☆ 7. L'Illumination

Lucian


— Les gens normaux se rendent chez leurs semblables à des heures plus décentes.

Mon cousin, son père et le grand-frère de ce dernier font leur entrée sous ma remarque.

— Gary..., essaye de m'interpeller Merlin.

Son fils et lui se tiennent debout, derrière Vladimir qui prend place en face de moi.

— Parle-moi sur un autre ton, frech (1) ! s'énerve-t-il, .

(1) : insolent.

Aucune visite de mon oncle, Vladimir, ne s'est jamais achevée dans la bonne humeur. En connaissance de cause, il lui est impossible de m'approcher sans se faire chaperonner. Généralement, Merlin, son petit-frère, s'y colle, sachant étonnamment bien canaliser le flux débordant de nos énergies.

La cinquantaine pleinement entamée et les cheveux teints de blanc pour anticiper leur grisonnement, Vladimir a une méthode infaillible pour m'irriter : exister. Sa simple présence et la vue de ce corps massif, de ces jambes athlétiques et de ces muscles trop développés suffit à shooter mon cerveau à l'adrénaline : mes muscles se contractent à l'idée de lui coller mon poing dans la figure et écraser ce nez en trompette. L'assurance dans sa posture, l'inflexibilité de sa voix, je ne les tolère pas. Le problème est que, et je me l'avoue sans honte, je suis une version bêta de ce bipède exaspérant. J'ai grandi dans les pattes de Merlin après la mort de mon père, mais Merlin est l'ombre de Vladimir alors celui-ci a fortement laissé sa marque sur moi. Il a usé de moyens qui ont sans doute torturé ma mère dans sa tombe pour que je devienne le mur de froideur que je suis aujourd'hui : son reflet dans un miroir.

Warin, le fils de Merlin, a connu le même genre de traitements, pourtant je ne m'abuse pas si je dis que j'ai été considéré avec bien plus de sévérité que mon cousin. Vladimir dirige l'entreprise familiale depuis l'âge exceptionnel de seize ans et il n'a pas eu d'enfants. Depuis notre naissance, nous, les petits-fils directs de l'ancien chef du Clan, étions désignés à être les successeurs de Vladimir. Nous avons grandi comme des soldats d'élite en devenir, nos corps ont été marqués de toutes les manières possibles et la souffrance a été notre amie très tôt : dès le berceau pour moi, et Warin une fois qu'il a su aligner deux syllabes. En raison de ces souvenirs forts peu agréables, me voir dans la même pièce que Vladimir est soit un concours de circonstances soit la force des événements. Étant donné que c'est lui qui est venu à moi ce soir, c'est plutôt la deuxième option.

Un ballet de servantes défile, disposant verres et alcools de choix sur la table basse du salon qui se trouve sur ma gauche et sur mon bureau. Les récipients sont vite remplis et des rafraichissements distribués à la dizaine d'hommes qui accompagne mes oncles. Des amuses-gueules leurs sont proposés en complément. La porte s'ouvre à nouveau sur une Amel en robe bouffante couleur chair qui lui arrive aux mollets, le chignon négligé mais classe ainsi que des talons aux pieds. Elle s'apprêtait sans doute à rentrer chez elle lorsqu'elle a appris que ma famille s'est pointée.

Aux regards indiscrets qui se tournent vers elle, je constate encore une fois à quel point Amel attire l'attention. Cette femme est exceptionnellement magnifique, avec ses cheveux bruns soyeux, ses attributs féminins terriblement appétissants et son regard ténébreux qui s'illumine quand un rayon de soleil rencontre ses iris. Elle fait sensation partout où elle passe et s'attire les grâces de son entourage avec une facilité déconcertante. Le patron d'un des gangs criminels allemands les plus craints n'échappe pas à la règle. Vladimir l'adore littéralement. Il se lève et écarte les bras pour l'accueillir. Ce n'est plus l'homme qui me gueulait dessus quelques minutes en arrière, mais plutôt le père de famille qu'il n'a jamais pu être. Il a cependant cette tendance à choyer son entourage, trait de caractère dont Amel bénéficie à satiété. De toute évidence, je suis le seul qui échappe à la règle, car il a plus envie de me cogner que de m'offrir un joujou.

Un sourire radieux aux lèvres, ma fiancée échange quelque politesse avec lui avant d'en faire de même avec Merlin. Le petit frère de Vladimir est un homme simple qui apprécie les petits plaisirs de la vie. Il affectionne particulièrement ses polos Lacoste, ses pantacourts et ses baskets. Contrairement à son grand-frère, il est un peu bedonnant, avec un cou proconsulaire qui pousse souvent les gens à douter qu'il ait douze ans de moins que Vladimir. Cependant, il a le regard éteint et le genre d'œillade qui fait froid dans le dos, apanage des hommes imprévisibles. Insondable, il agit avec mystère. La preuve : aux yeux du grand public, il lutte contre les activités illicites. En coulisses, il fait fleurir le business de son grand-frère et broie les os de ses ennemis. Il m'a recueilli à la mort de mon père et, depuis, j'ai vécu avec sa femme et lui, personnification du paradoxe humain.

— Vous auriez dû m'avertir que vous passiez ce soir ! s'offusque Amel, les bracelets sur ses bras émettant un tintement qui m'irrite. Je vous aurais préparé un dîner en bonne et due forme.

— Ne te tracasse pas pour nous, mon petit poussin, la rassure Vladimir. Nous ne sommes là qu'en coup de vent. Un avion nous attend dans moins d'une heure.

— Bon, eh bien... Dans ce cas, je vous laisse discuter.

Alors qu'elle tente de se diriger vers la sortie, Vladimir la retient en une poignée douce sur le coude et me désigne d'un vague geste de main.

— Non, mon poussin. Tu peux rester.

Traduction : « ne bouges pas, parce que ça te concerne ». Je décèle la surprise sur le visage de la jeune brune qui s'exécute rapidement en venant se poster à ma gauche. Moi-même étonné, j'attends de découvrir la raison de cette rencontre, un poing contre la joue.

— Bien.

Après avoir prononcé ce mot, il s'empare de son verre de vin qu'un de ses hommes s'empresse d'abord de venir gouter.

— Si je voulais te tuer, je l'aurais fait depuis mon adolescence, Vladimir. Et d'une manière bien plus originale qu'un foutu empoisonnement.

— Gary, voyons ! m'interpelle Amel.

— T'occupes, mon poussin, lui répond le concerné. Ce pauvre diable se surestime.

— Tu n'es pas invincible, Hartmann, me moqué-je. Toi et moi, sur un terrain de boxe. Quand tu veux.

— Si vous continuez de jouer à chien et chat, on ne prendra jamais ce vol, rappelle Merlin, las.

— Warin ! appelle Vladimir, ignorant son frère. Libère deux petites heures de mon planning dès que possible. Das ist es, was er will (2).

(2) : C'est ce qu'il veut.

— J'ai une salle de boxe à l'étage supérieur, fais-je remarquer, le regard accroché au sien. En moins de deux minutes, nous pouvons être sur le ring. Des investisseurs m'attendent alors on devrait régler ça rapidement.

— Je n'ai pas de temps à t'accorder ce soir, mon petit.

Du bist der größte Feigling überhaupt (3), le provoqué-je.

Du Narr (4) !

(3) : Tu es le plus gros trouillard que j'ai jamais vu.

(4) : pauvre idiot.

— Allez-vous cesser ? tonne Merlin, agacé, avant de se pencher vers moi. Gary, ce que Vladimir a tant de mal à te dire est qu'il est temps pour lui de prendre sa retraite. Nous souhaitons que tu gères enfin l'entreprise familiale. Tu as les capacités requises, tu as été spécialement apprêté pour ça depuis que tu as élu domicile chez moi, le soir de tes huit ans. La preuve en est que Vladimir et toi ne pouvez pas tenir ensemble dans une même pièce. Il ne peut y avoir deux commandants sur un même navire et ton oncle a porté son choix sur toi pour prendre le flambeau.

— Ça me va droit au cœur, oncle Vladimir, réponds-je aussitôt, appuyant bien sur les derniers mots avec sarcasme.

Il fulmine. J'adore quand Vladimir fulmine. Non, mais qu'a-t-il cru ? Que j'allais lui sauter dans les bras et que le passé serait effacé par cette nouvelle qui ne me fait ni chaud ni froid ? Je comprends mieux pourquoi il a souhaité qu'Amel reste. Secrétaire de son père et gestionnaire des activités pétrolières de ce dernier, elle a une capacité d'analyse et de déduction singulière. Elle établit des liens entre des éléments improbables à une vitesse qui ferait bander n'importe quel sapiosexuel. Comprenant d'ailleurs le but de sa présence, elle s'empresse de faire ce qu'attend Vladimir : argumenter.

— Tu as tout intérêt à accepter, mon amour, signifie-t-elle en se tournant vers moi. Grâce à la Sulton Motor Cars, ton carnet d'adresses est très varié. Ton entreprise est reconnue à l'international et constamment nommée dans des classements que tes prédécesseurs du monde de l'automobile convoitent. Avec une stratégie de communication adéquate, le clan Hartmann pourrait davantage asseoir son pouvoir au-delà des frontières de l'Allemagne. Tu n'imagines pas les changements considérables que tu pourrais introduire. De plus, tu es le protégé du vice-président et les faveurs qu'il refuse à tes oncles, il te les offrirait sur un plateau si tu clignais seulement des yeux. Avoir un allié à la présidence te propulserait dans des sphères tout à fait hors-normes, chéri.

Le silence tombe après cet exposé précis, énoncé d'une voix de velours propre à l'humaine préférée de Vladimir. L'une des raisons pour lesquelles je côtoie si facilement Amel est la façon dont ses yeux s'illuminent devant des situations compliquées : son cerveau dissèque, codifie et unifie le tout.

Nous nous sommes rencontrés par un concours de circonstances, alors que je passais un après-midi avec Josh. Il m'a présenté sa cousine qui venait d'obtenir un énième diplôme avec un cursus impressionnant dans une autre ville. Puis, de fil en aiguille, nous nous sommes croisés « par hasard » à de plus en plus d'endroits, avant que nos familles ne nous inforrment franchement de leur projet d'unification. J'ai fini par déceler l'intérêt qu'avaient nos fratries respectives à nous unir de façon si grotesque : fraude fiscale sur les produits pétroliers et contrebande d'hydrocarbures. Vladimir a étendu son secteur d'activités et souhaite sceller ses accords avec la société du père d'Amel par un mariage Sulton-Brown. C'était il y a quatre ans et, pour calmer les ardeurs de chacun, j'ai jugé bon de décorer la main d'Amel et officialiser nos fiançailles cette année. En attendant, on me fout la paix et le monde s'en porte mieux.

— Exceptionnelle ! Cette femme est totalement exceptionnelle ! avoue Vladimir en applaudissant. Juste ciel ! Qu'est-ce que cet idiot attend pour l'épouser ?

Flattée, Amel me lance un regard amoureux que je ne relève pas. Je lis dans ses pensées avec une facilité qui m'éreinte : enfants qui gambadent dans la maison, vacances en famille, faire la une de ces magazines débiles... Juste ciel ! Je contrôle le flux nerveux qui vient brouiller mes réflexions. Je ne dois pas penser à ça maintenant. Dossier Amel + mariage + faire bonne impression aux yeux du monde, dans une case bien précise. Tout doucement. On ferme à clé. Voilà.

Je pourrais envoyer Vladimir paître pour le plaisir de le voir péter une durite mais, en homme curieux que je suis, j'entre dans mon palais mental, une grande salle blanche inondées de casiers avec des dossiers en tous genre.

J'ouvre le fichier « Clans » rangé dans une boite colorié en rouge dans ma tête. A. B. C. D. E. F. G. H. Hartmann. Clan Hartmann.

Plus influent que quatre-vingt quatre pour cent des autres clans en Allemagne d'après mes calculs. Un incontournable du crime organisé. Créé par un allemand en rogne contre l'État et fauché comme un rat d'église qui rassemble ses semblables prolétaires triés par les services sociaux, à ce moment-là débordés par une vague massive d'émigrants fuyant la guerre du Liban. Le petit groupe s'organise. Raquette, vol, petite délinquance, avant que le tout ne dégénère dans des activités bien plus sombres. D'autres clans émergent, mais les Hartmann se démarquent et se diversifient assez vite : mariages arrangés ou d'amour, d'autres nationalités s'ajoutent au tableau, des liens se tissent, des clans fusionnent même, des accords sont signés. Au milieu de tout ça naît Frieda Sulton, mi-allemande mi-américaine, qui fait un mariage heureux avec Alceste Hartmann et meurt en me donnant la vie.

Alceste qui me caractérise de « fruit du démon », car étant le meurtrier de ma propre mère. Il me nomme Sulton, me trouvant indigne de porter son nom. Sévices, maltraitances... Non. Je range le dossier « Enfance » à sa place. Je n'en ai pas besoin. Cependant, cette petite piqûre de rappel me fait constater une chose.

Raison N⁰ 1 d'accepter : faire un doigt d'honneur sur la tombe de mon père. Sa voix hurle dans ma tête, faisant remonter des flash-backs désagréables. « Tu pourras jamais me baiser, espèce de démon ! Sur les trois coups d'avance que tu penses que j'ai, j'en ai trois de plus. » À présent qu'il est six pieds sous terre, il a surtout trente sept degrés de moins que moi.

Je me concentre à nouveau. Pour quelle autre raison est-ce que je me lancerai dans cette connerie sans grande importance pour moi ? Parce que j'ai un tatouage dans le dos qui signifie que je suis l'une des personnes qui pourrait reprendre le flambeau après Vladimir ? Oui, mais pourquoi baigner au cœur même de ces activités qui m'importent peu ? L'un de mes défauts veut remonter à la surface, mais je contrôle son flux. Cependant, c'est comme poser ses mains sur l'ouverture d'un geyser en espérant empêcher l'eau de jaillir.

Les perspectives sont immenses. Un n énorme exposant un m outrageusement grand. Une opportunité de comprendre enfin l'intérêt de l'Homme pour le mal, le goût qu'il trouve à nuire, étudier plus avant sa tendance à détruire ce qui l'entoure, de la couche d'ozone aux microéléments vivants, en passant par son semblable avec un effet de retour à l'envoyeur vers lui-même. Des sphères hors-normes, disait Amel. Un autre de mes défauts éclate : le goût du Pouvoir. Ce même Pouvoir que je ne supporte pas de partager avec Vladimir lorsque nous co-existons dans la même pièce. Quant aux dangers et aux inconvénients d'un tel projet, ils ne sont que futilités à mes yeux. Je m'y habituerai comme je me suis habitué aux coups de fouet de mon père ou à la main de Vladimir qui me plongeait la tête dans l'eau ou encore aux nombreux ennemis que je me suis mis à dos en devenant l'un des leaders du marché automobile.

Cependant, au milieu de ces réflexions, et avant même que je ne comprenne comment, je me désintéresse du dossier Hartmann. À la place, je suis attiré comme un aimant par un casier jonché de clignotants, entouré de barbelés parsemés de courant électrique et verrouillé au cadenas : Ayana Moore.

L'Étourdissante. L'humaine qui véhicule un influx nerveux atypique dans mes cellules, qui active des parties méconnues de mon encéphale et stimule le muscle froid qui bat dans ma poitrine. L'Enivrante. Celle qui enclenche des mécanismes complexes dont je n'avais moi-même pas connaissance dans mon corps. Le shoot d'adrénaline qui dope mon organisme et le plonge dans une euphorie indécente, exaltante, obscène.

« Je ne suis pas adepte de ce genre de scandales, M. Sulton », me rappelle son envoûtante voix.

« Je ne suis pas ce genre de femme », assène-t-elle dans mon esprit.

Parce que, oui, Ayana est bien trop pure pour que je tente de l'approcher avec les mains souillées des activités que me propose ma famille. D'ailleurs, que représente le Clan Hartmann devant un sujet bien plus intéressant, aiguillonnant et mystérieux comme le sujet Ayana Moore ? Elle est déjà d'une complexité que je meurs d'envie de croquer à pleines dents. Goûter son essence, mourir au creux de ses reins, fiché dans la chaleur de ses tourments. Insondable, mais pourtant si déchiffrable. Le halo de l'Indicible flotte autour d'elle, signalant une zone interdite pour laquelle je crèverai volontiers. Mon goût du pouvoir est rassasié lorsqu'elle est dans les parages : son souffle anarchique, ses joues rosées, ses pupilles dilatées, toutes ces choses sont le fruit de l'autorité délicieusement innommable que j'exerce sur elle. À son contact, je me répand en un nombre n exposant m de particules en pleine vibration. L'anarchie que provoque cette femme en moi et l'illumination de mes sens n'est pas égal à la broutille que me propose Vladimir.

Dans trois ans, je pourrai diriger une mafia si l'envie me prend. Mais dans trois ans, je ne croiserai peut-être plus une Ayana Moore. Et, pour la côtoyer, je n'ai aucune envie de me frotter à cet environnement crasseux qu'est le monde du crime organisé. J'ai lu les articles qu'elle a écrit sur son blog il y a quelques années, j'en ai mémorisé la plupart, je sais les valeurs qu'elle défend. Tacher mes doigts de sang, de drogues dures, de ces choses dégueulasses émanant de la débauche, et infecter ensuite ce corps parfait, souiller cette âme magnifiquement immaculée ? Impossible.

— Je suis désolé que vous vous soyez déplacés pour rien. Ça ne m'intéresse pas.

Presqu'imperceptible, le soubresaut de mon cousin ne m'échappe pourtant pas. Merlin se raidit discrètement et Amel balbutie des mots incompréhensibles. Quelques secondes plus tard, Vladimir dépose brutalement son verre, les narines dilatées par ce que je devine être de la colère. Les mains sur les genoux, le criminel en chef souhaite se redresser, mais son frère le retient d'une main sur l'épaule. De toute évidence, il aurait tenté bondir vers moi. J'aurais aimé voir ça, histoire de mettre en pratique toutes ces prises de boxe que je rêve de lui faire.

D'un ton joueur, je souhaite une bonne soirée au troupeau et récupère mon blazer pour quitter la pièce. Je rejoins l'ascenceur qui me mène au sous-sol où mon parking regorge de voitures en tous genres. En grimpant dans le véhicule qui m'attend, je réalise une chose : je me suis laissé prendre au piège. Mes réflexions m'ont subtilement mené à une conclusion que je m'étais pourtant promis de ne plus évoquer : je veux Ayana Moore.

Et je l'aurai.

* * *

Je suis assis dans mon salon privé, surplombant la piste de danse animée de la boîte de nuit. Les lumières stroboscopiques balaient la foule qui se déhanche au rythme de la musique quelques étages plus bas, créant une ambiance électrique dans tout le bâtiment. Je prends une gorgée de mon verre, mes pensées vagabondent alors qu'une discussion animée est lancée par quelqu'un près de moi.

Le bâtiment de la boîte de nuit est organisé autour d'une piste de danse centrale, entourée de différents niveaux. Au centre se trouve un espace ouvert où se déroulent les performances des DJ et les spectacles de lumière. Plusieurs salons privés sont dissimulés le long des murs de la boîte de nuit et aux différents étages, accessibles par des couloirs discrets et surveillés par des agents de sécurité. Chaque salon est équipé de canapés confortables, de tables, d'un bar et de son propre système de sonorisation pour permettre aux clients de profiter de leur soirée en toute intimité. Pour ceux qui n'ont pas les moyens de privatiser un espace, ils se déhanche sur la piste de danse avec d'autres quidams. Autour de moi, les baies vitrées enveloppantes offrent une vue imprenable sur l'ensemble de la boîte de nuit. Installé au dernier étage, je peux voir chaque coin et recoin de l'établissement. Le verre acoustique qui constitue les vitres de mon espace réduit considérablement les décibels des cris et des chansons crachées par les enceintes, m'assurant que je ne sortirai pas d'ici avec une migraine. La boîte de nuit résonne d'ailleurs des basses de la musique, mais au milieu de l'agitation, la conversation entre mes compagnons bat son plein.

Sophie Desbois arbore une expression sérieuse en se penchant vers Adam Montgomery, l'air concernée et tout à fait sérieuse.

— Je vous comprends, Adam. Je vous comprends tout à fait, mais saisissez-moi, vous aussi : les politiques économiques actuelles manquent terriblement de vision à long terme. Nous avons besoin de mesures audacieuses pour stimuler l'innovation et favoriser une croissance durable, voyons.

Sophie est une femme d'affaires accomplie, dont l'élégance et le charisme ne passent pas inaperçus. De taille moyenne, elle a une allure élancée et gracieuse qui captive l'attention dès qu'elle entre dans une pièce. Ses cheveux blonds encadrent un visage aux traits fins et délicats, illuminé par des yeux d'un vert profond, pétillants d'intelligence et de détermination. Après avoir créé le Sophie's Glam, sa propre marque de vêtements pour femmes, elle a ouvert une agence de mannequinat. Son succès dans ces deux domaines n'est plus questionnable aujourd'hui : elle est un modèle dans son milieu. Sa robe moulante est à la fois sophistiqué et moderne, reflétant son sens du raffinement et de la mode. Elle a une façon élégante de porter des tenues aguicheuses qui mettent en valeur sa silhouette sans jamais paraître ostentatoire, du moins lorsqu'elle le veut. Son allure est toujours impeccable, témoignant de son souci du détail et de son professionnalisme. Sophie a une présence charismatique qui inspire le respect et la confiance à quiconque ne connait pas l'animal insatiable qui se cache sous ces couches de vêtements et de maquillage.

En effet, derrière sa boite de mannequinat, Sophie cache l'un des plus grands bordels que j'ai jamais connu. D'ailleurs, des images floues et vieilles d'il y a quatre ans me remontent en mémoire. Sa bouche autour de mon membre, sa poitrine fournie qui s'agite au rythme de mes coups de reins, la lascivité de son bassin qui ondule contre le mien... Pourtant, dès l'instant où j'ai commencé à fréquenter Amel, j'ai rompu tout les contrats qui m'unissait à elle et ses employées. Cependant, et même apres tout ce temps, certaines de ses travailleuses et elle-même souhaitent encore rejoindre mes draps.

— Je suis d'accord sur le principe, Sophie, mais nous devons également tenir compte des réalités qui sont les nôtres, argumente Adam. Vous savez, des politiques trop ambitieuses peuvent entraîner des réactions imprévues sur les marchés financiers et compromettre la stabilité économique. Ce n'est pas un aspect à négliger.

Adam est un ami de longue date et homme d'affaires éminent, dont la prestance et l'assurance transparaissent dans chacun de ses mouvements. Il est propriétaire et PDG d'un vaste empire médiatique, comprenant plusieurs magazines de renom et des organes de presse. Il a une réelle mainmise sur l'information que consomme le citoyen lambda. De grande taille, il possède une stature imposante qui lui confère une présence remarquable. Ses cheveux noirs, soigneusement peignés en arrière, ajoutent une touche de maturité à son apparence distinguée. Son visage est marqué par des traits anguleux et déterminés, encadrant des yeux perçants qui révèlent une intelligence vive et un sens aigu de l'observation. Adam porte avec élégance son costume taillé sur mesure, témoignant de son souci du détail et de son sens du style classique. Dans ses interactions, il fait preuve d'une éloquence naturelle et d'une aisance communicative, articulant ses idées avec clarté et persuasion. Son charisme inné lui permet de captiver son auditoire et de susciter l'admiration de ses pairs.

Sophie lève un sourcil sceptique après la réplique de son interlocuteur.

— Mais ne serait-il pas préférable de prendre des risques calculés plutôt que de rester immobiles dans une stagnation économique ? Dieu du ciel, vous me donnez des migraines !

Adam sourit, mais son ton demeure ferme.

— Le risque est toujours une partie intégrante de l'innovation, mais il doit être géré de manière prudente. Nous devons trouver un équilibre entre ambition et réalisme. Et ne mêlez pas Dieu à ça, ce n'est pas lui qui est à la tête de la nation.

Un autre investisseur, John, intervient dans la conversation.

— Pendant longtemps, pourtant, l'Église était très investie dans les affaires politiques. Elle a fortement influencé la gouvernance étatique. L'anticléricalisme, le combat laïque, le radical-socialisme... ces concepts ont fortement contribué à...

Ainsi, le débat vire à un autre sujet. Je m'exprime en hochement de tête, en sourire et monosyllabes. Lorsqu'on demande franchement mon opinion, je m'attèle à être concis et à ponctuer mes répliques de références pour intellectuels, chose qui arrache des rires à mes interlocuteurs. Au bout d'une longue heure à discutailler, boire du vin onéreux et regarder mes invités esquisser quelques pas de danse, ils finissent par me souhaiter une bonne soirée. Chacun profite de quelques minutes en tête à tête pour me demander des nouvelles de leurs investissements, de l'entreprise, de mon couple. Adam me glisse à nouveau un mot au sujet de son obsession du moment : une interview de Lucian Sulton dans un de ses magazines. Je lui répète que j'y réfléchirai et lui demande de saluer sa fille pour moi. Après quelques minutes, je suis seul, près des vitres. Occupé à observer les étages inférieures où s'agitent des gens d'âges divers, une présence dans mon dos me signale un intrus. Le parfum coûteux de Sophie me renseigne sur son identité avant que sa voix ne s'élève.

— J'avais oublié mon manteau.

Je hoche la tête sans me retourner. Pourtant, elle s'immisce dans mon espace sans gêne, frôlant mon dos de sa poitrine.

— Tu ne portes pas ton alliance, ce soir.

En effet, j'ai décidé sur un coup de tête de renoncer au trône qui m'était offert au sommet de la pyramide familiale, jeter à l'eau le semblant de relation que j'avais avec une Amel aux multiples infidélités et ce bijou qui m'unissait à elle m'encombrait plus qu'autre chose.

— Tu es une fine observatrice, badiné-je en parcourant du regard les personnes présentes ce soir.

— Est-ce que je dois en conclure qu'il y a un souci avec ta fiancée ? Tu as peut-être besoin de... décompresser ?

Ses mains parcourent déjà mes épaules alors que je me fige, le regard accroché à un corps dont chaque courbe est gravée dans ma mémoire. Au milieu de la foule de danseurs, un éclat de lumière multicolore s'invite régulièrement sur sa silhouette, mettant en exergue ses gestes fluides qui m'hypnotisent en un coup d'œil. Un frisson de surprise et d'émerveillement parcourt mon être alors que je l'observe, captivé par la manière dont elle bouge avec une limpidité hypnotique, ses mouvements langoureux qui éveillent en moi un feu nouveau. Chaque geste, chaque ondulation de ses hanches, semble chargé d'une énergie magnétique qui me laisse sans voix. Son corps se meut avec une aisance naturelle, ses cheveux voltigent autour de sa face comme une aura envoûtante et ses lèvres semblent réciter les paroles de la chanson. Je suis envoûté par la grâce de son être, son visage rayonnant d'une sensualité irrésistible alors qu'elle mène le goulot de sa bouteille à sa bouche pour s'abreuver.

Sophie minaude quelque chose au sujet des nuits de torture qu'elle endure dans la solitude, mais mes sens ne m'appartiennent plus. Pas quand Ayana est dans mon champ de vision. Elle est là, mêlée à tout ce monde mais si singulière dans cette petite robe verte, si irréelle et obsédante. Des mètres de vide nous séparent, moi tout en haut, et elle si loin de mon cœur qu'elle fait pourtant battre à un rythme indécent. Ce soir, j'ai abandonné ma famille et le pouvoir que celle-ci m'offrait parce que la perspective de renoncer à Ayana me rendait nauséeux de ma propre vie. Je ne suis pas adhérent d'une quelconque religion, mais j'ai envie de croire que Dieu me récompense pour la décision que j'ai prise devant Vladimir.

Malgré les risques, je l'ai choisie, elle. Et elle est venue à moi.

______________

Hey, mes océans ! Un chapitre pour vous aujourd'hui, avec les principaux parents de Lucian et sa relation sens dessus-dessous avec son oncle Vladimir 🤪 J'espère que ça vous a plu ! 🤗

🌟 : Une étoile si vous avez aimé.
💬 : Un commentaire si vous avez une remarque (ne la gardez surtout pas pour vous, ça m'aide à me corriger et à avancer) ou quoi que ce soit d'autre à (me) dire.

📸 Instagram : Nothin_moreauteure.

Love,
Esther.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top