Chapitre 15 : La Marcheuse du Temps
Qui savait ? Qui savait pour son pouvoir ? Outre la Marquise Sanglante, qui avait connaissance de ses capacités à voyager dans le temps ?
La panique au cœur, tandis qu'elle s'arrêtait en bus devant la Chaine Paranormal, elle ne s'aperçut même pas que Nathaniel ne l'avait pas accompagnée. Car pour le moment, elle tentait de faire une liste.
Angèle de Millicent était au courant. La Marquise Sanglante. Et Clarabelle.
Debout sur le parvis du bâtiment, Élisa ne bougeait plus. Son esprit fusait dans tous les sens. Il y avait trop de choses qui lui échappaient. Trop d'indices épars, qui rendaient impossible la construction du puzzle autour d'elle. Mais y avait-il seulement un puzzle ?
Ou plusieurs énigmes s'enchevêtraient-elles ?
Quel était son rôle dans tout ça ?
Quel était son lien avec les Millicent ? Que devait-elle faire avec eux ?
Un jour, sa mère lui avait dit que les choses n'arrivaient jamais par hasard. Que les sauts dans le temps avaient un but. Un but que nous ne comprenions peut-être pas, mais que la nature et le destin connaissaient.
Car selon sa mère, nous n'étions que des pions sur un échiquier.
Mais un échiquier menant à quoi ? À la paix ? Au chaos ?
À la mort ?
La sienne ?
Elle repensa à cet épisode, dans le passé. Avec le Duc De Bérith, l'avertissant qu'on la cherchait. Que celui qui la cherchait la tuerait, pour trahison.
Qui avait-elle trahi ? Qu'avait-elle fait ?
Qui était... mort par sa faute ?
Et surtout... À quel moment du temps ?
-Élisa ? Élisa !
Une main se posa sur son épaule, la faisant violemment sursauter. Les yeux écarquillés, elle regarda Jamie. Le nouveau caméraman.
-Tout va bien ? s'enquit-il, ses yeux bleus captant les siens.
Muette, elle le considéra un instant. Avant de regarder autour d'elle. Ah, oui. Elle se trouvait devant les locaux de la chaine. Où devait se trouver Daphnée, par ailleurs. Prise d'une soudaine inspiration, elle s'engouffra dans le bâtiment. Daphnée. Elle allait cuisiner son amie jusqu'à avoir toutes les informations nécessaires. Hors de question de se faire avoir encore une fois. Pour survivre, elle avait besoin de réponses. Or, son amie devait en avoir, non ? Après tout, elle était la descendante de la Duchesse de Millicent. De la Marquise Sanglante. Et elle était la cousine de Nathaniel.
Fonçant droit dans l'ascenseur, elle laissa Jamie derrière elle. L'air inquiet, le caméraman tenta de la rattraper, mais elle appuya sur le bouton de fermeture des portes. Elle avait besoin d'être seule, le temps d'atteindre le bon étage. Elle avait besoin de...
-Mademoiselle Klervi, puis-je vous toucher un mot ?
Elle sursauta violemment dans la cabine en pleine ascension. Pour faire les yeux ronds en découvrant Armand, le frère jumeau de la Marquise Sanglante.
-Armand ! Vous devez savoir des choses, vous !
Un fin sourire étira les lèvres de l'homme, ses yeux pétillants d'une vive intelligence.
-Des choses ? Comme le fait que vous êtes une Marcheuse du Temps ? Que vous côtoyez ma famille depuis bien avant votre naissance ? Que vous connaissez tout le monde, de Mamie Millicent à Isabelle d'Isria ? Mais que vous-même, vous ne savez pas encore de quoi il s'agit ?
Pour le coup, cela lui coupa la chique. Encore une fois pour aujourd'hui.
D'un geste délicat, Armand appuya sur le bouton d'arrêt. L'ascenseur s'immobilisa en pleine course, les bloquants entre deux étages.
-Que me voulez-vous, vous et votre famille ? gronda Élisa, sur la défensive.
-Mademoiselle Klervi, il s'avère que vous êtes une clé bien précieuse dans une guerre dont vous ignorez tout.
-Celle opposant les vampires et les Millicent ? Je connais mon Histoire.
Un fin sourire étira les lèvres d'Armand.
-Votre Histoire, pourtant, ne vous a jamais évoqué. Je me trompe ?
Sans attendre sa réponse, il enchaina :
-Malheureusement, nous n'avons guère le temps de converser, dans l'immédiat.
-Hein ? Pourquoi, qu'est-ce qui se passe ?
-Les Guerriers de la Pureté sont en train de faire une prise d'otage ici même, expliqua-t-il le plus calmement du monde.
-Quoi !? Mais comment vous...
-Mademoiselle Klervi... Voyons, vous n'avez toujours pas compris ? Maintenant, si vous permettez...
Glissant ses doigts par la fente entre les deux battants de l'ascenseur, il usa de toute sa force inhumaine, pour les écarter. Dans un grincement atroce, ils coulissèrent de force sur leurs rails, les révélant entre deux étages.
-Nous sommes trois étages en dessous des studios, déclara Armand en se glissant à l'étage du dessous, avant de tendre la main à Élisa. Venez, gente de dame.
Avait-elle le choix ? Interdite, elle considéra le dandy, dont le fin sourire n'exprimait qu'une polie sollicitude. Si le bâtiment était réellement assiégé par les Guerriers de la Pureté, alors elle n'avait pas le choix. Il fallait se bouger, et vite.
L'étage où ils se trouvaient correspondait aux bureaux. Grand espace ouvert avec des cloisons basses pour délimiter les espaces de travail, il ne laissait pas beaucoup de couvertures. Accroupie pour se protéger, Élisa frappa sa paume pour faire apparaitre sa batte de baseball.
-En quoi suis-je la clé de la guerre ? chuchota-t-elle pour Armand, non loin d'elle.
-C'est un brin compliqué, fit-il en tendant l'oreille. Je pense qu'une situation de danger imminent n'est pas le bon moment pour papoter.
-Foutu Millicent, grinça-t-elle. On doit sortir de là.
Étrangement, il n'y avait personne. Le cœur battant la chamade, Élisa sentit la crainte monter en elle. Si les Guerriers étaient bien là, alors... Alors, ils l'avaient retrouvée. Ils savaient où elle vivait, où elle travaillait, où elle... Non. Ce n'était pas le bon moment. Pour lors, elle devait surtout fuir. Fuir ces psychopathes.
-Nous devrions passer par l'extérieur, déclara Armand. Ce sera plus simple.
-Ah moins d'avoir des ailes dans le dos, c'est tout bonnement impossible. Il n'y a pas de balcon.
-Mince. En ce cas, la cage d'escalier ?
-Malheureusement, je pense que nous n'avons pas le choix.
Apparemment, ils ne pouvaient plus prendre l'ascenseur. Selon Armand, des Guerriers se trouvaient dans le hall d'entrée. Cela, il le savait grâce à son ouïe exceptionnelle, apparemment. Exaspérée, Élisa le guida au travers de l'étage désert de toute présence... pour se figer.
Là, à l'écran permettant au personnel de surveiller les émissions en cours de tournage, se trouvait un visage patibulaire. Une cicatrice traversait son œil droit, une barbe trouée parsemait ses joues creuses.
Derrière lui se trouvait une cinquantaine de personnes. Agenouillées, les mains derrière la tête. En une seconde, Élisa reconnut la majorité du personnel de la Chaine Paranormal. Non de...
-Les flics de la section spéciale se trouvent en bas, remarqua Armand en jetant un rapide coup d'œil par la fenêtre. Ils sont prêts à intervenir.
Mais elle ne l'écoutait pas. Car l'homme se mit à parler.
-Bien le bonjour, citoyens du paranormal. Vous assistez ici à une prise d'otage, au nom de l'Humanité. Comme vous le savez, de coutume, nous aurions déjà éliminé toutes ces raclures que vous voyez derrière moi.
Il cracha au sol, avec un dégout repris par les hommes derrière lui. Ceux qui tenaient en joue les otages agenouillés.
-Des monstres comme vous, qui osez vous confondre à la société humaine. Mais voyez-vous, mes collègues et moi cherchons quelqu'un. Et plutôt que de vous donner un nom qui a probablement changé, je vais vous montrer une photo de la jeune demoiselle.
S'en suivit un long silence. Puis l'apparition d'une image, qui se mit en haut à droite de l'écran, juste à côté du visage de l'infame. Un visage plus jeune, aux traits plus doux. Celui d'une jeune femme aux yeux marron, à la chevelure châtain. Relativement insipide, surtout en raison de son absence totale de sourire. On pouvait voir de la colère dans la moue de sa bouche. De la haine dans ses yeux.
Élisa.
-Livrez-nous cette femme dans moins de cinquante minutes. Un otage sera tué toutes les minutes jusqu'à ce qu'elle soit devant moi.
Son cœur fit un bond. La panique emplit son esprit, à une telle vitesse qu'Armand ne put voir le cheminement de ses pensées. Un cheminement qui prit fin en une minute.
Une minute de trop.
Le coup de feu retentit. Un corps tomba au sol, suivit des hurlements des autres otages.
-J'y vais.
Le dos droit, Élisa se tourna vers les cages d'ascenseurs, pour en appeler un.
-Non ! s'exclama Armand. Non, Élisa, vous devez...
-Les laisser mourir ? siffla-t-elle en le fusillant du regard. Il en est hors de question.
-Ne me compliquez pas la tâche, voulez-vous ? J'ai été chargé de vous exfiltré par notre ami commun.
Elle fronça les sourcils, tout en le surveillant du coin de l'œil, concentrée sur l'arrivée de la cabine.
-Nathaniel n'a pas son mot à dire sur mes choix de vie.
-Ne vous ai-je pas dit que votre existence atteignait plus de personnes que vous pouviez le penser ?
-Justement. Je m'apprête à sauver bien des v...
Un nouveau coup de feu, relayé par l'écran de la télévision. Élisa ferma brièvement les yeux, tout en insultant cet ascenseur qui mettait bien trop longtemps à arriver. Ce fut cet instant que choisit Armand pour attaquer. Son poing rencontra sa mâchoire, l'envoyant valser sur le sol ciré.
-Bon sang ! rugit-elle, effarée par l'attaque.
Les fesses au sol, une main sur sa joue, elle regarda le gentilhomme en costume d'un autre œil.
-Je suis navré, Élisa. Mais j'ai une promesse à tenir.
-Et moi plus que quarante-huit personnes à sauver, gronda-t-elle.
Avec un rugissement féroce, elle se jeta sur lui. Ce dernier écarquilla légèrement les yeux, tandis qu'il voyait la batte de baseball se précipiter vers son visage. Il devait retenir ses coups, car sa force démesurée risquait de la tuer, elle. Alors, il se jeta sur le côté pour esquiver, avant de faire une pirouette à toute vitesse, pour la prendre à revers. Élisa sentit son poing s'enfoncer dans ses côtes, et elle alla pour percuter le mur... Qui s'ouvrit juste à cet instant.
Elle tomba comme une masse dans la cage de l'ascenseur. Avec un regain de force, elle se jeta sur les boutons pour monter. Mais la porte fut trop longue à se refermer. Armand fut de nouveau sur elle, juste avant que les battants ne se referment sur eux.
Crotte !
Bloqués dans l'espace exigu, ils se firent face. Élisa lâcha sa batte de baseball, qu'elle ne pourrait pas utiliser dans cet espace clos. Elle allait y aller aux poings.
-S'il te plait, laisse-moi te protéger !
-Si Nath veut me garder en cage, qu'il vienne me chercher lui-même ! rugit-elle en lui assenant un uppercut à l'estomac.
Le gentilhomme se plia en deux avec un hoquet de douleur. Bien décidée à se débarrasser de lui, elle lui fracassa son genou dans les parties, avant d'empoigner sa tignasse pour fracasser son crâne contre les boutons de l'ascenseur.
Cela eut pour effet de faire se figer la cabine, tandis qu'il glissait au sol. Parfait. Les portes s'ouvrirent sur un étage, celui juste en dessous de la prise d'otage. Sans ménagement, Élisa jeta l'encombrant dehors, avant de réappuyer sur les boutons pour monter.
Essoufflée, elle ramassa sa batte de baseball, carra les épaules.
Il était temps de faire face aux autres cinglés.
Quand les portes s'ouvrirent, une dizaine de pistolets se braquèrent sur elle. Des yeux prêts à faire feu la toisèrent, avant que certains sourcils ne se haussent.
-Élisa Klervi ? s'enquit l'un d'eux.
-A ton avis, la lumière ? grinça-t-elle en sortant de la cabine. Qui serait assez débile pour venir vous voir ?
-C'est bien elle. Maintenez-la en joue, les gars. On l'amène à Paulo.
Dans un silence presque oppressant, elle fut conduite devant le dénommé Paulo. Le psychopathe qui tuait des innocents depuis sept bonnes minutes. Comment elle le savait ? Parce que sept cadavres gisaient à ses pieds. Sept cadavres de trop, à cause d'Armand.
Il était d'ailleurs prêt à faire feu une huitième fois, lorsqu'il vit Élisa. L'otage, un jeune stagiaire qui était entré dans la Chaine Paranormal deux semaines plus tôt, tremblait de terreur. D'un signe de Paulo, on coupa toutes les caméras, avant d'assommer tous les êtres paranormaux d'un coup de crosse à la tempe. Il ne restait plus que les Guerriers de la Pureté.
Et elle.
-Ton père va être ravi de te revoir, Élisa, grinça-t-il avec un sourire torve.
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