta passion pour quand ça compte vraiment.
— La ferme, Nymfrein !
Quelques minutes plus tard, Nymia s'approcha de Serfantor d'un pas pressé. Lorsqu'elle s'arrêta face à lui, elle déroula son parchemin d'un mouvement étrangement avec autant de grâce que de rudesse.
— J'ai besoin des noms complets des membres de l'équipe de Sombrelame.
Après les avoir écrits sur son morceau de parchemin, elle partit sans dire un mot vers la tour où l'annonceur se trouvait. Celui-ci révéla les nouveaux membres de l'équipe au public, incluant Lythrana et Zurof en tant qu'attaquants et Nymfrein et Räel en tant que défenseurs.
Lorsqu'il annonça qu'Arièlla avait été acceptée dans l'équipe de Coeurdoré, Azéna ne put s'empêcher de se sentir petite et impuissante. Néanmoins, elle tenta de cacher ses émotions en demeurant impassible. Malgré ses efforts, Fayne savait mieux. Elle n'hésita pas à passer son bras autour d'elle et à jouer dans sa chevelure. Le tout se déroula dans le silence et même la cacophonie qui régnait autour d'elles ne put troubler leur moment de paix. La rebelle ne put s'empêcher de sentir la lourdeur dans ses tripes se dissiper.
— Merci, murmura-t-elle d'une voix tremblante, craignant d'exprimer sa gratitude.
La brunette lui offrit son sourire le plus sincère et la relâcha.
La deuxième partie se déroula rapidement. Criecarlate qui avait retenu plusieurs de ses anciens joueurs détruit les débutants de Vifargent un pointage final de douze à trente.
Malgré le soutien de ses pairs, Azéna ne pouvait s'empêcher d'être en rogne contre le fait qu'elle ne pouvait pas participer au skotar cette année-là.
— C'est de l'injustice ! déclara-t-elle en se levant brusquement.
Fayne et Teriondil n'eurent pas le temps de la questionner ; celle-ci était déjà montée sur Tyrath. Le drake argenté déploya ses ailes et s'envola vers le terrain de skotar. Il atterrit en douceur devant Nymia qui s'était arrêtée pour les observer.
— Vous exercez un bon contrôle pour un duo qui n'a jamais suivi de leçons en équitation draconique, complimenta-t-elle en haussant un sourcil interrogateur.
— Nous avons pratiqué par nous-mêmes, répliqua sèchement Azéna. Ainsi, j'exige qu'on nous donne une chance à se prouver au skotar !
— Je suis désolée, mais il est trop tard et les règlements stipulent clairement que tout apprenti n'ayant pas complété le premier cours d'équitation draconique et leurs bases en maîtrise élémentaire ne pourra tenter sa chance au skotar. Alors, c'est non et ceci est final.
Elle reprit la route en direction de l'académie, ne laissant même pas la chance à Azéna d'établir un contact visuel avec elle. Son partenaire, néanmoins, baissa les yeux et feula doucement comme s'il tentait de s'excuser. C'était là comportement bien inhabituel pour un dragon de la volée rouge. Cependant, cette gentillesse n'empêcha pas la colère d'Azéna de contrôler ses prochaines décisions.
— Est-ce qu'Arièlla a eu cette chance tout simplement parce que sa chère mère lui a accordé une permission spéciale ?
La cadence de Nymia ralentit considérablement et enfin, elle s'immobilisa. Ses yeux noisette se fixèrent sur ceux de l'adolescente audacieuse. Ses traits s'étirèrent, puis ils s'assombrirent.
— Sachez que je suis juste et que je n'accorde aucun bénéfice à Apprentie Valkirel simplement parce qu'elle partage mon sang.
— Alors, expliquez-moi sa situation.
L'adulte lui fit face et fronça les sourcils. En premier temps, on aurait dit qu'elle n'allait pas indulger Azéna, mais elle s'adoucit, quoique subtilement comme si elle ne désirait pas trop lui donner l'avantage.
— Elle a été exemptée de ces cours en raison de ses expériences durant sa jeunesse.
Puis, elle partit sans lui accorder un moment de plus. L'adolescente comprit le message sous-entendu. Puisque c'était sa mère, la jeune Valkirel avait grandi entourée de dragons. C'était donc normal qu'elle en connaisse un peu plus que les autres.
Malgré tout, Azéna ne put s'empêcher de se sentir comme si le personnel de l'académie la privilégiait et elle n'arrivait pas à l'accepter.
— Viens, Tyrath, murmura-t-elle à son dragon.
Elle se dirigea vers le centre du terrain où les quatre équipes de skotar nouvellement formées se trouvaient. Les yeux violets du drake se posèrent sur elle et il lui donna une poussée amicale avec son énorme museau. Cet acte redonna le sourire à la jeune adolescente.
— J'aimerais tant pouvoir te parler sans que tu doives utiliser des gestes bizarres pour te faire comprendre, se plaignit-t-elle.
Tyrath poussa une longue lamentation, semblant du même avis.
— Bientôt, murmura-t-elle alors qu'un sourire à demi triste se dessina sur ses lèvres.
Il traça le mot « skotar » dans le sol à l'aide de la griffe de son index. Elle secoua la tête négativement.
— On ne peut pas. Pas cette année, en tout cas. C'est injuste, mais c'est comme ça.
L'expression faciale du dragon s'assombrit. Il grogna et se remit à écrire dans la terre molle. Cette fois, il dessina une flèche. Azéna la suivit du regard et fut aveuglée par les rayons puissants de la paire de soleils.
— S'avancer vers les jumeaux ?
Tyrath semblait incertain dans sa réplique, balançant sa grosse tête lentement. Il lâcha un feulement joueur en insistant sur son dessin.
— Avancer, continua sa partenaire. Voir le futur ? L'an prochain...
Puis, elle comprit ce qu'il essayait de lui dire.
— Bien sûr ! La détermination ! On s'entraînera et on fera partie d'une équipe de skotar.
Tyrath semblait satisfait de lui-même, même qu'il émit une sorte de jappement qui semblait être un croisement puissant avec un rugissement.
— Vous êtes fascinants, vous les dragons, dit Azéna, le regard pétillant d'admiration. Toujours pleins de surprises. Teri disait hier soir que vous êtes des êtres magiques et spirituels, connectés avec le monde. Tu crois que c'est vrai ?
Le drake aux écailles argentées leva les pattes avant, imitant sa dragonnière lorsqu'elle était confuse. Celle-ci se mit à rigoler. Prenant avantage de sa distraction, il lui lécha le visage.
— D-dégoûtant ! Ne ref-fais plus ça ! gloussa-t-elle en s'essuyant le visage gluant.
Au loin, quelques joueurs de skotar s'étaient rassemblés et se querellaient. Leurs uniformes avaient gardés les couleurs de leur nouvelle équipe puisqu'ils en étaient officiellement membre. Une dispute entre l'unes des joueuses de Sombrelame et Arièlla avait éclaté. Elles étaient face à face et s'engueulaient tandis que les autres joueurs les fixaient avec ébahissement sans trop savoir quoi faire. Curieux de ce qui allait s'en suivre, Azéna et Tyrath décidèrent de rester à l'écart et observèrent la scène.
— C'était quoi votre foutu problème, à toi et à ton dragon, de me foncer dedans et d'arracher les écailles de Zurof ? questionna Lythrana avec fureur. Il lui en manque trois ! TROIS !
— Tu n'avais qu'à ne pas me provoquer ! répliqua sèchement Arièlla. De plus, ce n'était pas mon intention d'endommager ses écailles, mais je ne dénie aucunement que je désirais vous causer des difficultés.
— Ça suffit ! s'écria l'un des joueurs de Sombrelame qui s'approcha des deux filles. Arrêtez !
Nymfrein attacha sa longue chevelure presque blanche en queue-de-cheval et s'approcha à grandes enjambées comme s'il était sur une mission. Il agrippa l'épaule de sa sœur, sa main semblant se fondre dans sa peau gris foncé, et jeta un regard sévère aux deux dragonnières rouges.
— Tu devrais lui apprendre les bonnes manières, lâcha Arièlla en sa guise directement.
Elle tourna les talons et partit en trombe. Le demi-elfe gris tira sa sœur vers lui. Lythrana grimaça en protestant, mais se laissa faire. Il soupira longuement alors qu'il la serra contre lui.
— Vas-tu encore faire de toi une bagarreuse et te mettre dans tous les pétrins possibles en jouant au skotar ? demanda-t-il d'une voix douce.
— J'aime ce jeu, répondit-elle après un moment de silence. Et puis, c'est de l'entrainement. Gardienne Nymia elle-même l'affirme. Alors, oui, je vais rester. Je suis confortable ici.
Il la relâcha et se dirigea vers Serfantor, les yeux qui luisaient anormalement et avec du chagrin dans sa sévérité.
— Tu peux prendre Ragnor pour ton défenseur, Serfantor. Je me résigne. Je ne me sens pas à ma place ici.
— Quoi !? s'écria Serfantor dont le timbre adopta quelque chose d'un peu sinistre. Tu ne peux pas ! Tu es le meilleur défenseur de cette équipe !
— Désolé, capitaine.
Nymfrein grimpa agilement à dos de sa dragonne et accorda un sourire à sa sœur qui évita son regard. Ils s'envolèrent en direction du Grand Nid. La tension ne faisait que monter en flèche et Azéna devint mal à l'aise rien qu'à les observer. Elle se distraie avec le ciel. Le crépuscule le teintait d'un doux gris qui allait rapidement s'assombrir en la présence de la lune noire en cette saison de la mort.
Elle rentra à l'académie tandis que Tyrath se rendit au Grand Nid. Alors qu'elle traversait les portes menant à l'enceinte, elle croisa Arièlla qui se dirigeait dans la direction opposée.
— Alors, tu as trouvé que j'excellais dans le skotar ? demanda la avec une arrogance irritable.
Elle était un spectacle à voir. Elle réussissait à garder sa féminité tout en démontrant sa puissante force, autant physiquement que mentalement. Azéna savait, au fond d'elle-même, qu'une lutte rapprochée avec elle se passerait mal. Encore, elle ne se sentait pas capable de laisser sa coquille se faire briser. Alors, elle lutta.
— Tu ne possèdes vraiment pas la capacité de te la fermer lorsque c'est le temps.
Les deux dragonnières s'étaient arrêtées pour se fixer. C'était comme un loup et un tigre qui se défiaient. Le tigre dominait en force, capable d'envoyer un lion à sa mort avec un effort moyenne. Le loup supérieur en agilité, se préparait à passer à une stratégie d'esquive.
Les brises froides ne les affectaient soudainement plus. La rage et le désir d'écraser dominaient de leurs corps. Azéna se préparait à combattre en serrant les poings et en pliant les jambes comme si elle se préparait à sauter ou rouler. Arièlla faisait de même avec autant de passion, mais dans un style différent. La sienne était directe, mais intimidante.
— Que se passe-t-il ici ? demanda un homme.
La voix évoqua un sentiment de crainte en Azéna. Elle recula de deux pas. Reaginn Ruvior émergea des ombres. Il examina les deux apprenties et un sourire subtilement mauvais se dessina sur ses minces lèvres.
— Vous savez très bien que les règlements interdisent toute forme de violence à l'académie sauf avec la permission et en présence d'un membre du personnel.
— Personne ne l'a empêché de s'en prendre aux joueurs de l'équipe de Sombrelame, déclara Azéna en parlant d'Arièlla.
— C'est différent, Apprentie Kindirah. Quoi qu'il en soit, je crois que vous méritez toutes les deux qu'on vous rappelle ce qu'est la politesse.
Le regard furieux d'Arièlla fut transformé par la crainte. Azéna se battait contre sa conscience pour ne pas perdre son sang-froid. Reaginn baissa un sourcil comme si la réaction des deux apprenties l'intéressait grandement. La rebelle serra les dents.
Il attendit quelques précieux moments en fixant les deux adolescentes comme s'il espérait qu'elles allaient commettre un crime.
— Dans deux jours, après l'entraînement, rendez-vous à l'entrée ouest de la Tour Mère.
Il disparut, engloutit dans l'ombre.
Cette nuit-là était bercée d'une noirceur quasi totale. La lune était aussi sombre que du charbon, mais teintée d'un brun sale. La saison de la mort était, comme à sa tradition, sans pitié. On dit que les plus faibles ne survivre que rarement. Tout allait devenir de plus en plus noir jusqu'à ce que la prochaine saison vienne prendre le pouvoir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top