Chapitre 1 : Dessaouler en un Sprint


-Élisa Klervi, écoutez-vous seulement ce que nous sommes en train de dire !?

Peu gênée par le ton péremptoire, la jeune femme leva le nez de son téléphone, où un lapin à l'air crétin courrait comme un dératé après des canettes de soda. Tous ses collègues, de Daphnée au patron, la fixaient, dans l'attente. Bon... La réunion n'était pas si importante que ça, mais...

-Oui. Vous êtes en train de dire que suite à l'assassinat du dernier dirigeant des entreprises d'Isria, il va y avoir un changement de tête d'affiche. À défaut de pouvoir trouver qui est l'heureux élu, nous devons couvrir la cérémonie de passation de pouvoir.

Son patron, Gontran de Chavignaule, poussa un grognement dépité. Ha ! Comme si elle ne pouvait pas faire deux choses en même temps ! Touriste va... Enfin... Si ce n'était pas la capitale du pays, Toulon était celle du royaume des êtres surnaturels de France.

Le Souverain habitait au sommet du mont Faron, tandis que les infrastructures les plus importantes de ce deuxième monde colonisait l'intégralité de la ville. À vrai dire... Il y avait moins d'humains dans le coin que dans l'antichambre de l'Enfer. De fait, il y avait ici les plus grandes entreprises de ce monde, allant de l'industrie à la communication.

Élisa faisait partie de ce secteur.

Après avoir abandonné Paris, bien trop humaine pour elle, elle avait choisi d'entrer dans la plus grande chaine du Surnaturel.

Et non, on ne parlait pas de ces émissions pour humains qui cherchaient des bruits avec un appareil ridicule dans des maisons vides.

Non, Paranormal TV était la chaine d'information de cette belle nation.

Il y avait donc un patron, des journalistes, des caméramans, et ainsi de suite, jusqu'à une preneuse de son arrivée trois ans plus tôt.

Mâchonnant un bâtonnet de glace, Élisa sortit trente minutes plus tard avec sa petite équipe. Daphnée, une rousse plantureuse dont le décolleté captivait les spectateurs autant que la voix sensuelle, et Alex, le caméraman.

-Concrètement, on fait quoi ? demandai-je à ma journaliste personnelle.

Les yeux verts de la jeune femme se dardèrent sur elle.

-Nous avons les élections de Miss Vampire à couvrir.

Argh. Instinctivement, Élisa porta la main à son collier.

-Génial. Et on va se retrouver au milieu d'une ribambelle de suceurs de sang, j'imagine ?

-Et de leurs alliés, confirma-t-elle. Allez, venez. Nous avons du pain sur la planche.

*

Effectivement, ils avaient de quoi faire. D'une part, ils devaient rallier le coin des journalistes. D'autre part, ils devaient couvrir l'arrivée de toutes les huiles de ce petit monde. Les patrons des plus grandes entreprises, les dirigeants locaux des divers clans de vampires, des Trolls, des Gobelins... Enfin, toute une belle petite clique dont les critères physiques n'avaient aucun rapport. Car entre un top modèle gobelin et vampire, il y avait un monde. Vraiment.

La femelle idéale des premiers était petite, odorante, d'un vert grisâtre et avec des sourcils aux poils démesurés. Celle des seconds était... Eh bien, cela correspondait aux critères humains. Une bombe atomique sortie tout droit d'un magazine, soif de sang et crocs en prime.

-Miss Clara de l'année dernière était vraiment belle, remarqua Alex en installant son attirail.

Élisa eut un bruit de nez fort peu féminin.

-Tu parles. Elle était anorexique au possible.

-Arrête ! Tu es jalouse, c'est tout !

-Moi !? Jalouse d'un tas d'os ? Jamais de la vie !

-Elle te met au moins vingt centimètres dans les dents, rien que pour la taille. Et je ne parle même pas du bonnet, ajouta ce rustre avec un sourire goguenard.

-Oh !

Cette fois-ci, il se prit un coup de poing dans l'épaule. Il éclata de rire, peu impressionné par sa performance. Il fallait dire qu'elle y était allée doucement, mais ça, il n'avait pas à le savoir.

Effectivement, Élisa était petite. Mais cela, elle le devait à un retard de croissance tout à fait involontaire, qu'elle n'avait jamais récupéré. À vingt-cinq ans, elle n'était pas près de retrouver ses centimètres perdus, à vrai dire. Quant à sa poitrine... Elle ne s'en sortait pas si mal, enfin ! Son bonnet C était tout à fait honorable.

Miss Dampire passa à ce moment-là, exhibant une devanture défiant les lois de la gravité.

D'accord. Elle, elle ficherait des complexes à n'importe qui !

-Daphnée ! gémit-elle en désignant le caméraman du doigt. Il est méchant avec moi !

La journaliste, en train de réajuster son décolleté plongeant, lui fit un grand sourire.

-Ne l'écoute pas, Élisa. Tu es très bien telle que tu es.

Mouais. Son regard suivit Miss Dampire. Tu parles ! Des fesses aux seins, elle était parfaite !

-Elle est parfaite, soupira Alex avec admiration.

Les hommes... Avant de commencer la présentation de la soirée, Daphnée se glissa à l'oreille d'Élisa, pour lui murmurer :

-N'oublie pas que Miss Dampire a déjà l'honorable âge de deux cent trente-trois ans. Mamie est simplement de sortie !

Elles éclatèrent de rire, s'attirant un regard soupçonneux de leur groupie masculine.

Le reste de la soirée se passa calmement. Pourtant, Élisa avait du mal à calmer ses appréhensions. Ils se trouvaient littéralement cernés par les vampires. Il y en avait de partout ! Et au plus la soirée avançait, au plus ils pullulaient ! Le téléphone dans sa poche n'avait de cesse de vibrer, comme possédé.

Calme-toi, Élisa, songea-t-elle en caressant le collier autour de sa gorge. Tout va bien.

La pierre qu'elle portait était chaude contre sa peau. Produit démocratisé et particulièrement discret, les bijoux anti-vampires étaient utilisés par beaucoup de peuples paranormaux. Ils dissimulaient leur aura aux suceurs de sang, annihilant toute prétention de morsure de leur part. Sans qu'ils ne s'en aperçoivent. C'était un miracle en soi...

Mais le plus gros risque dans cette situation, c'était les autres. Un rassemblement paranormal de cette envergure avait tendance à attirer des ennemis bien plus inquiétants, mieux organisés... Les Guerriers de la Pureté.

-Respire, souffla Alex à son oreille, tout en surveillant l'axe de sa caméra. Il ne nous arrivera rien ici.

Évidemment. Daphnée et lui savaient pour... Une prétendue agoraphobie. La peur de la foule, ça pouvait expliquer n'importe quel signe de panique de sa part. N'importe quel état de soudaine vigilance. L'agoraphobie. C'était bien, ça. Ça évitait de s'expliquer à n'en plus finir.

*

-Oh, que je déteste ces pompeux de vampires ! s'exclama Daphnée en portant un verre de vin rouge à ses lèvres.

Nous avions enfin fini cette journée de fous, où une nouvelle Miss Vampire aux mensurations ahurissantes avait été élue. Nous étions donc dans un restaurant huppé, dont la note de frais irait directement à la chaine de télévision. Le patron ne pouvait rien refuser à Daphnée...

-Ne dis pas ça, soufflai-je. La clientèle est majoritairement composée d'eux, ce soir.

Effectivement, à ses mots, la moitié des personnes présentes avait tourné la tête vers elle. Alex était rentré plus tôt, afin de rejoindre sa petite amie, passablement jalouse de sa soirée passée à reluquer des Miss.

-Bah. Tous des coincés et des incapables, râla-t-elle.

Quoi ? Mais qu'est-ce qui lui prenait !? Elle cherchait vraiment les embrouilles. Puis je me souvins qu'elle ne tenait pas l'alcool, et qu'elle en était déjà à son deuxième verre. Oh oh...

-On rentre, déclara-t-elle.

-Quoi ? Mais on a pas encore pris le dessert...

-On rentre, Daphnée !

La prenant par le bras, elle fut surprise de la voir tenir sur ses fins talons aiguilles. Daphnée était capable de bien des choses, même sous l'emprise de l'alcool. Même de dire :

-Allez, tchao, les sangsues ! Votre sale tête ne me revient pas ce soir !

Un frisson glacé remonta le long du dos d'Élisa. Oh non... Jetant la carte de la Chaine au serveur, dont les yeux avaient viré au rouge -mince, lui aussi était un vampire !?-, elle traina la journaliste à sa suite. Elles devaient partir, et vite !

Car un vampire pouvait laisser passer un affront. Mais autant à la suite !? C'était tout bonnement...

-Vous nous quittez déjà ? susurra-t-on dans leur dos.

Oh.

Tournant la tête, le bras de Daphnée en travers des épaules pour la stabiliser, Élisa vit avec horreur deux individus aux prunelles sanglantes. Oh oh...

-Oui. Nous sommes un brin fatiguées, avoua-t-elle avec un rire nerveux.

Elles reprirent leur marche... Pour s'arrêter aussitôt. Il y en avait deux autres devant la fourgonnette de la chaine.

Non de...

Respire un bon coup, Élisa. Et cours !

Prenant son amie par la main, elle partit comme une dératée. Contre toute attente, Daphnée parut dessaouler d'un coup. Elles exécutèrent un sprint digne d'un athlète humain, talonnées par ces espèces d'assassins ambulants !

-Tu es complètement débile quand tu es bourrée ! hurla Élisa.

-Ta gueule et cours ! rétorqua la journaliste, ses seins ballottant d'un côté et de l'autre.

Elles se turent donc, pour sprinter désespérément dans la nuit. La lune guidait leur pas, mais pas dans la bonne direction. Car allant de ruelle en ruelle, elles se retrouvèrent rapidement dans un quartier vide de passants... Et dans une impasse. Avec un haut mur au bout.

Non !

-Mon téléphone, couina Daphnée. Où est mon téléphone !?

Ses paroles allaient attirer les vampires, si tant est qu'elles soient parvenues à les semer ! Avisant des poubelles, Élisa tira la journaliste par le poignet, tout en la bâillonnant de son autre main. Dans un silence de mort, le cœur battant la chamade, elles entendirent le lent bruit de pas de leurs poursuivants. Ils ne faisaient même pas mine de se dépêcher, les bougres !

Forcement. Ils étaient dotés d'une rapidité bien supérieure à la leur. Et crooootte, songea Élisa en regardant le ciel.

-Alors, les filles, susurra l'un d'eux d'une voix chaude. Vous ne voulez pas venir jouer avec nous ?

-Vous nous devez bien ça, après l'affront que vous nous avez fait...

-Surtout, ne bouge pas, murmura-t-elle à son amie.

Daphnée écarquilla les yeux. Se relevant lentement, Élisa sortit de derrière la poubelle. Ce n'était même pas la peine de se cacher. Ils savaient qu'elles étaient là. Mais ils croyaient qu'elles tremblaient de peur.

-De la chair fraiche ricana le plus à gauche.

Quatre. Ils étaient quatre, en train de l'encercler, ignorant royalement Daphnée. Tant mieux. Frappant son poing dans sa paume ouverte, Élisa émit un bruit de langue discourtois, leur faisant hausser un sourcil.

-Vous allez dérouiller, les gars.

Ils éclatèrent de rire. Pour trois d'entre eux. Le quatrième fusa à une vitesse ahurissante, pour la frapper de son poing orné de bagues bien couteuses...

La batte de baseball, apparue dans la poigne d'Élisa, le cueillit en pleine mâchoire, lui faisant faire un volte-face le laissant à terre. À côté de sa canine sanguinolente.

-Alors, les lopettes ? On veut venir se frotter à la misérable femelle que je suis ?

C'était bien beau de craner. Mais quand les trois autres lui sautèrent dessus, sans autre forme de procès, elle crut sa dernière heure venue. Armant son bras, elle allait pour frapper de toutes ses forces, lorsqu'elle fut soulevée par le col tel un chiot, et ôtée de la trajectoire sans l'ombre d'un effort.

Qu'est-ce que...

Elle alla pour frapper celui qui l'avait pris à revers, tandis que les vampires se percutaient mutuellement, vu qu'elle n'était plus au milieu. Une main arrêta sa batte, un claquement de langue agacé lui parvint.

-Depuis quand on frappe son sauveur, ingrate ?

Pour la première fois de sa vie, Élisa resta coite.

Car, la soulevant toujours par le col de son t-shirt, un colossal homme aux yeux violets la toisait avec agacement. Pas l'ombre d'un sourire ne venait effleurer ses lèvres, qui prirent un pli dur lorsqu'il reporta son attention sur ses assaillants. Ils se relevaient déjà, avec des feulements furieux. À ce son, l'homme émit un soupir moqueur.

-Vous croyez me faire peur, les ancêtres ?

Il posa Élisa, dont les mains étaient toujours crispées sur sa batte de baseball. L'homme lui tapota la tête, tout en s'avançant vers les vampires. Ces derniers, en avisant le colosse, parurent perdre de leurs couleurs.

-Allez, venez, lança-t-il en retroussant les manches de sa chemise de costume. Vous allez voir ce qu'il en coute de toucher à une Millicent.

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